Double champion du monde d’endurance FIM EWC avec le SERT, Gregg Black est devenu l’un des pilotes moto référence dans sa catégorie. Le Charentais raconte cette saison, son intégration au sein de son équipe qui domine depuis des années la discipline. Il nous plonge également dans le quotidien d’un pilote moto d’endurance et dans une course qui peut durer 24 heures, comme le Bol d’Or ou les 24 heures du Mans. Le côté tactique d’une course. La gestion des relais, de la fatigue. Comment il s’entraîne, comment il alterne les entraînements sur différentes motos, mais aussi en dehors de la moto. Mais aussi le travail fait avec les ingénieurs pour développer et perfectionner la moto.
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GREGG BLACK – LA MOTO A COMMENCÉ À ÊTRE ABOUTIE EN 2020
Le fait d’avoir intégré le SERT est forcément un plus. Quand je suis rentré dans cette équipe, elle était quinze fois championne du monde, donc une voire la meilleure équipe du monde. Mais c’était une époque où il y avait moins de teams officielles et donc moins de concurrents. Le SERT était le plus fort avec les pilotes les plus forts. C’était presque “facile” pour eux de gagner. Mais, à partir de 2010, cela a commencé à changer et à être plus compliqué. Ils ont gagné quelques titres, mais sans autant écraser qu’auparavant la discipline. Leur dernier titre avant l’année dernière remontait à 2014 ou 2015 (NDLR : 2015). Il y a eu trois années un peu blanches, avec une moto un peu vieillissante.
Mais, quand je suis arrivé en 2017, il y a eu en parallèle une nouvelle moto. Une moto qu’on a dû développer. Cela a mis du temps pour la rendre fiable et performante. On va dire que ce processus a duré deux ans. Il a fallu de l’expérience, rouler avec la moto. Il n’y a rien de plus vrai que de passer du temps sur la piste et de faire les courses de 24 heures. C’est la seule façon de découvrir comment la moto se comporte et les défauts qu’elle peut avoir. On savait que la moto avait un gros potentiel, mais il fallait mettre les choses bout à bout. C’est ce qui a été réussi la saison dernière et on a commencé à gagner des courses, comme le Bol d’Or ainsi que le titre de champion du monde.
CONFIRMER AVEC UN SECOND TITRE EST TOUJOURS PLUS DIFFICILE
Obtenir le premier titre est dur, confirmer ce titre l’est tout autant. Voire encore plus ! L’année dernière, on a eu une année particulière avec le Covid_19 et des courses difficiles avec la météo, que ce soit au Bol d’Or ou en Malaisie qui ont dû être écourtés de ce fait. On a gagné le titre et c’était mérité et c’est extraordinaire d’obtenir ce premier titre, qui était un objectif pour moi, quand je suis rentré au SERT. Mais confirmer c’est toujours plus dur. Un titre peut arriver avec un peu de chance, sur un malheur des autres. Confirmer et avec Yoshimura (NDLR : Une marque japonaise) cela apportait une pression. Ils nous ont amené les différences dont on avait besoin, pour rendre la moto plus performante. On a remporté ce premier titre en étant constant et régulier, en marquant les points nécessaires.
Mais on voulait une moto plus performante. Yoshimura a apporté ça et cette année, on savait qu’on avait du bon matériel pour performer. Il fallait donc l’être sur la piste. Et avec ce second titre, on ne peut plus mettre en avant le facteur chance. Cela a montré que l’équipe était forte et soudée et que la moto est fiable et bonne. Que les pilotes étaient bons, car avec mes coéquipiers, nous avons fait le travail demandé et rempli tous les objectifs. Confirmer, c’est là où on prouve les choses.
GREGG BLACK – MES DEUX COÉQUIPIERS ET MOI AVONS LE MÊME AVIS SUR LA MOTO
Quand une team choisit ses pilotes dans son écurie, elle fait en sorte de prendre des personnes qui ont à peu près la même taille et le même poids. Car cela change beaucoup par rapport aux réglages de la moto, que ce soit les ressorts, mais aussi le type de suspensions qu’on va utiliser. Nous pilotes, on essaye également de s’adapter en ayant un style de pilotage similaire, pour que la moto se comporte pareil avec les trois. On fait des entraînements, qui permettent de voir les qualités et les défauts de la moto.
