Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Aujourd’hui c’est Corentin Seguy, champion de Karaté qui nous raconte sa passion pour son sport et ses ambitions olympiques. Ce sport de combat originaire d’Okinawa (Japon) arrive pour la première fois aux Jeux Olympique de Tokyo 2020, une symbolique importante pour tous les pratiquants. (Crédits photo : Leila Fenane)
C’est à 4 ans que j’ai découvert le karaté à Brignoles. Ce sont mes parents qui m’y ont mis afin de me canaliser via le sport mais aussi pour m’apprendre à me défendre.
J’ai fait d’autres sports bien-sûr comme le handball, mais c’est pour le karaté que j’ai eu une vraie passion dès le début. Mon père était footeux, pourtant ce n’était pas une histoire de famille même si par la suite ma petite sœur s’est également mise à pratiquer le karaté. On s’aide d’ailleurs beaucoup maintenant.
Plus jeune, je regardais beaucoup de vidéos d’Alexandre Biamonti (qui a remporté de nombreuses médailles aux Championnats d’Europe et du Monde), je l’admirais beaucoup et il est d’ailleurs devenu mon entraîneur par la suite.
Mon ascension jusqu’au haut-niveau s’est faite petit à petit. J’ai commencé par une pratique de loisir comme tout le monde. J’ai commencé à me prendre au jeu avec mes premiers combats. Par contre j’étais bien moins adepte des katas. À Brignoles je m’entraînais 3 fois par semaine avec un plaisir croissant. J’aurais pu en faire plus et j’en avais l’envie.
J’ai donc voulu passer au niveau supérieur et trouver quelque chose pour m’améliorer. Je suis alors parti à Marseille, à 16 ans dans le club de mon idole, Alexandre Biamonti. Et c’est vrai que c’est en allant m’entraîner dans ce nouveau club que je me suis vraiment dit que j’allais tout donner pour ce sport pour arriver le plus haut possible.
Je faisais 2h de route aller-retour pour m’entraîner avec lui, c’était un investissement personnel important et je le faisais forcément pour avoir des résultats derrière. C’est mon père qui m’emmenait, ainsi que ma sœur Charline. Mon père est responsable d’une trentaine de boulangeries donc pour lui aussi c’était un investissement et rien que pour ça je me devais de me donner à fond.
Ça fait maintenant 6 ans qu’on travaille ensemble avec Alexandre. Notre collaboration se passe très bien, il m’a permis de connaître mes premières sélections en junior, et je n’ai plus quitté l’équipe de France depuis, jusqu’en sénior aujourd’hui. Nous sommes tous les deux de vrais passionnés, c’est sans doute la clé de notre relation aujourd’hui.
La symbolique du karaté m’a toujours fasciné. C’est un art martial avec les valeurs de respect qu’on lui connaît. De plus c’est un sport ou il y a énormément de paramètres qui rentrent en compte, de la technique à l’analyse, de l’adversaire au physique, il faut être très affuté.
ÊTRE KARATÉKA DE HAUT-NIVEAU
Mon statut dans le karaté n’est pas professionnel. Je travaille donc dans l’entreprise familiale. Il faut donc s’adapter, car l’entraînement prend beaucoup de temps.
Mon style de karaté est orienté dans la contre-attaque. J’aime bien quand l’adversaire me met un peu la pression et que je démarre d’un coup pour le surprendre. Soit j’attends qu’il démarre pour le sanctionner derrière, soit je le prends en surprise en démarrant en premier lorsqu’il avance vers moi.
Une de mes plus grandes forces est ma détermination, je sais ce que je veux et je fais tout pour y arriver. Ma famille est très présente et m’aide énormément. Je sais que je dois encore travailler sur un de mes points faibles qui est la confiance en soi et c’est en gagnant des combats importants que ça arrivera.
Une préparation inclut beaucoup de composantes. Nous faisons du physique, de la technique, de la tactique, de l’analyse vidéo et de la préparation mentale.
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Toutes les semaines nous avons 3 ou 4 entraînements physiques, et en plus de ça il y a les entraînements de karaté qui sont journaliers. Il y a plusieurs cycles, pour vous donner une idée en ce moment je suis en cycle de force car je suis en projet olympique. Je suis une semaine sur deux à Châtenay-Malabry, le centre d’entraînement olympique pour le karaté. Nous devons travailler tous les aspects du physique, donc la force, l’explosivité, la souplesse, la proprioception également et le cardio bien sûr.
Depuis le début de l’année, je travaille également avec un préparateur mental. Je pense que c’est devenu nécessaire, nous avons vu les bienfaits dans d’autres sports et pour moi cela est bénéfique. On travaille sur le contrôle des émotions avant et pendant le combat, sur la façon de trouver des solutions pendant ce laps de temps par la réflexion et l’analyse.
La vidéo est vraiment devenue indispensable. Tous les combats sont filmés, donc cela nous permet de vraiment bien analyser les adversaires. Les athlètes du ranking WKF sont connus, je peux vraiment m’appuyer sur cet outil pour dénicher leurs failles et leurs points forts.
