DUCKENS NAZON : HAITI, CHEVILLÉ AU CORPS

A 23 ans, Duckens Nazon a déjà quelques belles expériences footballistique en France comme à l’étranger (Inde, Angleterre). C’est aussi grâce au football qu’il a pu découvrir encore plus le pays de ses parents en portant la tunique de la sélection d’Haïti. L’attaquant de Coventry nous raconte son parcours, la richesse de sa double nationalité et ses meilleurs moments avec les grenadiers. 
Duckens Nazon
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

A 23 ans, Duckens Nazon a déjà quelques belles expériences footballistique en France comme à l’étranger (Inde, Angleterre). C’est aussi grâce au football qu’il a pu découvrir encore plus le pays de ses parents en portant la tunique de la sélection d’Haïti. L’attaquant de Coventry nous raconte son parcours, la richesse de sa double nationalité et ses meilleurs moments avec les grenadiers. 

J’ai grandi en banlieue parisienne, dans le 78, à Poissy. J’habitais dans le quartier de Beauregard et c’est là que j’ai commencé à jouer au foot avec mes copains en bas des immeubles, comme beaucoup de footballeurs finalement.

Je suis le benjamin d’une fratrie de quatre enfants, une fille et trois garçons. Mes grands frères étaient moins passionnés pour le football mais moi j’étais à fond dès tout petit.

J’ai débuté en région parisienne et à 16 ans je suis parti à Vannes, j’ai enchaîné quelques clubs par la suite avec notamment le FC Lorient en jeune, Roye Naton, Saint Quentin et j’ai enfin signé mon premier contrat pro au Stade Lavallois en Ligue 2. Comme vous pouvez le constater, ce n’est pas le parcours typique d’un footballeur qui passe par un centre de formation et qui signe pro dans son club formateur ou dans un club d’une division inférieur. Moi je suis passé par plusieurs niveaux, notamment amateurs, en CFA2, en CFA et donc en Ligue 2.

Je pense que pour réussir dans le foot quand on n’a pas la chance d’être recruté tôt dans un centre de formation, il faut vraiment être déterminé et ne pas avoir peur d’en faire toujours plus.

Tout avait bien commencé avec le Stade Lavallois mais j’ai perdu du temps de jeu par la suite, comme ça peut arriver souvent dans une saison. Il me restait un an en option mais qu’ils n’ont pas levé donc j’ai dû trouver un autre club. J’ai eu une proposition d’Inde, c’était un projet original, une expérience de vie et de plus quelques grands joueurs qui avaient déjà signé donc je me suis dit « pourquoi ne pas tenter ! »

En Inde, j’ai rencontré un agent anglais qui me connaissait depuis mes sélections avec Haïti. Il m’a proposé de faire un essai à Wolverhampton qui a été concluant, ils m’ont proposé un contrat à plus long terme de deux ans plus une année en option.

Aujourd’hui, je suis en prêt à Coventry et tout se passe bien pour le moment. J’ai été prêté pour avoir du temps de jeu, Wolverhampton est une des grosses écuries de ce championnat et joue la montée donc étant un des plus jeunes attaquants je n’aurais pas autant joué cette saison. En revanche à Coventry, tout se passe bien, je joue beaucoup, je progresse, et tout se passe bien avec l’équipe et les supporters.




LA BINATIONALITE, UNE CHANCE

Mes deux parents sont Haïtiens. J’ai donc été élevé avec une double culture, Franco-Haïtienne. Vivant en France forcément j’ai été baigné dans la culture française à l’école, dans les clubs de foot, dans la rue, partout. Mais à la maison mes parents cuisinaient haïtien, on parlait français et créole, ils nous racontaient la vie qu’ils ont eu à Haïti et partageaient les traditions. Nous mangions par exemple la soupe Joumou chaque 1er janvier, qui est un mélange de viandes, de légumes et de condiments à insérer dans un ordre bien précis. Cette soupe est un symbole pour célébrer l’indépendance d’Haïti. Je me dis que c’est vraiment une chance d’avoir une double culture, c’est une richesse et ça nous rend beaucoup plus ouvert et curieux à d’autres cultures.

