MARIE LEMATTE – L’ARBITRAGE, UN AUTRE MOYEN D’ARRIVER AU PLUS HAUT NIVEAU

Marie Lematte, ancienne arbitre internationale, nous parle de la place des femmes dans l’arbitrage et l’évolution de ces dernières années.

Marie Lematte – Ancienne arbitre internationale World Rugby & Intervenante comme « performance reviewer » avec Rugby Europe et World Rugby.

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J’ai été arbitre pendant 6 ans, j’ai désormais arrêté ma carrière il y a un an et demi maintenant je suis toujours dans l’arbitrage, je suis passée de l’autre côté c’est-à-dire que j’accompagne aujourd’hui les arbitres d’abord au sein de la FFR (Fédération Française de Rugby) avec Salem Attalah, responsable du développement de l’arbitrage féminin. Donc on va dire que je le seconde dans ce projet.

Je suis professeur d’EPS et actuellement à la Faculté des Sciences du Sport à l’Université de Poitiers. J’ai été joueuse pendant 14 ans, j’ai arrêté un moment car j’avançais en âge d’abord, j’étais maman de 2 enfants et puis c’est vrai que physiquement avec les années, on n’a plus trop de marge de progression comme lorsqu’on est plus jeune. Mon corps me le disait le lundi matin avec les petites contusions. Cela devenait de plus en plus difficile à digérer donc je me suis dit, il est temps de raccrocher les crampons. Ma passion pour le rugby était encore bien présente, physiquement, je courais encore donc l’arbitrage ça a été un moyen de continuer à vivre cette passion. Continuer à être sur le terrain sans les chocs du rugby.

LE RUGBY, UNE PASSION SUR LE TARD

Je n’étais pas forcément destinée à une carrière dans le Rugby. Mes premiers pas dans le sport se font par la pratique de la gymnastique en tant que gymnaste puis entraîneur de jeunes filles et c’est vrai que j’avais envie de refaire du sport pour moi et notamment de découvrir un sport collectif parce que je ne connaissais pas forcément les sports Co. J’étais partie sur l’idée du handball, cela m’attirait bien, mais mon mari étant lui-même joueur de rugby et dans le même temps il se créait à Poitiers une section de rugby féminine. Il m’a alors encouragé à aller faire un entraînement avec le groupe avec des débutants et puis en fait, je me suis prise au jeu et je n’en suis plus jamais partie.

Ça ne m’a pas vraiment tenté au début de ma carrière, j’avais des amis qui étaient arbitre donc j’en avais déjà discuté un peu avec eux en tant que professeur d’EPS, la connaissance des règles, approfondir les activités sportives, c’est un peu ce que je fais tous les jours. J’avais conscience que l’arbitrage était essentiel dans la connaissance du jeu, du règlement.

C’est difficile de se mettre au centre d’un terrain de sport donc c’est un personnage hautement important du jeu. Ayant des amis arbitres, ils m’ont encouragé, en me disant « Tu as le profil, physiquement, tu es en forme, tu connais très bien le jeu » donc j’avais tous les atouts finalement pour réussir dans l’arbitrage donc c’est ce qui m’a un peu incité à pousser la porte dans ce secteur. Mon directeur technique de l’arbitrage, je pense qu’il a trouvé que j’avais le potentiel au vu des tests physiques. Étant prof, je n’avais pas trop de difficultés dans la compréhension du jeu et donc, j’ai été très vite jetée dans le grand bain.

J’ai passé alors mes examens fédéraux très vite, un niveau de pratique intéressant ça a toujours été un grand bonheur aussi pour moi. C’est intéressant d’évoquer le point de vue de l’arbitre dans un match, c’est vrai que j’ai eu cette chance voilà. J’ai pu monter en fédéral rapidement, j’arbitre en fédéral 2 pour le rugby masculin et l’Elite au niveau féminin.

