Remy Geoffroy : Un entraîneur amoureux du demi-fond [Athlétisme]

Remy Geoffroy est l’entraîneur d’Alexis Miellet et de Fabien Palcau à Dijon. Entretien technique avec cet amoureux du demi-fond.
Remy Geoffroy
Remy Geoffroy

Remy Geoffroy est un ancien athlète, spécialiste du 1500m. Champion de France en 1987, il a été en demi-finale des Jeux de Séoul en 1988. Il possède un record à 3’35”52 (28e meilleure performance française de tous les temps). Toujours fidèle à son club du Dijon Université Club, il est passé de l’autre côté de la barrière, devenu entraîneur. Il s’occupe, entre autres, actuellement d’Alexis Miellet et de Fabien Palcau. Amoureux du demi-fond, il parle de son parcours et de l’amour de ses disciplines, qui l’anime depuis plus de quarante ans.

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UN ENTRAINEUR DOIT CONNAÎTRE LA PERSONNALITE DE SON ATHLETE

Quand on est entraîneur, c‘est toujours difficile de se dire “qu’est ce qu’un bon coach”. Du tac au tac, on peut dire que c’est celui qui a des résultats. Mais cela ne se limite pas à cela. C’est aussi une personne qui a un bon contact humain avec les gens qu’il s’occupe. On ne peut pas arriver à de bons résultats s’il n’y a pas une complicité à l’entraînement. C’est un respect mutuel qui se crée. Si je prends l’exemple d’Alexis Miellet [NDLR : coureur de 1500m, demi-finaliste des mondiaux de Doha], il a énormément de respect pour moi et c’est réciproque.

Et au-delà du respect, il doit y avoir également une complicité, qui n’est pas que sur la piste. Un entraîneur doit connaître la personnalité de son athlète. Alexis je le connais depuis qu’il est tout petit. Avant d’être son coach, je suis l’ami de son père. On faisait des activités en commun et le “petit” était toujours là. Quand il a voulu passer à la vitesse supérieure, il a dit : “C’est Rémy qui m’entraînera”.

IL ETAIT EVIDENT POUR MOI DE RENVOYER L’ASCENSEUR

J’ai été athlète. J’ai profité des connaissances de mon coach Georges Gacon (NDLR : Entraîneur de demi-fond, qui a également été préparateur physique dans des clubs de football de L1). Quand j’ai décidé de mettre un terme à ma carrière sportive, il était évident pour moi de renvoyer l’ascenseur. J’aurais pu me mettre à l’écart et faire autre chose. Mais j’ai profité pendant vingt ans d’une personne qui m’a apporté énormément. J’ai voulu faire pareil. Je me suis toujours intéressé à la démarche de l’entraînement, y compris quand j’étais moi-même athlète. J’avais une parfaite confiance en ce que me faisait mon coach. C’est quelqu’un d’exceptionnel. Il a été en son temps coordinateur national, mais il a également énormément apporté au demi-fond français. Aujourd’hui, on continue de s’inspirer de ses méthodes. Il m’a enrichi. Quand on a un entraîneur qui réfléchit sur ce qu’il propose, forcément cela fait réfléchir l’athlète.

ON ESSAIE DE TROUVER LE BON COMPROMIS ENTRE EFFORT ET EXACTITUDE DU PLACEMENT

A Dijon, on a la culture de l’appui. Il y a tout un travail qui doit être fait autour de la foulée, pour s’approcher le plus possible du geste parfait. Parfois, on a des athlètes qui ont des capacités énergétiques exceptionnelles, mais qui n’ont pas forcément le bon geste, ni le placement idéal. C’est dommage d’avoir un gros moteur et de gaspiller son énergie dans un geste qui n’est pas parfait. On essaie de trouver le bon compromis entre l’effort et exactitude du placement. Cela passe par un travail de bondissement, de musculation spécifique au demi-fond. Ce n’est pas la même musculation que celle du sprinter.

Si on décortique l’appui, le sprinter passe moins de temps au sol que le demi-fondeur, même si cela reste une foulée similaire. Mais il faut une force dynamique qui va durer jusqu’à 50 secondes pour le coureur de 400m. En demi-fond, on ne peut pas se permettre de faire ça. Si on commence à charger lourd, il y a risque de prise de masse musculaire. Or cela correspondrait à un alourdissement qui peut être synonyme de handicap pour la performance.

