Timothée Adolphe – Sprinteur
#100m, 200m, 400m, relais #Equipe de France #Paris Université Club #2 médailles de bronze sur 400m aux Championnats du Monde 2013 et 2015 #4 médailles d’or aux Championnats d’Europe (200m, 400m en 2014 et 100m, 200m en 2016) #13 titres de Champion de France
Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
À quelques jours du début des Championnats d’Europe d’athlétisme handisport, nous sommes allés à la rencontre du sprinteur français Timothée Adolphe. Il nous raconte son parcours où il a sans cesse dû puiser dans ses ressources mentales et sa grande volonté pour vaincre l’adversité en compétition. (Crédit Une : DR))
Mon histoire avec le haut-niveau a pour origine ma rencontre avec Arthémon Hatumgimana en janvier 2011. Cela faisait un moment que je voulais reprendre l’athlétisme et au détour d’une conversation avec un ami, celui-ci me dit d’aller voir au PUC* à Charléty. À cette époque, il y avait pas mal d’athlètes handisport de haut niveau qui s’y étaient entraînés, dont Aladji Ba**.
*Paris Université Club
**Aladji Ba est un sprinteur non voyant sur 200m et 400m, double médaillée paralympique.
Là-bas, j’ai demandé à parler à un responsable de la section handisport et on m’a dirigé vers Arthémon. Je lui ai indiqué mon handicap, celui d’être déficient visuel et le fait que j’avais donc besoin d’un guide pour courir dans ma discipline favorite, le sprint. Alors qu’il partait pour 1 mois aux Championnats du monde de Christchurch en Nouvelle-Zélande, il m’a trouvé un guide à son retour. L’aventure a commencé comme ça.
Si je ne l’avais pas connu, est-ce que j’aurais pu reprendre l’athlétisme ? Pour moi, c’est un gros point d’interrogation. J’avais contacté la fédération quelque temps auparavant afin de savoir s’il y avait des guides pouvant accueillir des déficients visuels et je n’avais pas eu de réponses. On ne m’a jamais rappelé.
LA RELATION AVEC MES GUIDES, SPORTIVE MAIS SURTOUT HUMAINE
Mon premier guide fût Thomas Imbert, c’était un jeune du PUC qui avait le même âge que moi. Athlète assez complet, il cherchait un nouveau challenge et ce projet avait pu l’intéresser.
La relation entre le guide et l’athlète est particulière, il y a bien sûr le volet sportif, mais l’aspect humain a une énorme importance dans la réussite. Au niveau de ma progression, c’est vraiment lui qui m’a remis le pied à l’étrier, permis de reprendre contact avec l’athlétisme, de chausser des pointes et faire mes premières compétitions. C’est avec Thomas que j’ai gagné mes premières médailles au niveau national et que j’ai pu battre mon premier record de France sur le 800m.
J’ai toujours été un compétiteur, mais je ne savais pas que ça allait arriver et surtout si vite. C’est à ce moment-là que je me suis pris ma première claque sportive.
Présélectionné pour les Jeux Paralympiques de Londres, je n’y vais finalement pas.
Avec Thomas, nous avons vécu ça comme un échec, car j’étais déjà très compétiteur et que lui n’avait pas réussi à m’amener vers notre but. Ce n’est pas forcément évident en tant que guide d’accepter de ne plus arriver à faire progresser un athlète. Il y a eu une sorte de malaise pendant quelque temps puis il y a eu du changement pour ne pas freiner ma progression.
C’est d’ailleurs lui qui a arrêté notre collaboration et ça a été assez brutal. Je pense qu’on était très jeune à l’époque, on ne savait pas comment gérer ce genre de situation et donc pendant 2 ou 3 mois j’étais tout seul à l’entraînement. C’était assez bizarre de courir dans le flou, avec Arthémon qui me guidait simplement à la voix.
À partir de 2014, j’ai eu deux guides. Un guide de compétition qui était Cédric Félip et un guide d’entraînement, Derick Ondée qui avait une bonne expérience notamment avec Aladji Ba. Il était important d’en avoir deux afin de permettre à Cédric de s’entraîner à haut-niveau et lui permettre de garder une marge sur moi.
Ces changements apportent souvent de l’expérience en plus, mais c’est compliqué pour l’encadrement technique, car mon entraîneur doit avoir une vision sur le long terme en conciliant la progression d’un athlète et la capacité du guide à l’amener là où il le veut.
