DIDIER THOLOT : 72H DANS LA VIE D’UN COACH

Après sa longue carrière d’attaquant et d’innombrables bons souvenirs (qui ne se rappelle pas de son but contre le Milan AC en 1996 avec les Girondins de Bordeaux), Didier Tholot a embrassé la voie d’entraîneur. Il raconte les méandres de sa fonction en se focalisant sur les derniers jours avant un match.
Didier Tholot
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Après sa longue carrière d’attaquant et d’innombrables bons souvenirs (qui ne se rappelle pas de son but contre le Milan AC en 1996 avec les Girondins de Bordeaux), Didier Tholot a embrassé la voie d’entraîneur. Il raconte les spécificités de sa fonction en se focalisant sur les derniers jours avant un match. 

Je suis né dans une famille qui a toujours aimé le football entre mon petit frère qui jouait et mon grand frère qui a pu m’entraîner, dans une région qui a été bercée par les exploits de l’AS Saint-Etienne. Depuis que je suis tout petit, je rêvais d’être footballeur, même si l’on me disait à l’école que ce n’était pas un vrai métier. J’ai travaillé comme un acharné pour ça et j’y suis arrivé.

Devenu joueur professionnel, je n’avais pas une vision préconçue du métier d’entraîneur et je m’occupais surtout de moi. Je n’ai jamais été un leader naturel de vestiaire comme un Didier Deschamps, mais je savais que je voulais continuer dans le monde du football. Mon cheminement pour l’après-carrière a commencé finalement assez tôt, car j’ai passé mes premiers diplômes (BEA) à 21 ans et j’ai continué ma formation au fil de ma longue carrière finie à 38 ans en Suisse. Je voulais me donner cette chance de savoir si j’étais capable d’être coach, je pensais qu’il serait peut-être trop tard après pour passer ces diplômes.

J’ai eu cette chance de passer dans beaucoup de clubs, et ainsi de découvrir toute sorte de pratiques. Didier Notheaux, mon entraîneur au Stade de Reims en 1990/1991 avait d’ailleurs eu une démarche assez marquante avec moi : j’avais eu des problèmes personnels et pendant 3 mois il m’avait laissé le temps pour gérer ma vie de famille, m’avait dispensé de quelques entraînements, mais je jouais le WE en restant très performant. Il m’a appris qu’il ne fallait pas être obtus à tout prix, il fallait prendre le meilleur dans chaque joueur. Chez Christian Gross, c’est la mentalité allemande que j’ai retenue avec un respect et une abnégation de tous les instants pour dépasser ses limites. Rolland Courbis pouvait lui oser tactiquement avec des théories différentes et surprenait sans cesse ses joueurs. Il était capable de persuader un attaquant de jouer numéro 6 sur un match particulier, Rolland en théorie c’était un peu du Pagnol. Par contre, le côté mystérieux de Jacques Santini m’a fait comprendre que trop de suspicions et de renfermement chez un coach n’amènent rien de bon.

DÉBUTS EN SUISSE

Pour finaliser ma formation d’entraîneur, je suis allé à Bâle, car je connaissais le club pour y avoir joué et il était en train de se structurer et devenir l’institution qu’on connaît aujourd’hui. Pour passer mon DEPF, je suis tombé dans une excellente promotion avec d’anciens champions du monde comme Laurent Blanc, Laurent Charbonnier, Alain Boghossian et même d’autres anciens joueurs comme Antoine Kombouaré. Ça m’a permis d’échanger et de voir des gens qui avaient connu le très haut niveau.

Lors de ma dernière année de joueur au Youg Boys de Berne, le président du FC Sion avec qui j’avais gardé de très bons rapports, m’a parlé de prendre le club de Vevey pour me former en tant qu’entraîneur-joueur avec un adjoint pour m’aider. C’était parfait pour commencer, la bonne transition sans être strictement liée aux résultats dans un club de troisième division suisse. À ce niveau, j’étais capable de répondre présent sur le terrain (40 buts sur les deux saisons) et de gérer en même temps mes premières séances. Je faisais même les exercices physiques avec les joueurs afin de montrer mon investissement.

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Suite à cela j’ai pu enchainer les expériences d’entraîneur dans des clubs de haut-niveau, tout d’abord au FC Sion, mais également en France (Libourne Saint-Serin, Stade de Reims, Bastia), ce qui m’a permis de comprendre la fonction.

