Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Serge Betsen, du haut de ses 63 sélections en équipe nationale et de ses multiples titres avec le Biarritz Olympique, le XV de France ou les London Wasps, est un monument du rugby tricolore. Si on devait le caractériser par un geste en particulier, il s’agirait du plaquage. Surnommé “la faucheuse”, Il nous raconte sa passion et ses conseils techniques pour cette action si représentative du monde de l’ovalie, mais aussi quelques souvenirs sans filtre.
C’est un ami d’enfance qui m’a proposé de jouer au rugby dans le club de Clichy la Garenne. Avec ma curiosité d’enfant de 12 ans, je suis entré dans le monde inconnu de l’ovalie.
J’ai découvert au-delà du sport que je ne connaissais pas, une atmosphère et un accueil qui m’a tout de suite plu et je me suis senti bien dans ce club, et le reste a suivi.
Le rugby m’a fait découvrir mon caractère, m’a montré que j’aimais les sports d’équipe. J’étais fait pour ça.
J’aimais jouer pour les autres et c’est ce que j’ai essayé de faire dans tous les matchs de ma carrière. Ce sport m’a fait prendre confiance en moi et a éveillé ce caractère de compétiteur qui est devenu une référence. Avant tout, le rugby est devenu ma passion.
J’ai toujours joué en 3eme ligne. L’un de mes premiers entraineurs avait une maxime qui m’a marqué : « le plus important c’est la solidarité et l’entraide sur le terrain ». Naturellement, j’ai appris ce geste qui est pour moi l’essence du rugby, le plaquage.
Je le dis souvent, car ça me rappelle de bons souvenirs, c’est une fille de mon club qui m’a appris à plaquer : Corine.
En catégorie jeunes, les équipes sont mixtes et c’est une richesse pour l’éducation des enfants. Le fait de jouer ensemble éteint toute discrimination possible. Bien évidemment, à partir d’un certain âge les hommes et les femmes se développent différemment et l’écart concernant l’impact physique devient trop important. On doit ainsi distinguer les deux catégories, mais c’est une très bonne chose de les faire débuter à cet âge là ensemble.
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C’est vrai qu’on m’a transmis cette valeur du plaquage comme une forme de sacrifice pour l’équipe. Le mot sacrifice est peut-être un peu fort, on peut souvent le remplacer par un service pour l’équipe.
Être un bon plaqueur ne vient pas du ciel, j’ai dû m’entrainer et progresser par étapes pour devenir une référence. Ce fût un vrai challenge au quotidien, mais j’ai adoré perfectionner mon art du plaquage. Il ne faut pas croire que ce geste est simple, ce n’est pas le simple fait de se jeter sur son adversaire.
LE PLAQUAGE, LA QUINTESSENCE PHYSIQUE ET TECHNIQUE DU RUGBY
Aujourd’hui de manière générale il y a énormément de paramètres à prendre en considération avant l’acte de plaquer. Il y a la lecture du jeu, bien établir notre capacité à se déplacer pour être devant l’adversaire et être bien positionné pour avoir un plaquage positif et ne pas subir ce plaquage. Le positionnement doit permettre de faire renverser l’adversaire ou en tout cas de le faire reculer. Le plaquage efficace et parfait pour moi c’est quand je plaque et que je réussis à gratter ce ballon pour le donner à des partenaires afin de marquer l’essai derrière. C’est cette méthode-là que j’essayais d’appliquer tout le temps pour me faire plaisir et être le plus utile possible à mon équipe.
Le bon plaquage c’est aussi le plaqueur qui tombe en dernier. Ce qui permet forcément de pouvoir récupérer le ballon ou ralentir sa transmission.
L’entrainement pour ce geste particulier est technique et physique. Il faut développer des capacités pour faire reculer son adversaire et revenir très rapidement sur ses appuis afin de gratter le ballon.
Je dis souvent qu’il faut faire trois choses en même temps pour pouvoir arriver à ce geste-là et si elles ne sont pas faites simultanément, ça peut être compliqué : avoir une bonne lecture du jeu, identifier le joueur que je vais plaquer en analysant son gabarit, et se positionner de façon semi-arrêtée afin d’avoir des appuis stables.
