RONALD POGNON : LE SPRINT, CETTE DISCIPLINE SI FASCINANTE

Premier français descendu sous la barre des 10 secondes sur 100m, l’ancien sprinteur Ronald Pognon revient avec ses mots sur sa carrière et ce moment d’apothéose en 2005. À jamais le premier.
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Premier français descendu sous la barre des 10 secondes sur 100m, l’ancien sprinteur Ronald Pognon revient avec ses mots sur sa carrière et ce moment d’apothéose en 2005. À jamais le premier.

Mon rêve était d’être footballeur. Je suis devenu sprinteur.

J’ai commencé à vraiment m’intéresser à l’athlétisme en 1996. Je me souviens de la finale olympique du 100m et des deux faux départs  du champion en titre, Lindford Christie. Mon père m’avait expliqué que cet athlète s’était entraîné toute l’année pour cette course, et tout partait en fumée avec cette disqualification. Et c’est ce qui m’a plu, le fait de travailler dur et tout jouer à la fin en si peu de temps, c’était un gros challenge avec beaucoup de suspens.

J’ai commencé l’athlé en Martinique lors d’un cross avec le lycée. Je n’étais pas destiné à ça au départ, je jouais au football et j’adorais ça ! Mais quand le professeur d’EPS m’a vu au cross il m’a demandé de venir m’entraîner avec lui. J’avais donc 15 ans à ce moment-là. J’avais pu essayer plusieurs disciplines, mais j’avais du mal à franchir les haies pour le 110m et je n’aimais pas les longues distances pour les courses de demi-fond. Finalement, j’ai rapidement réalisé les minimas pour les Championnats de France UNSS sur 200m et j’arrive à termine 3ème de cette compétition. Je me suis alors dit que ce n’était pas si difficile, et je me suis dirigé vers un club pour m’inscrire.

Ma progression fut vraiment rapide, car pour les Championnats de France cadets, j’ai finis dernier de la finale D en 22s34 sachant qu’il y avait les finales A, B et C en ordre de performance. Moi qui pensais ne pas être trop mal avec mon temps même si mon record de l’époque était 22s08, je me dis « c’est quoi ce sport » ! Mais l’année d’après (2001) tout bascule, car je finis Champion d’Europe junior en 20s80.

Vous voyez comme une année peut tout changer !

J’étais en stage avec l’Équipe de France pour la préparation de ces championnats d’Europe et je me suis retrouvé avec tous ceux qui étaient dans la finale A l’année d’avant ! Ce sont devenus mes collègues en EDF et ils ont eu du mal à comprendre comment j’étais passé de 22’34 à ce titre.

Il est vrai que je ne savais pas vraiment courir le 200m techniquement parlant et donc les efforts et l’apprentissage de la technique ont vite permis de gagner du temps sur mon record. Avant je n’avais jamais mis de pointes je n’étais pas encore un athlète. J’étais à l’état brut.

J’ai continué ma progression avec une première sélection nationale chez les séniors la même année, la participation aux Jeux de la Méditerranée à Tunis qui avait lieu durant la période 11 septembre avec un climat forcément particulier, un nouveau record sur le 200m et une place de demi-finaliste aux championnats de France sénior.

UN PASSAGE DU 200M AU 100M EN DOUCEUR

En 2002, mon entraîneur Jean-Claude Berquier en Martinique m’a fait un bilan. Il m’a dit que j’avais une bonne résistance pour le 200m, mais qu’il me manquait de la vitesse. Pour en gagner, il fallait que je passe par la case 100m. Je n’aimais pas trop…Mon record était de seulement 11s et je ne maîtrisais nile départ ni le bon moment pour accélérer. Il faut être bon sur les trois phases, départ/accélération/décélération et je ne l’étais pas. Je n’arrivais pas à descendre ce chrono.

Donc je me suis mis à faire des côtes, des côtes et encore des côtes, et j’ai aussi fait des courses en tirant des charges lourdes sur des courtes distances pour travailler les premiers appuis. Je courais notamment avec un parachute dans le dos pour travailler la puissance.

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À l’un de mes premiers 100m en compétition j’ai battu le record de France Espoirs en 2003 au meeting du Lamentin, en 10s17. Cela confirmait mes performances en salle sur le 60m de 6s70 donc ce qui équivaut à 10’30-10’34 sur 100m.

