A quelques kilomètres des plus belles plages landaises, dans le petit village de Tosse, vit Stewen Villenave, figure locale bien connue. En l’espace de quelques années seulement, il est devenu l’un des meilleurs ultra-marathoniens mondiaux. A 47 ans aujourd’hui, ce personnage hors norme, passionné de l’extrême jusqu’à en avoir tatoué sa peau de nombre de voyages effectués, ne compte pas pour l’instant s’arrêter en si bon chemin. Pour Sans Filtre, cette force de la nature se confie sur sa passion, sa descente aux enfers et sa magnifique renaissance avec en point de mire toujours l’envie de partager.
Crédit : Stewen Villenave
STEWEN VILLENAVE – QUAND TOUT COMMENCE PAR UN PARI FOU AVEC DES COPAINS
Je suis devenu ultra marathonien par pur hasard. Tout est parti d’un défi sportif avec deux autres copains, participer à la Diagonale des Fous en 2010. Après avoir fait 20 ans de rugby, à 36 ans, je ne savais plus trop quoi faire. Je me cherchais sportivement. Un jour, je tombe sur l’émission Intérieur Sport consacrée à cette célèbre course à la Réunion et je me dis « Tiens, pourquoi pas ? ».
Je me suis entrainé pour préparer ce pari et des trois copains partis là-bas, je suis le seul à l’avoir finie. C’est une course difficile où tu te retrouves très vite dans un entonnoir avec beaucoup de monde, il faut donc partir dans les premiers, et ça je ne le savais pas. Si c’était à refaire aujourd’hui, je prendrais ce paramètre en compte mais je ne changerais rien à ma préparation de l’époque. Et donc j’ai continué. Et c’est très vite devenu une addiction. Entretemps sont malheureusement arrivés tous les soucis d’attentats liés aux Djihadistes et beaucoup de courses ont été annulées dans le monde entier. J’ai donc enchainé avec le Marathon des Sables en 2013. Puis le Chili en 2015 et la Namibie en 2016, deux courses à organisation avec environ 200 participants. J’ai été bien classé, premier français, et le haut niveau a réellement commencé pour moi à ce moment-là.
DEFI SPORTIF ET AVENTURE EXTREME AVANT TOUT
L’ultra marathon, c’est une course à pieds mixte, à étapes, sur du très long, aux alentours de 200 kms en moyenne, et en autosuffisance alimentaire. Le ravitaillement ne concerne que l’eau. Et tu portes ton sac de couchage, tes affaires sur le dos. Il existe également 9 étapes mondiales sur du 500 kms. On part souvent pour une semaine de course entière. J’ai la chance maintenant de faire partie de ce circuit élite. C’est un défi sportif certes mais c‘est avant tout une aventure. On dort au milieu de la faune et la flore locales, en bivouac, dans des lieux magiques, parfois même interdits et qui nécessitent des autorisations spéciales. Les conditions sont souvent extrêmes.
J’ai eu le privilège de courir dans le désert, dans la glace, la jungle, de dormir au milieu des lions ou de croiser des hyènes sur mon chemin. C’est ce qui fait la différence avec un ultratrail dans les Pyrénées par exemple. L’ultra-marathon m’a permis d’aller en Australie, Namibie, Islande, Laponie, Bolivie, au Chili, Mozambique, Costa Rica, et j’en oublie… cette aventure, ces paysages, ces voyages, c’est une sensation unique. Pour le moment, je ne me fixe pas de limite d’âge. La plupart des ultra marathoniens ont entre 40 et 60 ans. Alors oui, à 60 ans, on ne cherche plus forcément à faire un temps, c’est le goût de l’aventure qui prédomine.
C’est un monde où il n’y a pas vraiment de compétition, qui est beaucoup plus axé sur l‘entraide, le partage. Le but, c’est de finir, pas de gagner à tout prix. Tu peux avoir des contre-performances, ne pas être en forme, cela fait partie du jeu. C’est ça, l’endurance. En 2021, j’ai fait une super année, 2022 est beaucoup plus difficile car j’ai eu plusieurs blessures et des opérations. Mentalement, c’est donc plus compliqué.
