Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Après sa carrière de joueur, Olivier Dacourt a poursuivi son aventure avec le football mais du côté des médias. Alors qu’il apporte son expertise sur les antennes de Canal+, il poursuit également la noble cause de faire découvrir la part d’humanité qui se cache sous la carapace des plus grands joueurs comme l’illustre son documentaire “ma part d’ombre”. Il nous donne les raisons qui l’ont poussées à mettre en avant cet aspect méconnu des footballeurs. Crédits photos : Canal+
Quand on va au bord des stades, on voit cet engouement des parents, mais ils ne se rendent pas compte à quel point cela est difficile de devenir footballeur.
Ils ont l’impression que leurs enfants de 8/9 ans vont tous devenir pro, car ils ont un peu de qualité, sans penser à tout ce qu’ils vont pouvoir endurer, et sans imaginer qu’il y a un infime pourcentage de tous ces enfants de l’école de football qui deviendront réellement professionnels.
Je pense qu’on ne comprend pas vraiment l’univers du football, on pense que tout est simple.
LE FOOTBALL EST L’UN DES SPORTS COLLECTIFS LE PLUS INDIVIDUELS
Dès le centre de formation, tu es plus ou moins livré à toi même. Le football est l’un des sports collectifs les plus individuels.
Dès l’âge de 12-13ans, tu es sur le marché du travail.
Pourquoi ?
Parce que tu es déjà en concurrence avec des dizaines de joueurs : ceux de ton équipe, de ton centre de formation ou ceux des équipes autours qui ne demandent qu’une chose. Être recruté par ton club et prendre ta place.
On te forme footballistiquement parlant, mais on ne te prépare jamais à l’échec alors que plus de 95 % des enfants y seront confrontés.
D’autant plus que dès les débuts, on se doit d’être fort, de ne pas montrer ses faiblesses. Mentalement cela peut être très difficile. Avoir un coup de blues n’est pas possible, les parents qui nous manquent ou d’autres baisses de moral, on garde tout pour soi.
Et à 18-20 ans le footballeur qui a déjà réussi, est déjà exposé à la presse, aux supporters, à la pression. Il n’est pas formé pour ça, il est formé pour jouer au football. Même chose avec les salaires qu’il touchera, il gagnera un salaire de chef d’entreprise à cet âge-là, forcément cela peut faire tourner la tête, dans le mauvais sens, et attirer beaucoup de personnes mal intentionnées. Ce joueur est toujours un adolescent à cet âge-là, on l’oublie trop souvent.
C’est pour cette raison que j’ai réalisé le documentaire « Ma part d’ombre » sur Canal + afin de montrer le côté humain des footballeurs avec des histoires racontées par ceux qui les ont vécues.
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Il y a un côté prévention, comme on peut très bien le voir avec le message d’Adebayor qui était de sensibiliser les joueurs africains et leurs familles, pour que ce genre de situation ne se reproduise pas.
Il a été extraordinaire.
L’histoire de Thierry Henry peut faire réfléchir quelques parents, quelques pères notamment.
FAIRE TÉMOIGNER LES JOUEURS, LA MEILLEURE SOURCE D’ENSEIGNEMENT
Tous les joueurs du documentaire ont des histoires assez particulières, ils sont caractériels dans le bon sens du terme, c’est cette nature qui les a aidés à être là où ils sont arrivés, c’est-à-dire dans des grands clubs.
Abidal à Barcelone, Ribéry au Bayern, Henry à Arsenal et au Barça, Zlatan aux 4 coins de l’Europe, Cassano à la Roma ou Adebayor en Angleterre… Ils ont tous marqué des clubs mythiques et des championnats de leurs empreintes.
Et ces joueurs-là, malgré le fait qu’ils soient des personnalités médiatiques, personne ne connaît leur histoire. Ils sont jugés constamment sur leurs faits et gestes sans que quiconque ne sache vraiment qui il y a derrière le sportif, derrière le footballeur. On le voit dans le documentaire, il y a un homme, qui a une vie à côté du foot, qui a une histoire, difficile ou non, mais qui influence forcément sa manière d’être sur et en dehors du terrain.