En 2014, alors que je venais juste d’avoir mon examen fédéral, je suis arrivée à la Coupe du Monde de féminine organisée en France, à Paris. Malgré le fait d’être tout juste appelée, j’ai été responsable de la touche parmi le panel des arbitres européennes dans le secteur féminin comme il n’y avait pas d’arbitre française. C’est le début de ma carrière internationale sachant que je venais aussi  d’intégrer le panel européen au niveau du championnat de Rugby à 7 en revanche, c’était uniquement chez les féminines. Lors des derniers championnats du Monde et VI Nations féminin, il y a eu quelques femmes ayant pu arbitrer au plus haut niveau chez les hommes. En Europe, l’Irlandaise, Joy Neville est une référence dans la profession. C’est vrai que cela reste des exceptions dans le monde du rugby, on peut espérer que cela va se débloquer. Pour l’instant ce n’est pas encore quelque chose qui est régulier dans beaucoup de secteur et dans le sport en général. Le rugby n’est particulièrement pas un bon élève en la matière. Si vous prenez les statistiques du Ministère de la Jeunesse et des Sports, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir en termes de parité par rapport au pourcentage d’arbitre féminin dans le rugby en France. On est en retard par rapport à d’autres sports comme le basket ou le handball. Nous ne sommes pas du tout bien classés, il y a beaucoup de chemin à faire.

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Pourtant que ce soit féminin ou masculin, c’est le même sport à arbitrer. Effectivement, il y a des spécificités dans la physiologie, la vitesse, la longueur de passe, le jeu au pied mais cela reste le même sport, je tiens à le préciser. C’est donc une question d’adaptation plus qu’une véritable différence de jeu. Personnellement, j’ai un profil de coureuse donc j’aime les matchs où je dois courir partout ça veut dire que le jeu est ouvert avec des temps de jeu assez longs, c’est le rugby que j’aime. Même si j’ai plaisir à regarder parfois des matchs où il n’y a pas forcément beaucoup de points mais quand on est un observateur averti, on ne peut qu’admirer la lutte féroce, les fameux matchs d’hommes. L’engagement physique fait partie de la culture de notre sport, il ne faut pas l’enlever d’après moi.

Je pense que les arbitres doivent être très attentifs parce que de toute façon les équipes s’adaptent pour proposer des nouvelles solutions lors des changements de règles qui interviennent assez régulièrement. Nous devons avoir un discours cohérent pour répondre à ses évolutions. On va dire que pour être équitable quel que soit le match et le niveau, il faut avoir une ligne de conduite par rapport à la cohérence de notre arbitrage donc pour ça il faut être attentif à nouveau, c’est la base de notre métier.

LA DISCIPLINE, MAÎTRE MOT DU PLUS HAUT NIVEAU

Ainsi, l’arbitre suit l’évolution du jeu de très près, il est un très bon observateur du changement de niveau entre les générations et les divisions. La différence entre le niveau national et international dans le rugby féminin se situe surtout en matière de discipline. Je peux parler davantage des féminines car j’ai arbitré notamment des matchs de VI Nations, les sanctions sont plus lourdes, les enjeux sont plus grands, ce qui m’a le plus interpellé notamment c’est la culture anglo-saxonne très prégnante, quand on arbitre des équipes comme l’Angleterre, le Pays de Galles, cela reste des formations très disciplinées.

En France, on a ce côté un peu latin, toujours un peu amateur, moins obtus sur la règle que les Anglais. On aime bien râler, on est à la limite souvent ça c’est une différence au niveau féminin. La qualité du jeu en Coupe du Monde est la plus élevée, moi j’ai eu l’occasion d’arbitrer deux Coupe du monde, les meilleures équipes sont présentes, certaines sont des professionnels avec donc une rigueur, une intensité physique et un professionnalisme. La différence est davantage impressionnante chez les femmes que chez les hommes car c’était totalement amateur il y a encore quelques années. Lors de cette compétition, on constate l’évolution de la dimension physique à une vitesse grand V chez les femmes.

Depuis septembre, la Fédération Française fait des contrats avec d’abord les joueuses du 7, donc une douzaine de joueuses liées par des contrats fédéraux pour la saison à 7 sur le World Series. Et depuis l’an dernier, il y a des joueuses du XV de France qui ont été mises sous contrat, ce sont des contrats à double projet c’est-à-dire être à mi-temps avec leur club et leur travail où le projet études et Sport pour les étudiantes. Cela concerne 40 joueuses en France. Pour la prochaine Coupe du Monde de rugby féminin 2021, les joueuses seront à 100% professionnels afin de garantir une préparation idéale. Cela va dans le bon sens, mais je ne suis pas fan du professionnalisme chez les féminines, la formule du temps partagé est intéressante car il faut garder un pied dans le monde professionnel, c’est indispensable.

