PATRICE HAGELAUER — AU TENNIS, LES VICTOIRES SE JOUENT SOUVENT DANS LA TÊTE

Patrice Hagelauer, l’ancien DTN de la Fédération française de tennis et coach de Yannick Noah lors de sa victoire en 1983 sur l’ocre parisien, nous explique que les grands champions ont toujours un mental d’acier. Il revient sur sa vision du métier d’entraîneur, la relation particulière qui a pu le lier à ses joueurs et parle du futur du tennis français.
patrice Hagelauer

Les athlètes ont beau être le coeur du sport, ils ne sont pas les seuls à faire rayonner nos disciplines préférées. Plongez dans les coulisses du sport professionnel en découvrant les interviews de dirigeants, de coachs, du staff médical, des fans…

Patrice Hagelauer, l’ancien DTN de la Fédération Française de Tennis et coach de Yannick Noah lors de sa victoire en 1983 sur l’ocre parisien, nous explique que les grands champions ont toujours un mental d’acier. Il revient sur sa vision du métier d’entraîneur, la relation particulière qui a pu le lier à ses joueurs et parle du futur du tennis français.

Le tennis est l’un des rares sports à ne pas être limité par un temps de jeu. On a toujours en tête ces matchs qui durent entre 3 et 4 heures lors des tournois du Grand Chelem en 5 sets, ou même ce légendaire Isner-Mahut qui s’était déroulé sur 3 jours à Wimbledon.

Le format de ces rencontres nécessite donc beaucoup de concentration, car les joueurs vont passer dans tous les états possibles. Ces phases où ils dominent ou non demandent une grande préparation en amont. C’est d’ailleurs cette maîtrise psychologique et émotionnelle qui va différencier les bons des tout meilleurs. Certains vont céder à la peur, jouer à l’envers, commettre des doubles fautes et c’est ce genre de moment qui peut amener à un retournement de situation si courant dans le monde du tennis.

UNE PRÉPARATION MENTALE QUI SE PASSE EN AMONT

La capacité de réfléchir et de pouvoir se calmer provient soit de l’expérience acquise, soit d’un travail spécifique. L’une des plus grandes difficultés pour le tennisman est le fait de rester soi-même en toute circonstance, être lucide sur ce qu’on peut et ce qu’on doit faire. Il n’est plus question de coups de raquette ou d’aspect physique, mais d’un véritable contrôle de ses émotions.

Les joueurs qui arrivent à ce résultat ont souvent cette faculté de visualiser ce qui va se passer dans le prochain match qu’ils vont disputer. Il ne s’agit pas pour eux de deviner, mais d’anticiper toutes les situations qui pourraient se présenter afin d’avoir la bonne réaction. Cette capacité est nouvelle et les joueurs d’aujourd’hui vivent les rencontres d’une façon plus intéressante et constructive qu’il y a quelques années où c’était plutôt la technique et la tactique qui rentraient en ligne de compte dans les moments clés.

Bien sûr il ne faut pas généraliser ce processus, car chaque cas et chaque match sont particuliers. Il faut bien connaître son adversaire, sa façon de jouer tant technique que tactique, avoir conscience de ses forces et faiblesses lors des points décisifs. Cette préparation en amont est souvent faite avec le coach et non par un préparateur mental, car celui-ci n’a pas un vécu de jeu suffisant ou un savoir technique pour obtenir la confiance du joueur. Très peu de joueur vont avoir recours à un psy ou à un préparateur mental pour ce manque d’expérience situationnelle sur un terrain de tennis, c’est donc souvent à l’entraîneur de posséder une vraie connaissance sur le sujet afin d’avoir le discours qui amènera le tennisman à disposer des bonnes solutions selon la situation en cours de match.

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Aujourd’hui, tout le monde travaille cette préparation mentale, car c’est là que tout se joue.

Même si j’insiste beaucoup sur ce volet psychologique, le rôle d’un coach est multiple tant sur le plan technique, physique et mental. L’important est de susciter l’adhésion de son joueur et d’avoir une honnêteté de tous les instants sur les côtés positifs et négatifs. Les coachs d’aujourd’hui travaillent d’ailleurs souvent avec des psychologues afin de mieux appréhender les situations humaines qu’ils vivent avec leurs joueurs.

