TONY CHAPRON : ARBITRES-JOUEURS, POUR DES RELATIONS PLUS SAINES

Tony Chapron a tout connu des joies et des peines du métier d’arbitre. Avec maintenant deux ans de recul sur ce rôle si particulier, il nous éclaire sur les solutions pour améliorer les relations entre les acteurs du jeu.
Tony-Chapron

Tony Chapron – Arbitre & consultant

Football : #Ancien arbitre de haut-niveau (Ligue 1, match internationaux) #Canal+

(Crédit photo Une : DR).

L’arbitrage…

On ne naît pas arbitre, en tout cas ce n’était pas le cas pour moi.

Je jouais comme beaucoup de garçons de mon âge dans un club de foot, à Condé sur Noireau.

Un jour on m’a demandé d’arbitrer un match dans un tournoi. J’ai plutôt bien aimé cette expérience et je l’ai réitéré par la suite. C’était une façon de prendre des responsabilités, voir le jeu d’une autre façon. Pour être pragmatique et honnête, c’était aussi une façon de gagner un peu d’argent chaque week-end.

Comme beaucoup de jeunes avant de devenir arbitre je passais mon temps à râler après eux. Ça a donc beaucoup modifié ma façon de faire, de me comporter et ma façon de jouer également, car je connaissais à présent toutes les règles. J’ai progressé en tant que footballeur, car j’étais plus concentré sur mon propre jeu, mes propres performances et moins sur les à-côtés.

En tant qu’arbitre en revanche on rencontre des difficultés dès le départ. Pour moi la chose la plus difficile était de se faire insulter par des parents, alors que je n’avais qu’une quinzaine d’années. On oublie que derrière l’arbitre qui est sur le terrain, il y a un adolescent pas plus âgé que les joueurs, pas plus âgés que les enfants de ces parents qui insultent l’homme en noir.

La relation à cet âge avec les joueurs n’est ni mauvaise, ni agressive. Bien sûr, il y a des prises de bec, les joueurs ont leurs propres interprétations du jeu et le font savoir, mais très honnêtement le climat n’est pas malsain. Le problème venait vraiment des parents qui pouvaient donner le mauvais exemple à leurs enfants et à créer un état d’esprit néfaste pour la suite.

Les jeunes footballeurs ont sans doute besoin d’être sensibilisés sur le rôle de l’arbitre, mais ma priorité irait tout d’abord dans l’éducation des pères et mères au bord du terrain.

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ENTRE PLAISIR ET FRUSTRATION

Il y a tellement de moments où l’on a envie d’arrêter. Je ne connais personne qui prend du plaisir à se faire insulter pendant tout un match. Nombreux se lèvent le dimanche matin en plein hiver pour aller arbitrer un match à l’autre bout du département ou de la région, autant dire que la sortie du samedi soir avec les copains est oubliée dans ce cas-là ! Il y a plus glamour comme passion, nous sommes d’accords.

Mais heureusement il y a également beaucoup de côtés positifs. Déjà il faut être passionné de foot. On est arbitre bien sûr, mais on a la chance de voir des matchs chaque week-end et d’y contribuer. Quand on sort d’un match où le jeu s’est très bien passé, les deux équipes ont développé du beau football, c’est un vrai plaisir. Nous sommes à la fois le témoin et le chef d’orchestre du déroulement de la partie.

Il y a ce fait d’évoluer, un challenge chaque week-end pour progresser et monter dans les divisions. J’ai eu la chance que tout se passe assez rapidement pour moi. La qualité des matchs qu’on arbitre augmente également, le plaisir grandit naturellement.

Lorsque j’ai commencé à évoluer dans le monde professionnel, en 2001, l’enjeu était tout autre et il a fallu que je m’adapte. L’une des techniques que j’utilisais passait par la création d’une liste de joueurs dans chaque équipe sur lesquels je pouvais m’appuyer en cas de tension dans le match, des personnalités qui savaient garder leur calme et étaient de bons médiateurs.

Malheureusement, les relations se sont effritées au fil des saisons ces dernières années.

La VAR cette année ne change rien, car chaque arbitre l’utilisera différemment selon son propre avis… elle déplace le problème et met surtout en lumière l’interprétation différente que peuvent faire chacun des officiels de la même situation.

Je me souviens d’un stage UEFA que j’avais fait et qui regroupait les 30 meilleurs arbitres du moment. Des images vidéo nous avaient été montrées et on nous avait demandé de voter sur le fait qu’il y ait pénalty ou non. Les résultats étaient significatifs, 55 % de oui et 45 % de non. On voit les mêmes images, mais l’interprétation dans certaines situations compliquées peut-être différente, c’est un fait.

Il y a d’ailleurs eu des soucis cette année avec la VAR et récemment d’ailleurs pour savoir s’il y avait carton rouge ou non sur la faute du Rennais Niang par exemple, il ne faut pas oublier que l’arbitre peut ne pas être lucide, pas serein à un moment dans la partie. Et la première victime de cette erreur est l’arbitre lui-même, il ne la fait pas sciemment et en récolte les fruits pendant des jours par la suite, notamment sur les réseaux sociaux qui peuvent être vraiment cruels. N’oubliez pas, il y a un humain derrière l’arbitre.