A chaque fois qu’on fait quelques tours chrono, on rentre au stand et on donne nos avis aux ingénieurs, sur les différents points. Chaque pilote fait la même chose. On a la chance de donner tous les trois le même avis sur la moto. S’il y a un défaut où une qualité, on va le sentir tous les trois. Et quand on demande une correction, on demande souvent les mêmes choses, avec chaque pilote qui va dire les choses un peu différemment, pour que les ingénieurs le comprennent un peu différemment. Pour agir sur la moto. Cela fait qu’on arrive à travailler tous les trois ensemble assez rapidement, pour avancer rapidement. Les réglages avec les ingénieurs se font uniquement en course.
LE TRAVAIL DES INGÉNIEURS EST SOUVENT SOUS-ESTIMÉ PAR LE PUBLIC
C’est très rare que ce soit en dehors. Cette année, on a fait 8 jours de test, 6 au Mans et 2 au Bol d’or. Les seuls jours où on se retrouve avec l’équipe entière où on peut rouler avec la moto de course et en condition de course, avec tout le monde. Huit jours sur une année, cela reste très peu. Pour préparer en amont ces séances, on reçoit un fichier avec des informations. On essaie de discuter et d’échanger avec l’équipe technique, pour avoir une base de réglages. Ce n’est pas prenant car les ingénieurs de Yoshimura ont fabriqué la moto et la connaissent par cœur. Eux vont passer beaucoup de temps à réfléchir sur comment ils doivent régler l’électronique, la boite de vitesse etc.
Ils nous demandent notre avis mais sur ça, le vrai travail est fait par eux. Quand on arrive sur le circuit, ils nous expliquent toutes les solutions possibles et on donne notre avis. Selon la première séance, on va travailler toute la journée, pour finir les essais avec quelque chose de mieux qu’au début. On rentre chez nous et on reçoit un compte rendu. Le travail des ingénieurs est sous-estimé par le grand public. Aujourd’hui, avec une moto comme la nôtre, on peut penser que c’est facile et qu’il suffit presque de claquer des doigts. Il y a cette croyance de dire que plus la moto est chère, plus elle sera performante sans qu’on ait rien à changer. Forcément, le potentiel est meilleur, mais cela demande bien plus de travail. Et c’est souvent dix fois plus de travail.
GREGG BLACK – L’ÉCONOMIE DE L’ESSENCE EST IMPORTANTE EN ENDURANCE
Que ce soit sur l’électronique, pour délivrer la puissance. Une moto pèse au maximum 175 kilos. Elles font 240 chevaux et c’est beaucoup de puissance pour peu de poids. Et un très petit espace de gomme sur le sol. Cela demande beaucoup de technologie pour comprendre tout cela et utiliser tous les critères au mieux. Ce qu’on oublie parfois également, c’est la partie essence. L’économie de l’essence est hyper importante dans l’endurance. On est limité à 24 litres dans le réservoir, limite fixée par le règlement. On essaie de jouer entre performance et économie. Le but étant de faire les relais les plus longs possibles, tout en utilisant le moins d’essence et en ayant une moto performante.
Si on diminue la puissance, on fait des relais plus long, mais on est moins performant. On pourrait augmenter la performance, mais on roulerait moins longtemps. Lors du Bol d’or, pour la première fois dans les qualifications, on a cherché la pôle position, qui était importante pour nous pour le championnat, car cela nous octroyait cinq points. On avait pris du retard à Estoril et il fallait se rattraper. Normalement, la pôle n’est pas un objectif premier en endurance, mais là il fallait. Ils nous ont injecté plus d’essence, sans jouer sur l’économie.
Nous avons pu gagner 15 chevaux supplémentaires et avoir une moto performante (NDLR : Les ingénieurs peuvent jouer électroniquement sur la puissance délivrée par le moteur, en joutant sur plusieurs paramètre, dont le plus important est la quantité d essence injectée dans le moteur). Le bémol de cette tactique, c’est qu’on ne retrouve pas la même moto pour la course. C’est pour ça qu’habituellement, on fait les qualifications en configuration course. Là, on a dû s’adapter entre les deux.
