C’est toujours une époque complexe à narrer. Chacun sait ce qu’il est advenu de Lance Armstrong, convaincu de dopage et déchu de ses sept Tour de France. On sait aussi que Jan Ullrich traîne des casseroles derrière lui, des années EPO, coéquipier d’un Bjarne Riis qui a avoué une consommation d’EPO. Mais aussi de son implication dans l’affaire Puerto, qui marque la fin de sa carrière. Mais raconter une course, c’est raconter une histoire, c’est aussi se replonger dans une époque, revivre les émotions vécues à l’instant T. Ce Tour de France 2003, est l’un des plus beaux du 21 siècle, avec de nombreux rebondissements. Surtout, jamais Lance Armstrong n’a été aussi près de perdre face à son grand rival Jan Ullrich.
Armstrong pas à son aise dans le prologue
Pourtant, au début du Tour du centenaire, Jan Ullrich est à peine un outsider. Contrôlé positif en 2002, manquant le Tour de France, viré de son équipe et contraint de se rapatrier chez Bianchi, sponsor qui viendra sauver l’équipe de l’Allemand au printemps 2003, le vainqueur du Tour de France 1997 ne semble plus en mesure de peser sur la Grande Boucle. Pour faire tomber Armstrong, en quête d’un 5e sacre et rejoindre Hinault, Merckx, Anquetil et Indurain, on évoque Joseba Béloki, 2e l’an passé, Santiago Botero, un des rares à avoir battu Armstrong contre-la-montre sur le Tour. Où encore le belliqueux italien Gilberto Simoni, vainqueur du Giro et qui a défié Lance Armstrong dans la presse. Jan Ullrich, lui, a annoncé viser une étape et voir son comportement en montagne.
Et, honnêtement, qui peut croire en ce 5 juillet, jour du prologue du Tour de France 2003, qu’Armstrong peut tomber ? Dominateur sur ses quatre éditions, il a écrasé l’édition 2002. Son équipe de l’US Postal semble très fort, avec un lieutenant de luxe Roberto Héras, capable de gagner des grands tours. L’Américain jamais pris en défaut. Pourtant, le prologue va livrer une petite surprise. Armstrong 7e et battu par Jan Ullrich, Haimar Zubeldia où encore son ancien coéquipier Tyler Hamilton.
Tour de France 2003 – L’US Postal continue sa démonstration de force collective
Tyler Hamilton justement, va devenir le héros de ce Tour de France 2003. Dès la première étape, il chute et se fracture la clavicule. Mis à part ça, le début de cette édition est somme toute classique, avec les sprinters qui font la loi dans les emballages finaux. Parmi eux, un sort du lot. L’Italien Alessandro Petacchi (qui fera l’exploit de gagner une étape sur chaque grand tour cette année-là). Jean-Patrick Nazon connait l’immense bonheur du maillot jaune.
Mais c’était avant que la l’US Postal ne siffle la fin de la récré. Les Postiers vont se montrer impériaux sur le contre-la-montre par équipes. Eux, dominés l’an passé par la ONCE, vont reléguer l’équipe espagnole à 30 secondes. La Bianchi est à 43 secondes, la Telekom à plus de 1’30. Armstrong n’est pas en jaune, la toison d’or revenant à son coéquipier Victor Hugo Pena. Mais l’Américain a lancé un message à ses rivaux. Il n’y a pas de place au doute et il compte bien dominer La Grande Boucle, comme il le fait chaque année. La première épreuve de vérité vient de livrer son verdict.
Ullrich perd gros, Armstrong pour la première fois semble fragile
La première étape de montagne offre un scénario assez bridé. Pas d’attaque entre les favoris, si ce n’est du turbulent Alexandre Vinokourov (est-il vraiment favori à cet instant de la course ?), le Kazakh tout proche de payer l’addition dans le final du col de la Ramaz. Gilberto Simoni, qui avait allumé Lance Armstrong par médias interposés, sombre dans ce même col et perd le Tour de France, dès la 7e étape. Sinon rien. Ah si ! Richard Virenque qui se lance dans une chevauchée que tout le monde lui connait désormais. Le second du Tour de France 1997 rattrape l’échappée avant la mi-course, avant de faire la différence dans la Ramaz. Il fait coup double. Victoire d’étape et maillot jaune. Onze ans après, Richard Coeur de Lion retrouve la tunique. C’est son 6e succès d’étape sur la Grande Boucle.