Un entraîneur, c’est la locomotive du groupe, celui qui donne les orientations à suivre. La clé est bien évidemment le partage, sans ça, pas de réussite possible. C’est un rôle complet entre la gestion humaine des joueurs, le côté tactique, la communication avec la presse ou les relations internes avec les dirigeants. En tant que joueur, votre métier vous occupe 50% de votre temps, mais lorsque vous passez sur le banc c’est plutôt du 120%. Il y a une sorte de remise en question permanente sur le jeu, les résultats, le classement, mais c’est un métier passionnant.

DANS LA TÊTE D’UN COACH

Rentrons maintenant dans le vif du sujet, le déroulement des quelques jours avant un match.

En début de semaine, le travail physique est plus important et nous mettons l’accent sur l’équipe que nous allons rencontrer le WE, sur les forces et faiblesses qu’on a pu déceler.

À partir du jeudi nous sommes dans la phase de récupération, c’est une décompression, car on a beaucoup travaillé les 3 jours d’avant et si on continue des exercices trop intenses, on risque de le payer le jour du match. Il s’agit donc d’un entraînement très light où l’on profite pour peaufiner les derniers détails sur 45 min voir 1H avec beaucoup de récupération. On va également axer le travail sur les coups de pied arrêtés (CPA), les 30 derniers mètres pour les attaquants, et remémoriser les schémas de départ du ballon sans trop de rythme où chaque joueur connaît ses déplacements.

J’en profite également pour discuter avec certains, car c’est le genre de moment où l’on peut être dans un échange individuel et informel. Je vais également parler avec le staff médical, affiner avec le préparateur physique pour la séance du lendemain, et voir le monteur vidéo pour que tout soit en place. À ce moment, nous avons une bonne idée de la stratégie et de l’équipe qui jouera même si elle ne sera annoncée que plus tard. De mon côté, je n’aime pas laisser les joueurs dans une certaine routine, mon fonctionnement peut donc changer en déléguant ou en prenant en charge la séance afin de rebooster le groupe. Il faut sans cesse les stimuler dans une bonne ambiance comme me l’avait appris Rolland Courbis, en faisant par exemple des petits exercices de vivacité en équipe afin d’avoir une bonne ambiance, se chambrer, etc. Un groupe qui est performant c’est un groupe qui vit.

Le vendredi, la séance ne doit pas pomper de l’énergie donc j’insiste souvent sur du jeu réduit pour impulser de la tonicité. Nous faisons une mise en place suivant l’étude de l’adversaire, entrecoupé de correctifs sur les phases de jeu afin de bien mettre en condition les joueurs. Bien évidemment, la préparation des joueurs à l’adversaire a commencé dès le début de semaine, mais déguisée sous forme de jeux.

D’ailleurs afin que tout le monde reste concentré, j’aime faire ces exercices avec 3 onze différents. Il ne faut pas qu’il y ait le moindre joueur qui puisse se dire qu’il n’est pas concerné par le match.

L’ANALYSE VIDÉO, UN OUTIL ESSENTIEL

J’aimerais parler aussi de l’analyse vidéo qui revêt une importance particulière aujourd’hui. J’ai une personne spécifique dans mon staff qui s’en charge et logiquement j’aime quand le montage est prêt en début de semaine. De mon côté, j’ai regardé quelques matchs du futur adversaire, et sorti quelques thèmes dont je parle à mon monteur. Il mettra alors en avant 3 points faibles et 3 points forts de l’adversaire, où sont marqués les buts, comment se déroule les CPA, etc.

Selon l’état de mon groupe, je peux décider de leur montrer quelques bouts pendant leurs soins, je peux également supprimer cette session si j’estime que nous devons nous consacrer sur nous-mêmes.

En général, nous montrons l’analyse vidéo aux joueurs soit le vendredi, soit le samedi matin tout dépend si le match se joue à domicile ou à l’extérieur et de l’horaire.

Ces outils sont plus ou moins poussés selon le niveau, je me souviens que lors de notre participation à l’Europa League avec le FC Sion, nous avions pu donner un bloc-notes avec les spécificités de Liverpool à chaque joueur, ainsi qu’une clé USB qui contenait un montage particulier (sur la ligne offensive adverse pour nos défenseurs, etc.).

Vient enfin le samedi, jour de match. J’annonce alors le groupe qui jouera après la collation et j’ai l’habitude de parler en premier à ceux qui sont remplaçants, car ce sont des mecs qui ne sont pas contents d’être sur le banc et heureusement. C’est eux qui peuvent aussi nous faire gagner en fin de match, il faut donc les garder sous pression.