Il faut trouver le juste milieu, entre la force nécessaire à l’accomplissement de la foulée, sans tomber sur la fabrique de muscle inutile. On est davantage sur de la PPG, une musculation de type bondissements. On ne passe pas par de la charge lourde. Il faut rester prudent quand on rentre dans la musculation. Le sprinter possède une masse musculaire imposante. Quand on dépasse le 400m, il ne faut pas être trop lourd.

Remy Geoffroy : “J’apporte à Alexis, mais Alexis m’apporte. Un entraîneur doit cibler les qualités et les défauts de son athlète et bien travailler autour. Je pense m’être amélioré à son contact, au niveau de l’entraînement”.

Remy Geoffroy
Remy Geoffroy, au milieu de ses deux athlètes Alexis Miellet (à gauche) et Fabien Palcau (à droite). [Crédit : DR]

UN BON DEMI-FONDEUR DOIT ÊTRE CAPABLE DE GAGNER DES COURSES

Un bon demi-fondeur doit être capable de gagner des courses. Et pour gagner, il faut avoir la capacité de gicler dans les 200 derniers mètres. Cela se travaille, même s’il y a des valeurs intrinsèques qu’on ne pourra guère faire évoluer. Alexis a la chance d’avoir cette capacité à gicler en fin de course, car il est très fort musculairement et il va très vite. Ce sont deux qualités primordiales pour faire un champion. Il ne faut pas oublier la capacité à être endurant au travail et sans se blesser. La blessure est un frein dans la préparation, qui peut être un vrai facteur limitant à la performance. Si on arrive à combiner tous les facteurs chez un athlète qui a de grosses qualités, la route est ouverte pour en faire un grand champion.

LA RESERVE DE VITESSE EST INUTILE SI L’ATHLETE N’A AUCUNE AISANCE AU TRAIN

On pourrait imaginer que pour améliorer la fin de course, il faut faire de la vitesse. Ce n’est pas ma philosophie. Je pars du principe qu’il y a des qualités naturelles chez un coureur de demi-fond. Il a déjà une réserve de vitesse. Mais celle-ci s’abime quand l’effort au train est soutenu. Au final, dans la dernière ligne droite, certains athlètes qui sont capables de courir en moins de 11 secondes au 100m, incapables de bien terminer une course. La réserve de vitesse est inutile si l’athlète n’a aucune aisance au train. Il faut d’abord élever sa VMA, avec tout un travail autour de celle-ci. Ce sont ce genre de séances, qui permettent de préserver au mieux la capacité à gicler dans le final.

Bien sur, il faut entretenir la vitesse, voire l’améliorer si possible. Mais ce n’est pas la priorité selon moi. Quand on a isolé la VMA, on fait un travail autour du pourcentage de celle-ci. Le travail hivernal sera là pour consolider les bases, comme les fondations d’une maison. Plus les fondations sont solides, plus on pourra monter haut dans le travail estival. Si le travail hivernal est bien fait, on peut élever les intensités l’été.

JE NE CRITIQUERAIS PAS CEUX QUI FONT DIFFEREMMENT

A l’entraînement, il faut se mettre en situation de fin de course. Je ne fais pas faire de vitesse pure. Mais on va faire des 100m enchaînés avec peu de récup. Alexis va les faire en 11 secondes, avec une grosse minute de récupération. On se retrouve dans l’effort de fin de course avec cet enchaînement. S’il passe bien cette séance, on peut dire qu’il serait capable de faire une grosse performance. L’été 2019, il était capable de les faire en 11” voire certains en moins de 11, avec juste la ligne droite en récupération. C’est ma manière de voir les choses et je ne critiquerais pas ceux qui font différemment.

UN ENTRAÎNEUR PROGRESSE AVEC LES ATHLETES QU’IL COTOIE

Un entraîneur progresse avec les athlètes qu’il côtoie. Je reviens une nouvelle fois sur cette complicité réciproque. J’apporte à Alexis, mais Alexis m’apporte. Un entraîneur doit cibler les qualités et les défauts de son athlète et bien travailler autour. Je pense m’être amélioré à son contact, au niveau de l’entraînement. Quand j’étais athlète, je préparais un peu différemment la vitesse, par rapport à ce que je propose désormais à mes athlètes. On a trouvé ce qui fonctionne avec Alexis. A partir du moment où cela marche, on n’a pas le droit de dire que la méthode n’est pas bonne. Même si cela défraie la chronique. S’il y a des résultats, c’est qu’il y a des choses qui fonctionnent. Cela peut ne pas durer.