Grâce à cela j’ai été invité au Championnat de la Caraïbe par la suite. Et c’est vraiment dans cet événement que j’ai eu le déclic. Les trois tours étaient très serrés. En étant invité en tant que français, nous sommes sur les couloirs extérieurs, car ce championnat permet aux meilleurs athlètes caribéens de gagner une bourse pour pouvoir aller s’entraîner aux États-Unis. Je gagne le premier tour en 10’24. Je suis donc en demi-finale, assez relevé d’ailleurs avec Kim Collins, Asafa Powell et le trinidadien Darrel Brown. Moi je suis toujours à l’extérieur et je me dis que ça va être difficile.

Finalement je gagne la demie en 10’11 !

Cette course a été le véritable déclic, car j’arrivais un peu de nulle part, j’étais le petit français et là je bats les meilleurs sprinteurs caribéens du moment. Je me rappelle même du silence à la fin de cette course, car même le speaker qui annonçait les résultats ne me connaissait pas.

Ensuite en finale, j’ai eu le droit au couloir 5 grâce à ma performance en demi, et donc entouré des Kim Collins, Powell etc.

Je gagne aussi la course en 10’11 mais avec beaucoup de vent. Quelle joie et quelle surprise !

C’était la deuxième fois seulement qu’un français gagnait un championnat de la Caraïbe*.

* Le premier était Herman Onzo.

Quelques semaines plus tard, j’ai pu revoir ces athlètes à Paris lors des Championnats du monde. Kim Collins, qui est d’ailleurs devenu Champion du Monde cette année-là, faisait partie d’une de mes courses en séries, et j’avais même battu Maurice Greene en demi-finale en 10s13 même si je ne me qualifiais par pour la finale. J’étais d’ailleurs dans la course de Jon Drummond et son mythique « I did not move ».

Un peu perturbant.

Je me suis ensuite installé en métropole et j’ai persévéré sur cette distance. J’ai pourtant eu une proposition de Trevor Graham, l’entraîneur de Justin Gatin, qui souhaitait faire de moi le premier européen à passer sous les 10 secondes. Je me souviens que John Smith était aussi venu me voir cette année-là, mais j’ai eu un peu peur de partir aux USA et j’ai donc donné ma confiance à Guy Ontanon.

J’ai beaucoup progressé notamment sur 60m, où je fais 6s45 en février 2005, record de France, d’Europe et 4eme meilleur performance mondiale de tous les temps. 2 ans après les Championnats du Monde en France, j’arrivais avec de l’ambition sur 100m. J’avais vraiment envie de battre mon record personnel et bien sûr je pensais à cette barre des 10 secondes que moins de 50 sprinteurs avaient réussi à franchir. Je me souviens d’ailleurs qu’au meeting de Paris, j’ai pu faire un très mauvais départ en finale et finir troisième en 10’11. Je me suis dit avec mon entraîneur qu’il y avait donc de la marge.

LAUSANNE, 2005, MOINS DE 10 SECONDES POUR RENTRER DANS L’HISTOIRE

Quelques semaines après, j’arrive donc au meeting de Lausanne. C’était une finale directe, il n’y avait pas de séries. C’était un Super Grand Prix, donc là où les 9 meilleurs athlètes du moment étaient invités et j’étais là en tant que recordman d’Europe sur 60m. Dans cette course là il y avait le champion Olympique, Justin Gatlin, mais aussi Asafa Powell etc…

Je me rappellerai toujours de cet échauffement, j’étais très dynamique, super électrique, je me sentais pousser des ailes comme on dit. Le pied était tellement fort que quand je le posais au sol, je me sentais très léger, très fort, très puissant.

Mais je ne pensais pas à cette barre des 10s.

Je savais que je pouvais faire un truc, mais mon record personnel était à 10’11, et pour passer sous les 10′ il y avait un gap important. C’est quasiment 1m50 de différence. Faire 10’08 ou 10’09 aurait déjà été bien.

Puis là nous rentrons sur la piste, il faisait très froid. 14 degrés si je me souviens bien. J’étais au couloir 2. On se met en place. L’atmosphère était bonne, j’aimais beaucoup Lausanne, car lors des présentations, j’ai vu que le public était à fond derrière moi, j’étais l’un des seuls européens (avec Obikwelu) dans cette course donc ça aide. Donc j’étais encore une fois un peu le petit frenchy, là pour continuer à apprendre. Mais j’étais très concentré et c’était mon jour comme on dit.

PAN ! Je partais sans le savoir pour la course qui allait changer ma vie.

