Élu meilleur entraîneur de la saison 2020-2021 en Ligue Butagaz Énergie, Laurent Bezeau a connu une saison presque parfaite avec son club du Brest Bretagne Handball. A la clé, un titre de champion de France, une coupe de France. Mais surtout une finale historique pour le handball féminin français, en Ligue des Champions, malgré la défaite. Il se confie sur la saison écoulée, sa distinction personnelle, mais aussi toute la difficulté mentale d’être coach à haut niveau. Evoque aussi sa nouvelle vie. Il rejoint à partir du 1er juillet, l’Agence Nationale du Sport.
Crédit : Icon Sport LBE
LAURENT BEZEAU – CE TITRE DE MEILLEUR ENTRAÎNEUR EST SURTOUT LE RÉSULTAT D’UN TRAVAIL COLLECTIF DE TOUT UN SYSTÈME
On a été dans la continuité de la saison passée. On se rend compte que ces deux saisons ressemblent à une seule, mais qui aura été très longue. Il n’y a pas eu de finalité l’an passé, mais cela a posé les bases de cette saison. C’est l’aboutissement d’années de travail et il y a une énorme fierté et satisfaction. Ce titre d’entraîneur de l’année est une distinction individuelle, je suis l’entraîneur, mais c’est surtout un travail collectif de tout un système développé avec le staff et les joueuses. Les coachs nominés sont ceux qui ont eu des résultats et pas forcément l’entraîneur qui est en difficulté dans son club, bien qu’il soit un bon entraîneur en optimisant les ressources qu’il a.
Dans le secteur professionnel, on dit souvent que l’entraîneur qui gagne est celui qui a raison, alors qu’il y a de très bons coachs, qui n’ont pas forcément les ressources pour tout le temps gagner. Après, manager une équipe qui joue tous les trois jours, ce n’est pas la même chose que manager une équipe qui joue une fois par semaine. Manager des joueuses de très grande expérience, reconnues internationalement, n’est pas la même chose qu’entraîner de jeunes joueuses. C’est difficile de comparer et je reçois avec beaucoup de fierté cette distinction. C’est la 5e fois. Pour moi, cela reste un travail collectif.
QUAND ON COMMENCE UNE COMPÉTITION, C’EST POUR ALLER AU BOUT
J’aurais été présomptueux de dire qu’on s’attendait à une telle saison, quand elle a commencé. Mais on voulait être champion de France et beaucoup nous disaient qu’il était quand même temps. Mais il ne faut pas oublier que c’est que notre 5e année en D1. L’année dernière, on était déjà dans la course, mais on n’a pas pu à cause du Covid. On a été deux fois en finale contre Metz, dont la dernière où on a gagné le retour chez eux. La coupe de France n’était pas la volonté du club, mais avec les joueuses, on était dans une telle dynamique. Puis un trophée, cela se respecte, de par son histoire. Quand on commence une compétition, c’est pour aller au bout. Sauf si on m’avait obligé à ne pas mettre l’équipe la plus performante possible.
En Ligue des Champions, le souhait était d’être au moins en quart de finale, car l’an dernier on y était qualifié sans avoir pu jouer avec le Covid. On voulait de nouveau rejouer ce type de matchs. Une fois en quart, les appétits augmentent. Joueuses et staff avaient l’ambition d’aller au final 4 et de gagner. On a des joueuses qui sont venues à Brest pour gagner la Ligue des Champions.
LAURENT BEZEAU – ON N’AVAIT PLUS LES RESSOURCES EN FINALE DE LIGUE DES CHAMPIONS
Il y a plein de sentiments après cette saison. L’objectif principal était d’être champion de France et c’est vraiment une énorme satisfaction d’avoir pu l’être. Il y a aussi cette énorme fierté d’avoir participé au final 4, pour la première fois de l’histoire du Brest Bretagne Handball. Le parcours réalisé, avec cette demie extraordinaire contre Györ, nous procure beaucoup de joie. Mais on ne peut pas s’empêcher d’avoir un goût d’amertume, de ne pas avoir pu renverser les Vipers en finale. Qui était clairement préparé pour cette finale et l’ensemble de ce Final 4. Elles finissent troisième de la dernière édition et avaient cette expérience. Elles étaient prêtes physiquement et tactiquement et étaient en ordre de bataille.
