CYCLISME – Thierry Gouvenou – Les courses ont énormément changé

Thierry Gouvenou revient pour Sans Filtre sur la saison 2021, et évoque notamment le parcours de l’édition 2022 du Tour de France.
Thierry Gouvenou

Comme l’année dernière, Sans Filtre est allé à la rencontre de Thierry Gouvenou (à droite sur la photo), ancien coureur et bras droit de Christian Prudhomme sur le Tour de France notamment. C’est l’occasion de revenir avec lui sur la saison 2021, d’un point de vue global et des épreuves ASO, mais aussi de nous tourner vers 2022, avec un long débrief du parcours de la prochaine Grande Boucle. Et bien d’autres sujets !

Crédit : ASO

retrouvez l’interview de Thierry Gouvenou par Sans Filtre l’an passé ICI

Thierry Gouvenou – Paris-Roubaix a été l’apothéose

On ne peut pas parler de 2021 sans parler du Covid. On a encore vécu avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête une bonne partie de l’année. Le sport cycliste a très rapidement su trouver des solutions pour que cela se déroule dans des conditions correctes, mais on voit que c’est délicat. Il y a des restrictions. Quand les spectateurs ne peuvent pas approcher les coureurs, lorsqu’on ne peut pas avoir d’autographes, ça n’est pas tout à fait notre sport, il manque quelque chose. Mais d’un autre côté, sportivement, on a eu une saison extrêmement dense, avec des champions très généreux dans l’effort, portés sur l’attaque.

Depuis deux ans, les courses ont énormément changé, elles sont généralement beaucoup plus intéressantes à regarder. C’est moins contrôlé, stéréotypé, ça donne du dynamisme. Et cela se remarque dans les audiences, elles sont bien meilleures qu’il y a quelques années.

Paris-Roubaix a été à l’image de la saison, extraordinaire. Mais c’est vrai que ça a un peu été l’apothéose. On attendait depuis vingt ans d’avoir un Paris-Roubaix humide. Là, ça n’a pas été humide (rires), c’était extrêmement humide, à la limite de l’inondation. Je pense qu’au-delà du résultat pur, je pense que ce sont tous les coureurs qui ont participé qui sont des champions. Le classement est presque anecdotique. Le fait d’avoir couru dans ces conditions les met dans une caste. Ce sont des images que l’on gardera en mémoire pendant des années. On a eu un peu de chance, on est tombé une semaine après les Mondiaux, l’année où il pleuvait, cela a comblé notre frustration des différentes annulations.

Sans l’étape du Creusot, je ne suis pas sur que Pogacar attaque

Quand on regarde la première semaine et ce que nous ont fait Van der Poel, Alaphilippe voire Pogacar et Van Aert, c’était complètement fabuleux. Jamais on n’avait fait d’aussi hautes audiences en première semaine du Tour de France. Il y avait un grand intérêt, beaucoup d’émotions aussi, j’oublie le retour de Mark Cavendish d’ailleurs. Même si on n’a pas eu un Tour de France exceptionnel d’un point de vue du suspens pour le général, on a eu un cumul de super étapes qui fait qu’on reste sur une très belle édition.

(Sur l’étape 8 vers le Grand-Bornand où Pogacar assomme le Tour) Pour moi, il y a plusieurs facteurs. La veille, vers le Creusot, l’équipe de Pogacar – qui n’était pas encore leader, mais le mieux placé des favoris – se fait secouer. Ils prennent un peu l’eau en plaine, sur la plus longue étape de ce Tour (250km). Et Pogacar doit s’apercevoir que son équipe est en difficulté, que ses adversaires pensent qu’il est faible et dès le lendemain, en grand champion, il décide de faire le travail lui-même. Mais sans l’étape de la veille, je ne suis pas sur qu’il attaque vers Le Grand-Bornand. Il met un vrai coup de massue sur le Tour de France, et après il est aidé par les conditions climatiques. Son attaque (à 32km de l’arrivée) est complètement sortie des schémas traditionnels, et c’en est que plus beau.

