Le Tour de France a débuté sa deuxième semaine et entre encore un peu plus dans le vif du sujet. En plein cœur des Alpes, le peloton va enchainer deux étapes de montagne décisives. Au programme, deux arrivées au sommet avec les ascensions du Granon (11,3km à 9,2%) et de l’Alpe d’Huez (13,8km à 8,1%) qui devraient faire de grosses différences entre les derniers prétendants au maillot jaune. Des juges de paix assez exigeants pour que la bataille n’ait pas lieu plus tôt dans l’après-midi ? Le parcours est alléchant – Galibier (via ses deux versants), Croix-de-Fer – et nos yeux innocents rêveraient d’y voir plantées des banderilles de cadors loin de la ligne d’arrivée. Ca n’est pas si simple… Tour de France 2022 étape 11
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Tour de France 2022 étape 11 – « Il y a beaucoup d’énergie à perdre »
Pour Thierry Gouvenou, directeur technique du Tour de France, « la sélection aura lieu à n’en pas douter » dans le Galibier (dont le sommet se situe à 45km de l’arrivée). Mais un bémol se présente à ses yeux pour voir des attaques dès ce géant du Tour : « Ce sera malgré tout la première grosse étape de montagne, donc je vois mal des grimpeurs tout tenter dans le Galibier, à moins qu’ils soient très loin au général à cause de la première semaine ».
Pour lui, essayer d’avoir un coup d’avance au pied du Granon demanderait beaucoup d’efforts, et pas seulement dans l’ascension du Galibier : « La descente du Galibier vers Briançon n’est quand même pas si rapide que ça, il y a beaucoup d’énergie à perdre ». Lui-même pas convaincu d’une telle tentative de loin – « Il y aura moyen de s’expliquer rien que dans le Granon » – Gouvenou ne voit qu’une solution pour effectuer un tel coup : « Il faut être sur d’avoir un équipier sur lequel retomber rapidement dans la descente. Autrement, c’est aller au massacre ».
Demain, l’étape à destination de l’Alpe d’Huez ne facilitera pas non plus les attaques lointaines, dans le long col de la Croix de Fer (29 bornes, sommet situé à 55km de la ligne) puisqu’au pied de la descente, la grosse quinzaine de kilomètres de vallée pour rejoindre Bourg d’Oisans est souvent propice aux regroupements.
Une possibilité dans les Pyrénées ?
Malgré tout, Thierry Gouvenou imagine une possibilité d’assister à des attaques lointaines dans l’ultime étape pyrénéenne de cette édition : « Je peux vous dire que celui qui veut mettre le bordel sur l’étape qui arrive à Hautacam, s’il a les jambes dans l’Aubisque, il n’a pas besoin d’équipier. Pour moi, c’est hyper propice à des attaques et des défaillances. Nous l’avons dessiné pour pouvoir rattraper beaucoup de temps. J’ai très envie de voir ce que va donner l’enchainement Aubisque (à 57km de l’arrivée)-Spandelles (à 33km de l’arrivée)-Hautacam ».
retrouvez l’interview complète de Thierry Gouvenou (décembre 2021) ICI
Attaquer de loin sur le Tour de France nécessite un bon nombre d’ingrédients. Le panache en est un certain : sortir du groupe des favoris quand le profil indique encore plusieurs difficultés au programme demande un degré de confiance en soi et en son corps important. Il ne faut pas avoir peur de renverser la course quitte à ce que ce soit à ses dépens. La position au général implique la probabilité d’être suivi dans son aventure. On reconnaît alors l’offensive selon qu’elle est éperdue, symbolisant un dernier baroud d’honneur, ou qu’elle est convaincue, en quête d’écraser le Tour de France.
Tour de France 2022 étape 11 – Certains l’ont fait
Dans cette dernière catégorie, les deux derniers lauréats du Tour de France ont remis au goût du jour les attaques lointaines. En 2019, Egan Bernal a assommé la course un jour d’apocalypse, lançant l’offensive dans l’Iseran à 43 kilomètres de l’arrivée. Il lui restait alors six bornes à escalader pour atteindre le sommet de la Grande Boucle, une descente irrégulière à avaler avant de s’attaquer à l’ascension finale vers Tignes (7,4km à 7%). Le Colombien volait vers la victoire avant que l’étape ne soit interrompue en raison d’un orage de grêle. Cela ne l’empêchait guère de revêtir le maillot jaune. Bernal était parti pour un numéro d’exception car il avait d’ores et déjà relégué Thomas et Kruijswijk à une minute au sommet de l’Iseran.
L’an passé, Tadej Pogacar se montra impatient de retrouver la toison d’or. Dès la 8e étape, la première de montagne à destination du Grand-Bornand, là aussi dans des conditions dantesques, le Slovène sortit, seul, du peloton. A 32km de la ligne, il lui fallait encore gravir la deuxième moitié du col de Romme, puis le col de la Colombière, dans un effort solitaire de plus d’une heure impressionnant de puissance. Déjà le mieux placé des favoris au matin de l’arrivée dans les Alpes, il écrasa littéralement la concurrence en reléguant les Vingegaard, Carapaz ou Uran à 3’20’’. Des écarts d’un autre temps.
