PATRICE BEAUMELLE : LE FOOTBALL AFRICAIN DANS LE SANG

Voilà plus de 10 ans que Patrice Beaumelle arpent les terres du football africain en compagnie d’Hervé Renard. Il nous raconte sa formidable histoire d’amour avec l’Afrique.
Patrice Beaumelle

Patrice Beaumelle – Football

#Entraîneur adjoint Equipe Nationale du Maroc #Ancien entraîneur adjoint LOSC, Côte d’Ivoire, Zambie, USM Alger, Angola, Nîmes Olympique. #Vainqueur CAN 2012 et 2015

Crédit Photo Une : DR

Mes premiers pas sur le sol africain remontent à 2001. Je me souviens, alors finaliste de la Coupe de la Ligue Languedoc-Roussillon avec mon club du Grau du Roi, le Président de Région nous avait invités en Tunisie pour assister aux Jeux Méditerranéens. C’est un souvenir merveilleux.

Dès que je suis arrivé sur ce continent, j’ai eu l’impression que le temps s’arrêtait et que les gens étaient détendus. Je me souviens même d’une réflexion… « Vous les occidentaux, vous avez les montres ; nous les africains nous avons le temps… ». On dit souvent que la première impression est la bonne. Je me suis tout de suite senti dans mon élément. Les gens accueillants, des couleurs et de la vie partout, toujours quelqu’un de disponible, une chaleur humaine, tous ces éléments m’ont séduit et rendu amoureux de « Mama Africa. »

En revenant quelques années plus tard, cette fois-ci dans un projet professionnel, cela s’est confirmé. Je suis définitivement attaché à l’Afrique. Ce continent ne laisse personne indifférent. Dans les premiers rapports, les gens sont avenants et joyeux, et il n’y a généralement pas de chichi, « ça sort comme ça sort » comme on dit ici.

Mais le mot qui me vient quand on me demande ce que j’aime le plus de l’Afrique, c’est l’authenticité.

Cet état d’esprit je l’ai aussi, et j’étais peut-être destiné à poursuivre ma carrière sur ce magnifique continent.

HERVÉ RENARD, NOTRE RENCONTRE QUI CHANGERA NOTRE DESTIN…

Déjà, il faut savoir qu’Hervé Renard adore les gauchers, et il s’avère que je suis un pur gaucher, c’est-à-dire que mon pied droit me sert péniblement à monter dans le bus (rires)… J’ai rencontré Hervé sur les terrains du Championnat National en 2005, quand il était entraîneur à Cherbourg et moi entraîneur Adjoint de Régis Brouard au Nîmes Olympique. Nous nous sommes affrontés à plusieurs reprises et nous échangions souvent à l’occasion de ces rencontres. Par la suite, nous avions fait un stage d’entraîneurs à la FFF à Clairefontaine ensemble, et nous avions eu le temps d’approfondir nos points de vue et notre vision du football. En effet, nous aimons tous les deux l’essence même de ce sport. Le football coule dans nos veines depuis notre plus jeune âge. Nous avons dix ans d’écart, cependant nous partageons une même vision de ce jeu collectif qui rend parfois fou… Le talent seul ne suffit pas, le travail, la discipline, l’investissement personnel, et le sacrifice sont des vertus essentielles. Le don de soi au service de l’équipe est la base : « j’ai le devoir de servir l’équipe et ne pas m’en servir ».

C’était le vrai point de départ d’une relation qui dure depuis environ 15 ans.

Un matin de février 2008, un numéro à rallonge à 14 chiffres apparaît sur mon téléphone. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nîmes Olympique, mon club de toujours, vient de me licencier. Je suis en route pour le « Pôle Emploi ». Hésitant de répondre à un numéro inconnu, je décide de me garer et réponds à ce numéro bizarre. « Allo Patrice, c’est Hervé Renard, j’ai une proposition de poste de sélectionneur de l’Équipe nationale de Zambie en Afrique. L’objectif est de se qualifier pour la Coupe d’Afrique 2010 en Angola et la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud. Je cherche un Adjoint. Qu’as-tu de prévu pour les 2 prochaines années de ta vie ? ».

Je n’ai pas hésité une seule seconde. Sans même connaître les conditions de travail, ni même où se situait la Zambie, j’ai accepté cette proposition, très excité et bien décidé à saisir cette opportunité et vivre cette aventure.