Thierry Gouvenou – Je crois qu’on tombe sur un phénomène

Dans le final du Creusot, Pogacar est vraiment esseulé, et Richard Carapaz s’en va – pour se faire reprendre sur la ligne parce que les Movistar et Education First ont roulé. Sinon, ce jour-là, Carapaz peut prendre une minute trente, deux minutes, il n’y a plus personne pour rouler derrière normalement. Et on aurait eu un Tour complètement différent.

Clairement, je suis content de cette étape, j’avais insisté auprès de Christian Prudhomme pour remettre au goût du jour les étapes longues. Avec en plus des difficultés sur la fin, et un rythme qui a été diabolique, forcément c’était une belle étape.

Il n’y a pas vraiment d’étape qui m’ait déçu. Le col du Portet, c’était assez grandiose, on a eu une belle lutte parce qu’ils n’étaient plus que trois à mi-pente. Il y a eu de grosses bagarres, pour le maillot à pois, le retour de Cavendish, ça a quand même été sacrément dynamique. On aurait pu espérer moins d’écarts au général, mais je crois qu’on tombe sur un phénomène.

Il n’y a plus de respect entre les coureurs

Avec l’arrivée du Covid sont arrivées aussi de grosses polémiques en termes de sécurité. C’est vrai que les coureurs ont beaucoup mis en avant ces problèmes. Alors, oui, peut-être que certains organisateurs – nous y compris – ont fait quelques erreurs, mais on a vraiment senti une vindicte du peloton sur la sécurité. Mais le vrai problème, c’est que nos routes changent, elles sont de plus en plus aménagées. Et c’est encore plus vrai pendant et après le Covid, car toutes les villes aménagent des pistes cyclables, et c’est moins de terrain pour les courses cyclistes, ce qui est paradoxal. On va avoir de plus en plus de difficultés sur les routes et ça peut augmenter le risque, c’est sans fin.

Il y a le problème des routes, mais il y a aussi des problèmes de matériel, ne l’ignorons pas. Des mecs qui se font éjecter de leur vélo dès qu’ils freinent, ça n’est pas normal, l’aérodynamisme sur l’ensemble du matériel augmente la vitesse, et la vitesse est un facteur aggravant dans les accidents. En dix ans, peut-être que l’on a gagné 10% de vitesse en descente. Ces 10% rendent les choses plus dangereuses.

Et puis il y a un gros problème de comportement dans le peloton. Il n’y a plus de respect entre les coureurs. Forcément, quand l’un fait une erreur, cela fait d’énormes chutes. Lorsque tous les coureurs reçoivent la même information, qu’il va y avoir un danger, huit fois sur dix ça tombe avant le danger tellement il y a de la pression dans le peloton. Le constat n’est pas très rose. Je ne sais pas s’il y aura une prise de conscience générale. Nous, on doit faire des efforts sur la signalisation, la prévention, mais ça n’est pas simple.

Thierry Gouvenou – Une première semaine très propice au spectacle

(Tour de France 2022) Pour moi, c’est un parcours extrêmement complet. En partant du Danemark, on risque déjà de rencontrer pas mal de vent. Ca veut dire qu’il faudra avoir une vraie équipe pour s’imposer. Il y a ensuite beaucoup d’endroits où cela semble réservé aux puncheurs, c’est quelque chose que l’on a vraiment mis en avant. Il y aura quand même des pavés. Deux chronos individuels avec une distance totale qui observe une tendance à la hausse, avec une bonne cinquantaine de kilomètres contre-la-montre. Et puis on a évidemment de grosses étapes de montagne, avec des arrivées comme celle du col du Granon, à 2400m d’altitude, ça va être copieux. L’Alpe d’Huez, les Pyrénées qui ne seront pas simples, pour moi il faudra vraiment être complet, et bien encadré.

Le parcours fait en sorte que les leaders soient rarement tranquilles. Il faudra qu’ils soient à l’avant très régulièrement. Et puis c’est une première semaine très propice au spectacle, avec les Alaphilippe, VDP, WVA. Si ils veulent mettre le feu au Tour, ils auront les moyens.