Cette année, j’ai même failli mourir sur une course en Laponie finlandaise. C’est un format différent, d’une traite dans la glace avec des températures extrêmes, -20 °C en général. J’ai pris le départ dans le but de faire un podium. J’ai préféré ne pas dormir ou très peu tellement je voulais performer. Erreur fatale. J’ai commencé à avoir des hallucinations en pleine course, à parler aux arbres. Je me suis mis à complètement délirer et je me suis écroulé au checkpoint 8, complètement déshydraté, ma température corporelle en dessous de 33°C. Les médecins m’ont envoyé direct à l’hôpital. Et en plus, j’apprends là-bas que j’ai le Covid, donc j’y suis resté une semaine entière.
STEWEN VILLENAVE – LES FEMMES ONT CE POUVOIR QUE NOUS N’AVONS PAS
Participer à un ultra marathon, ça a un coût certain. Il faut compter environ 5000 euros par course. Et il n’y a pas de professionnels dans cette discipline.
J’ai quelques sponsors locaux qui m’aident mais je viens d’engager quelqu’un pour mettre en place et gérer un plan de sponsoring parce que je ne suis pas très doué pour ça. D’ailleurs, c’est un sport où les femmes sont beaucoup plus avantagées que les hommes, contrairement à d’autres disciplines. Elles arrivent plus facilement à trouver des sponsors, notamment au niveau des vêtements, et à se faire financer les voyages, car elles ont aussi pour beaucoup la casquette d’influenceuses. Elles ont des milliers de followers sur Instagram. Ce sont souvent de jolies filles et elles ont cet atout physique, ce pouvoir sur les réseaux sociaux, que nous athlètes masculins n’avons pas.
Même pour le meilleur homme actuellement, qui gagne très souvent, il est difficile de se faire entièrement financer. Les femmes sont moins nombreuses sur les courses certes, mais elles font plus de résultats. Elles ont de toute façon un mental plus fort, c’est évident. La femme est conditionnée pour avoir un mental plus fort, j’en suis intimement persuadé. On le voit dans la vie de tous les jours.
Et tout le monde peut le faire, avec un entrainement adéquat bien sûr. Quand je dis ça, on me regarde souvent avec des gros yeux en me prenant pour un fou. Mais c’est vrai, il suffit juste d’oser et de s’en donner les moyens, j’en suis l’exemple type.
J’ai un préparateur physique, Christophe Damien, avec qui je travaille depuis le début. On met en place un plan d’entrainements trois à quatre mois avant la compétition. Cela peut être du fractionné comme du long, de la prépa en salle, du renforcement musculaire mais aussi de la prévention des blessures. J’ai également une préparation mentale avec Olivier Campot. Avec lui, je travaille beaucoup plus sur la concentration. Quand tu cours, tu as tendance à vite t’évader et à penser à mille choses.
Il me fait faire des exercices spécifiques qui ont pour but de rester concentré sur ce que je fais. Tenir dans de l’eau froide à 8°C pendant 15 minutes, courir pieds nus en forêt pendant une heure pour qu’aucun élément parasite ne vienne interférer parce que ça te force à te focaliser sur là où tu poses tes pieds en permanence et rien d’autre. Tout cela me prend environ 20 à 25 h semaines en pleine préparation d’ultra-marathon, récupération comprise.
THE TRACK, UN TOURNANT DANS MA VIE
Mon plus beau souvenir à ce jour reste ma première participation à The Track en Australie en 2017. C’est la plus grande course au monde et on me sollicite pour la faire, un honneur. 520 kms en 9 étapes. Jusque-là, je n’avais jamais couru plus de 250 kms en 6 étapes. Déjà, 6 jours en autosuffisance alimentaire, c’est dur et là, quand j’y pars pour 9 jours, je ne sais pas du tout si je vais avoir le niveau. C’est un énorme challenge. On est 30 sélectionnés, la moitié seulement à terminer la course dans les temps. C’est tellement aléatoire. Sur certaines étapes, je finis 4ème, sur d’autres dans les derniers. Sur une étape de 56 kms, la 6ème je n’avançais pas, j’étais dans le dur total en permanence, une horreur. Je la boucle en 8 heures, et le lendemain, sans avoir dormi de la nuit, je prends le départ pour une étape de 64 kms et je mets moins de temps que la veille, je suis en pleine forme ; c’est ça, l’ultra-marathon. Des fois, tu ne sais pas pourquoi, ça ne fonctionne pas…. Je finis 6ème de The Track et premier français. Et c’est là que tout a commencé.