Je me revois encore aller faire mes vaccins (fièvre jaune) en urgence à Montpellier et même, après 15 jours, désespéré d’attendre mon billet d’avion pour rejoindre l’équipe déjà en stage de préparation pour un tour préliminaire dans un groupe où seul le premier se qualifie pour les poules finales CAN – Coupe du monde 2010 (Érythrée – Swaziland – Togo – Zambie).

J’attendais impatiemment mon billet d’avion pour Accra (Ghana)* afin de rejoindre l’équipe pour notre match contre le Togo d’Emmanuel Adebayor et entraîné par Henri Stambouli.

*le stade de Lomé au Togo était suspendu donc le match devait se jouer sur terrain neutre.

J’ai reçu le billet d’avion la veille à 21 h alors que j’étais dans le sud de la France. Mon vol était prévu pour le lendemain, Paris — Accra. Un silence de Cathédrale dans la maison. Ça y est, c’est le départ, le départ pour l’inconnu. Que dois-je mettre dans ma valise ? Ai-je pensé à tout ? Dois-je prendre des médicaments ? Je ressens en moi une grande excitation à l’idée de partir pour une nouvelle aventure, mais aussi une légère angoisse de partir seul dans cette nouvelle vie, à 29 ans. Je réserve le premier TGV qui part de Nîmes pour Paris CDG. Tout s’est fait dans l’urgence et je peux dire aujourd’hui que mes proches se sont inquiétés pour moi, de me voir partir dans ces conditions. Bien sûr, je n’avais pas le visa pour le Ghana. Après de nombreuses tentatives, le vol part sans moi. J’ai pu finalement recevoir un fax de la Fédération Zambienne de Football et voyager le lendemain. Ceci fut le point de départ de mon aventure africaine qui dure depuis onze ans maintenant.

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JE DÉFAIS MES VALISES À LUSAKA OU JE RENTRE À LA MAISON

Nous perdons 1-0 face au Togo. Une semaine plus tard, nous voyageons pour le Swaziland et nous faisons match nul 1-1. Mai 2008, déjà un match décisif. Je n’ai toujours pas signé mon contrat de travail. La Zambie reçoit le Swaziland à domicile dans la région du Copperbelt à Chililabombwe. C’est une ville à la frontière de la République Démocratique du Congo. Le match est tendu. Il nous faut gagner pour rester dans la course à la qualification. 87’, 0-0, pénalty pour la Zambie. Christopher Katongo, notre attaquant prend le ballon. Hervé, le visage fermé, se retourne vers moi. « Pat, s’il marque tu ouvres tes valises, sinon on rentre en France. »

But de Katongo, la Zambie gagne 1-0. Je signe le lendemain un contrat de 3 ans et défais mes valises pour m’installer à Lusaka.

Ce qui est extraordinaire à mes yeux, c’est que bien que tout se fasse souvent à la dernière minute en Afrique, il y a toujours une solution à tout. En dix ans, j’ai eu de nombreuses péripéties elles se sont toujours résolues avant que ce ne soit trop tard.

Lors de l’été 2009, la Zambie est invitée à jouer un match d’exhibition à Londres contre le Ghana. Alors que nous sommes tous arrivés en Angleterre, il nous manque deux joueurs-cadres qui évoluent aux Young Boys de Berne. Ces derniers ont raté leur avion en Suisse. Ils arriveront 15’ avant le coup d’envoi en moto-taxi à travers Londres pour finalement participer à la rencontre. This Is Africa (TIA).

Lors de mon départ pour l’Afrique, mon père m’avait conseillé de tenir un journal de bord, un genre de livre d’Or. J’aurais dû l’écouter…

LA PASSION DU FOOTBALL ET L’AMOUR DU PAYS

Plus que le résultat, c’est l’ambiance locale qui m’a marqué. Le continent africain est une terre de football. Cette ambiance dans la ville les jours des matchs. Les stades pleins à craquer des heures avant le coup d’envoi et remplis de couleurs vives. Les tro-tro*qui transportent les supporters jusqu’au stade, les enfants qui vendent tout un tas de choses au bord des routes, ou aux feux rouges. La chaleur humaine qui se dégage, la joie des gens et l’authenticité, on y revient, c’était magnifique, j’étais définitivement séduit.