Ca fait longtemps que j’entendais parler du Granon

(L’étape 10 vers l’altiport de Megève) Il faut surtout regarder ce qu’il y a derrière (rires) ! On a quand même deux énormes étapes qui suivent, au Granon et à l’alpe d’Huez et c’était compliqué, surtout au lendemain d’une étape de repos, de mettre une étape dure. A priori, ce devrait être une échappée – si elle convient au maillot jaune – qui devrait jouer la gagne. C’est vrai que lorsqu’on est dans cette région, ça n’est pas forcément ce genre d’étapes que l’on attend, mais il faut trouver un équilibre. C’est une remise en route après une grosse première semaine. Parfois, la journée de repos fait très mal aux jambes, donc c’est une reprise un peu en douceur. Je ne pense qu’il y aura des défaillances chez les leaders. Mais il devrait y avoir une belle bagarre devant pour la victoire.

Ca fait longtemps que j’entendais parler du retour du Granon chez ASO. Il y a eu une occasion, une opportunité de le mettre, on en profite. Cela symbolise avant tout nos énormes progrès, ces dernières années, avec Stéphane Boury, sur nos zones techniques à l’arrivée. On arrive maintenant à faire des arrivées avec un minimum de matériel. Cela nous permet d’arriver sur des sites comme celui-ci, c’est un vrai changement pour ASO.

Thierry Gouvenou – Dessiné pour pouvoir rattraper beaucoup de temps

(Dans le Galibier, à 30km du pied du Granon) La sélection, elle aura lieu à n’en pas douter. Ce sera malgré tout la première grosse étape de montagne, donc je vois mal des grimpeurs tout tenter dans le Galibier, à moins qu’ils soient très loin au général à cause de la première semaine. La descente du Galibier vers Briançon n’est quand même pas si rapide que ça, il y a beaucoup d’énergie à perdre. Et puis il y a derrière une sacrée montée à négocier, il y aura moyen de s’expliquer rien que dans le Granon. Pour se lancer dans le Galibier, il faut être sur d’avoir un équipier sur lequel retomber rapidement dans la descente. Autrement, c’est aller au massacre.

On a tracé le final pyrénéen pour que ce soit le plus dynamique possible, sans vallée. Je peux vous dire que celui qui veut mettre le bordel sur l’étape qui arrive à Hautacam, s’il a les jambes dans l’Aubisque, là il n’a pas besoin d’équipier. Pour moi c’est hyper propice à des attaques et des défaillances. Clairement, ça a été dessiné ainsi pour pouvoir rattraper beaucoup de temps. Après, ce sont toujours les jambes qui décident. Celui qui sera maillot jaune, il vaut mieux qu’il ait quelques équipiers, parce qu’autrement il pourrait trouver le temps long sur les deux dernières étapes. J’ai très envie de voir ce que va donner l’enchainement Aubisque-Spandelles-Hautacam.

Les chemins blancs, ça ne devrait pas tarder pour que le Tour y aille

(Sur le Tour de France féminin et notamment l’étape 4, avec des chemins blancs) Clairement, on s’est déjà demandé si on devait ou non mettre ce genre de chemins sur le Tour de France. Ca a longtemps été un dilemme chez nous. Donc on a cherché dans pas mal d’endroits, on s’est aperçus qu’au sud de Troyes il y a ce qu’il faut. Quelque part, les filles vont être pionnières, mais on va regarder ça très attentivement. Si vraiment cela fait quelque chose de sympathique, oui je pense que ça ne devrait pas tarder pour que le Tour y aille.

