Journaliste sportive au sein de la Chaîne l’Equipe, où elle commente les courses cyclistes proposées par la chaîne, ou anime son émission “Ca va frotter”, avant et après les retransmissions, Claire Bricogne est devenue une figure incontournable dans le monde de “la petite reine”. Première femme à commenter le Tour de France, en 2015, elle a apporté un vrai vent de fraîcheur dans un milieu qui a été essentiellement masculin. Elle retrace son parcours, son amour du vélo qui est né un jour de victoire de Richard Virenque à Courchevel. Claire Bricogne a déjà un parcours remarquable et espère pouvoir continuer à faire grandir “Ca va frotter”.
Crédit : La Chaîne l’Equipe
CLAIRE BRICOGNE – L’ETAPE DE COURCHEVEL EN 1997 – MA PREMIERE EMOTION CYCLISTE
Le cyclisme a toujours été une passion. C’est ce sport qui m’a amené vers d’autres disciplines. J’ai suivi le football et le rugby, quand j’étais adolescente, mais parce que le cyclisme m’a amené vers autre chose. Cela a toujours été le fil conducteur. Le Tour de France, comme dans beaucoup de familles, était mis en fond tous les étés. Mais je n’y faisais pas vraiment attention, cela ne me captait pas. Je l’ai remarqué la première fois à l’âge de dix ans. C’était le 20 juillet 1997, l’étape menant à Courchevel et remportée par Richard Virenque. Ce sont mes premiers souvenirs, puis il y a eu les premiers posters accrochés dans la chambre. Le grand départ de mon Tour de France a été ce jour-là.
Je n’avais aucune notion de ce qu’il y avait autour de la course et de ce qui allait se passer l’année suivante, avec Festina. Je n’avais aucune connaissance cycliste et je capte ça, ces émotions brutes. La communion de Virenque avec le public, qui était complètement dingue. Il a soulevé la foule et il faut se souvenir qu’il n’y a eu aucun temps de répit dans cette étape, on a été en haleine de bout en bout. Cela a déclenché tellement d’émotions en moi, que cela a été marquant. Mon père m’a acheté l’Equipe quasiment tous les jours, je faisais des classeurs avec des articles de presse, avec des pochettes pour chaque coureur que ce soit des articles de l’Equipe, du Courrier Picard, mais aussi des magazines de cyclisme. Je faisais moi même les classements.
J’AI VU A LA TELE UNE JEUNE FILLE QUI VOULAIT ETRE JOURNALISTE SPORTIVE, J’AI EU LE DECLIC
J’ai mis en route sans vraiment m’en rendre compte et le cyclisme est devenu ma passion. L’archivage me plaisait, plus tard je me suis retrouvé à faire des fichiers excel, pour marquer la moindre information sur chaque coureur. C’était un processus où j’avais besoin de tout garder, je me souviens de piles de journaux que je n’avais pas encore découpé. Je prenais du retard, mais je ne voulais pas les jeter, c’était impensable. Mais je n’avais pas encore mis des mots sur ce que je voulais faire. J’avais plusieurs métiers dans la tête mais pas forcément celui de journaliste. Je me souviens qu’un ou deux ans après, en regardant 100% questions sur France 5. Je me souviens avoir vu une fille, qui voulait être journaliste sportive. Cela a été une évidence et j’ai voulu également faire ce métier.
Ma première expérience de direct, a été lors d’un stage pour France 3 Picardie. Je viens de l’IEJ, une école non reconnue par la profession. Dans le service public, on vous dit parfois que ce sera plus un stage d’observation. J’avais un stage de deux mois et ils m’ont fait évoluer et énormément confiance et je me suis retrouvée au stade de la Licorne. Un stade que je connaissais bien, ayant fait une partie de mes études. J’étais sur le bord de terrain, pour la montée d’Amiens en Ligue 2, en 2011. Les matchs étaient en direct sur internet. J’ai rencontré des gens formidables comme Karine Hallaf, présentatrice du JT Sports et qui m’a vraiment fait confiance tout de suite. Je me suis retrouvée sur un bord de terrain sur du football, certes pas ma spécialité.