LE COACH EST LÀ POUR DONNER DE LA CONFIANCE SANS SE METTRE EN AVANT

L’un des leitmotive que j’aimerais mettre en avant, c’est qu’il faut toujours donner un maximum de confiance à son joueur. Que ce soit avant, pendant ou après un match.

Je crois que tout est lié, car pour arriver à ce résultat il faut faire en sorte que le joueur soit armé dans tous les domaines. Par exemple, sans bonne préparation physique il sera compliqué d’encaisser plusieurs rencontres en 5 sets et il arrivera tôt ou tard une faillite sur le plan mental. Une lacune sur un geste technique ou tactique pourrait aussi perturber le joueur.

Le joueur doit se sentir armé en toutes situations en s’appropriant les enseignements de son coach. Celui-ci doit posséder une sorte d’humilité, car il est seulement là pour aider le joueur à se réaliser. Le champion c’est le joueur.

C’est en mettant dans la tête du tennisman que cette progression vient de lui qu’on va le renforcer.  L’égo est indispensable pour qu’un joueur réussisse. L’entraîneur va lui rester à sa place, car son rôle est de le conseiller et d’être à son service. Bien évidemment, il ne s’agit pas de retirer la créativité d’un joueur, il est impératif de le laisser s’exprimer. Nous sommes face à des artistes.

LA CHANCE D’AVOIR EU DES PERSONNALITÉS COMME NOAH ET LECONTE

J’ai eu une chance absolument incroyable, c’est que je suis tombé sur des joueurs qui étaient des gars biens, intelligents et bosseurs comme Yannick Noah, Guy Forget et Henri Leconte. Je n’ai d’ailleurs jamais eu de gros problèmes, je suis toujours très lié avec mes anciens joueurs.

À leur image, j’étais obsédé par la performance, mais avec cette façon de ne pas me mettre en avant et en restant à ma place. C’est très certainement quelque chose qui leur a plu.

Je me souviens très bien de la période où Yannick avait pour ambition de gagner Roland-Garros. C’était une vraie obsession pour lui, je pouvais lui demander n’importe quelle charge de travail pendant les entraînements. Il avait une telle envie, c’est vraiment extraordinaire pour un coach de se retrouver dans ce genre de situation.

Son investissement à 100 % lui permettait d’être constamment en alerte sur mes conseils et de n’avoir aucune limite sur les efforts physiques. C’est lui qui me poussait, qui réclamait une dernière série compliquée de volées ou de lobs. Je devais faire attention à atteindre la limite, mais ne pas la franchir. Ce genre de conditionnement est nécessaire pour aborder les situations extrêmes au cinquième set d’un Grand Chelem, car le joueur va avoir une confiance inébranlable en lui et pouvoir pousser dans ses derniers retranchements dans ces moments-là.

Avant cette victoire à Roland-Garros, nous avions mis en place un calendrier spécifique qu’il avait parfaitement respecté en remportant 2 tournois et en faisant une autre finale. Pendant ces quelques semaines avant le Grand Chelem parisien, Yannick était vraiment habité par cette envie de gagner et il continuait même à faire ses footings et gainages après ses matchs en tournois. Le dimanche de la finale de RG, c’est la seule fois de ma carrière où j’ai pu dire aux journalistes que celui qui battra Noah devra être très fort au vu des certitudes qu’il me donnait.

LA VICTOIRE DE NOAH - ROLAND-GARROS 1983

Ce type d’engagement total, d’adhésion et d’envie permanente, j’ai pu les retrouver lors de nos victoires en Coupe Davis 1991 avec Henri Leconte et Guy Forget ou celle de 1996 avec Cédric Pioline et Arnaud Boetsch.

Pour préparer les matchs contre les USA de Sampras et Agassi en 1991, j’ai eu le sentiment d’avoir cette même dynamique, de n’avoir aucune limite dans le travail en amont. Henri revenait d’une grosse blessure et c’était un vrai pari de l’aligner sur ces rencontres, il a donc fallu le tester à fond. Avec Guy, ils nous ont sorti des matchs formidables d’envie et de talent.

DIFFICILE DE JUGER LA GÉNÉRATION DES TSONGA, MONFILS, GASQUET

Parler des joueurs français d’aujourd’hui est compliqué pour moi, car je n’aime pas m’exprimer lorsque je ne connais pas leur façon de faire de l’intérieur. Ce n’est pas en regardant des sessions d’entraînement ou quelques matchs que je vais pouvoir les cerner parfaitement.

