IMANOL HARINORDOQUY : « CETTE TOURNÉE DU XV DE FRANCE PEUT ÊTRE UN ÉLECTROCHOC POSITIF POUR LA SUITE »

Après une tournée d’automne moribonde qui a vu la défaite du XV de France contre la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, ainsi qu’un match nul désastreux contre le Japon, l’heure est à la remise en question dans les rangs tricolores. Imanol Harinordoquy, 82 sélections en Equipe de France, livre son analyse sans filtre et propose ses solutions pour retrouver un XV de France performant.
Imanol Harinordoquy
(c) Pierre B.
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Après une tournée d’automne moribonde qui a vu la défaite du XV de France contre la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, ainsi qu’un match nul désastreux contre le Japon, l’heure est à la remise en question dans les rangs tricolores. Imanol Harinordoquy, 82 sélections en Equipe de France, livre son analyse sans filtre et propose ses solutions pour retrouver un XV de France performant.(Crédit photo : Pierre B.)

Avant la tournée, j’espérais que j’allais voir l’équipe de France avec le visage qu’elle avait montré lors de la dernière tournée d’automne 2016. À savoir une équipe avec beaucoup de fraîcheur, de dynamisme ou de l’allant comme contre les All Blacks et l’Australie il y a un an. Le XV de France avait produit du jeu et nous avait montré une envie de tous les instants avec des joueurs solidaires qui mouillaient vraiment le maillot.

Je m’attendais un peu à revoir tout cela, notamment à cette période de l’année qui est censée être le pic de forme pour les joueurs.

Malheureusement ce ne fut pas le cas.

Le seul côté positif de cette tournée pourrait être les quelques réactions d’orgueil, notamment lors de la deuxième mi-temps contre les All Blacks où l’équipe tricolore s’est enfin mise à produire du jeu.

Les points négatifs sont bien plus nombreux. Nous avons eu des difficultés dans la vitesse d’exécution, dans les sorties de balle où la lenteur a été flagrante, dans la mise en place de notre jeu ou encore dans notre organisation tactique. Nous avons subi défensivement. On semblait parfois en place, mais les montées n’étaient pas coordonnées et nous n’agressions pas assez vite les attaques de nos adversaires. Le match contre l’Afrique du Sud est assez révélateur, car malgré leur rythme assez lent, ils avaient tout le temps la possession du ballon et pouvaient avancer sereinement.

La clôture de cette tournée d’automne a vu notre plus mauvais résultat depuis quelques années avec ce match nul contre le Japon. Une nation qui n’est pas dans le Top 10 mondial. Elle a beaucoup progressé, mais ce résultat n’est pas logique par rapport à la différence de talent entre les deux formations. Je ne veux pas trouver d’excuses pour le XV, mais il est vrai que ce match est arrivé au plus mauvais moment, après deux défaites qui ont fait douter les Bleus. Dès le début c’est vrai que le Japon nous a dépassé en termes de vitesse, d’intensité, et même au niveau de la dimension physique. Nous avions l’impression que ça allait trop vite.

Pour être honnête il y avait déjà des problèmes similaires de mon temps, mais nous avions eu quelques résultats qui avaient masqué nos lacunes, c’était l’arbre qui cachait la forêt depuis 2007. Il y a maintenant une urgence à se poser les bonnes questions et à agir pour le bien du XV de France.

Ce match contre le Japon peut être un électrochoc bénéfique pour la suite. Ça nous remet à notre place et on prend conscience du travail qu’il reste à faire.

LES FAILLES DU XV DE FRANCE

Il y a plusieurs aspects à prendre en compte avant de trouver les causes et les éventuelles solutions pour le XV de France.