*véhicule pour transport collectif

J’ai compris alors cet attachement national. L’Afrique est une terre d’opportunités. Tout le monde veut s’en sortir et tout le monde s’identifie à la réussite sportive, et le football est le principal vecteur de réussite sur le continent africain. Je me souviens de mes partenaires africains avec qui je jouais dans toutes les équipes où je suis passé en France. J’avais cette image d’eux comme des personnes patriotiques. Ils venaient souvent avec un maillot, un short, un bracelet, aux couleurs de leurs pays ou de leur club favori. Même en étant expatriés ou pour certains binationaux, ils gardent dans leur cœur leur pays et le montrent au quotidien.

C’est ce que j’ai aussi remarqué en vivant sur place, ils aiment leur pays par-dessus tout, mais également l’Afrique dans sa globalité. Le football est le sport continental. Quand on se déplace à travers l’Afrique, nous sommes les bienvenus, il n’y a jamais d’accueil hostile grâce au football.

Je me souviens lors du ¼ de finale de la Coupe du Monde 2010, le Ghana, alors dernière nation africaine encore en lice, jouait contre l’Uruguay. Dans les arrêts de jeu, le Ghana obtient un pénalty. Lorsque Asamoah Gyan s’élance pour transformer ce pénalty susceptible de propulser les « Black Stars » en ½ finale du mondial, toute l’Afrique retient son souffle. J’étais alors entraîneur de la Sélection des « Palancas Negras » d’Angola. Soudain A.Gyan manque son pénalty. Un bruit sourd retentit dans tout Luanda (capitale de l’Angola). Le Ghana, éliminé du mondial sud-africain en ¼ de finale aux tirs au but éteint tout le Continent. Toute l’Afrique voulait que le Ghana gagne. Pour comprendre, peut-on imaginer un Français triste de voir l’Angleterre, l’Italie ou l’Espagne perdre ?

L’amour du football en Afrique est quelque chose d’incomparable et transcende ainsi les nations. Tout le monde joue au football, partout. Des aires de jeu s’improvisent le soir dans les terrains vagues, ou encore dans les rues, des parpaings faisant office de buts, voire même sur la plage. Du football partout, pour tous et à toutes heures. En Zambie, des matchs s’organisent très tôt le matin. En Afrique de l’ouest, les matchs ont lieu sur la plage le matin et en fin de journée. Au Maroc, où que j’aille dans tout le pays, ça joue au football. Matin, midi, soir, nuit, c’est incroyable !!!! Nous sommes actuellement en plein mois de Ramadan, et il faut voir l’engouement le soir juste avant le Ftour et toute la nuit.

Il y a du potentiel partout. Et des particularités suivant les régions.

Le joueur marocain est plus réputé pour sa fluidité technique dans le jeu ou sa capacité à répéter des courses, son côté endurant. Les maghrébins aiment le beau geste, le beau jeu, et vont avoir tendance à éviter le contact, ils ne sont pas forcément dans l’impact. Pour eux, le football est plus un sport d’élimination et d’évitement. Le joueur d’Afrique de l’Ouest plus massif va chercher le duel au contraire et est très puissant. Le joueur ouest-africain aime le défi physique. En Afrique australe, il y a des gabarits plus petits et fins, mais par contre très vifs et adroits avec le ballon.

La caractéristique commune est que le joueur africain aime toucher le ballon, dès que quelqu’un fait un passement de jambe ou un petit pont, le public s’enflamme et l’acclame. Il y a une vraie culture du spectacle. J’ai connu des sélections dans plusieurs parties de l’Afrique, australe, de l’ouest, et au Maghreb et j’ai eu la chance d’avoir des joueurs comme Rainford Kalaba, Yaya Touré, Gervinho, Salomon Kalou, et aujourd’hui Hakim Ziyech, Sofiane Boufal, Amine Harit, Youness Belhanda, M’bark Boussoufa et consorts. Ce sont des joueurs de génie et nous prenons du plaisir à chaque entraînement avec ce type de footballeurs.