CLAIRE BRICOGNE – LE PLUS DIFFICILE C’EST DE FAIRE SORTIR L’EMOTION
C’était assez fou, dans l’ambiance d’un stade de foot. J’ai beaucoup couvert ce sport, quand j’étais correspondante au Courrier Picard, mais sur des plus petit niveau comme la DH. Quand on se retrouve sur un bord de terrain, d’un stade dont je suis allé plusieurs fois en tribune, c’est assez particulier. Il y avait beaucoup de stress. Le bord de terrain, ce sont des interventions, des interviews. On peut se dire que ces interviews, qui sont assez courtes, sont assez faciles à réaliser. Mais pas du tout, car on a trente secondes pour poser les bonnes questions. Générer et sentir les bonnes émotions, tout en allant chercher l’émotion de la personne. Il faut être réaliste avec ça. C’était très angoissant et très incroyable à la fois. Dans le stade, il y avait des gens que je connaissais et qui me faisaient des signes dans les tribunes. Cela reste un gros souvenir pour moi, car c’est la grande première.
Le sport laisse l’opportunité de préparer un minimum en amont. Pour le cyclisme, quand on fait des interview d’avant course, on sait plus ou moins ce qu’on va dire, car on étudie le parcours de la personne. On connaît l’angle. Sur la course et les interviews d’après course, on a également la préparation de l’interview qui est faîte en fonction du déroulement de la course. Même si cela se décide au sprint, il y a quelque chose d’immuable et incontournable, on arrive toujours à trouver une clé pour poser nos questions. Le plus difficile, c’est de faire sortir l’émotion. Voir comment on peut tourner et poser notre question, pour que la personne se sente à l’aise et réponde avec la justesse du moment. Qu’elle ne soit pas fausse. On veut l’emmener vers le point de vérité.
C’EST TRES DIFFICILE DE SE REECOUTER
Si on se fait interviewer sur un moment important qui arrive dans notre vie, on a envie que la personne qui vient nous poser des questions, ne soit pas à côté de la plaque. Il y a vraiment la notion de faits et de comment faire. Il faut aussi composer avec nos propres émotions et celles du public. Etre en osmose avec tout cela.
Si j’aime me réécouter ? Elle est moche cette question (rires). C’est très difficile de se réécouter et ça l’était encore plus au début. On voit de suite les défauts et on sait qu’on doit les corriger. Comme on se connaît bien, on sait pourquoi ils ressortent, car on sait ce qu’on a vécu à ce moment-là. Ce n’est pas schizophrénique, mais on en est pas loin (rires). Mais cela reste un passage nécessaire. Aujourd’hui, je le fais beaucoup moins, car cela demande beaucoup de temps. Je le fais lors des moments importants, pour voir comment cela rend en réalité, par rapport à ce que j’ai eu l’impression de faire. On a quand même un jugement assez clairvoyant sur nous-mêmes. Quand je termine un commentaire, je sais à peu-près où j’en suis, par rapport à l’échelle de ce que je voulais faire. On arrive à s’auto-juger.
CLAIRE BRICOGNE – POUR COMMENTER UNE COURSE QUI S’EST DEJA DEROULEE, IL FAUT ESSAYER DE TOUT OUBLIER
Pour commenter une course qui s’est déjà déroulée, il faut essayer de tout oublier (rires). Pour le Tour 2019, je me replonge beaucoup dans le moment présent mais aussi sur le départ. Ce que j’ai principalement travaillé c’est le départ de ce Tour de France. Dans quelles ambiances étaient les coureurs, qui a gagné en début de saison, qui était blessé. Ce sont des choses incontournables qui font le Tour. On explique pourquoi Egan Bernal n’était pas le grand favori avant le départ. Ensuite, on se laisse porter étapes par étapes, comme si on est en direct. Il faut reprendre ça ! J’arrive à avoir cette faculté d’oublier. Bon, je n’ai pas commenté l’étape de l’abandon de Pinot. C’est Téo Barbey-Duquil et Cédric Pineau qui sont aux commentaires.