La préparation fait débat et est souvent la première chose qui revient. Répartie sur 10 semaines avec un programme spécifique, elle était prévue pour un groupe élargi de joueurs. Je ne vais pas rentrer dans les détails, car je ne les connais pas, mais elle était censée être bénéfique et elle a été mise en place pour que justement les joueurs arrivent avec du jus, des bonnes jambes et de la fraîcheur pour cette tournée. On a pu constater que de ce côté, c’était un échec avec notamment plusieurs joueurs forfaits pour cause de blessures. Apparemment elle a été très intense et très difficile à digérer pour les joueurs donc cela n’a pas aidé. Le bilan sur ce point est forcément négatif avec comme point de comparaison les joueurs qui se sont préparés avec leurs clubs, et qui ont montré plus de fraîcheur physique que les autres.

ESSAI D’IMANOL LORS DES 1/4 DE FINALE DE LA COUPE DU MONDE 2003

Dans le passé, les joueurs jouaient beaucoup, sans doute plus que maintenant. Il n’y avait pas de temps pour se préparer pour une tournée, on enchaînait les matchs de Championnat, de Coupe d’Europe et ensuite les tournées. Je pense que les joueurs aujourd’hui sont plus protégés, donc tout rejeter sur la préparation est une absurdité.

L’autre cause à étudier, et selon moi la plus importante est la qualité technique, du moins le manque.
Pendant cette fameuse préparation physique, les joueurs s’entraînaient seuls pendant 10 semaines en ne touchant presque pas le ballon. Il se trouve que nous jouons à un sport qui comprend un ballon, ovale et assez difficile à maîtriser. On l’a vu pendant les matchs, nous avons fait beaucoup d’erreurs techniques qui entraînaient des pertes de balles ou des ralentissements dans le jeu. On sait qu’en quelques secondes la défense adverse peut nous prendre une dizaine de mètres, donc la moindre erreur est très néfaste. De plus la confiance individuelle prend un coup quand on perd un ballon, c’est une double sanction.

Je rebondis donc sur cette confiance et cet aspect mental de façon plus générale, qui joue forcément. En lisant les déclarations, on devine qu’il y a quelques failles de ce côté-là, un manque de leadership et de grinta également. On sent que c’est une équipe jeune. On peut perdre un match, être moins bien physiquement ou techniquement, mais il faut montrer des signes de combativité, de rébellion à un moment.

Il n’y a pas besoin d’être le meilleur joueur du monde pour aller mettre un grand coup de tête dans un ruck, mais c’est vrai qu’on ne l’a pas vu. Personnellement c’est ce qui m’ennuie le plus, en tant qu’ancien de cette équipe, il faut mouiller le maillot et aller au charbon. On a le droit de perdre, de rater des choses, mais il faut se battre pour le coq.

Ces trois aspects se travaillent dès le plus jeune âge, pendant toute la formation jusqu’à atteindre l’équipe sénior.

LE SALUT PASSE PAR LA FORMATION ET LA CONFIANCE DANS NOS JEUNES

Le vrai nœud du problème se situe donc au niveau de la formation. L’aspect physique a pris le pas sur la technique avec désormais de jeunes joueurs qui arrivent dans le Top 14, car ils sont suffisamment solides, mais qui techniquement ont de grosses lacunes, car la priorité n’est pas là durant les années de formation.

Le fait que beaucoup de joueurs étrangers jouent à des postes clés dans le top 14 n’aide pas. Nos jeunes ont besoin de jouer et d’acquérir de l’expérience avec leurs clubs avant de pouvoir prétendre à jouer en EDF.

Best-of d'Imanol Harinordoquy en Equipe de France

Le Top 14 n’est pas le meilleur Championnat du monde. Au niveau de l’intensité et de la rapidité, nous ne sommes pas les premiers. On s’est vu trop beau à un moment, car il y a de très grands joueurs qui l’ont rejoint, mais au niveau du jeu ce n’est pas la référence mondiale.

C’est très bien qu’il y ait des joueurs étrangers, mais c’est vrai que de mon temps pour qu’un étranger prenne ma place il aurait fallu qu’il se lève de bonne heure. Maintenant il y en a à tous les postes et dans toutes les équipes donc c’est peut-être quelque chose à revoir. Mon fils par exemple connaît mieux les joueurs étrangers que les français et cela m’embête.