En sortant des blocks, je vois Michael Frater, qui est un excellent partant et le meilleur à cette période-là, qui se trouvait derrière moi. Je vois que tout s’enchaîne bien et à un moment j’ai eu un déclic et je me suis dit “laisse faire, laisse-toi allez”, comme si j’étais entré dans un état un peu second, tout allait vite et je me sentais voler.

Les derniers mètres j’ai repris un peu mes esprits et j’ai décéléré, j’aurais dû garder les jambes hautes, bien monter les genoux pour garder ma vitesse et j’aurais pu faire mieux. Je termine en “talons fesses”. Sur un 100m, les lactiques ne jouent pas, c’est plus l’afflux nerveux qui compte. Au départ, on encaisse des jets et le poids du corps sur la zone d’appuis. On va accélérer le plus longtemps possible, maintenir la vitesse et à un moment on a une chute. L’endroit où j’ai connu cette chute pendant cette course a été sur les 10 derniers mètres. Au lieu de rester droit, je suis passé en talons fesses.

Je suis un vrai sprinteur véloce, pas comme Bolt qui accélère au bout d’une soixantaine de mètres, ce qui fait sa force d’ailleurs. Comme beaucoup d’autres, je crée ma vitesse très tôt et j’essaie de la tenir le plus longtemps possible. Bolt crée sa vitesse pendant plus longtemps et donc devient imbattable sur les 30 derniers mètres, car notre vitesse chute alors que celle de Bolt est au maximum.

Au moment où j’ai franchi la ligne, je vois 10s00. C’était déjà un chrono top pour moi avec une progression énorme.

Et là quelques secondes plus tard vient la correction et les fameux 9s99. ÉNORME !

Quand les autres ont vu mon résultat, les jamaïcains notamment et ils m’ont félicité. Smith était très content pour moi aussi, et je rentrais un peu dans leur cercle. Ça devient une famille.

En plus, je bats le champion Olympique sur cette course. Je passe donc du jeune espoir français à l’athlète confirmé avec une reconnaissance. Ma vie change complètement.

Quand je suis rentré chez moi quelques jours après, certaines rues étaient bloquées, il y avait des policiers partout, et donc une foule pour m’accueillir. L’émission Stade 2 a retransmis mon arrivée en direct. Il faut savoir que je suis quelqu’un de discret, même mon voisin ne savait pas vraiment qui j’étais. Il savait que j’étais un athlète, mais il ne savait pas à quel niveau.

J’étais forcément très content de cet accueil et très fier. Ce sont des moments gravés dans ma mémoire.

LA VIE APRÈS CE RECORD

J’ai toujours dit que ce cap des 10s est arrivé trop tôt. En étant le premier français à le franchir, j’ai sans doute ouvert la porte à d’autres, mais je pense que dans ma carrière, j’étais encore trop jeune et pas assez mature.

L’année où j’étais le plus fort à l’entraînement était en 2009, et si c’était arrivé cette saison-là j’aurais pu le répéter plusieurs fois. Je faisais des chronos bien en dessous à l’entraînement, mais c’est aussi la difficulté de notre sport. À l’entraînement nous n’avons pas de pression, on court quand on le veut, on fait une pause quand on veut… Il n’y a pas d’adversaires, nous n’avons pas de compte à rendre entre guillemets alors qu’en compétition tout est imposé, et tout se joue en quelques secondes.

L’aspect mental est très important.

Quand Christophe a battu mon record, j’étais avec lui dans cette course. Je finis deuxième ou troisième, j’étais vraiment content pour lui. Il le méritait, après bien sûr intérieurement ça fait mal. C’est normal, c’est comme si on m’enlevait quelque chose. Mais j’étais content d’avoir lancé la voie et aujourd’hui nous sommes 3 français avec Jimmy et Christophe à être passés sous les 10 secondes. Quand je l’ai fait en 2005 j’étais le 46eme homme à passer sous les 10s, maintenant il y en a une centaine, en quelques années il y a eu beaucoup de progrès.

Aujourd’hui je vois l’athlé autrement, je pense qu’au départ il faut avoir un don, et bien sûr derrière le travail est indispensable. Mais sans certaines facilités à la base, on peut travailler autant que possible, ce sera dur d’y arriver, et vice versa, sans travail et même avec les plus grosses capacités possible, ce sera improbable d’y arriver.

Il faut à mon sens un mix des deux, et je pense que c’est bien de garder peut-être un pied dans les études au départ, on ne sait jamais de quoi demain sera fait et ça permettra d’avoir une voie de secours.

RONALD

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