Lorsque je rentre de cette course en 2017, je me sens… comment dire ? Tout le monde me sollicite, je me sens fort et puissant, euphorique. Je suis jalousé ou admiré, personne n’est vraiment neutre dans mon entourage. Et là commence ma descente aux enfers.
Une connaissance me contacte pour me demander de l’aider à préparer un 10 kms en moins d’une heure et j’accepte. Quand je la rencontre, elle court à peine 5 kms. J’accepte de l’accompagner parce que j’aime ça, je m’investis à fond dans tous ses entrainements en plus des miens, je cours avec elle et je vois rapidement qu’elle a un fort potentiel. Je deviens même très vite admiratif ; et vu sa progression fulgurante, je l’amène à faire de grosses courses. Elle commence à faire des podiums.
Elle réussit une super perf sur une course à Madagascar un an après que j’ai commencé à l’accompagner, elle en sort euphorique, je suis fier d’elle mais j’ai ce nœud, là. 18 mois après nos débuts ensemble, elle fait le désert de l’Atacama au Chili sur 180 kms, en autosuffisance totale. Mais cette personne a des problèmes personnels, est totalement dépendante de moi, ne s’entraine pas sans moi, donc je fais mes courses et je l’accompagne en permanence en plus dans les siennes ; et quand tu fais ce sport-là, tu as besoin de te mettre dans ta bulle, d’éloigner le négatif. Enfin, en tout cas, moi, c’est le cas. Et là, d’un coup, il y a beaucoup trop de choses et d’intervenants dans ma vie.
STEWEN VILLENAVE – 2019, LA DESCENTE AUX ENFERS
Plus elle performe, plus j’ai la sensation de couler. Je commence à subir, à sentir que je ne suis plus moi-même. A ne pas être bien. Je me renferme, je deviens con avec les gens, colérique, je suis perdu. Je ne dors plus, ou difficilement, j’en arrive parfois même à prendre une cuite pour arriver à dormir. Je gère en même temps un bar-tabac, une boucherie, mes courses, ses courses, je suis en surdose de travail.
En 2019, je repars pour the Track en Australie, je suis attendu au tournant, être le premier français à la réaliser deux fois. Dans ma vie privée, ça ne va pas vraiment à ce moment-là… s’y rajoutent une mauvaise préparation mentale et physique. J’ai une hernie inguinale et dès la première étape, elle n’arrête pas de sortir pendant que je cours. Les médecins me disqualifient d’office et je dois rentrer me faire opérer en France.
La descente aux enfers continue. Je me mets à perdre la mémoire, de plus en plus souvent. J’ai l’impression de devenir fou, j’oublie des choses très concrètes que j’ai pues faire quelques heures avant, j’ai tout le temps le diaphragme bloqué, je ne suis pas bien. Je ne me reconnais plus. Et puis un soir, suite à un évènement d’ordre privé et une énième perte de mémoire, je pète littéralement un câble et j’envoie un sms à mon cousin. Je lui demande de me prêter son fusil. Si mes cousins n’avaient pas eu la lucidité de comprendre ce qui se passait, je pense que je l’aurais fait.
Je n’avais jamais eu de pulsions suicidaires auparavant. Le médecin est appelé, diagnostique un burnout, me parle même d’internement mais comme je suis bien entouré par ma famille, elle m’envoie chez une psychologue. Je suis sous traitement anxiolytique, antidépresseurs, et ça m’apaise effectivement, mais je subis toute cette situation. Pour moi, il est hors de question que je me soigne avec des anxiolytiques. Mais je n’arrive plus à courir, je broie du noir, enfermé chez moi, dans la pénombre. En plus, je suis en pleine saison estivale au boulot. C’est un véritable cauchemar.