Mais on peut être optimiste pour plusieurs raisons. On a vu certains jeunes français débuter et montrer de très belles choses, même s’ils ont joué pour remplacer les blessés. On pourra compter sur eux, la relève est là si on lui permet de s’exprimer. De plus, depuis ce début de saison en Top 14 nous avons pu voir beaucoup plus de jeu et d’essais, les matchs sont vraiment plus agréables à regarder.

Peut-être que le travail qui a été fait depuis un moment ne portera ses fruits que dans un, deux ans ou plus. Nous avons parfois une tendance en France à tout changer dès qu’une chose ne va pas. Parfois il faut laisser du temps, peut-être faire quelques ajustements, mais ne pas tout remettre en question d’un coup et tout changer.

C’est ce qu’il se passe avec ce XV de France, où beaucoup trop de joueurs sont utilisés avec pour conséquence un manque d’expérience commune pour l’équipe, notamment pour la charnière. On ne laisse pas la possibilité à nos joueurs de s’installer, de prendre confiance, et la nouvelle génération en a peut-être besoin. Il faut stabiliser l’ensemble, et baser la construction du XV sur un noyau dur, car il y a du talent. Ne pas hésiter à leur laisser du temps et voir au bout de deux ans où ils en sont.

OBJECTIF 2023

Actuellement nous sommes la 9ème nation au classement mondial IRB, il faut le prendre avec beaucoup d’humilité, ne pas se croire plus beau que l’on est, et avoir des objectifs à court terme en accord avec ce classement. Les supporters que nous sommes doivent s’attendre à des performances digne d’un 9ème également, et pas d’un 4 ou 5ème comme l’on a été dans le passé. Bien évidemment, le but est de “re”grimper petit à petit, partir sur un nouveau projet et viser la Coupe du Monde en France 2023.

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Il y a eu de très bons jeunes joueurs qui ont joué avec les Barbarians et avec l’équipe A’ à Lyon donc pourquoi ne pas s’appuyer sur ces éléments également.

On voit que nous tournions à 20 sélections de moyenne alors que les anglais ou les gallois sont quasi à 60. Ils ont su repartir sur de bonnes bases il y a quelques années au moment où ils touchaient le fond, ça a pris du temps, mais les voilà aujourd’hui plus performants que jamais.

Je n’aime pas copier les autres nations, car cela veut dire que nous sommes déjà en retard, mais je vais quand même vous donner un exemple de ce qu’il se fait de mieux ailleurs. J’étais dans les tribunes lors du match contre la Nouvelle-Zélande. Il y avait près de 10 jeunes de moins de 20 ans derrière moi habillés avec l’écusson des All Blacks. À un moment je me retourne et je leur demande qui sont-ils et ce qu’ils font là. Ils me répondent qu’ils font partie de la sélection, ils sont venus faire la tournée, ils participent à toutes les sessions avec la sélection sauf aux matchs bien sûr. Ils étaient là pour apprendre, s’imprégner de la culture de la sélection All Blacks, prendre de l’expérience aux côtés des joueurs qui composent la sélection qu’on connaît. Ils sont là pour la transmission et c’est quelque chose de très enrichissant pour des jeunes comme ça. Ils sont gagnants sur tous les points, une fois qu’on goute à la sélection, on veut tout faire pour y revenir.

Ce qu’il faut retrouver au plus vite pour les joueurs c’est cette envie de porter le maillot, de tout donner pour être sélectionné, car cela reste une fierté et une chance incroyable. Une carrière est courte et il faut en profiter au maximum. Je ne serais peut-être pas allé jusqu’à Marcoussis en courant de Biarritz à l’époque, mais je n’en étais pas loin tellement j’avais envie de porter ce maillot orné du Coq.

IMANOL

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