Bien-sûr, on fait des raccourcis en les voyant à la télé, mais pas uniquement dans le foot, c’est la même chose dans les autres domaines.
Les journalistes ont une influence sur cet état de fait, avant ils apportaient peut-être un peu plus une information sans donner leurs avis. Aujourd’hui, ils s’expriment souvent en prenant parti. Je peux alors comprendre qu’il soit difficile pour un joueur d’accepter la critique virulente d’une personne qui n’était pas sur le terrain ni dans le vestiaire ou qui ne connait tout simplement pas le quotidien d’un footballeur.
Me concernant, il y a eu un moment où je ne parlais qu’à un seul journaliste, car j’avais confiance en lui et je savais qu’il allait retranscrire tout ce que je disais tel quel. Cette relation de confiance est importante.
Mais cela fait partie du jeu, on va voir un cardiologue on écoutera son avis, un physicien qui nous parle de l’espace on va l’écouter aussi, donc un journaliste sportif expert dans un sport en particulier, on l’écoute. Le problème dans le monde du football c’est que tout le monde est un expert.
LE FOOTBALL, CE SPORT OÙ TOUT EST DISPROPORTIONNÉ
Comme on a pu le voir pendant la Coupe du Monde, nous avons 60 millions de sélectionneurs. Le football est ainsi, l’engouement est énorme dès que l’équipe se met à gagner. Il n’y a que le football qui peut remplir les Champs-Élysées en 30 minutes après une demi-finale de Coupe du Monde.
Les autres sports sont appréciés, le rugby, le hand, le basket, mais il n’y a pas cette ferveur et cet engouement qui est unique ! Et donc bien sûr derrière tous ces gens ont leurs avis et cela crée des débats.
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Les réseaux sociaux ont peut-être augmenté la crainte des footballeurs de parler aux journalistes, dans le sens où on a toujours eu peur qu’une phrase puisse être sortie de son contexte et donc mal interprétée. Quand cela arrivait au début des années 2000, on était seulement repris par un ou deux médias et l’impact restait minime. Aujourd’hui, une phrase-choc peut faire le tour de France voir du monde avec les réseaux sociaux où l’information est amplement plus rapide et a plus de retentissement.
Ça m’est d’ailleurs arrivé quand je jouais en Angleterre, à Leeds, j’avais fait une interview en France et des propos avaient été mal traduits et repris en Angleterre, ce qui avait fait les titres là-bas et avait pris des proportions que je n’avais même pas imaginé.
Et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles les sportifs français ne s’aventureront jamais dans des prises de positions politiques ou autre. Quand on voit un Lebron James aux États-Unis qui s’élève contre le président Trump, on se dit que ça ne pourrait pas arriver ici. Il se ferait détruire en quelques heures. Le sportif ici est cantonné au sport, on lui demande d’être bon sur le terrain et ne pas penser en dehors.
LA CONFIANCE, LA CLÉ DU DOCUMENTAIRE
Pour faire ce documentaire, c’est vrai que c’était peut-être plus simple de se confier à moi, ancien joueur, dans le sens où j’ai connu les mêmes choses qu’eux. Le centre de formation, l’équipe réserve, l’équipe 1, les transferts, les moments difficiles, les problèmes avec la presse également.
Mais la clé était surtout dans la relation que j’ai pu créer avec ces joueurs. Il fallait qu’ils aient assez confiance en moi pour se livrer comme ils l’ont fait, donc le but était qu’ils sachent que tout ce qu’ils allaient dire allait rester tel quel, sans reprendre des choses hors contexte, sans déformation.
C’était du donnant donnant. Je ne suis pas là pour avoir une déclaration fracassante, mais pour connaître l’homme derrière le joueur, en savoir un peu plus sur son histoire, et donc comprendre un peu mieux le personnage.
