Laurent Fignon tel Eddy Merckx (Tour 1984) – Le récit de Sans Filtre #5

Laurent Fignon a écrasé le Tour 1984. Un duel annoncé avec Bernard Hinault qui n’aura jamais lieu, tant le coureur de Renault a dominé ! Retour !
La démonstration de Laurent Fignon sur le Tour 1984
La démonstration de Laurent Fignon sur le Tour 1984

Des démonstrations sur le Tour de France, il y en a eu. Avec des épopées qui ont marqué l’histoire, comme la chevauchée d’Eddy Merckx à Mourenx en 1969, où celle de Fausto Coppi et Gino Bartali en 1949. Des coureurs qui ont marqué le Tour de France, par une implacable domination comme Jacques Anquetil où Miguel Indurain, certes sans immense panache, mais avec une science de la course tout bonnement exceptionnelle. Mais il y a d’autres moments forts de la Grande Boucle qui ont été un peu oubliés. Laurent Fignon tout le monde le connaît. Mais pas forcément pour la bonne raison. La défaite sur le fil, pour huit malheureuses secondes, sur les Champs et face à Greg Lemond, est resté gravé dans la légende. Pourtant, cinq ans plus tôt, le Français va marcher sur ce même Tour de France. Récit d’une insolente domination et avec celui, celle de son équipe Renault-Elf.

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Le retour de Bernard Hinault et un duel qui s’annonce !

Comme toute grande course qui se respecte, tout part d’un duel annoncé qui fait saliver les spectateurs et amoureux de la petite reine. Bernard Hinault a fait son retour, après avoir manqué le Tour 1983, pour cause de blessure au genou. Quadruple vainqueur du Tour, marchant sur l’épreuve depuis 1978. Alors coéquipier du Blaireau, l’ayant aidé à triompher sur le Giro 1982 et la Vuelta 1983, Laurent Fignon s’empare des habits du maître et remporte le Tour pour sa première participation et à, à peine 23 ans. Comme un certain… Bernard Hinault. Ce même Bernard Hinault qui a choisi de s’envoler vers le Vie Claire et Bernard Tapie.

Le duel s’annonce féroce ! Laurent Fignon a pris du galon dans cette année 1984. Mais le Francilien reste sur une grande déception. Avec sa défaite au Giro, dans des circonstances troubles, les organisateurs soupçonnés d’avoir fortement favorisé Francesco Moser, pour qui c’était la dernière chance de triompher sur “son” Tour national. Il s’est consolé en marchant sur les championnats de France. Bernard Hinault, forcément dans le flou, n’en reste pas moins un redoutable compétiteur.

Hinault fait illusion au prologue mais Laurent Fignon déjà dans la cadence.

Dès le prologue, l’intensité du duel monte d’un cran ! Bernard Hinault signe son grand retour ! Il gagne le prologue et endosse le maillot jaune, deux ans après. “J’ai l’impression que rien n’a changé”, déclare le Blaireau en conférence de presse le soir. D’autres l’ont vu lessivé, cramé, une fois la ligne franchie. Surtout, Laurent Fignon n’est qu’à 3 secondes derrière et signe le meilleur prologue de sa carrière.

La démonstration des Renault peut commencer. Elle débute par la victoire de Marc Madiot, lors de la seconde étape. Une étape où Greg Lemond, fait une bonne opération. Greg Lemond, le facteur X des “jaunes et noirs”. Arrivé dans l’équipe de Cyrille Guimard dans la peau de celui qui devait succéder à Bernard Hinault, ses plans ont été contrariés par la victoire surprise de Laurent Fignon en 1983. L’Américain est d’ailleurs contrarié de la situation, il revendique le statut de leader au sein de son équipe. D’autant qu’il a terminé l’année 1983 sur un titre de champion du monde sur route. Les deux jeunes loup sont donc les co-leader. “La course décidera de qui perdra du temps sur l’autre”, déclare Laurent Fignon, la veille du premier chrono individuel.

Vincent Barteau s’offre le jaune et du bonheur aux Renault

Auparavant, les Renault apposent leur patte sur le chrono par équipe. Repoussant La Vie Claire et Hinault à 55 secondes. Hinault déjà repoussé à plus d’une minute, commence sa chasse aux bonifications. Mais ce sont encore et toujours les Renault qui tirent les marrons du feu. Vincent Barteau, au terme d’une échappée fleuve, prend le maillot sur la 5e étape, avec plus de 17 minutes d’avance sur les favoris. Tandis que la chasse aux bonifications est encore plus intense entre un Bernard Hinault qui ne lâche rien et des Renault qui ne veulent pas le laisser revenir si facilement dans le jeu. “Pour un autre coureur, cela aurait pu le faire craquer psychologiquement, mais moi j’aimais cette guerre d’usure”, confiera Laurent Fignon bien plus tard.

D’autant qu’Hinault doit se rendre à l’évidence, il est pour le moment moins fort. Il prend une claque sur le chrono entre Alençon et Le Mans. 49 secondes perdus sur Laurent Fignon qui, lui, repousse Greg Lemond à plus de 2 minutes, s’assurant définitivement le leadership. Fignon dominateur, Barteau toujours confortablement en jaune, tout est au beau fixe pour “La Régie”. D’autant que, dès l’étape suivante, c’est Pascal Jules, l’ami intime de Laurent Fignon qui s’impose, en solitaire. Rien ne les arrête ! Mais Bernard Hinault tout en orgueil, montre qu’il est dangereux partout. Il tente de s’échapper dans la longue étape Nantes – Bordeaux. Le Blaireau échappé à 220 kilomètres de l’arrivée, dans un petit groupe. Mais tout rentre dans l’ordre.