RUGBYWOMAN, STATUT TOUJOURS INSTABLE

Il n’y a pas aujourd’hui beaucoup de possibilités pour les filles de rester dans le rugby après leur carrière sportive car les places sont déjà chères chez les hommes. Il ne faut pas rêver c’est extrêmement difficile de trouver une continuité professionnelle. Il ne faut pas se calquer à ce qui est fait chez les hommes, le but ce n’est pas de faire des femmes qui ont 18 ans ne font que du rugby puis se retrouvent à 30 ans sans ouverture professionnelle. Il est important de trouver une nouvelle formule, faut pas se leurrer les postes de directions sont encore réservés majoritairement aux hommes malgré les lois sur la parité, ceci n’est pas encore ancré dans les mentalités. La compétence ne va pas encore avec le mot “féminin” dans le monde du sport.

Il faut continuer à en parler pour avoir des prises de conscience, les femmes doivent aussi se saisir des opportunités. C’est culturel, les femmes ne vont pas sur ces postes-là car elle pense que ce n’est pas ouvert, c’est un cercle vicieux. On a encore une culture patriarcale mais les choses évoluent de plus en plus de femmes sont mises en lumière, il faut avoir des exemples pour la jeunesse.

L’ARBITRAGE, UN RÔLE A VALORISER

Les journées de l’arbitrage sont essentielles la mise en lumière des arbitres est bonne pour l’image de la profession, on entend trop de polémiques sur l’arbitrage, sur des décisions contestées. Il faut continuer de parler du rôle de l’arbitre et de ses bienfaits, expliquer la difficulté du poste et le travail physique et mental. Faire de la pédagogie sur ce métier trop méconnu. En France, on a 4 arbitres internationaux et quelques arbitres du Top 14 à mi-temps mais le reste sont des amateurs. Ils arbitrent en plus de leur travail, ces journées permettre de mettre en valeur les hommes et les femmes qui donnent de leur temps et de leur énergie pour le Rugby.

Malheureusement, l’arbitrage est mis en lumière lorsqu’il y a des polémiques. Ces Journées de l’arbitrage permettre de parler positivement de l’arbitre pour une fois. Les médias parlent en bien de l’arbitrage et de ses valeurs.

Je suis assez dubitative sur l’avenir de l’arbitre au rugby, ils sont beaucoup plus médiatisés, sur le feu des critiques, les micros sont ouverts bien sûr, c’est également positif car les arbitres qui se révèlent sont de belles réussites. En France, on peut être fier d’avoir de grands arbitres internationaux au plus haut niveau mondial, il faut le mettre en valeur. Cependant, le danger de cette médiatisation et le manque de soutien envers l’arbitre, la violence parfois des réseaux sociaux peut aller très vite. Humainement, cela peut être difficile personnellement, j’ai vécu cette médiatisation, c’est vrai que ça peut être lourd à porter mais cela fait partie du job. C’est important pour susciter des vocations, si je regarde un peu en arrière, j’ai vécu des choses en tant qu’arbitre international que je n’aurais jamais fait en tant que joueuse. C’est aussi un autre moyen d’être dans le sport de haut niveau. 

Être arbitre, c’est aussi ressentir de nombreuses sensations que j’avais eu en tant que joueuse, la boule au ventre, l’envie de bien faire… La différence, c’est que l’on vit cela tout seul. Il faut avoir des ressources personnelles.

Je voudrais dire aux jeunes filles de se lancer dans l’arbitrage, contrairement à ce qu’on peut penser, les femmes arbitres sont très bien accueillis. Mon message, c’est de ne pas hésiter. Par ailleurs, j’aimerais que l’on ne me pose plus la question : est-ce plus difficile d’arbitrer un match de femmes ou d’hommes car je ne me suis jamais posé la question. Je suis devenu arbitre de rugby tout simplement.

MARIE

 

Avec la participation de Jérémy Haumesser

 

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