Causerie d'avant match - Finale Coupe de Suisse 2015 (FC Sion)

Je rappelle les 3 points principaux offensifs et défensifs pendant la théorie et je finis par un discours fédérateur qui ne dure pas longtemps. Pour une causerie d’avant-match, l’écoute sera nulle pour tout propos au-delà de 12-15min. J’aime finir sur une intonation différente selon les situations, que ce soit rassurante lors des périodes compliquées ou motivante, voir même provocante avec eux. Dans tous les cas, ce discours que je mets 2/3h à préparer est unique et je ne le ressortirai jamais pour un autre match. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et les médias vous ne pouvez pas vous louper avec votre groupe, il faut donc être bien préparé.

Ensuite, je n’interviens pas avant la fin de l’avant-match et de l’échauffement, et au retour je reprends un peu mon groupe en main, mais je ne leur parle pas sans cesse, certains silences marquent autant qu’un discours. Je me rapproche aussi de mes cadres, de mon capitaine si besoin pour faire passer des messages.

3 FAÇONS D’INFLUENCER LE COURS D’UN MATCH

Lorsque débute le match, même si je ne suis quasiment jamais assis, je me dois de donner une image de sérénité et de confiance pour les joueurs. J’analyse le match, je dis ce que j‘ai à dire, mais il faut laisser les joueurs respirer quand ils sont sur le terrain. On intervient par petites touches, car au bout d’un moment vous allez être inaudible. En plus, normalement nous avons anticipé beaucoup de situations pendant la semaine, si nous changeons de système en cours de match, tout le monde est prêt.

Vient ensuite la mi-temps, où je vais d’abord laisser les joueurs se reposer tranquillement 3-4 minutes, car ils sortent d’un effort. J’en profite pour discuter avec mon staff et ensuite j’interviens sur quelques points très concis, ce moment doit nous servir pour performer. Le ton dépend des situations et j’use souvent de silence pour regagner l’attention des joueurs.

Pendant le match, un entraîneur a 3 facteurs pour changer le cours d’un match : les remplacements, le bloc équipe et l’aspect tactique. Nous sommes souvent jugés sur les remplacements après le match, alors qu’un coach n’a que 2 min pour prendre sa décision qui se base sur la semaine et le match en cours. Il peut se trouver que le joueur n’est pas dans un bon jour et ainsi passe au travers. Notre position sur le terrain est aussi primordiale, bloc haut, médian ou bas selon le déroulement du match et la tactique proposée par l’adversaire.

À la fin du match, il faut forcément avoir un mot, mais pas sous la précipitation. Il faut savoir contenir ses émotions, car on est soit dans un constat positif soit d’échec. Bien sûr qu’en cas de victoire il se passe quelque chose entre les joueurs, et vous y participez, car vous faites partie de ce groupe-là. Derrière, il n’y a pas de règle pour le décrassage qui s’effectuera le lendemain ou le surlendemain. Je laisse souvent cette partie à mon adjoint, et je me porte auprès des joueurs qui n’ont pas joué, car c’est important de les garder concernés.

Dans tous les cas, la remise en question avec le staff doit se faire dès la fin du match. Je regarderais ensuite à nouveau des images du match afin d’être le plus juste possible dans ma critique positive ou négative des joueurs. L’homme ne m’appartient pas, mais le sportif oui. Je suis aux commandes, donc je dois lui dire ce qui va ou pas.

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Le métier de coach a forcément évolué, nous devons parler avec la main devant la bouche par exemple avec cette frénésie des réseaux sociaux et des médias. De plus, la communication avec la presse est particulière. Dans la vie courante, aucun chef d’entreprise n’a à étaler sur la place publique ce qu’il pense de ses salariés ou de sa société. Pourtant c’est ce qu’on demande à un entraîneur, donc il ne faut pas faire de langue de bois en indiquant la prestation réelle du groupe ou de soi-même, mais si j’ai quelque chose à dire à un joueur ce ne sera pas en conférence de presse, mais en face de lui.

Les joueurs ont également évolué, avant il fallait plus de temps avant d’être reconnu, aujourd’hui après deux performances, certains s’enflamment trop vite souvent à cause des agents. J’apprécie d’ailleurs beaucoup la rotation et l’évolution positive du coach d’Amiens, Christophe Pélissier, qui s’occupe très bien de son groupe.

De mon côté, après 2 bonnes saisons au FC Sion ponctuées par une victoire en Coupe de Suisse et une participation à L’Europe League, j’aimerais retrouver le terrain. J’ai eu quelques propositions, mais j’ai préféré ne pas les accepter, car je cherche à avoir quelque chose qui me corresponde vraiment. Une équipe qui un potentiel pour regarder vers le haut, que ce soit en France ou à l’étranger. Je me sens prêt.

DIDIER

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