Des efforts pas toujours récompensés
Mais la liste des récentes attaques de loin ne compte pas que des franches réussites. Il y a cinq ans, déjà à destination de l’Alpe d’Huez, Steven Kruijswijk décide de prendre l’échappée. Le Néerlandais est 6e du général (à 2’40’’ de Geraint Thomas) mais son collègue Primoz Roglic le devance (5e, à 2’23’’). Au pied de la Croix-de-Fer, Kruijswijk est maillot jaune provisoire. Il se sent pousser des ailes et part, seul, dans le premier tiers de cette longue ascension, à 73 bornes de l’arrivée. Au sommet, il est leader virtuel pour plus de trois minutes. Mais le peloton accélère.
La vallée jusqu’à Bourg d’Oisans coûte cher au Hollandais, qui conserve quatre minutes au pied de l’Alpe d’Huez. Avant la mi-pente, il n’est plus leader virtuel et son rythme s’affaiblit. Il cède plus de 30 secondes par kilomètre et est repris par Geraint Thomas à plus de 3km de la ligne. Le Néerlandais perd 53’’ sur le maillot jaune et même deux places au général, Roglic sortant en clair leader sa formation.
Lors de la même édition 2018, Mikel Landa (7e à 4’34’’) et Romain Bardet (8e à 5’13’’) tentèrent leur chance de très loin lors de l’ultime journée de montagne. Dès le Tourmalet, à plus de 100km de l’arrivée, alors qu’il reste trois ascensions jusqu’à l’Aubisque, ils rejoignent l’échappée. Mais le peloton roule fort. Dans le Soulor, Roglic et Dumoulin tentent le tout pour le tout pour renverser Geraint Thomas, et les fuyards sont repris à 21km du but. Landa et Bardet récupèrent une place au général.
Avant, des coureurs moins formatés ?
Se plonger dans les dernières attaques de loin sur le Tour de France nécessite malgré tout de faire appel à des coureurs peut-être moins formatés, capables d’un numéro de grande classe à tout moment. En fin de carrière en 2017, Alberto Contador avait tenté une folle échappée vers Serre-Chevalier. Dans la Croix-de-Fer, à 125km du terme et avec le duo Télégraphe-Galibier à avaler, le Pistolero se jeta dans l’inconnu. Relégué assez loin au général, il n’imagine jamais pouvoir renverser le Tour – l’écart ne dépassa jamais les 4 minutes (il en comptait 7 de retard sur Froome) – et fut finalement repris au sommet du Galibier. Mais il récupéra deux positions au général (9e) et agrandit s’il en était besoin son aura et son panache.
Vincenzo Nibali fit tout aussi fort, deux ans auparavant. Le Requin de Messine, 7e à plus de 8 minutes de Froome au matin de la 19e étape vers La Toussuire, décide de faire all-in sur cette journée courue dans le massif des Arves. Dès le col du Chaussy, il passe à l’attaque avec Contador, sans réussite. Dans la Croix-de-Fer, il retente à plusieurs reprises. A 59 bornes de l’arrivée, c’est la bonne, alors que Froome est retardé par un incident mécanique. Le champion d’Italie se lance dans la descente et retombe sur Pierre Rolland, échappé matinal. Il le lâche rapidement et réalise une superbe ascension. Au sommet, il a repris plus d’une minute au maillot jaune, 2’30’’ à ses concurrents directs : il grappille trois positions et fête sa victoire d’étape avec une 4e place au général.
Schleck, la plus belle ?
Comment ne pas évoquer les attaques de loin sans parler de la plus belle ? Bien inspiré par l’édition 2010 durant laquelle il assomma la course avec Alberto Contador en s’enfuyant à 40km de l’arrivée de l’étape 9 dans le col de la Madeleine, Andy Schelck s’essaya en solitaire un an plus tard. Dans un Tour encore ouvert à trois jours de l’arrivée car mené par l’inattendu Thomas Voeckler, le Luxembourgeois prend le manche dans le col d’Izoard. Au moment de son attaque, il reste 61km à parcourir, un bon morceau d’Izoard et le Galibier.
Les circonstances sont favorables, il retombe sur Maxime Monfort, mais il est surtout en très grande forme. Seul face au peloton dans l’ultime ascension, il voit son avance virtuelle au général croitre jusqu’à ce que Cadel Evans imprime le tempo. Schleck s’écrasa dans les derniers hectomètres et laissa la tunique jaune à Voeckler pour 15 secondes. Le lendemain, c’était au tour de Contador de mettre le feu aux poudres avec une offensive inoubliable, à près de 100km de l’arrivée, qui allait renverser cette Grande Boucle. Y aura-t-il une attaque de loin sur cette édition 2022 ? Parole aux coureurs !
retrouvez en vidéo cette mythique étape 19 du Tour de France 2011 ICI
Tour de France 2022 étape 11