ON PEUT CORRIGER UN RÉGLAGE ET AMENER UN AUTRE DÉFAUT
Après la course évidemment, on donne aussi notre avis, avec un briefing qui se fait. Ils nous posent des questions, on donne notre ressenti. L’acquisition de données, nous donne des informations. Cela permet d’avoir des éléments à travailler pour la suite. Mais cela ne prend pas autant de temps que cela, vu que c’est sur place. Après la séance d’essais libres, on fait une réunion avec toute la team, qui peut durer entre 30 minutes et 2 heures. Le but est de faire remonter les informations pour qu’ils puissent travailler. Et de faire évoluer la moto de séance en séance. Les réglages sont particuliers en sports mécaniques.
On peut avoir un point négatif sur la moto, le trouver et le corriger. Sauf que parfois, cela engendre un autre problème. Cela amène à devoir trouver d’autres solutions pour éviter les mauvais côtés. Cela demande beaucoup de temps, car plus on monte en niveau et plus les pièces sont performantes. C’est un avantage avec la justesse technique très évoluée. Mais cela diversifie énormément les réglages. Ce sont des pièces uniques et uniquement fabriquées pour la moto. Cela donne une fenêtre énorme pour les réglages et on peut très vite se perdre.
GREGG BLACK – ON PEUT ÊTRE AGRÉABLEMENT SURPRIS DE LA MOTO LE JOUR DE LA COURSE
On peut prendre l’exemple de d’Estoril et du Bol d’or cette année. On arrive d’Estoril avec une base 2019, qui n’allait pas du tout, avec les nouveaux pneus qu’on avait et les nouvelles pièces. Il a fallu du temps pour développer la moto pendant la semaine de course. Finalement, à quelques séances de la course, on s’est dit qu’on verrouille comme ça, sans changer, même si ce n’était pas parfait. Car il fallait miser sur la sécurité, sans avoir une moto parfaite, mais on a passé beaucoup de temps dessus.
Au contraire au Bol d’or, lors des essais pré-course, deux semaines avant, on arrive avec une moto qui est très proche de celle qu’on avait au Mans. On a quasiment rien changé dessus. Au bout d’une journée de course, on voyait qu’on était rapide. On a commencé à se dire qu’on pouvait être plus rapides et on a essayé beaucoup de choses. Finalement on est revenu quasiment au point de base. On a juste gardé quelques petits points.
Le jour de la course, on essaye de tout calculer. Mais il peut y avoir des surprises. Déjà, nous avons deux motos. Ce sont les mêmes suspensions, les mêmes pneus, le même châssis et les mêmes réglages et pourtant elles ne sont jamais les mêmes. On peut sentir la différence entre les deux motos. Le jour J, ils enlèvent le moteur des deux motos et mettent des moteurs et certaines pièces neuves, pour la fiabilité lors des courses de 24 heures. Le matin de la course, au Warm Up, on essaye pour la première fois la moto de course. On part avec le plein d’essence, en configuration course ! Et là, on peut être agréablement surpris et se dire : “Tiens elle est bien mieux qu’on pensait”. Parfois c’est l’inverse. Mais de toute manière, on est trop proche de la course et on n’a plus le temps de changer !
UNE FOIS PAR SEMAINE SUR LA MOTO DANS DIFFÉRENTES DISCIPLINES
L’entraînement en moto, ça n’a rien à voir avec ce qu’on peut voir en sports collectifs. On passe très peu de temps sur la moto. En motocross, on va beaucoup rouler, trois à quatre fois par semaine. Nous, c’est moins accessible. Les grandes pistes sont rares. Ici, on a la chance d’avoir le Val de Vienne et d’en avoir des connues en France. Mais pour s’entraîner sur ces pistes-là, il faudrait avoir une sportive, qui va coûter aux alentours de 20 000€ que j’ai. Mais la moto course c’est 200 000 € ! Il est impossible pour nous d’avoir une moto comme ça et de rouler avec à l’entraînement. Quand on roule avec une moto d’entraînement, la différence est tellement grande qu’on part sur les mauvaises bases et les mauvais rythmes.