La réussite de la génération Noah est aussi due à un contexte. Pour gagner Roland, il faut avoir les capacités techniques, être fort sur le plan physique et mental, mais surtout avoir un peu de chance. Beaucoup se sont cassés les dents sur Federer à Wimbledon ou Nadal sur terre battue. Comment juger par exemple les sprinteurs qui ont bossé pendant des années avec pour résultat un niveau exceptionnel et qui n’ont longtemps vu que les fesses de Bolt.

Par contre, je peux dire que ce côté faiblesse mentale à la française n’est qu’une invention de communication. On s’est souvent enflammé rapidement dans ce pays après une victoire, et certains journalistes ont pu flatter des joueurs sur leur potentiel bien trop tôt. Cette Une de Richard lorsqu’il était enfant était absolument incompréhensible.

Comme je vous le disais, il faut prendre en compte le contexte global. Un joueur décrié comme Henri Leconte a subi 3 opérations du dos qui l’ont handicapé toute sa carrière. Par contre dès qu’il dominait, il jouait de façon incroyable. Sa défaite en finale de Roland-Garros est peut-être à mettre sur le compte de son manque d’expérience. Pour la Coupe Davis de 1991, nous avons uniquement parlé du moment présent et il a montré un mental formidable et le meilleur tennis de sa carrière.

Quand on évoque les blessures, le nom de Tsonga peut nous venir en tête, car il a connu cela dès ses 17/18 ans. Avec un tel gabarit, c’est compliqué et ses préparateurs physiques ont dû travailler avec des pincettes sur le sujet. Jo a beaucoup de mérite, car c’est un formidable bosseur et malgré ses pépins dans ce domaine il a une formidable carrière : finale et demi de Grand Chelem, plusieurs Masters 1000, 5e place mondiale et 1 Coupe Davis. Si l’on devait comparer au monde du football, il n’est pas si courant d’avoir le meilleur joueur du monde qui soit français en football.

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Je me garde de juger nos tricolores comme Tsonga, Monfils et Gasquet, car il faudrait vraiment parler avec leurs entraîneurs et leurs staffs pour bien évaluer les choses. Connaîssant mieux Jo et les gens de son entourage, je peux simplement dire que c’est un énorme bosseur, mais qu’il ne peut pas aller à l’extrême limite comme Yannick, car il pourrait se casser physiquement.

LA RELÈVE

Chez les hommes, la relève est symbolisée par Lucas Pouille. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup et qui a un coach très intelligent et compétent en la personne d’Emmanuel Planque. Je pensais qu’il allait décoller en termes de niveau de jeu après les derniers matchs réussis en Coupe Davis, mais sa préparation sur terre battue n’a pas été optimale. Les premiers tours à Roland-Garros seront importants pour lui permettre d’engranger de la confiance.

Caroline Garcia pourrait être la bonne surprise du tournoi féminin, car elle joue un super tennis. Ce qui peut me gêner est qu’on peut la voir se lancer sans vraiment aller au bout des choses. Peut-être qu’elle va pouvoir tenir le choc cette année, mais j’aurais aimé qu’en plus de son père elle puisse compter sur les conseils d’une ancienne championne comme Amélie Mauresmo. Beaucoup de joueurs sont friands de cet apport comme le montrent certains exemples récents : Federer avec Edberg ou Djokovic avec Boris Becker.

D’autres joueurs peuvent émerger comme Quentin Halys ou Corentin Moutet. J’espère simplement qu’ils auront la bonne démarche et cet engagement maximum dans tous les domaines.

L’erreur souvent commise en France est de penser que parce qu’on a été bon chez les juniors, il faut juste aller sur les tournois du circuit pro pour gagner des places au classement. Un joueur se construit tout au long de sa carrière et ces premières années sont essentielles pour travailler le foncier et la technique. Cette obsession du classement fait que beaucoup de jeunes joueurs ne cherchent qu’à disputer des matchs et en tournoi on ne fait souvent pas assez d’effort pour améliorer certains aspects physiques ou techniques. Il faut se donner du temps pour améliorer la force, la résistance et la vitesse.

Les blessures dues aux trop grands nombres de matchs joués dans l’année sont l’une des plaies du tennis et il faut donc penser à alterner compétition et période de repos. Il ne faut plus être focalisé sur cette course aux points, mais à se former continuellement. N’oublions jamais qu’on joue avec son corps mais on gagne avec sa tête et son cœur.

PATRICE

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