Laurent Fignon au dessus en montagne

La montagne arrive et livre ses premiers enseignements. Pourtant assez placide dans l’étape entre Pau et Guzet-Neige, Laurent Fignon attaque à 3 km de l’arrivée : “Sans trop forcer”. Résultat, 53 secondes de repris sur Bernard Hinault ! Vincent Barteau toujours en jaune et Bernard Hinault repoussé à plus de deux minutes. Mais le Blaireau ne renonce pas et tente sa chance dès le lendemain, sur du plat à Blagnac. En vain, les Renault faisant preuve de solidité, rattrapant Hinault. Et poursuivent leur moisson, lors de la treizième étape, Pierre-Henri Menthéour déborde ses compagnons d’échappée. Treize étapes, six pour Renault, Barteau en jaune et Laurent Fignon toujours aussi impressionnant. Rien ne semble toucher les hommes de Cyril Guimard, qui surdominent cette édition 1984.

Laurent Fignon va impressionner sur le chrono menant à la Ruchère. Un chrono spécial, avec 12 km de plat et 10 km d’une montée exigeante. Il repousse les meilleurs sur le plat pour résister ensuite aux grimpeurs. Herrera concède 25 secondes, en ayant impressionné. Bernard Hinault lui, concède 33 secondes supplémentaires et affiche encore et toujours ses limites face à son ex-coéquipier.

L’humiliation de l’Alpe d’Huez

Jusque là en dessous, sans être totalement largué, Bernard Hinault va subir un véritable affront qui reste encore dans les mémoires des plus anciens aujourd’hui. Les faits vont se passer dans l’étape menant à l’Alpe D’huez. Avec 4 grandes difficultés au programme de cette étape, l’étape reine du Tour de France 1984. Dans l’avant dernière ascension, la côte de Laffrey, Bernard Hinault déclenche les hostilités. Sans mettre en difficulté Laurent Fignon qui réplique, avec Luis Herrera. Oh surprise, alors qu’il avait attaqué à plusieurs reprises, le Blaireau ne parvient pas à suivre. Dans la vallée, l’écart monte à plus d’une minute entre le groupe Fignon et Bernard Hinault.

La jonction s’opère peu avant Bourg-d’Oisans. Et là incroyable, le Blaireau attaque direct ! “Quand je l’ai vu attaquer, je me suis mis à rigoler. Non pas intérieur, mais physiquement, je rigolais sur le vélo. Son attitude est aberrante, quand on est lâché et qu’on revient, on essaie de se refaire une santé dans les roues”, analysera Laurent Fignon, dans son livre “Nous étions jeunes et insouciants”. L’inévitable s’opère. Dès les premières rampes de l’Alpe d’Huez, la jonction s’opère et Hinault ne peut pas suivre. Cyrille Guimard demande alors à son leader de couper un peu son effort. Histoire de faire exploser moralement Bernard Hinault. Et cela marche, quand Laurent Fignon remet un coup d’accélérateur. L’échec du coureur de la Vie Claire se faisait au compte-gouttes, mais là, l’addition sera salée. Il va concéder trois minutes sur Laurent Fignon, se dernier perdant cependant l’étape (un de ses grands regrets) face au Colombien Luis Herrera.

Une domination totale de Laurent Fignon dans la fin du Tour 1984

Hinault dans le dur encore, le lendemain, dans l’étape qui mène à la Plagne. Lâché dans chacun des cols, il colmate les brèches, mais doit concéder près de trois minutes dans la montée finale, sur un Laurent Fignon rayonnant et au sommet de son art ! De duel, il n’y en a plus. Au soir de la 18e étape, le Blaireau est relégué à 8’39 et se voit menacé par Greg Lemond, 1’13 derrière lui. Les Renault tenteront bien de placer le jeune américain sur la deuxième place, mais en vain ! Lors de l’étape menant à Crans-Montana, Fignon veut faire gagner son deuxième succès à son meilleur ami Justin Jules, mais en vain ! Du coup Fignon gagne, encore !

L’histoire retiendra aussi un 6e et ultime succès sur le dernier chrono, menant à Villefranche-en-Beaujolais. Un succès acquit pour… 48 millièmes de secondes devant Sean Kelly. Au final, ce sont 10 victoires pour Renault, dont six pour Laurent Fignon. Qui s’impose avec 10’32 d’avance sur un Bernard Hinault qui n’aura jamais pu contester la suprématie du jeune coureur de 24 ans. Une victoire totale, comparée à celle d’Eddy Merckx en 1969 ! On promet une domination sans partage pour le Francilien. La suite sera moins glorieuse. Une blessure à la cheville, une opération et jamais nous ne reverrons le même coureur qu’en cette année 1984 ! Il remportera un giro (89), une Flèche (86), deux Milan San-Rémo (88-89). Il lui faudra attendre 1989 pour re-jouer la gagne finale sur le Tour. Avec la dramaturgie qu’on connaît.

Etienne GOURSAUD

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