Pour mes combats et mon karaté, c’est aussi un outil important qui me permet de voir les actions positives ou négatives de ma part pendant un combat. On met le doigt sur plein de petits détails qu’on peut par la suite travailler dans les séances d’entraînement. J’aime avoir l’avis de plusieurs personnes, on ne voit pas tous les mêmes choses et c’est un plus pour vraiment ne rien manquer dans l’analyse.
VAINQUEUR DE LA COUPE DE FRANCE
Pour la coupe de France, c’est une compétition qui tombe bien, car c’est la première de la saison, du moins la première grosse échéance au sortir de la préparation annuelle. C’est une compétition de prestige où il faut marquer les esprits pour montrer qu’on est le leader de la catégorie.
Dans notre sport, chaque combat est à élimination directe lors d’un tournoi. C’est donc une pression, mais on a appris à la gérer depuis les catégories jeunes. Les têtes de séries sont généralement séparées donc ça nous laisse un peu de temps pour nous mettre vraiment dans la compétition. Les individuels se passent sur un jour, c’est assez intense aussi bien physiquement que mentalement.
Par exemple lors de la dernière édition, j’ai fait 5 tours plus la finale. Le tout en quelques heures. Mais je gère cela en fonction de ma forme du jour. Il y a des années où je me sentais super bien, je n’avais pas trop besoin de gros moments de récupération, je restais dans ma bulle en attendant le prochain combat. D’autres fois où je me sentais fatigué, comme cette année pendant les trois premiers tours où je ne me sentais pas au top physiquement, mon corps était trop contracté et j’avais du mal à me détendre. Ce jour-là, j’ai donc mis en place ce que j’avais travaillé pendant les séances de préparation mentale, j’active des choses et je mets mon cerveau en “état de vigilance” pour arriver à dépasser tout ça.
En 2016 quand j’ai gagné mon titre, je me sentais bien dès le matin. C’est vrai que dès le premier combat, on sent si on est dans une bonne journée ou si on va devoir aller chercher au fond de soi-même et se dépasser. La force de caractère joue beaucoup.
Mon combat en finale l’année dernière je l’ai vraiment maîtrisé. J’étais très déterminé après ma demi-finale. Je combattais contre Lou Lebrun que je connaissais bien, car on se rencontrait déjà en espoir. C’était toujours des matchs tendus entre nous, on gagnait chacun notre tour. Cette fois-ci, ma technique a un peu mieux fonctionné, j’étais peut-être un peu plus dedans aussi. Je n’ai pas pris de points et j’ai gagné 5 à 0. J’avais analysé mon adversaire et j’ai réussi à mettre en place ma tactique.
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C’était vraiment une fierté, car c’était la deuxième fois que je la gagnais après celle de 2015. Après une journée avec 5 ou 6 combats, c’est vrai que c’est un soulagement. On ne peut cependant pas trop le fêter, car par exemple en 2016 on combattait en équipe le lendemain.
On repart vite à l’entraînement, car c’est le début de la saison et il y a de grosses échéances derrière avec notamment les premiers leagues pour les points WKF.
LES JEUX OLYMPIQUES EN LIGNE DE MIRE
Cette année en finale j’ai retrouvé Logan Da Costa, que j’ai côtoyé en équipe de France et avec qui nous avions fait champion d’Europe et 3ème au Championnat du monde. Je n’avais pas d’appréhension, on se rencontre souvent, on se tire la bourre au niveau du classement WKF et on est en projet olympique tous les deux. J’ai fait une bonne entame en prenant l’ascendant, mais au fil du combat j’ai fait quelques erreurs stratégiques qui m’ont couté la victoire. Je ne pouvais pas être fier de cette deuxième place notamment parce que je perds sur un fil la finale. C’est vraiment la déception qui prend le dessus et j’avais un peu de frustration sur ces erreurs stratégiques.
Je me suis vite remis et cette défaite va me servir, je l’ai analysée et ça va m’aider à progresser.
Mes ambitions sur 2018 vont être de monter au classement mondial WKF, je suis 11ème actuellement et mon but est de devenir numéro un. Il faut que je progresse et que je gagne des points dès que j’en ai l’occasion. J’ai un programme avec mon coach avec des blocs à chaque fois. Je commence avec l’Open de Paris fin janvier.
L’objectif à moyen terme est bien sur les JO 2020.
Ce sera la première fois que notre sport sera aux JO donc c’est symbolique, d’autant plus que cette première se déroulera dans le pays d’origine du Karaté. Ça a toujours été un souhait et un rêve de voir notre sport faire partie de la plus belle des compétitions sportives. Je fais d’ailleurs partie d’un groupe d’une quinzaine de karatékas pour le projet olympique, avec des entraînements au centre national à Chatenay, un programme spécifique, des infrastructures et des personnes mises à disposition.
Me concernant c’est vraiment l’objectif majeur. Avec mes performances des dernières années je peux y prétendre, il n’y aura cependant qu’un seul français en lice dans ma catégorie. La lutte s’annonce serrée, cela se jouera notamment avec Logan Da Costa. Le premier au classement WKF sera qualifié, donc il faut engranger le maximum de points sur les compétitions jusqu’à décembre 2019. Je pense aussi à Paris 2024, qui sera aussi un objectif sachant que je n’ai que 22 ans.