Lors du premier confinement, on a commenté la fameuse étape de la chute de Joséba Beloki, à Gap en 2003. Ca avait été horrible, car ce sont des moments très difficiles à refaire vivre en direct. On sait qu’on n’est pas totalement justes, qu’on peut pas totalement retranscrire cette émotion là. Mais on sait que ce n’est pas possible, car c’est tellement spontané qu’on ne peut pas feindre. Nous sommes des journalistes et pas des acteurs. Il faut aller chercher cette émotion de l’instant T. Quand on “ferme” la porte de la cabine, on est sur le Tour 2019. Christophe et moi, nous sommes dans notre sujet, même si on sait qu’on n’y est pas vraiment et qu’on connaît l’issue. La chance de ce sport, c’est qu’il se passe tellement de choses, qu’il y a toujours des choses qu’on oublie.
COMMENTER EN CABINE ET REPORTER SUR LA LIGNE NE SONT PAS CONTRADICTOIRES
Un truc comme l’abandon de Pinot ne peut pas être oublié. Je pense que tout le monde sait ce qu’il faisait à ce moment-là. Mais il y a des choses qu’on peut avoir oublié, comme la Movistar en tête de la course, sur l’étape menant à Valloire, alors que Quintana était devant. On essaie de se poser les questions comme si on était au moment clé, car ce sont des détails qu’on n’a pas forcément en tête de façon précise. Et c’est là que cela devient intéressant.
Commenter en cabine et être reporter sur la ligne ne sont pas deux choses contradictoires. Je ne peux pas choisir entre un des deux. Et je ne me vois pas commenter sans aller un minimum sur le terrain. Je ne me vois pas parler de personnes que je ne connais pas, évoquer les histoires des gens, sans avoir essayé de les sentir, avoir croisé leur regard. Je ne peux pas me couper du terrain, des interviews d’après course. Pour moi, c’est indissociable du commentaire. On n’est pas loin de la déontologie. Evidemment, l’histoire du Tour de France, on peut en parler, parce qu’il y a des choses qui ont été écrites. Mais, pour être vrai dans l’émotion, et pour éviter de juger un coureur sans connaître les choses.
CLAIRE BRICOGNE – JE NE VEUX PAS ETRE DANS LE JUGEMENT
Cette saison est un peu particulière, car je fais moins de terrain, pour me consacrer davantage à la présentation, que j’adore. Je me suis nourri de ces années au bord des courses. Je sais comment cela se passe à la fin ! C’est au-delà de connaître la personnalité des gens, c’est comprendre dans quel état ils sont à la fin de course. Pourquoi tel coureur est comme ça. J’ai cette connaissance, je connais les enjeux.
J’ai aussi fait, seule avec ma caméra, les bords de route sur les courses. Je ne veux pas être à côté de la plaque et être dans le jugement, car je ne suis pas comme ça dans la vie. Mais je ne peux pas être aux commentaires et aux interviews (rires). Mais on a toujours des gens sur le terrain, qui nous rapportent des informations. J’ai mon avis parfois, mais je le garde pour moi. Je veux soulever des choses, poser des questions et faire rentrer des aspects auxquels on n’aurait pas pensé.
Avant chaque grande course en direct, il y a toujours des thèmes préparés en amont. Quand il ne se passe pas grand chose, j’aime beaucoup sortir une ou deux citations d’un coureur, qui date de la veille et faire réagir mon consultant là-dessus. On peut partir sur un débat de cinq à dix minutes. Cela nourrit l’antenne et on garde notre esprit interrogatif. Le cyclisme et le commentaire sont tellement riches, avec pas loin de 200 coureurs, qui ont chacun leur histoire et une histoire qui change parfois tous les jours. L’histoire de Romain Bardet est différente de celle de Thibaut Pinot. Si on aime tant les opposer, c’est qu’ils ont des histoires différentes. La lecture de ce qu’il se passe dans la course n’est pas la même, car il y a plein de choses à prendre en compte.
LE CYCLISME EST FAIT DE CES MOMENTS DE CALME VOIRE DE SILENCE
Le Tour 2019 de Romain est terrible. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment il puise la force pour aller chercher le maillot à pois, qui est un maillot historique, mais qui reste une maigre consolation, par rapport à son ambition initiale, et à son palmarès. Il faut raconter les histoires en étant juste dans l’analyse. Cependant, je préfère parfois le silence à la relance inutile. Je le fais au feeling, parfois, il ne se passe pas grand chose durant la course et on a déjà beaucoup parlé avec Christophe, cela ne sert à rien de relancer. L’important ce n’est pas nos commentaires mais c’est la course. Les gens viennent voir l’étape du Tour 2019 et ils ne viennent pas écouter Claire et Christophe. Le fil rouge reste l’image. Parfois je sens qu’il ne faut pas être trop volubile.
