YANN KERMORGANT : VAINCRE LA LEUCÉMIE ET JOUER EN PREMIER LEAGUE

Après un début de carrière mouvementé en France, l’attaquant breton Yann Kermogant a trouvé son eden footballistique en Angleterre. Découvrez son histoire émouvante, de sa lutte pour vaincre la leucémie durant son adolescence jusqu’à la consécration de jouer dans le meilleur championnat du monde, la Premier League
Yann Kermorgant
(c) Reading FC
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Après un début de carrière mouvementé en France, l’attaquant breton Yann Kermogant a trouvé son eden footballistique en Angleterre. Découvrez son histoire émouvante, de sa lutte pour vaincre la leucémie durant son adolescence jusqu’à la consécration de jouer dans le meilleur championnat du monde, la Premier League (Crédit photo : Reading FC)

J’ai grandi en Bretagne, à Vannes. J’ai commencé le foot en club très tôt, à 5 ans, à l’ASPTT de Vannes. Rapidement ce sport est devenu une passion, et le fait d’avoir quelques aptitudes m’ont vite fait rêver à devenir un grand joueur comme ceux que je voyais à la télé. J’ai joué ensuite dans le deuxième club de ma ville, l’AS Ménimur, dans toutes les catégories jeunes jusqu’en catégorie -13 ans.

En janvier 1996, à l’âge de 15 ans j’avais signé depuis quelques mois au Stade Rennais mais je me sentais fatigué, tout effort devenait de plus en plus difficile. Je pensais au départ que c’était dû au changement de rythme, avec une nouvelle école et un nouveau club. C’était plus exigeant, mais je ne m’en inquiétais pas plus que cela, je pensais que j’allais m’y faire. Les semaines passaient et cela devenait de pire en pire. Je continuais à le cacher, car à cet âge-là tous les enfants galopent et sont pleins d’énergie, et si tu es différent tu te sens mis de côté. Puis un jour je suis allé faire une détection à Ploufragan pour l’équipe de Bretagne, je n’y arrivais plus sur le terrain, je n’avais plus de souffle et en rentrant au vestiaire j’ai eu très mal à la tête. Mes parents étaient encore sur place, ils ont vu que mon front était bouillant et ils m’ont tout de suite emmené chez le médecin. J’avais plus de 40° de fièvre et vu mon état, j’ai immédiatement fait des examens.

Le verdict est tombé, j’étais atteint par une leucémie.

AVOIR LA LEUCÉMIE A 15 ANS

À cet âge-là, on ne se rend pas forcément compte de la gravité, et je vous avoue que j’ai aussi rayé inconsciemment pas mal de choses de ma mémoire. Mais c’est vrai que ma préoccupation à ce moment était surtout que mon rêve de devenir footballeur était remis en question, le reste je ne réalisais pas vraiment. Et c’est d’ailleurs ce qui m’a peut-être aidé dans l’appréhension de ma maladie, le fait de ne pas trop penser à l’autre point important qui était de rester en vie malgré cela.
J’ai donc été hospitalisé pendant un moment. Les soutiens sont importants dans ces moments-là. J’avais ma famille et mes proches, mais je n’ai pas eu de nouvelles du Stade Rennais, à part une personne de ce club, j’ai eu l’impression qu’on me laissait tomber. C’est un des aspects négatifs que je garde encore un peu en travers de la gorge.

Mon premier traitement a tout de même duré 8 mois, avec la chimiothérapie en perfusion directement à l’hôpital. Ensuite j’ai eu un an et demi de chimio en comprimé. Pendant ces moments le foot semblait bien loin, j’avais déjà du mal à monter quelques marches alors courir sur un terrain ne me traversait même plus l’esprit. Et bien sûr les docteurs ne me donnaient pas d’illusions. Mon combat au quotidien était d’essayer d’aller mieux et de marcher normalement.