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Gérer cette progression peut être problématique par moment. En 2016, j’ai dû changer de guide 2 mois avant les Jeux Olympiques à Rio, car on s’est aperçu que Gauthier était juste. Ce n’était absolument pas un problème humain, mais forcément ce genre de séparation amène son lot de tensions, car il s’attendait à y participer. Ne pas faire la compétition peut être vécu comme une véritable trahison. Même s’il y a cet aspect humain, la priorité comme tout sportif qui se prépare pour les Jeux, c’est la médaille ! C’est l’objectif sportif et pas l’objectif humain qui compte.
Depuis, j’ai travaillé avec Cédric Felip, Gauthier Simounet, Fadil Ballaabouss et désormais je collabore avec Jeffrey Lami sur 100m et Yannick Fonsat sur 400m, ils se partagent les autres distances.
ENTRE VICTOIRES & ÉCHECS, UNE VOLONTÉ TOUJOURS PRÉSENTE
Lors de mes premiers Championnats du Monde qui avaient lieu à Lyon en 2013, je réussis à passer pour la première fois sous la barre des 24 secondes au 200m. Je voulais déjà aller en finale sans forcément chercher à obtenir une médaille, mais une fois qualifié on se dit qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Tout était jouable surtout qu’en T11*, on est 4 donc ça fait 3 chances sur 4 d’obtenir une médaille.
*T11 : athlète déficients visuels en situation de cécité totale ou presque ayant pour obligation de courir avec un guide
Lors de la demi-finale, je fais une erreur technique sur la course en sortie de virage où j’ai un tampon avec Cédric. Je ne dis pas que sans cette erreur nous serions passés, mais on aurait peut-être pu nous battre avec Brown pour la place en finale. Ce n’était pas vraiment un échec pour moi même si je veux toujours faire de mon mieux, mais mon objectif principal restait le 400m.
Sur le tour de piste, j’obtiens ma première médaille internationale. C’est symbolique même si elle est en bronze car elle montre ma progression. Je passe d’un 56s24 avec Thomas en 52s13 avec Cédric. 4 secondes en moins sur cette distance en un an c’est énorme. C’est une énorme satisfaction car juste avant la phase de sélection pour ces mondiaux, je me suis fait une déchirure au mollet. Beaucoup ont pensé à une fin de saison pour moi, mais nous avons réussi à contredire tout le monde.
Aux Championnats d’Europe de Swansea l’année suivante, c’est vraiment là où nous allons prendre conscience de mon potentiel avec deux titres, sur le 200m et le 400m. C’était un peu le championnat des émotions parce que je commence avec une disqualification en finale du 100m.
On est dans les blocks, le starter est très long, j’ai les pieds qui tremblent un peu et au coup de feu tout le monde part. Nous sommes immédiatement rappelés. Sur le coup, je suis persuadé d’avoir fait un mauvais départ. Je suis dégouté, j’enlève mes lunettes et presque mes pointes. Cédric me dit d’arrêter de tout enlever car il n’a pas encore été annoncé que nous sommes disqualifiés. Il me dit de rester derrière les blocks et d’attendre. Le starter annonce “red card” donc disqualifié. Là, c’est une grosse claque. C’est la première grosse désillusion de ma carrière parce que j’étais sur une très bonne dynamique. Le matin même dès les séries, je bats mon record et je savais que ça pouvait donner quelque chose.
Par la suite, on apprend que c’est Cédric qui fait le faux départ. Je suis quelqu’un qui a une mentalité où l’on est deux ensembles et quand le binôme perd, on perd ensemble et s’il gagne, on gagne ensemble. Que ce soit à ce moment-là ou dans toutes les autres situations, je n’ai jamais eu de clash avec mes guides en compétition.
On a su se remobiliser très vite sur les courses suivantes, avec 3 médailles pour le 200m, 400m et le 4x100m. Il y a eu beaucoup de rebondissements pendant ces quelques jours, mais j’ai pu apprendre notamment au niveau mental. Cette prise de conscience qu’il peut t’arriver n’importe quoi durant une course, une blessure ou une disqualification.