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J’ai connu mes premières sélections en jeunes, avec les U20. La personne qui m’avait fait faire des essais à Vannes était en contact avec la fédération d’Haïti. C’est donc lui qui m’a mis en contact avec la fédération et c’est comme cela que j’ai commencé à jouer en sélections jeunes. J’avais fait mon premier match au Mexique, donc encore une fois ma double nationalité m’a ouvert de belles portes et m’a permis de voyager jeune. Partir au Mexique ou dans tout autre pays lointain pour jouer au football avec sa sélection, n’est ce pas un rêve de tout fan de foot ? J’avais également fait les jeux de la francophonie à Nice, que de bons souvenirs.

Ma première sélection avec les A, je m’en rappelle très bien. C’était en 2014, contre le Kosovo (0-0). Forcément ce moment est magique, jouer pour la première fois en sélection A, pour le pays de mes parents, c’est beaucoup d’émotions et une fierté.

Pour être honnête, étant jeune je n’y avais jamais pensé. Je ne savais même pas que c’était possible pour moi en fait. Mais dès qu’on m’en a parlé, bien sûr que j’ai été intéressé. Et pour tout vous dire, j’ai grandi en France et je suis Français également, mais je savais très bien que je n’allais pas être appelé en sélection. Tout s’est fait naturellement et je savais que j’allais rendre fiers mes parents.

D’ailleurs, il y a un souvent un débat en France à ce sujet. Je pense que chaque histoire est différente, un joueur binational a le droit de choisir la sélection dans laquelle il veut jouer et on ne devrait pas le juger pour ça. On ne se pose pas autant la question dans les autres pays. Choisir un des deux pays ne veut pas dire que nous n’aimons pas l’autre. Pour moi par exemple cela m’a permis de découvrir mes origines, le pays dans lequel sont nés mes parents, mes grands-parents, ma famille. C’est une chance que je n’aurais peut-être pas eue sans la sélection.

La cerise sur le gâteau était que ça pouvait avoir un bon impact sur ma carrière, m’ouvrir des portes, car participer à la Gold Cup ou aux éliminatoires de la Copa America donne de la visibilité.

Malgré tout, je déplore encore le manque de médiatisation en France de l’équipe d’Haïti alors qu’il y beaucoup de joueurs qui évoluent ici et il y a une forte communauté haïtienne en France.

Quand je suis arrivé pour la première fois avec les A, l’intégration a été très rapide. C’est une sélection très vivante, avec toujours de l’ambiance, et un état d’esprit auquel j’ai tout de suite adhéré. Le but est de prendre du plaisir sur le terrain, et porter haut nos couleurs, car le foot est un moyen de redonner le sourire aux Haïtiens pendant quelques heures.

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C’est vraiment différent de l’ambiance d’un club, c’est peut-être dû au fait que nous avons tous les mêmes racines, mais quand je rejoins mes coéquipiers en sélection, j’ai vraiment l’impression de rejoindre une famille. Ça peut faire cliché, je le sais, mais c’est la vérité. Cela s’explique aussi du fait que nous jouons tous pour le pays, il n’y a pas vraiment d’objectif individuel comme on peut en avoir lors d’une saison en club. Et connaissant la situation d’Haïti, je pense que cela devient naturel de vouloir se battre les pour les autres, si demain un nouvel attaquant arrive et met 4 buts par matchs, je serais super content pour le pays. J’ai en tête Lorik Cana qui avait convaincu plusieurs joueurs qui avaient la double nationalité dont l’albanaise, et qui finalement s’était qualifié pour jouer un euro. C’était magnifique pour ce pays. Pourquoi pas faire la même chose avec Haïti et aller plus loin en Copa America ou se qualifier pour une Coupe du Monde.