Tout est lié, on a besoin déjà de créer des liens avec les collectivités, et souvent on commence par les autres épreuves (Paris-Nice, Dauphiné, maintenant le Tour de France féminin). On grandit ensemble. Ce qui se passe avec les chemins blancs, ça peut tout à fait être ça. On ne va pas faire de différences entre les hommes et les femmes, on peut voir les mêmes choses. Et même si je pensais le contraire avant, elles nous ont quand même bluffé par la façon dont elles ont couru Paris-Roubaix. On peut tout à fait tirer des enseignements d’une épreuve féminine. C’est une première touche, on sait qu’il y a beaucoup d’autres chemins encore. On (avec les collectivités) va apprendre à se connaître avec le Tour féminin, et peut-être que l’on se retrouvera très vite.

Thierry Gouvenou – Compliqué de tracer des parcours

Pour tracer un Grand Tour, je pense qu’il n’y a pas vraiment de règles. Et il ne faut surtout pas s’interdire les choses. Si, à un moment donné, l’organisateur le sent d’une manière, il a raison de le faire. Je n’ai pas vraiment de commentaire à faire (sur le parcours du Giro, avec beaucoup moins de CLM, plus d’étapes de plaine et des courses moins longues), je ne pense pas que ce soit délibéré pour être à contre-pied du Tour de France.

On remarque quand même que quand on met des étapes trop longues, avec trop de cols, ça se joue au capteur de puissance et en fin de compte il ne se passe pas grand-chose et tout se joue dans les trois, voire deux, voire dans le dernier kilomètre comme au Grand-Colombier (en 2020). Actuellement, cela ne sert à rien de mettre quatre ou cinq grands cols dans une étape.

(Sur l’idée de P.Lefévère de réduire la taille des Grands Tours) Si je commence à commenter les sorties de Patrick Lefévère, ça peut être long (rires). L’an passé, le Giro avait mis une étape de 250km en fin de troisième semaine (avant la dernière étape de montagne). Mais le problème, c’est qu’on était au mois d’octobre, et si tu fais cette étape au mois de mai, sans les contraintes sanitaires, ce n’est sans doute pas pareil. C’est pour ça que c’est compliqué de tracer des parcours. Le côté psychologique, avec le mauvais temps, l’état de fatigue, change complètement les appréciations des coureurs. Ca n’est pas facile de savoir ce qui est bon ou pas.

On ne va pas au Pays Basque pour avoir des sprints massifs

(Alaphilippe, Van der Poel, Van Aert) On a envie de les mettre en avant. Parce qu’ils font des attaques, qu’ils ont ce côté très puncheur, c’est ce qu’attendent les spectateurs. Lorsqu’ils font ce cyclisme là, c’est suivi par les spectateurs. Ca nous incite bien sûr à aller dans cette voie-là. C’est quand même plus sympa de voir ça que de regarder l’ancienne Sky monter les cols avec trois gars devant le leader et faire exploser tout le monde au tempo.

On a déjà une belle ébauche de ce qui devrait se faire (Pour le départ du Tour 2023) . On ne va pas au Pays Basque pour avoir des sprints massifs. Le Pays Basque a une identité au niveau du cyclisme, on va profiter du terrain.

Thierry Gouvenou – Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de preuves

(Le dopage) C’est toujours un sujet qui nous préoccupe. Le fait que le vélo soit désormais beaucoup plus rapide, qu’il y ait moins de temps de récupération, que les coureurs enchainent beaucoup d’étapes à fond, c’est quelque chose qui doit nous mettre des petites alertes. Il faut regarder ce qui se passe. Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de preuves, mais il ne faut pas non plus ignorer que ça puisse devenir un danger.

Si quelqu’un est capable de me dire que le Tour de France va se jouer entre le premier et le deuxième sur un contre-la-montre le dernier jour, je dis oui (à un retour du CLM final sur les Champs) tout de suite ! Il n’y a pas toujours l’occasion de terminer le Tour avec des écarts aussi faibles que ceux de 1989. Donc si quelqu’un peut me le promettre (rires), on le fait tout de suite, mais je ne suis pas sur qu’il ait beaucoup de gens capables de le faire.

retrouvez le parcours du Tour de France 2022 ICI

THIERRY GOUVENOU

Avec Mathéo Rondeau

Thierry Gouvenou

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