Les vrais enseignements, on va les avoir dès le lendemain, dans l’étape ralliant Sallanches à l’Alpe d’Huez. La première grande image intervient au pied de l’Alpe d’Huez. Celle du coéquipier de Manuel Beltran, l’équipier de Lance Armstrong, abordant la première rampe au sprint, à une allure vertigineuse. “IL MONTE A FOND”, hurle Christian Prud’homme au micro de France 2. Même pas 1km plus loin, ils ne sont plus qu’une poignée autour de l’Américain. Chacun, alors, repense à sa démonstration ici même deux ans plus tôt. Rapidement pourtant, on sent que quelque chose de spécial se passe. Beloki puis Mayo reviennent.
Tour de France 2003 – Le drame pour Joseba Beloki
Dauphin d’Armstrong l’an passé, Joseba Beloki croit en son étoile dans ce Tour de France 2003. Il attaque. Armstrong mettra un bon kilomètre à recoller. Et là, stupeur, Iban Mayo attaque ! Une sublime attaque, tranchante, qui laisse tout le monde pantois. Le Basque, s’envole et personne ne le reverra. D’autant que, derrière, c’est la zizanie. Beloki tente sa chance, puis Tyler Hamilton. Malgré sa clavicule cassée, il ose défier son ancien leader, avec de la bravoure. Revenu lui aussi, Vinokourov attaque et s’envole. Il ne reverra pas Mayo qui s’impose. Armstrong, 3e, termine à plus de 2 minutes. Le même écart qu’il avait infligé à Jan Ullrich en 2001. L’Allemand, malade, cède près de 1 min 20. Il ne le sait pas encore, mais ses ennuis gastriques auront des conséquences terribles sur le plan comptable .
Et l’Américain va continuer d’être harcelé le lendemain. Dans l’étape menant à Gap, dans l’ultime côte de la Rochette, Vinokourov attaque ! Il se détache pour filer vers la victoire et effectuer un gros rapproché au général. C’est là qu’intervient l’image de ce Tour de France 2003, l’image sans doute du Tour au 21e siècle. C’est la canicule, le goudron fond par endroit. Ce terrible goudron qui vient “attraper” la roue de Beloki. La chute est imparable, elle est terrible. Des fractures multiples et un hurlement à en glacer le sang. La folie s’empare du Tour car Armstrong, qui a miraculeusement évité la chute, s’en va couper le champ, tel un cyclo-crossman. Lance Armstrong encore en vie, Lance Armstrong en sursis au soir de cette étape, 21 secondes seulement devant le Kazakh.
La résurrection du prodige Jan Ullrich
Les baroudeurs vont briller, Pill et Flecha lèvent les bras. Une respiration avant un nouveau coup de tonnerre. C’est le chrono Gaillac – Cap Découverte qui va servir de théâtre à la résurrection de Jan Ullrich. Pour la première fois, de leur trois duels, l’Allemand va infliger une véritable correction à l’Américain. Surpuissant, avec un pédalé qui nous rappelle ses grandes heures du Tour 96 puis surtout de 1997, il déroule sur un bitume surchauffé par la canicule. Cette canicule que déteste tant Lance Armstrong, pourtant Texan. Il va céder 1’36 et voit son grand rival revenir à 34 secondes. Vinokourov est à 51 secondes.
Lance Armstrong touché, Lance Armstrong meurtri et Lance Armstrong une nouvelle fois en grande difficulté le lendemain vers le Plateau de Bonascre. Dans le final, Vinokourov attaque, Ullrich contre et s’envole. Rarement en montagne, le maillot jaune n’a semblé si vulnérable, à peine capable de suivre ceux qu’il avait pour habitude de martyriser dans les cols. Ullrich revient à 15 secondes. Mais l’Allemand n’a t’il pas attaqué trop tard dans cette 13e étape du Tour de France 2003. Armstrong était vulnérable et aurait sans doute perdu gros, avec une offensive menée de plus loin. D’autant que son lieutenant Roberto Heras est touché par la maladie et est affaibli. Les carences tactiques de l’Allemand ont encore sauté aux yeux.