HAÏTI, UNE RICHESSE HUMAINE ET FOOTBALLISTIQUE

La première fois que je suis allé à Haïti, j’avais l’image de ce que j’avais vu à la télé, et de ce que m’avaient raconté mes parents. Mais je pense qu’en le voyant de mes propres yeux je me suis dit que les médias en rajoutaient quand même un peu. Parfois on imagine que tout le monde se promène avec une arme et qu’il n’y a aucune sécurité. Bien sûr que tout n’est pas rose et il y a des problèmes de délinquance, mais je viens d’un quartier en France où il y en a également et je n’ai pas été choqué plus que ça en arrivant là-bas.

La pauvreté par contre est réelle, mais les gens sont gentils, accueillants, et je me suis tout de suite bien senti dans ce pays.

La ferveur est aussi différente qu’en club, ce sont des fanatiques, qui viennent pour célébrer et faire la fête, même en cas de défaite. C’est un vrai spectacle aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du stade. Les haïtiens peuvent manquer de nourriture pendant plusieurs jours, mais lorsqu’ils regardent un match de foot ils ne pensent plus à ça et sont heureux.

Je suis de nature optimiste dans la vie. Je sais que nous n’avons pas le réservoir de joueurs et de talents du Brésil, mais je sais aussi qu’il n’y a pas de vérité dans le football.

Les gens pensaient que nous allions sortir au 1er tour de la Gold Cup en 2015, mais nous avons atteint les 1/4 de finale. Nous nous sommes aussi qualifiés pour la Copa America en 2016 alors que personne ne nous y attendait.
Je me dis que tout est possible, pour la Gold Cup, la Copa America et pourquoi pas la Coupe du Monde un jour. En tant que footballeur et compétiteur, je ne peux pas aborder un match en me disant que je vais le perdre, et mes coéquipiers sont pareils, donc on donne tout et on fait les comptes à la fin.

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J’ai connu quelques moments inoubliables. Je me souviens d’un but en particulier. Au premier tour de la Gold Cup 2015, on perdait 1-0 contre le Panama et la défaite était synonyme d’élimination quasi certaine. J’étais remplaçant et le coach me fait rentrer. À quelques minutes de la fin, j’égalise, et je permets donc à mon équipe de pouvoir continuer à espérer passer ce premier tour. Ça reste un super souvenir, cela procure des émotions incroyables.

Récemment nous avons joué contre le Japon en match amical. Nous avons fait 3-3, avec pour moi un doublé à la clé, et ce match montre que nous pouvons accrocher des équipes dites “supérieures”.

CONTINUER À GRANDIR

Pour terminer, et pour être complètement honnête avec vous, je reste surpris de mon parcours dans le sens où quelques années en arrière, je n’étais pas destiné à ça. Le foot était ma passion et je faisais tout pour progresser et jouer à un bon niveau, mais de là à atterrir en deuxième division anglaise et jouer en sélection d’Haïti, il y avait un fossé énorme.

Le foot m’a donc permis de voyager également, de découvrir mon pays d’origine et de vivre des expériences uniques. Je pense avoir grandi en tant qu’Homme également. Dès que tu mets les pieds dans un pays pauvre, ta vision des choses change. Encore plus sachant que mes parents ont vécu là-bas.

J’ai de la chance de bien gagner ma vie, mais je sais qu’il y a des personnes en Haïti qui ne savent même pas ce qu’ils vont manger demain. Je pense que ça m’aide à garder les pieds sur terre.

Je suis en train de créer une association avec mon entourage d’ailleurs pour venir en aide au peuple haïtien. Comme je dis souvent si chaque personne donne un peu de temps, d’argent, d’énergie, le résultat peut être conséquent.

Pour l’avenir j’aimerais gagner quelques titres, peut-être jouer la ligue des Champions un jour. Avec la sélection j’aimerais aller loin en Copa America, et jouer une coupe du monde. Contribuer à faire gagner Haïti et rendre les gens heureux est mon plus grand rêve.

DUCKENS

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