C’est donc parfois contre-productif. J’essaie un minimum de m’entraîner avec une sportive. Mais j’essaie au maximum de garder mes entraînements avec des 1000cc. Cela me pousse à rouler avec différentes motos comme des 125cc qui coûtent moins chers. On roule sur des pistes de karting, qui sont beaucoup plus accessibles, surtout l’hiver, car les grandes pistes sont fermées de novembre à mars. Je vais parfois à celle de Saint-Genis de Saintonge, non loin d’Angoulême ! Je m’entraîne parfois en Haute-Saintonge juste à côté.
Cela permet d’avoir un entraînement physique sur la moto, car c’est très ressemblant. On roule juste à plus petite vitesse, mais cela permet de rouler. L’hiver, je fais aussi de l’Enduro, qui travaille différents points. Je fais aussi de la Triale et du Flat Track, sur des petits ovales en terre battue. C’est de la glisse, une discipline amenée par les Espagnols. J’essaie de rouler une fois par semaine en moto, dans différentes disciplines.
GREGG BLACK – JE SUIS MULTISPORTS SUR MON ENTRAÎNEMENT HORS MOTO
Je suis également moniteur pour une école de pilotage, ce qui me permet de passer du temps sur une moto et de piloter une 1000cc. C’est du travail mais ce sont également des entraînements. J’ai également une entreprise de baptême, où j’emmène des gens derrière moi. On fait ça une vingtaine de fois dans l’année et cela permet d’entretenir le physique et de faire de la moto, tout en faisant découvrir au public notre sport.
Les gens peuvent penser que la moto n’est pas un vrai sport, mais c’est vraiment dur et physique. Sur les relais de 1 heure, on fait des moyennes cardio entre 160 et 180 pulsations / minute. On est obligé de s’entraîner sur des rythmes cardiaques assez élevés pour être en forme. Surtout en endurance, sur des relais d’une heure, avec 8 relais à faire. Il faut tenir. Chaque pilote a sa façon de travailler, certains font du vélo, d’autres de la course à pied.
J’essaye de diversifier les sports. Je fais du vélo de route, du VTT, un peu de natation, de la course à pied ! Il y a également des séances en salle, de circuit-training comme le crossfit. Cumuler les forces, le gainage et avoir un bon rapport poids-puissance soi-même. Il ne faut pas être trop costaud. Chaque pilote est différent sur son entraînement hors-moto. Je fais également du badminton et du squash/tennis et j’essaie d’en faire une fois par semaine.
Le problème principal chez les pilotes, ce sont les avant-bras, on est quasiment tous passé par une opération, moi par deux fois. Cela arrive également aux pianistes. Le syndrome des loges, c’est vraiment un truc bête, un petit muscle qui se comprime. Tu ne peux presque plus bouger la main. On peut penser que c’est lié à un manque d’entraînement, alors que c’est souvent l’inverse. Cela peut être aussi lié à la morphologie de la personne. Tout cela pour dire que la moto est extrêmement physique et demande beaucoup d’entraînement. Même si on ne peut pas faire de moto tous les jours.
ON N’A PAS BEAUCOUP DE TEMPS DE PAUSE ENTRE LES RELAIS
Tenir ses relais en pleine nuit, c’est souvent une question de mental. Beaucoup de gens en sont capables, avec l’adrénaline, le moment et être en course. Mais c’est très fatiguant. Ce n’est pas qu’une course de 24 heures et une nuit blanche, car en réalité, nous sommes en entraînement toute la semaine. Avant même la course, on a déjà fait l’équivalent d’une course de 24 heures. On voit les gens, quand ils font une séance de roulage, au bout de 5 sessions de 20 minutes, ils sont rincés. Et pourtant, au total, ils vont rouler environ 12 minutes sur la séance. Ce qui représente une heure au total. Nous, on en 8 heures chacun. Le samedi matin, on se lève à 6 heures pour le Warm Up à 8 ou 9 heures du matin.
Il ne faut pas non plus croire qu’on a 2 heures de repos entre chaque relais. Le temps de rentrer au stands, descendre de la moto, débriefer avec les ingénieurs pendant 10-15 minutes, tout cela diminue le temps de récupération. Il faut marcher jusqu’à sa chambre, se changer, se doucher. Il y a toujours deux ou trois personnes qui nous parlent. On est vite à 30 minutes. Il faut manger un truc, aller au kiné. Et il faut être de nouveau dans le box, 20 minutes minimum avant habillé et changé. Cela laisse un espace entre 5 et 20 minutes. Une fois sorti du circuit, j’essaie de déconnecter un maximum. Éviter de trop entendre le bruit des motos, j’évite aussi de regarder ce que font les coéquipiers.