Elles vont s’intensifier le lendemain, vers Loudenvielle. Dans le col de Peyresourde, Vinokourov attaque ! Le Kazakh flirte avec le maillot jaune virtuel. Ullrich, qui voit sa deuxième place menacée, roule et emmène Armstrong avec lui, bien heureux de cette alliance de circonstance. Au lieu d’attaquer un Américain sans doute vulnérable, l’Allemand n’osera pas. Quel dommage ! Vinokourov revient à 18 secondes. Trois coureurs en 16 secondes. Et il ne reste plus qu’une grande étape de montagne.
Tour de France 2003 – L’immense bataille de Luz-Ardiden
La dernière étape de montagne du Tour de France 2003 va revêtir un scénario exceptionnel. Un scénario qui termine de faire entrer ce Tour dans la légende. Et c’est dans le Tourmalet que les hostilités débutent. Jan Ullrich a décidé de prendre ses responsabilités. Il attaque. Stupeur, Lance Armstrong n’arrive pas à prendre sa roue. Le Texan une nouvelle fois lâché. Pendant deux kilomètres, il va s’accrocher, entre 10 et 50m de l’Allemand. Au courage il revient dans la roue, tandis que Vinokourov craque. La bataille se calme et tout le monde revient.
Pour mieux que cela explose dans la montée finale. Au scénario légendaire. Cette fois-ci c’est Lance Armstrong qui lance la première banderille ! Il est suivi par Iban Mayo, tandis qu’Ullrich marque un temps pour revenir dans les roues . Et là, stupeur. Le maillot jaune accroche un spectateur avecson guidon et il tombe, emmenant le Basque dans sa chute. Jan Ullrich évite de peu la chute et somme le groupe des favoris d’attendre le Texan. Fair-Play Ullrich qui se souvient peut-être qu’Armstrong l’avait attendu deux ans plus tôt, dans la descente du Peyresourde.
Armstrong revient, non sans se faire une nouvelle frayeur, en déchaussant et frôlant une seconde chute. Ce Tour est décidément incroyable. Armstrong revient et contre Iban Mayo et le dépose. Ullrich ne peut répondre, il est lâché ! Pour la première fois depuis trois étapes, la tendance s’est renversée. Armstrong, au bord du précipice, si près de perdre le maillot, attaqué comme jamais, vient de retrouver de sa superbe. Il repousse l’Allemand à 40 secondes et à 1’07 au général. Le plus gros écart depuis le soir de l’Alpe d’Huez.
Ullrich chute, mais une chute qui ne change rien
Le courageux du Tour, Tyler Hamilton remporte une étape de prestige à Bayonne. Touché mais pas coulé, Ullrich récupère une bonif dans l’étape vers Saint-Maixent L’Ecole. L’Allemand, qui a relégué Armstrong à 1’37, à Cap Découverte, y croit dur comme fer. Le chrono entre Pornic et Nantes va être le juge de paix. Alors que la canicule a sévi sur la majeure partie de ce Tour de France 2003, c’est sous une pluie battante que va se décider cette édition.
Jan Ullrich, un peu en avance sur Lance Armstrong, tombe dans un rond point. Sans conséquences puisque l’Allemand se relève aussitôt. Le gain de l’étape s’envole et il échoue à 25 secondes de David Millar. Mais il n’aurait pas pu renverser le cours des choses. Ce chrono est à l’image de ce Tour de France, avec beaucoup de regrets pour Ullrich, qui n’aura jamais été aussi près de faire tomber Lance Armstrong. Jamais plus l’Allemand n’aura une telle occasion. Lance Armstrong file vers son 5e sacre. Il posera sa patte sur deux éditions encore, avant d’être rattrapé par la patrouille. Des aveux de dopage qui laissent un goût amer à cette magnifique édition 2003. Qui viennent souiller le souvenir d’enfant, d’adolescent voire d’adulte émerveillé par les prouesses de ceux qu’on a l’habitude d’appeler “Les Géants de la Route”.
Etienne GOURSAUD
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