La suite va être un peu compliquée avec quelques désillusions. Une médaille récupérée, perdue puis finalement récupérée lors des Championnats du Monde de Doha, ou encore une disqualification pour le 400m lors des Championnats d’Europe en 2016 (avec tout de même 2 titres sur 100 et 200m). Lors de mes premiers JO à Rio, je prends également deux grosses claques avec une blessure en demi-finale du 100m et une élimination au millième parce que j’ai tout fait pour aller au bout, et ma disqualification en demi-finale du 400m alors que j’avais réussi à remporter cette course contre le recordman du monde brésilien.
UNE MALÉDICTION À CONJURER
Forcément à Londres aux Championnats du Monde en 2017, il y a eu un espoir que je fasse quelque chose de gros. D’abord, avec Jeffrey, je fais la course quasi parfaite en finale du 400m, en ayant fait les ajustements nécessaires par rapport à la série, on respecte à la lettre les consignes du coach, bref on mène toute la course sur la finale du 400m avant que je m’écroule deux mètres avant la ligne… puis quelques jours plus tard avec Yannick, on franchis en premier la ligne d’arrivée en finale du 200m et pendant 25 minutes on est champion du monde !
Mais finalement, on est disqualifié parce que j’ai cassé trop tôt et je fais basculer l’épaule de mon guide pour 3 millième devant moi. Ça commence à faire beaucoup !
Heureusement, je ressors avec cette envie de rebondir à chaque fois. Après la finale, j’ai balancé mes pointes pendant 5 minutes et je me suis dit que l’athlétisme n’était pas pour moi et que j’allais arrêter. Ce n’était même pas un problème de niveau.
Là tu es premier et à chaque fois il y a un problème. Tu montres que tu es le meilleur et en fait tu n’as pas de médaille. Et en conséquence, tu n’as rien, rien du tout, même pas la satisfaction du travail bien fait, ce sentiment de concrétiser tout le travail fourni, tu n’obtiens pas la considération de la fédération, les récompenses qui vont avec ou l’exposition médiatique qui te permettrait d’avoir des sponsors. Financièrement, déjà que l’athlétisme pour en vivre, ce n’est pas évident, au niveau paralympique ça l’est encore moins. Il y a plein de répercussions humaines, matérielles, financiaires.
Je pense qu’aujourd’hui, je dois y aller « step by step » pour reprendre la progression entamée depuis 2014. Je me dois de conquérir l’Europe à Berlin cette année avant de m’attaquer au monde.
MA DEVISE ? TENACE ET DÉTERMINÉ
J’ai un côté têtu depuis que je suis tout petit. Je n’aime pas perdre. Il y a peut-être un côté maso, je n’en sais rien. Je suis quelqu’un d’assez obstiné donc tant que je n’aurais pas mon titre et ce que je mérite avec le travail fourni avec mes guides et mon coach, je continuerais. Avec tout ce qu’on met en place, j’ai démontré que j’avais le niveau. Maintenant, ce sont des petits détails pour que ce genre de situations n’arrive plus. J’espère que cette fois va être la bonne et que ce sera la fin de la marée.
Nous avons fait du travail spécifique par rapport à l’arrivée avec les guides. Il y a aussi le fait qu’au niveau de la représentation mentale, quand tu cours sur un 400m, il ne faut pas te dire que c’est un 400m, mais un 410m pour être sûr d’arriver plus loin que la ligne et de ne pas tomber comme ça pu être le cas à Londres. Même si je ne pense pas que ce jour-là cela venait d’un problème mental, ce n’est pas une piste à écarter. Il ne faut rien négliger. Parfois nos sensations ne reflètent pas forcément la réalité.
Quand je faisais de la musique, mon groupe s’appelait TMRIT (prononcé Témérité) et notre devise était tenace et déterminé. C’est encore ma personnalité aujourd’hui. Ce n’est pas têtu dans le sens où je ne prends pas en compte tout ce qu’on me dit. Je suis quelqu’un d’assez ouvert d’esprit et je sais écouter quand on me parle. J’ai des idées et je sais où je veux aller : le titre olympique à Tokyo tout en sachant qu’il y a Dubaï l’année prochaine. Mais, comme je l’ai déjà dit, c’est step by step avec d’abord ces Championnats d’Europe 2018, puis les mondiaux l’année prochaine. Il faudra compter avec nous sur les jeux et ne plus avoir cette étiquette de “ah oui, il est fort, mais de toute façon il va être disqualifié donc on s’en fout !”