C’est vrai que pour eux, ce n’était pas simple de se confier autant. Certains parlaient vraiment sans filtre pour la première fois de leurs situations. Et c’est d’ailleurs pour cela que je me suis confié également sur la mienne. J’ai attendu des années avant de pouvoir et vouloir en parler, du décès de mon compagnon de chambre au centre de formation de Strasbourg. En voyant que je me prêtais également au jeu, ça leur a peut-être montré qu’ils pouvaient avoir confiance et qu’au final ça pouvait également leur faire du bien. En parler ouvertement, librement, c’est comme un poids qui se détache.
Il y a plein de choses auxquels on ne pense pas quand on imagine le quotidien d’un footballeur. Entre les entraînements tous les jours, les soins avec le kiné, le renforcement musculaire, les obligations en termes de communication comme les points presse et les interviews, les mises au vert et enfin les déplacements toutes les semaines voire plusieurs fois en l’espace de quelques jours lors des matchs de coupes nationales ou européennes, la vie d’un footballeur est vraiment chargée.
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On ne pense pas alors à sa femme et à sa famille qui doit supporter cet emploi du temps particulier, mais également son humeur entre guillemets quand il rentre d’un match perdu ou d’un match raté, qu’il se blesse, etc… Ce n’est pas un métier « normal » dans le sens où quand on rentre à la maison, on amène notre travail et nos états d’âme avec nous, et même si on arrive à ne pas le faire la presse nous le rappelle. Le foyer familial est forcément impacté.
Si le lendemain d’un match raté, un article sort dans la presse avec de vives critiques, le joueur est peiné, mais à la limite peut l’encaisser. Ce sera bien plus difficile pour sa famille qui n’a pas été préparée à digérer ces critiques depuis le plus jeune âge.
Ça ne plait à personne de se faire critiquer, tout le monde a un ego. Parfois à juste titre, mais le premier concerné sait très bien qu’il n’a pas été bon, il n’a pas besoin des journalistes pour lui dire. Après c’est le jeu, là où ça pose problème c’est quand il y a un manque de respect ou un vrai acharnement.
Les dégâts collatéraux sont alors pour la famille.
D’ailleurs, les joueurs du documentaire ou même d’autres coéquipiers me le disaient tous, les critiques on les absorbe, on les digère, pas de soucis, mais voir que ça impacte et attriste la famille, là c’est plus difficile.
Le fils ou la fille d’un footballeur peut se faire insulter par les autres enfants influencés négativement par leurs parents si leur père a raté une occasion franche ou qu’il a commis une boulette. Quand on est extérieur à tout ce milieu, on ne comprend pas l’impact que ça peut avoir pour la famille.
C’est pour ça que derrière les grands champions il y a souvent un entourage composé de la famille, les amis, les agents, qui sont là aussi pour veiller à l’équilibre du joueur.
LA SUITE DE « MA PART D’OMBRE », UNE ÉVIDENCE
Je n’ai pas choisi ces joueurs-là par rapport aux soucis qu’ils ont eus avec les médias. Je les ai choisis pour leurs histoires. Dans le football, on ne voit que la pointe de l’iceberg, ces nombreuses histoires montrent l’envers du décor.
On a eu pas mal de retours sur le film et les gens avaient souvent un préféré, mais qui n’était pas le même. Chaque joueur, chaque homme, chaque histoire ont plu à des personnes différentes. Cela parle aux gens, car il était question d’humain avant de football.
Il y aura sans doute une suite. J’ai de la chance d’être entouré par une super équipe, et quand les retours sont aussi positifs on a envie d’en faire plus forcément.
Ne jugez plus le footballeur uniquement sur sa performance sur le terrain, car derrière chaque joueur il y a un homme. Et avec lui son lot d’histoires.
C’est ce que j’ai désormais envie de raconter, pour moi, pour eux et surtout pour vous.