BEST OF YANN KERMORGANT

Quelques mois plus tard, j’avais quasiment terminé mes traitements, je me sentais vraiment mieux, et j’ai essayé de retaper un peu dans le ballon. Malheureusement j’ai eu d’autres soucis liés à mes chimios, des ostéonécroses osseuses aux genoux (mort d’une partie de l’os par arrêt de la circulation à son niveau), cela abîmait mon cartilage de croissance, donc j’ai été en fauteuil roulant et là un spécialiste m’a dit que si un jour j’arrivais à faire quelques passes dans le jardin avec des copains ce serait un exploit.

Ce fut un coup dur, comme un deuxième coup de massue.

Pendant toute ma seconde au lycée, j’étais en fauteuil roulant et ce n’était pas un moment très facile, mais j’ai continué avec l’ambition d’aller en fac de sport.

 LE PREMIER JOUR DU RESTE DE MA VIE

Au final, après deux années j’ai pu remarcher normalement, j’ai repris la course petit à petit. Je me sentais de mieux en mieux donc j’ai demandé si je pouvais reprendre l’entraînement avec mon ancien club, l’AS Ménimur. Avec leur aval j’ai donc refoulé la pelouse avec bien sûr beaucoup de prudence, et des difficultés, mais c’était un sentiment indescriptible. Je mettais 5 minutes à faire un tour de terrain pendant que mes coéquipiers en mettaient une, j’exagère, mais voilà j’étais déjà heureux d’être là et je profitais au maximum. Je ne pensais plus à devenir footballeur et j’étais conscient de ce que j’avais enduré donc à ce moment-là je profitais de la vie, je sortais les weekends, je jouais le dimanche avec mes copains et tout allait bien.

Par la suite, je suis parti étudier à Rennes, en STAPS. J’avais pour but de devenir éducateur sportif. Côté foot, l’entraîneur de l’AS Ménimur (Régional 3) attendait beaucoup de moi et je ne pouvais pas vraiment le lui offrir à cause de ma condition. Je me suis retrouvé à jouer en équipe B, en première division de district. J’ai même failli basculer vers le rugby car j’avais quelques copains qui y jouaient. Finalement Stéphane Le Mignan (qui a amené le VOC en Finale de Coupe de la Ligue 2009) qui était l’entraîneur de la réserve du VOC en DH, m’a appelé en me disant qu’il voulait que je sois un des piliers de son équipe. Étant dans une période de doute à Ménimur je me suis dit pourquoi pas tenter ma chance, Vannes était le gros club de la région et c’était un beau challenge. Et là après avoir intégré le club, à moins d’une semaine de la reprise de l’équipe 1 en CFA, je reçois un coup de téléphone pour me dire que je reprends avec eux. On était en plein été, j’en profitais et je sortais un peu, je n’étais pas du tout prêt physiquement bien entendu. Le premier entraînement a été un peu difficile, je me souviens que nous avions fait du physique et il y avait trois groupes, un avec tous les joueurs de champs devant, un avec les gardiens au milieu, et puis moi, fermant la marche. Je n’ai pas dû faire bonne impression ce jour-là !

Mais c’est vrai que le fait de reprendre avec la CFA, j’étais encore jeune et cela m’a fait reprendre un petit espoir pour jouer pro. Le niveau était correct donc je me disais que si j’arrivais à m’imposer, “tout” était possible, on sait que tout peut aller vite dans le football.
J’ai ensuite signé à Châtellerault toujours en CFA, mais dans une meilleure structure. Je me suis dit qu’il me fallait un an dans un autre endroit, loin de ma famille et mes copains pour me consacrer uniquement au football et voir où cela me mène. Je m’étais dit que c’était quitte ou double à la fin de cette année. À la fin de la saison, je suis contacté par Grenoble en Ligue 2 où je signe finalement mon premier contrat pro. Je joue deux ans et je pars ensuite à Reims, Luis Fernandez est arrivé en tant qu’entraîneur et m’a nommé capitaine. Ça m’avait donné de la confiance et c’était une super collaboration avec lui.