GREGG BLACK – J’ESSAIE DE DORMIR UNE FOIS PENDANT LA COURSE
Malgré tout, je mets souvent l’ordinateur dans la chambre, je mets aussi les applications de chronos, qui vont mettre tous les chronos en live. On clique sur le pilote et cela sort tous les chronos. Du coup, je ne regarde pas forcément ce qu’il se passe, j’enlève le son et je me mets dans le silence au maximum, avec les boules quies. En déconnectant un peu, quand on revient dans le box, on a de nouveau envie de rouler. Si tu restes dans le bourdonnement permanent des motos, on aura pas envie. Là où c’est dur, c’est sur les coups de 3 heures du matin. Il y a un relais ou j’essaie de dormir. Je ne mange pas, je ne fais pas de kiné ni de débriefing. J’arrive à dormir entre 30 et 40 minutes.
Mais il n’y a pas beaucoup de pilotes qui le font, car dormir 40 minutes sur presque 35 heures, ce n’est pas beaucoup. Finalement cela peut être pire pour certains, que de ne pas dormir. Mais j’ai trouvé la technique, où j’arrive à être bien. Même si je suis hyper mal au réveil, sui la moto, ça passe et cela reste bénéfique.
LES COURSES EN FRANCE SONT MIEUX COUVERTES QU’AVANT
Ce qui amène un sport devant les médias, ce sont tout simplement les médias eux-mêmes. Aujourd’hui, je n’ai rien contre le foot, le rugby et tous les sports, mais les sports collectifs sont énormément mis en avant et sont couverts par les chaînes nationales. Automatiquement, les gens regardent et moi le premier, quand il y a un grand match, je vais regarder. C’est facile d’accès. Dans un pays comme l’Espagne, la moto est hyper facile d’accès, on va dans un bar, il y aura les GP diffusés sur la grande chaîne. C’est le sport numéro 2. Nous, je ne sais même pas où on se situe. Pourtant en France, la moto intéresse beaucoup de personnes. Mais je suis très content que l’endurance ait été reprise par La Chaîne l’Equipe.
Oui, ce n’est pas une chaîne que tout le monde va regarder, cela reste une chaîne en clair. Mes courses en France sont bien mieux couvertes qu’auparavant. Médiatiquement parlant, cela fait du bien et on a de la reconnaissance. Je ne cherches pas à être une rock-star, mais on a quand même des titres de champion du monde. Mais c’est pareil pour les JO, certains sont champions olympiques, mais on ne sait même pas qui ils sont. C’est dommage d’avoir une couverture médiatique si petite, mais il faut faire avec. Je n’ai pas fait de la moto pour la couverture médiatique, mais parce que c’est une passion devenue mon métier et j’en suis très content. L’avantage d’avoir une grosse couverture médiatique, c’est qu’il y a plus d’argent dans le milieu, car la valeur du sport augmente.
GREGG BLACK – J’AI LA CHANCE DE FAIRE PARTIE DE CETTE POIGNÉE DE PILOTES PAYES EN FRANCE
J’ai la chance de faire partie de cette poignée de pilotes en France qui sont payés. J’en suis reconnaissant et content d’être à ce niveau-là. Mais aujourd’hui, c’est dommage pour un sportif, dans une discipline qui demande beaucoup de sacrifices, de temps passé mais aussi beaucoup d’argent. 98 % des gens qui font de la moto, ne gagnent pas leur vie avec. C’est aussi un sport à risques, avec malheureusement tous les ans des accidents et des décès en course, ce qui est rare dans un sport. Avec les risques qu’on prend, c’est dommage de ne pas être mieux rémunérés.
A mon niveau en moto, je serais un footballeur, je serais mieux reconnu ! Quand on voit un sport comme l’escalade, qui était confidentiel avant les JO, cela a explosé après et c’est devenu un sport tendance. Avec beaucoup de personnes qui se sont inscrites dans les salles. Cela montre aussi que les gens ont envie de faire une activité sportive. Pour la moto, c’est la même chose. On ouvre une école pour les enfants et je suis moniteur là-bas. Je file un coup de main et je vois une envie des parents et des enfants de découvrir la moto.