ON N’A RIEN REVOLUTIONNE EN CINQUANTE ANS

Je suis entraîneur et licencié au DUC (Dijon Université Club). Il n’existe pas d’entraîneurs qui ne soient pas affiliés au club. Le titre d’entraîneur national n’existe pas. Un CTS, dans le cadre de sa fonction, c’est un coordinateur à l’échelon fédéral et non en entraîneur. Mais attention, ce sont des entraîneurs tout de même, capable de réfléchir et penser. Ils n’ont pas de mission d’entraînement mais ils sont capables d’entraîner. Ils sont d’ailleurs entraîneurs dans leur club, sur leur temps libre. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de compétences. Je parle également avec les autres coachs. Cela dit, on ne va pas se mentir. On n’a rien révolutionné non plus. L’entraînement du coureur de demi-fond se fait dans un premier temps de manière empirique.

Quand on décortique ce qui fonctionnait il y a cinquante ans, alors qu’on n’avait pas toutes ces compétences et connaissances, on savait que ça fonctionnait sans savoir vraiment pourquoi. Aujourd’hui, on a progressé dans la connaissance du métabolisme et du corps humain. Le travail proposé il y a cinquante ans, fonctionne encore à peu près. La différence se fait davantage sur la complicité entraîneur entrainé. C’est un des points fondamentaux de la réussite. Aujourd’hui, on sait pourquoi les choses fonctionne bien, car on a acquis des connaissances, sur le corps humain et les filières énergétiques. On risque d’avoir encore plus d’innovation sur les entraînements, dans les années à venir, grâce à l’approfondissement de nos connaissances.

Remy Geoffroy : “On n’a pas besoin d’être né sur un plateau en Afrique pour avoir envie de courir. Ce n’est pas parce qu’on vient d’un milieu défavorisé qu’on a forcément plus faim. Alexis met tout en œuvre pour réussir. Il s’entraîne et il en bave sur le terrain. Idem pour Fabien”

Remy Geoffroy
Remy Geoffroy : Une réussite du Dijon Université Club. [Crédit : DR]

A DIJON, ON A TOUT CE QU’IL FAUT POUR S’ENTRAÎNER

A Dijon, on a tout ce qu’il faut. On a des infrastructures sportives qui sont au top. Je ne sais pas si on peut espérer mieux. L’environnement dijonnais, que ce soit au niveau des parcours est quand même pas mal. On peut sans doute regretter les conditions climatiques qui sont parfois rudes. C’est sûr qu’on n’a pas la douceur qu’on peut retrouver en Espagne ou au Portugal. Mais on fait des stages de temps en temps, pour rechercher ce qu’on n’a pas. Mais globalement on n’est pas mal. Après un athlète comme Fabien Palcau (vice-champion de France 2020 sur 5000m) vient de passer un mois et demi à Font-Romeu. Il aime ces conditions en altitude.

AVEC LE CONFINEMENT, ON A PU ESSAYER DES CHOSES DIFFERENTES

Le confinement a permis pour moi de développer des nouvelles compétences. Surtout vis-à-vis de Fabien. Il est très demandeur et toujours en train de se questionner sur l’entraînement. Cette période particulière nous a permis de tester de nouvelles choses. On a augmenté considérablement le volume de travail, en faisant des choses différentes. Ce qu’on a fait a manifestement bien marché. Pour lui, le confinement a été utile.

Il n’avait pas d’objectif ni de séances qui pouvaient le stresser. On avait du temps devant nous et cela s’est très bien passé. Sur les quelques compétitions qu’il a faites cet été, cela a été magnifique. Certaines choses qu’on a mises en place vont être réutilisées même en période normale. Cela m’a aussi permis de progresser. On avait le luxe d’avoir le temps, car il n’y avait plus de compétitions. Ce n’est pas si mal et quand on regarde les bilans, il y a eu beaucoup de performances réalisées. On a eu de superbes compétitions et des athlètes qui ont été tiré vers le haut.

LE DEMI-FOND EST PARFOIS INGRAT ET MOINS SUIVI DES GENS QUI LISENT LE JOURNAL

On a une génération exceptionnelle à haut niveau. Cela contraste d’ailleurs avec une logique de développement du running, avec une démarche ludique et amateur. Paradoxalement, on a réussi à extraire une élite, dans un environnement qui n’est plus favorable à cela. C’est peut-être un concours de circonstances favorable. On a des coureurs exceptionnels, avec une belle mentalité. Que ce soit Jimmy Gressier, Fabien Palcau, Hugo Hay, Alexis Miellet même Louis Gilavert, Baptiste Mischler et tant d’autres que j’oublie.