J’ai la chance d’avoir mes parents et ma sœur qui essaient d’être au plus proche à chaque fois et de me suivre sur les compétitions internationales. C’est une chance d’avoir du monde auprès de moi. Je ne vais pas dire qu’ils le vivent aussi mal que moi, mais ils comprennent forcément parce qu’ils voient tous les sacrifices et tout ce qu’on fait au quotidien.
Au-delà des disqualifications, la blessure est quelque chose de difficile à accepter, c’est frustrant. Mais j’ai compris qu’elle pouvait être utile selon le contexte, car elles peuvent te permettre de franchir un cap.
Le corps a une mémoire musculaire je pense que ce n’est pas anodin si on se blesse à certains moments alors que toutes les précautions ont été prises. Ça permet d’affiner au fur à et à mesure ta programmation d’entraînement et l’hygiène de vie que tu dois avoir.
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NOTRE MARGE DE PROGRESSION SUR LE 200M et le 400m EST ÉNORME
J’ai eu beaucoup de chronos non homologués. Pour qu’un chrono soit homologué, il faut courir sur un meeting labélisé IPC*, mais il y en a très peu qui le sont. On ne peut pas se permettre de juste courir sur ce genre de compétitions.
*International Paralympic Committee
Du coup, quand je fais une bonne performance, il peut m’arriver de battre le record d’Europe et au final ce n’est pas reconnu. Peut-être que viendra un jour où les meetings feront le nécessaire pour que ce soit labélisé. Il faut qu’il y ait davantage de lien entre la FFH* et la FFA** pour qu’on puisse avoir un panel de compétitions plus large et pour que les perfs’ soient reconnues, que ce soit pour des minima, pour des records ou pour notre progression.
*FFH : Fédération Française Handisport
**FFA : Fédération Française d’Athlétisme
C’est bien de connaître sa propre valeur surtout que les compétitions paralympiques sont très peu exposées. On ne veut pas être simplement connu pour notre handicap et on se bat pour que nos performances le soient.
Je n’ai pas fait trop de courses où le vent a été trop favorable. N’importe quel athlète qu’il soit valide ou paralympique est confronté à ce genre de problème. Ça fait partie du jeu. Parfois, c’est frustrant parce qu’on sait qu’on a un gros chrono dans les jambes, mais que le chrono sera biaisé à cause du vent.
J’ai toujours pensé que je pouvais battre le record du monde. Ça pouvait paraître très prétentieux parce que l’année dernière, j’étais encore en 22’94, mais je savais que ça allait descendre. Là on est en 22’46 avec un vent de -0,7 alors que le 22’41 de David Brown a été fait avec un vent de +2,0, la limite pour un vent positif.
Ce n’est pas un objectif à proprement parler parce que je n’ai pas envie de me focaliser là-dessus. Je sais que ça tombera le jour où ça tombera. L’idéal, c’est que ça arrive en finale des Championnats d’Europe parce que les années à venir je n’aurais plus le 200m au programme des compétitions internationales.
J’ai plus envie d’aller chercher ma médaille et s’il y a le record avec, ce sera la cerise sur le gâteau.
Sincèrement, le 22’41, si je dis que ce n’est pas un objectif c’est parce que je pense qu’on peut aller chercher un 22’20, et même au-delà de ça, je ne veux pas me fixer de barrière psychologiques. Pour moi, notre marge de progression sur 200m est énorme et on n’a pas encore atteint notre maximum, car nous avons beaucoup de temps à gagner sur la fin de course. Actuellement, on travaille sur cet aspect de résistance sur cette fin de préparation. Plus on sera rapide sur 200m, plus ça sera bénéfique pour le 400m pour les deux années futures.
A Berlin, J’ai l’objectif de revenir avec l’or sur 100m et 200m et de faire une belle médaille avec le relais universel si je fais partie de l’équipe. Je ne vise pas de médailles en particulier parce que c’est une nouvelle discipline et donc on n’a pas vraiment conscience du niveau que peuvent avoir les autres nations.
Après forcément en tant que compétiteur, on ne veut pas y aller pour chercher le bronze. Si on peut aller chercher le titre pour la première fois sur le relais universel, ce serait le top et une belle récompense pour Jo Maïsetti qui est l’entraîneur du relais, et une icône de la discipline en France.
Je pense qu’il y aura de belles surprises le dernier jour de ces championnats d’Europe.
TIMOTHÉE