Pourtant il y a pléthores de choses qui pourraient être faites dans le seul but d’améliorer ces relations. Dans mon livre “Enfin Libre”, il y a une liste de 30 propositions qui vont dans ce sens.

Je ne vais pas toutes les décrire mais on peut évoquer quelques points primordiaux.

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C’EST PAR L’ÉCHANGE ENTRE JOUEURS ET ARBITRES QUE TOUT IRA MIEUX

Pour parler par exemple des sanctions, pour moi elle est utile seulement si elle est éducative. Si c’est punir pour punir ça ne sert à rien. Un joueur qui a 3 matchs de suspension, comme M’Bappé cette saison, on pourrait lui infliger deux fermes et lui faire arbitrer un match de jeune lors de ces deux premiers week-ends de suspension pour éviter de rater ce troisième match. Tout le monde serait gagnant, le joueur revient plus vite, il est sensibilisé à l’arbitrage, l’image du joueur est également bonifiée, et les jeunes ont un souvenir magnifique également.

Pour avoir un rapport apaisé entre tous les acteurs, il y a également des solutions. Le respect vient de la connaissance de l’autre. Là on ne se connaît pas, les arbitres, les joueurs, les entraîneurs. Le jour où l’on va vraiment se parler, cela changera drastiquement la relation.

Comment y arriver ? Je préconise des séances communes, par exemple un arbitre de Ligue 1 va tous les mois passer une journée dans un club. Mais pas avec un rapport vertical comme aujourd’hui où l’arbitre peut passer dans les clubs, mais seulement pour expliquer les nouvelles règles.

Non. Une vraie journée où ils partagent le repas, les séances, les soins.

Pour les arbitres ce serait un super moyen de comprendre ce que les joueurs vivent au quotidien. Et à l’inverse, les joueurs ne savent pas non plus ce qu’on vit, notre quotidien, comment on s’entraîne, donc il faudrait également une journée par mois où un groupe de joueurs et entraîneurs viendraient à Clairefontaine passer la journée avec les arbitres pour voir les techniques d’entraînement, les supports, etc…

Il faut des échanges. Tout simplement.

Il faudrait également renforcer le rôle du capitaine, qu’il soit le seul intermédiaire entre les arbitres et les joueurs. Imaginez deux secondes quand l’arbitre fait face à 5 joueurs qui ne sont pas d’accord avec lui et argumentent tous à leur façon. Ça devient une assemblée, chacun a sa position et on n’est jamais d’accord. Il n’y a pas de dialogue possible dans ce cas, et ça perturbe le jeu et les spectateurs. Alors qu’avec un interlocuteur dédié, le capitaine, le dialogue est possible, on perd moins de temps et tout le monde en bénéficiera au final.

Une des choses importantes est également de bien connaître les règles. On se comprendra mieux si tout le monde les maîtrise, sinon il y aura toujours une façon de les interpréter qui sera différente et qui générera des conflits. Mais je l’avoue moi-même, j’ai joué au football pendant des années sans en connaître les règles.

Gaël Angoula, ancien joueur de Ligue 1 et maintenant arbitre défiait un journaliste de trouver 5 joueurs pros qui connaissent les règles. Il a raison.

Vous trouvez ça normal que 99 % des joueurs ne connaissent pas les règles, alors que cela fait partie de leur métier ? Attention, ce n’est pas leur faute, c’est aux instances de mettre en place des outils pour qu’ils puissent les connaître. Imaginez un chauffeur routier qui n’aurait pas passé le code.

Il n’est pas question de faire un bouquin de 200 pages, mais un livret par exemple serait suffisant.

Je pense que l’évolution du climat footballistique évoluera avec toutes ses composantes, les arbitres, les joueurs, les entraîneurs et dirigeants, et les journalistes également.

Quand je parle d’échange pour les parties prenantes, je pense également que des discussions entre différents sports pourraient être bénéfiques. S’inspirer du rugby pour l’exclusion de 10 minutes, du basket pour un lancer franc (donc pénalty en football) au bout d’un nombre de fautes commises, peut-être faire perdre 10 mètres sur un coup franc en cas de contestations houleuses.

Malheureusement je ne suis pas sûr que les personnes en place veuillent faire évoluer les choses pour le moment. En ce qui me concerne je ne souhaite pas faire partie des instances, j’ai publié un bouquin et rien n’a été fait depuis, aucune prise de contact non plus, donc je me concentre sur mes activités actuelles.

D’ailleurs le directeur de l’arbitrage ne devrait pas être un arbitre, cela biaise les décisions. Mais je suis optimiste pour la suite, nous avons tous en commun cette passion, je ne vois pas pourquoi les choses ne s’amélioreraient pas.

La dernière chose que je souhaite partager avec vous, c’est qu’il ne faut pas oublier que le football est un jeu.

TONY

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