Je ne regrette pas le traitement médiatique sur le demi-fond. C’était quelque chose qu’on voyait déjà avant. Il y a 35 ans, quand il y avait une course locale, avec toujours le même coureur qui gagnait, il avait une médiatisation locale sans doute surfaite déjà. Quand un athlète international venait faire la course locale, il gagnait, mais on en faisait pas tout un foin. Les gens étaient attentifs sur la route. Le suivi était facile avec des dates bien précises et un peu toujours les mêmes qui gagnaient. Le demi-fond est plus ingrat et beaucoup moins suivi par les gens qui lisent le journal. Cela n’a pas changé. C’est peut-être un peu plus marqué avec l’orientation loisir et trail.

Remy Geoffroy : La philosophie du trail n’est pas la même que sur la piste

Le trail et la piste ne sont pas dans la même recherche de la performance. En trail, la performance n’est pas chronométrique et l’exploit est de terminer un trail. On s’adresse à une catégorie de coureur, parfois en seconde partie de carrière et qui ont souvent dépassé les 40 ans. Je ne pense pas que le trail puisse amener des jeunes sur la piste, d’autant que les longues distances sur piste ont disparu. On y retrouve davantage l’esprit triathlon plutôt que l’athlétisme. C’est aussi une population plus aisée, qui a un certain budget. Les marques se sont bien engouffrées. Mais j’ai un grand respect pour des coureurs capables de finir un UTMB. C’est une grande performance.

Remy Geoffroy
Remy Geoffroy en est convaincu : la génération de jeunes demi-fondeurs a des atouts exceptionnels. [Crédit : DR]

IL FAUT ARRÊTER DE DIRE QU’EN FRANCE, ON A MOINS DE QUALITE QUE LES AUTRES

Il manque à cette génération encore quelques années de travail. D’ici deux-trois ans ils vont atteindre la plénitude de leur capacité. Il faut aussi espérer assainir le milieu. On va dans le bon sens au niveau du dopage et j’espère qu’on va continuer à aller chercher les tricheurs. Ce n’est pas les qualités qui manquent en France, mais certains tricheurs ont gratté des places à nos coureurs. Il faut arrêter de dire qu’en France on a moins de qualités que les autres. On a des athlètes qui sont motivés.

On n’a pas besoin d’être né sur un plateau en Afrique pour avoir envie de courir. Ce n’est pas parce qu’on vient d’un milieu défavorisé qu’on a forcément plus faim. Alexis met tout en œuvre pour réussir. Il s’entraîne et il en bave sur le terrain. Idem pour Fabien. S’ils avaient eu une enfance plus défavorisée, je ne pense pas qu’ils se seraient entraînés plus durs. D’ailleurs s’entraîner plus dur ne sert parfois à rien. Il faut s’entraîner juste. On a tendance, à tort, de penser qu’il faut avoir souffert de la pauvreté et manqué de telle ou telle chose pour faire du haut-niveau.

JE SUIS BENEVOLE, LES RESULTATS DE MES ATHLETES SONT MA PAYE

Mes meilleurs souvenirs sont les différentes victoires. 2020 a été une année hyper intense sur le plan émotionnel. Fabien a fait deux courses d’un niveau exceptionnel. Cela m’a fait vibrer. Alexis a été champion de France Elite du 1500m. Un titre pas simple à avoir. S’il y avait bien une année ou il n’était pas favori, c’était cette année. Il a été chercher au plus profond de lui même, avec ses tripes, ce titre. Ce sont des moments magiques. Je repense aussi à la 2e place aux Europe juniors (cross) de Fabien. Cette médaille n’était tellement pas espérée, c’était un moment magique.

Quand Alexis bat les meilleurs finisseurs mondiaux sur sa série des mondiaux, c’est incroyable. Rien que pour cela, je suis content de continuer à faire ce travail de façon bénévole. Ma paye ce sont ce genre de réussites. Un entraîneur reste un entraîneur, qu’il soit dans une structure pro ou totalement bénévole. Si le travail est bien fait, il n’y a pas de différence. Il faut organiser une équipe et une structure haut niveau, autour de l’athlète. Après c’est plus facile quand on a du temps. Quand je pars en stage, je pars sur mon temps libre. Ce serait plus facile si j’avais du temps dégagé par l’Etat pour aller au bout des choses. Mais on s’en sort bien avec ce qu’on a. Après je ne suis pas convaincu que la nouvelle génération de coachs, soit capable de s’investir autant que ce qu’on fait actuellement et bénévolement.

REMY GEOFFROY

Avec Etienne GOURSAUD

Retrouvez nos trois premiers portraits d’entraîneurs

Pierre-Jean Vazel

Serge Debie

Ketty Cham

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