Malheureusement, après cinq finales jouées en quinze jours et une demi-finale éprouvante la veille contre Györ, je pense qu’au-delà de la force des Vipers, on n’a pas pu proposer plus, pour espérer. On n’avait plus les ressources mentales et physiques. On n’avait pas pu complètement préparer ce Final 4. Il aurait fallu plus de fraîcheur, proposer peut-être un autre projet défensif pour pouvoir contrer les Vipers.
JE NE REALISE PAS ENCORE LA SAISON QU’ON A FAIT
On a eu des coups de mou dans la saison. Le premier en Octobre, après la trêve internationale. On s’en est bien sorti pour arriver à la trêve hivernale très bien. Ensuite, il y a eu un second coup de mou en Février. On sortait d’un bloc de matchs tous les trois jours, avec beaucoup de déplacements. On perd à Paris en se faisant marcher dessus, tout comme contre Besançon. Cela a été difficile, mais on a su se relancer, pour être conquérantes sur la fin du calendrier.
Est-ce que j’ai l’impression qu’on a réalisé quelque chose d’inédit dans le handball français ? Je le sais parce que c’est factuel, mais de là à le réaliser, je ne pense pas. Sur le plan personnel, j’ai toujours de la mesure. Je ne sais pas si c’est de l’humilité ou de l’insatisfaction permanente. C’est inédit, c’est sûr, mais j’aurais aimé aller plus loin. Quand on fait du très haut niveau, on n’est jamais satisfait de ce qu’on a et on en veut toujours plus.
LAURENT BEZEAU – MON MEDECIN M’A DIT “IL VA FALLOIR PENSER À SE REPOSER”
A mon retour de Brest, après le Final 4, je suis allé voir mon médecin. J’avais 11,5 de tension et il m’a dit : “Stop ! Il va falloir penser à se reposer”. Il y a beaucoup de fatigue, beaucoup d’énergie donnée durant ces quinze jours et ces cinq finales. Et surtout 5 saisons consécutives à jouer tous les 3 jours. Cette saison, on a fait plus de 50 matchs, les internationales en ont fait 70 ! Imaginez le calendrier et avant même les JO.
Ce sont des matchs où on est constamment sous la pression de devoir gagner. Si vous faites un écart, même une victoire où vous avez mal joué, tout de suite on est attaqué et cela peut casser la dynamique. On a vite fait de se prendre les pieds dans le tapis et gripper la machine. Il faut toujours exiger plus, toujours aller de l’avant. C’est dantesque ! On ne peut jamais accepter le match moyen. C’est usant !
La fatigue du coach n’est pas la même que celle des joueuses. Souvent comme les joueuses, le coach n’a pas de vacances, n’a pas de journée de repos. Il a des nuits très courtes, car le cerveau ne s’arrête jamais. Il faut toujours être dans l’anticipation des problèmes que vous pouvez avoir. L’analyse est permanente, le choix des mots aussi, car un petit problème de communication peut enrayer les choses. J’étais constamment en alerte, ce qui est épuisant. Mais on est tellement porté par l’envie de réussir et d’être à la hauteur de ce groupe merveilleux, qu’on tient nerveusement. C’est quand tout s’arrête qu’il y a cet écroulement.
UNE NOUVELLE PAGE S’OUVRE AU 1ER JUILLET
Je reprends de nouvelles fonctions le 1er juillet, avec des missions particulières (NDLR : Laurent Bezeau s’est engagé avec l’Agence National du Sport, où il rejoint Claude Onesta). Je vais m’y investir à fond. Aux JO, il y aura le handball, mais aussi tous les autres sports, dont ceux dont on va me demander d’avoir un œil plus attentif. J’aurais le regard sur d’autres sports que le handball. Le hand aura été une très très grande partie de ma vie, mais une page s’ouvre au 1er juillet, avec l’ensemble du sport olympique/paralympique français. En attendant, j’ai un déménagement à assurer, une maison à vendre. En termes de repos, ce n’est pas encore ça.