Quand j’étais petit, je voulais faire du sport et on me disait : “Va faire du hand en UNSS, va faire du foot et du rugby”. Il n’y avait pas d’autres solutions. Aujourd’hui aux enfants on leur dit : “Qu’est ce que tu veux faire?”. Mais les accès sont encore difficiles pour certains sports, même si c’est de mieux en mieux.
JE SUIS QUELQU’UN DE FIDÈLE ET RESPECTUEUX ENVERS MES PARTENAIRES
Il y a aussi un problème de sponsor en France. Malheureusement, les charges de sociétés sont assez élevées et c’est assez court pour elles de dégager des budgets dans la communication et le sponsoring. Mais il faut réussir à convaincre les entreprises. C’est ce que j’ai réussi à faire depuis plusieurs années, avec des partenaires régionaux et nationaux qui me suivent depuis longtemps. J’en suis hyper reconnaissant, ils m’ont permis de m’entraîner et à être meilleur. Cela m’a permis d’être repéré. Sans cela, impossible de se lancer. Il faut avoir un bon contact et une belle image. Quand on n’est pas connu, dans mes débuts c’était difficile de toquer aux portes et de me vendre. Il y a beaucoup plus de portes qui se ferment.
Maintenant, cela s’ouvre. Je reste quelqu’un de fidèle et respectueux. Les partenaires qui sont là avec moi depuis des années, sont toujours derrière moi. Du coup, mon conseil à un jeune débutant, c’est de lui dire que c’est un sport difficile d’accès. Il faut des moyens financiers. Avec la médiatisation, les manufacturiers sont de plus en plus intéressés d’investir dans la discipline et cela permet la venue de nouveaux pilotes.
GREGG BLACK – COMMENCER HYPER JEUNE N’EST PAS LA MEILLEURE SOLUTION
J’ai commencé dans les années 2000, dans une période transitoire où on pouvait encore se permettre d’être repéré et de rouler rapidement sur les motos à des coûts moindres. Aujourd’hui, c’est hyper compliqué et il faut de suite des partenaires ou des parents qui suivent et ont de l’argent. Après, commencer hyper jeune, ce n’est pas la meilleure solution. Faire de la moto à titre de loisir oui ! De la compétition, ce n’est pas obligatoire. Il faut suivre l’envie des enfants et non celle des parents.
La passion doit primer et il faut savoir pourquoi on fait ce sport. Je me suis souvent remis en question durant ma carrière pour savoir si j’aimais vraiment ce sport. Aujourd’hui j’aime toujours autant la moto et je fais ce sport parce que j’aime ça. Derrière, comme je le disais, il faut avoir une bonne image et savoir d’où on vient et avoir envie. Le talent viendra avec et également cette petite touche pour être rapide. Cela ouvre des portes et cela permet d’avoir les finances pour accéder à des niveaux différents.
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POUR GAGNER, IL FAUT ÊTRE UNIFORME DANS L’ÉQUIPE ET AVOIR UNE COHÉSION ENTRE COÉQUIPIERS
Il y a forcément de la concurrence interne entre les pilotes au sein d’une team. Automatiquement, vu qu’on est trois pilotes, on veut tous être le plus rapide de l’équipe, mais honnêtement, pour gagner les courses, il faut savoir mettre son égo de côté. Si on commence à faire une bagarre interne, alors c’est foutu. C’est souvent ce qu’il se passe dans beaucoup d’équipes, chez nos concurrents. Ils essaient de faire les meilleurs temps. Bien évidemment que les coéquipiers doivent tirer vers le haut, être capable de faire les mêmes temps qu’eux sur la même moto. Mais il ne faut pas créer une concurrence trop élevée à l’intérieur d’un stand. Sinon, cela amène une mauvaise ambiance voire une guerre interne.
J’ai cette position de capitaine d’équipe, qui est d’apporter cette sagesse. Pourtant en endurance, j’ai longtemps entendu dire que la première chose dans une team, c’était d’être capable de battre ses coéquipiers. Je me bagarre pour dire qu’il faut être régulier et si un coéquipier est plus rapide, il doit donner des solutions au moins rapide. C’est ce qui fera la force d’une équipe. Il faut être uniforme et on l’a prouvé lors de la dernière course. La moyenne au tour des trois pilotes se sépare de 10 millièmes seulement.