Ce spectacle, on le retrouve aussi dans les tribunes. Les stades sont pleins à chaque match, mais pas 1 h avant le coup d’envoi, non, dès le matin. Le temps s’arrête, tout le monde s’habille aux couleurs du pays et participe au folklore. Les gens dansent, chantent, crient, font de la musique avec des bouts de bois, ou des instruments de musique. C’est jour de fête.

Les publics se mélangent même parfois, je me souviens d’un Côte d’Ivoire — Cameroun, 3ème match de poule en Coupe d’Afrique 2015 en Guinée équatoriale. Ce match est capital. Le vaincu rentre à la maison. Malgré la tension palpable, les supporters sont les uns à côté des autres, chacun encourage son équipe, c’est la fête du football. Ou encore, lors d’un match de Coupe d’Afrique 2013 en Afrique du Sud. Zambie — Éthiopie, même chose, mes parents étaient dans le stade à côté d’Éthiopiens. Des femmes, des enfants en bas âge sont dans les tribunes. L’ambiance est festive, jamais agressive. Il y a beaucoup de joie, de ferveur et dans tous les matchs de CAN je n’ai jamais vu de violence. C’est magnifique.

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SE COMPRENDRE POUR MIEUX S’ENTENDRE

Cette attitude positive, je la retrouve également dans les relations entre les joueurs et le staff. On parle souvent de l’indiscipline du joueur africain. Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il faut adopter une attitude et une philosophie de père ou de grand frère. Trop de rigidité n’est pas adaptée, tout comme trop de laisser-faire. À partir du moment où on met un cadre, le joueur africain le respecte. Il faut être ferme, mais ouvert, et parfois écouter son cœur. Il est impossible de garder 23 jeunes hommes H24 J7 tous cloîtrés pendant plus d’un mois. On donne les règles de vie dès le départ. C’est donnant donnant. En plus de 10 ans sur le continent africain, nous avons dû nous séparer d’un joueur à deux reprises seulement pour des comportements inadaptés.

En revanche, il faut prendre en compte les particularités de chacun. En Afrique, c’est la musique et l’expression corporelle. Tous les joueurs aiment mettre de la musique, danser, c’est comme cela partout. On passe dans un village où l’on voit des enfants qui jouent au foot et qui dansent. C’est culturel et il faut donc absolument l’accepter et l’incorporer dans notre travail. Pour ma part, je trouve ça tellement corporatif et rassembleur. J’adore la musique en général et la musique black en particulier.

J’ai toujours vu des joueurs écouter de la musique. De l’hôtel au bus reliant les vestiaires, chacun est dans sa bulle. Je pense qu’il y a des moments où chacun doit être dans sa bulle avec ses écouteurs, et il y a des moments où la musique doit fédérer, rassembler, motiver. Arrivés dans le vestiaire, un joueur désigné par le groupe est chargé de mettre la musique. Par contre après l’échauffement, c’est concentration optimale.

Je suis contre l’utilisation permanente du casque qui a un effet d’isolement. La musique est un vecteur de communication et de partage, et donc a un effet positif dans la construction d’un groupe.

D’ailleurs quand je suis parti en Afrique, je pensais apporter mon « expertise européenne ». Dix ans plus tard, je me rends compte que j’en ai autant, voire plus, appris de mes différentes expériences.

Il faut ainsi accepter les différentes cultures et notamment les pratiques religieuses de chacun. Si en Zambie la plupart sont catholiques, en Côte d’Ivoire il y a un harmonieux mélange de catholiques et de musulmans et tout le monde vit très bien ensemble. Au Maroc, c’est encore une autre culture qui est merveilleuse. C’est à moi de m’adapter aux rites et coutumes du pays dans lequel je suis. C’est une richesse culturelle et humaine pour moi.

En Zambie, les joueurs écoutent du Gospel et prient avant et après chaque séance d’entraînement. Avec l’équipe nationale ivoirienne, tout le monde se tient la main et je revois encore Raymond , l’intendant, catholique, prier pour tout le monde en français puis Barry Copa le gardien de but, réciter al-Fatiha, la sourate d’ouverture du Coran. Il y a un énorme respect. Tout le monde accepte la différence de l’autre. Ce n’est peut-être pas toujours le cas en Europe, c’est un peu plus tabou, je pense, je revois certains joueurs faire cela dans leur coin alors qu’au final ça unit un groupe également.

PATRICE

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