Une chose importante qu’il ne faut pas négliger est la cohésion entre les partenaires. Pour être honnête avec vous, il m’est déjà arrivé de plaquer un coéquipier. Derrière il peut y avoir un surnombre pour l’équipe d’en face, ça peut être très pénalisant. Il faut impérativement se préparer en amont par ce que j’appelle « l’entrainement invisible ». Suite à l’analyse vidéo avec l’ensemble de l’équipe, nous devons échanger entre coéquipiers afin de prévoir les montées défensives de chacun selon les situations de match.
J’ai hérité d’un surnom dans le rugby, “la faucheuse”. C’est dû à mon plaquage très bas, dans les chevilles.
Mais bien sûr l’endroit où on plaque dépend de plusieurs paramètres comme la situation sur le terrain, le gabarit de l’adversaire et sa vitesse. Il faut pouvoir analyser rapidement à quel endroit je dois cibler mon action et mon plaquage, et ce sont des paramètres qui changent tout le temps donc il faut pouvoir s’adapter rapidement. Ce n’est pas la même chose d’avoir Sotele Puleoto (1m93, 135Kg) ou Jonah Lomu (1m96, 120Kg), comparé à Christophe Dominici (1m72, 83Kg) ou Vincent Clerc (1m78, 89Kg). Donc il faut vite établir une stratégie qui va nous permettre de les faire tomber le plus rapidement possible avec un engagement de tous les instants et ce désir viscéral de renverser son adversaire au sol.
Pour les plus petits gabarits comme Vincent ou Christophe, il faut réduire la distance et anticiper leurs déplacements afin de ne pas tourner en bourrique à cause de leur vitesse. À l’inverse, pour Sotele et Jonah il fallait se protéger au maximum, car la puissance de ce type de joueurs est dévastatrice et vous pouviez exploser en plein vol.
J’ai pris quelques beaux tampons, notamment d’Isotolo Maka, car il y avait dans mon esprit au-delà de l’envie de plaquer, peut-être un peu d’inconscience.
L’important est de relativiser chacune des actions, qu’elle se passe positivement ou négativement. Il ne faut jamais gamberger, mais être tout de suite concentré pour la prochaine phase de jeu.
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Louper un plaquage comme louper une passe arrive à tout le monde et il faut tout de suite passer à autre chose. Notre sport va tellement vite avec l’enchaînement des phases offensives et défensives que nous ne pouvons nous permettre le luxe d’avoir des doutes. Nous avons tout le temps d’y repenser une fois le match terminé pour analyser nos erreurs et faire en sorte de ne plus les reproduire.
AGRESSIVITÉ POSITIVE
Il y a de l’agressivité dans ce sport, il y en a besoin, mais elle est positive. C’est un sport de contact et si on ne met pas d’agressivité on est dominé par son vis à vis. Il faut énormément de contrôle et de lucidité pour ne pas pénaliser son équipe et prendre un carton jaune par exemple. Cette dimension affective et mentale est importante à travailler, certains ne la travaillent pas et c’est dommageable.
Il faut apprendre à contrôler ses émotions, qui sont nombreuses dans le sport et notamment dans le rugby. Il ne faut pas que l’enjeu et la frustration prennent le dessus. On estime peut-être trop aujourd’hui que c’est quelque chose d’inné alors que ça s’apprend et il faut parfois de l’aide pour se construire dans ce domaine.
Pour moi ce n’était pas inné, je suis devenu calme notamment en travaillant sur mes émotions pour rester dans l’efficacité et éviter les sanctions ou les problèmes.
J’ai pris beaucoup de pénalités et de cartons blancs* sur les grattages de ballon, car je ne relâchais pas mon emprise sur la balle assez rapidement.
*A l’époque le carton blanc sanctionnait les fautes techniques volontaires ou toute action contre l’esprit du jeu. Il équivalait à une exclusion temporaire mais non cumulable avec les traditionnels cartons jaunes ou rouges.
Maintenant les nouvelles règles permettent à mon style de jeu d’être bien mis en valeur, il y a désormais de vrais plaqueurs & gratteurs et c’est positif pour la beauté de ce sport. Lors de la Coupe du monde en 2015, la 3ème ligne Australienne (et notamment David Pocock) a fait un travail monumental sur ces gestes.