GREGG BLACK – A MOST, IL NE FALLAIT PAS SE TROMPER D’OBJECTIFS
Je pense que le niveau n’a jamais été aussi élevé que maintenant en endurance. On voit que nos concurrents sont très forts, les trois pilotes sont très rapides, les motos sont rapides. Attention, ce n’est pas parce qu’on est le plus rapide en course qu’on va systématiquement la gagner. Il faut comprendre la philosophie de l’endurance et l’entente avec les pilotes et les teams, pour créer un bloc solide et faire le travail sur la piste. Aujourd’hui c’est notre force. On voit souvent des équipes s’emballer en début de course. Les courses de 24 heures se jouent souvent la nuit. C’est là que tout se joue et il faut en garder sous le pied, pour bien travailler et montrer qu’on est fort.
Lors de la dernière course à Most, l’objectif était de gagner le titre et non la course. On voulait aussi finir sur une bonne note. Gagner aurait été prétentieux, avec le manque d’entraînement. On voulait faire podium et on est venu, je suis parti en tête, avant de me faire doubler. A un moment, au milieu d’un de mes relais, j’aurai pu en doubler, car mon rythme était correct, je me suis même retrouvé à quelques centimètres d’eux.
Je me suis posé la question mais dans quel but les doubler ? Pour faire le spectacle ? Pour montrer que je suis le plus rapide ? Et finalement être 5 dixièmes devant eux au lieu d’être 5 dixièmes derrière, ce qui ne change absolument rien. Il faut savoir mettre son égo de côté et rester derrière. Cela reste un sport dur mentalement et ce jour-là, il ne fallait pas se tromper d’objectif.
IL EST TROP TARD POUR BASCULER EN MOTO GP
J’adore faire de la moto et n’importe quelle discipline peut me plaire. J’ai eu la chance de faire des formats sprints au championnats de France, du monde et d’Europe. Mais depuis que je suis rentré en endurance, j’ai réussi à faire ma place et je suis devenu un pilote renommé. Ce qui m’est demandé et c’est un milieu où j’arrive à peu près à être bon. Je sais que je peux avoir ma place en vitesse, mais il faut avoir l’occasion d’y être. J’ai également un contrat avec Suzuki qui me plaît. C’est une vraie famille. Si je vais en championnat, mon contrat stipule que je dois rouler en Suzuki.
Qui ne sont pas présentes partout. Leur force est la moto GP et l’endurance, en 2020 ils sont d’ailleurs titrés dans les deux domaines. Il ne faut pas se cacher qu’en Moto GP, c’est trop tard et je suis trop vieux. Je n’ai pas pris la bonne filière. Je pourrais aller en ultrabike, mais Suzuki s’est retiré depuis plusieurs années. Grâce à l’image de Suzuki, ils peuvent vendre leur moto et l’image ils l’ont construite avec leurs performances. Si demain ils investissent des millions et qu’ils n’ont pas de retombées derrière, cela ne sert à rien de le faire. Suzuki a considéré que l’endurance était un point clé pour eux, ce qui est bien pour moi. C’était génial quand ils ont décidé d’investir là-dessus.
J’AI EU L’OCCASION DE DISCUTER AVEC RENAUD LAVILLENIE
La vitesse me plaît et j’aimerais en faire, mais aujourd’hui pas à tout prix. Je pourrais faire les France, mais chaque championnat a son règlement. En championnat de France, cela ne me permettrait pas de mettre les bonnes pièces sur la moto et donc elle serait moins performante. Si je mets les réglages du SERT aux championnats de France, oui on pourrait jouer la victoire. Certaines motos d’origine vont sortir avec des pièces plus évoluées, tout dépend des objectifs des constructeurs.
J’ai déjà eu l’occasion de discuter avec Renaud Lavillenie, il est venu rouler en moto (NDLR, comme Gregg Black, Renaud Lavillenie est originaire de Charente). Pour lui c’est un plaisir, le niveau n’est pas le même ce qui est normal.
GREGG BLACK
Avec Etienne GOURSAUD