RENAISSANCE
J’ai une amie qui elle aussi n’est pas très bien… elle a prévu de partir à la montagne fin août, seule, quelques jours, pour se ressourcer, et je décide de l’accompagner. Une nuit, alors que je dors à la belle étoile en pleine montagne, je me fais attaquer par 4 chevaux. Ils sont surpris de me trouver là dans le noir total et ils me mordent. Ce moment-là, il se passe quelque chose, j’ai comme un déclic. Comme si je me retrouvais un peu. Je n’ai pas vraiment peur de ces chevaux mais j’ai cette petite décharge d’adrénaline que je reconnais et que j’avais perdue. Je décide donc de repartir quelques jours après seul à la montagne et de me mettre en danger, rien de méchant, mais par exemple, me tenir au bord d’un précipice pour ressentir tout ça à nouveau, cette montée d’adrénaline. En parallèle, je continue mes séances avec la psy qui m’apportent beaucoup.
Et début 2020, je me prépare enfin pour mon retour à la course, une course au Vietnam que je finis avec à nouveau le goût du voyage et de l’ultra. Bon, malheureusement, il y a le confinement dès mon retour mais j’ai enfin retrouvé l’envie. JE me suis retrouvé.
Ce burnout, avec le recul, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Parce que j’ai compris que j’avais une faiblesse, et que cette faiblesse, c’était l’élément extérieur. Qu’il fallait que je me protège des gens négatifs et toxiques autour de moi, que je ne m’entoure que de gens positifs et bienveillants. Que je pouvais certes continuer à accompagner d’autres personnes parce que j‘aime plus que tout ce partage sportif, mais en y mettant des limites très claires. Ne pas m’oublier moi dans tout ça.
STEWEN VILLENAVE – LE GOUT DU PARTAGE SPORTIF ET DES PROJETS PLEIN LA TETE
J’ai ce gout du partage. Ça me plait d’accompagner, de transmettre cette idée que tout le monde en est capable. J’ai été confronté moi-même à certaines personnes qui me disaient « Tu n’y arriveras pas », et encore aujourd’hui vu mon âge et mes blessures. Mais qui sont ces gens pour dire cela ?
J’accompagne par exemple Grégory Mouyen, ambassadeur d’Handicall et qui œuvre pour la reconnaissance des personnes en situation de handicap. Il est lui-même lourdement hémiplégique mais c’est un athlète d’exception, un véritable guerrier, que j’ai l’honneur de suivre depuis un certain temps déjà dans ses courses ou ses défis personnels, comme courir 600 kilomètres entre Bordeaux et Paris pour nous rendre à l’Élysée. Nous avons été récompensés pour cela au Sénat.
Je pars dans quelques jours en Jordanie pour accompagner une amie, Aurélie Montus, et courir avec elle 185 kms en moins de 60 heures, d’un trait, sans étapes. C’est un double challenge. Pour elle, cette course est la première dans ce format-là. Et elle a toute ma confiance. Pour moi, le défi sera de la terminer car je suis encore en convalescence suite à une opération du genou il y a 6 semaines. Je sais que je vais devoir me confronter probablement à la douleur, me dépasser dans le mental et le moral, repousser mes limites.
En Mai 2023, je repars en Australie pour The Track. C’est MA revanche personnelle cette fois-ci. Pour me dire, « 2019, tu ne m’as pas eu ».
Je réfléchis également à me lancer en tant que consultant sportif. Je suis de ceux qui pensent que le sport – comme le voyage d’ailleurs- ouvre des portes, redonne confiance à beaucoup de gens, qui en sortent grandis. Beaucoup se mettent au marathon d’ailleurs après une expérience de vie difficile, une séparation mal vécue, une maladie, car ils ont besoin de se prouver quelque chose.
J’ai envie de tenter une nouvelle aventure, de partir vivre en Polynésie, d’ici deux ans peut-être. J’y réfléchis de plus en plus. Et pourquoi pas à travers le marathon, et le sport de manière plus générale, aider des enfants, des personnes en difficulté, qu’ils soient victimes ou bourreaux, leur montrer que cette souffrance, cette agressivité, peuvent être redirigées sur tout autre chose de positif, leur apprendre à se faire mal, certes, mais pour la bonne cause. Leur apprendre l’abnégation. J’ai même pensé à travailler avec des personnes incarcérées, pourquoi pas. Parce que j’aime montrer aux gens leurs capacités, leur (re)donner le goût de croire en eux et en leur potentiel.
STEWEN VILLENAVE
Avec Sandy Friand