SOUVENIRS ET AVENIR
Je ne me considérais pas comme un grand plaqueur, à l’inverse d’un Thierry Dusautoir. Je me considérais plutôt comme un très bon défenseur grâce à ma lecture du jeu principalement, et non pas sur la dimension physique du plaquage.
Un de mes matchs les plus efficaces en termes de plaquages, c’est en finale contre le Stade Français, contre David Skrela notamment. Mon but était de cibler le numéro 10 quand il avait le ballon afin de le récupérer ou au moins ralentir sa progression. Sur cette finale cela m’est arrivé plusieurs fois.
La différence dans le style de jeu des hémisphères ne changeait pas grand-chose pour un joueur comme moi. Au final avec un Jason Robinson (ancien international anglais), il ne fallait pas trop dormir si on voulait l’arrêter. Il était aussi dangereux que les arrières de l’hémisphère sud. Mais c’est vrai qu’à choisir je préférais laisser les grands et costauds à Sébastien Chabal ou Thierry Dusautoir, et je me gardais les joueurs de mon gabarit.
Un des adversaires qui m’a fait très mal pendant un match est Tana Umaga, il prenait le ballon à hauteur et j’étais souvent face à lui…
Il faut savoir que les Maoris ont la densité osseuse la plus forte au monde, donc au niveau des impacts on le ressent. Comme je dis souvent lors de mes séminaires, mon épaule gauche se rappelle encore de Jonah Lomu quand j’ai dû le plaquer au tout début de notre rencontre contre la Nouvelle-Zélande au Stade de France en 2002.
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Pour revenir sur mon poste, j’ai toujours apprécié un joueur comme Julien Bonnaire qui est entré dans la droite lignée des 3ème ligne à la française. Capable de jouer 6, 7 ou 8, il a toujours été incroyable en attaque et en défense. La France a toujours connu des 3ème ligne de classe internationationale, nous avons eu ce vivier par le travail et le talent mais il faudrait s’appuyer un peu plus sur la transmission.
J’ai eu la chance de côtoyer mes idoles de jeunesse comme Benetton contre qui j’ai d’ailleurs pu jouer ou Richard Pool-Jones qui a été mon coéquipier lors de mes débuts au Biarritz Olympique. J’ai une pensée pour Jean-Pierre Rives, Jean-Claude Skrela, Michel Celaya, Abdelatif Benazzi et tant d’autres. J’admire ce qu’a pu faire mon ainé Pascal Ondarts (ancien pilier du BO) qui avait créé une académie pour les 1ère lignes afin de transmettre ses enseignements aux jeunes générations. Il est essentiel de rassembler les grands noms du rugby afin d’avoir un discours cohérent pour les joueurs de rugby en herbe.
Actuellement dans le Top 14, Thierry Dusautoir manque beaucoup, mais il y a des joueurs comme Kevin Gourdon (Stade Rochelais), Wenceslas Lauret (Racing Metro) ou Jean Monribot (RC Toulon) qui se démarque notamment dans les plaquages & grattages. Je trouve que la troisième ligne française de l’équipe féminine a été incroyable à la Coupe du Monde avec Ménager, Mayans, Annery, Andre. Je crois que je n’ai jamais vu une 3ème ligne aussi complémentaire en Équipe de France. Ménager a d’ailleurs été pour moi la joueuse du tournoi. Il faut vraiment féliciter toute cette équipe, car ces filles ont fait une très belle coupe du monde et leur progression est impressionnante.
Pour finir, j’aimerais donner quelques conseils aux jeunes afin qu’ils s’améliorent au sujet des plaquages. D’abord, il faut venir à Londres afin de participer à mes stages 😉
Et de manière générale il faut faire ses devoirs : relire cet article, recueillir les informations auprès des anciens joueurs et des éducateurs, analyser les vidéos et mettre en place un programme de travail pour que cette technique devienne seconde nature.
Ajouter un exercice sur la gestion des émotions afin d’éviter d’être frustré ou découragé en plein match est important. Paris ne s’est pas fait en un jour, c’est un travail de longue haleine et il faut être patient et se donner les moyens de ses ambitions.
Pour ça il n’y a qu’une seule solution : TRAVAILLER