FIGHTING SPIRIT

Pendant ces années et encore maintenant je n’ai jamais vraiment évoqué ma maladie avec mes coéquipiers. Je ne l’ai jamais caché si quelqu’un me demandait, mais en aucun cas je ne voulais m’en servir pour que les gens s’apitoient sur mon sort. Ça fait et fera toujours partie de moi, mais ce n’est pas lié à ma carrière de footballeur donc je n’ai jamais eu besoin d’en parler, je veux être considéré comme un joueur normal. Mais c’est vrai qu’au tout début, chaque année ou avant chaque signature je me posais des questions avec une espèce d’épée de Damoclès au-dessus de ma tête. On m’avait dit que je ne rejouerai plus et j’avais peur d’avoir de nouveaux problèmes aux genoux. Finalement j’ai aujourd’hui 35 ans et je suis encore là à jouer tous les weekends.

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Je joue en Angleterre maintenant. Ma première expérience ici était en 2009. Suite à une bonne saison à Reims j’avais quelques contacts en Ligue 1 et c’était d’ailleurs clairement mon objectif. J’avais déjà un âge avancé pour un joueur de Ligue 2 et je pense que cela a effrayé quelques clubs. Valencienne avait de l’intérêt pour moi, et notamment le coach Montanier qui me connaissait depuis un moment. Je prends donc le train pour aller signer mon contrat, et une fois assis dedans je reçois un coup de téléphone du coach qui me dit que Pujol (l’attaquant titulaire à ce moment) vient de se blesser. Ils doivent donc recruter un joueur qui a déjà de l’expérience en Ligue 1. Samassa arrive alors en prêt de Marseille et le club me dit que financièrement ils ne pourront pas recruter un autre joueur.

Le rêve se brise une fois de plus. Je me demandais même si c’était une caméra cachée.

Vers la fin de l’été, je signe à Leicester en seconde division anglaise. Un nouveau championnat, un nouveau pays, une nouvelle culture. J’entame ma huitième saison en Angleterre et je m’y plais. J’ai vécu plein de beaux moments, notamment avec les deux titres de Championship (avec Charlton et Bournemouth).
On connaît tous le foot anglais, cette ferveur, comment ne pas se sentir heureux quand tout un stade clame ton nom.

J’ai eu l’occasion de goûter à la Premier League également. Je me dis que je peux peut-être y goûter à nouveau, malgré mon âge avancé j’ai encore de l’ambition.

Je peux dire que je suis fier de mon parcours, j’ai toujours été droit dans mes bottes, j’ai toujours donné le maximum et je suis heureux de ce que j’ai fait.
Quand je repense à ces moments de chimio, je me dis que mon entourage m’a beaucoup aidé, je leurs dois beaucoup et c’est vrai que tout ça m’a permis aussi de me souvenir d’où je venais quand je suis devenu pro. Ça m’a permis de garder les pieds sur terre et de relativiser sur ce qu’on fait, en restant humble. C’est une passion plus qu’un travail donc je suis privilégié.

Jusqu’à présent j’ai toujours eu un peu de mal à retourner dans les hôpitaux, on le fait tous les ans avec les équipes ici en Angleterre, pour donner des cadeaux aux enfants malades, mais je n’ai jamais été à l’aise. Mais un de mes objectifs quand j’aurais arrêté ma carrière est de me rendre utile pour la lutte contre la leucémie, cela me tient à cœur et je verrais ce que je peux faire pour soutenir et aider les enfants qui traversent ce que j’ai pu endurer.

On sort radicalement changé d’une épreuve comme celle-ci, on prend plus de recul, on relativise beaucoup. Avec un peu plus de caractère aussi, car on endure quelque chose de lourd et on se bat au quotidien. C’est un réflexe de survie, mais je pense que d’avoir un but dans la vie, même juste un objectif à court et moyen terme aide dans ces cas-là, aide beaucoup. Ce serait mon conseil aux parents et enfants qui sont dans cette situation. Il faut du soutien, et des petits challenges accessibles pour avoir du positif de temps en temps. Et garder en tête que d’autres personnes s’en sont sorties, donc vous pouvez aussi !

YANN

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