Le cyclisme est fait de ces moments de calme et parfois de silence et ce n’est pas grave. On aura toujours nos analyses pour un peu plus tard. Je ne sais pas si je suis à la bonne école, mais je n’ai pas peur du blanc. Il ne faut pas assourdir les gens voire même s’assourdir. Mais, le vélo est un sport où le commentaire est essentiel, car on ne voit pas bien les coureurs, ni leur dossard. La moto, sur un Tour de France, permet aussi d’aller chercher des informations. On apporte ce qu’on peut apporter, mais la course n’est pas de la fiction.
CLAIRE BRICOGNE – JE VOIS THIBAUT ARRIVER, J’ENTREVOIS SON VISAGE ET JE COMPRENDS QU’IL NE FAUT PAS L’INTERVIEWER
Il y a aussi cette gestions de moments “dramatiques”. J’étais sur le Giro en 2018, quand Thibaut Pinot abandonne. J’étais sur le terrain et je me souviens qu’on se pose à l’arrivée et les gens de l’organisation viennent me voir et me disent : “Qu’est ce qu’il se passe avec Thibaut ?”. Nous, on avait fait la route et malheureusement, on ne captait pas bien. On ne savait pas ce qu’il se passait. Je me met devant la télé et je me rends compte qu’il a perdu déjà plusieurs minutes. C’est incroyable. On le sait qu’il est un peu malade, mais on ne s’attend pas à ça. J’étais sonné et je sens qu’aux commentaires ils sont également sonnés. C’est ce qui est intéressant car on voit que personne ne surjoue.
J’ai le souvenir, sur le Tour 2019, de ce moment de grand silence au moment de l’abandon de Thibaut Pinot. C’est de l’émotion et c’est logique ! Notre rôle est aussi là. Il ne faut pas filtrer ces émotions là, car elles sont présentes ! Et elles sont ressenties par le public, ce n’est pas de la subjectivité ni de l’attachement à un coureur. C’est juste terrible ce qu’il se passe. Et c’est pareil sur le Giro, on voit les coureurs arriver et Thibaut arriver. Je laisse toujours un moment aux coureurs pour récupérer, mais j’entrevois son visage. Je comprends qu’il ne faut pas l’interviewer. Tout le monde repart et l’émission se prolonge et je redescends au niveau des bus. Je me souviens d’une atmosphère lourde et une énorme inquiétude autour de l’état de santé de Thibaut Pinot, qui terminera à l’hôpital.
LA CHAINE L’EQUIPE FAIT CONFIANCE AUX FEMMES
Il n’y a pas de gestion et c’est le moment. On est allé interviewer le DS. J’ai beaucoup raconté à la voix ces séquences, car on est là pour retranscrire. Oui, on le voyait tousser à l’arrivée depuis quelques jours, mais c’était peut-être une toux de l’effort. Il le dit aussi en interview, deux jours avant, qu’il est malade. Mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit à ce point-là. On sentait que ça allait au-delà du sport. Un peu comme sur le Tour, il faudrait en parler à Alexandre Pasteur et Guillaume Di Grazia. C’est comme devoir gérer une situation importante dans votre vie, un peu soudaine, qui pourrait vous effrayer avec le recul. Dans l’instant, on arrive à ne pas subir le moment, garder du sang froid et aller vers la bonne solution.
La Chaine l’Equipe fait confiance aux femmes et j’ai ne n’ai jamais eu aucun problème avec aucun de mes employeurs. Je ne me suis jamais sentie jugée et je n’ai jamais eu l’impression d’être vu par le prisme d’une femme. La présentation, c’est moi qui demandait à en faire, on m’y met et on me teste forcément au début, mais c’est quelque chose que j’adore et ce depuis que j’ai commencé ce métier. J’espère qu’on va encore pouvoir faire évoluer “Ca Va Frotter” et j’espère qu’elle va encore grandir, car ce rôle je l’aime. Il y a beaucoup de vie sur un plateau télé et j’adore ça !
CLAIRE BRICOGNE – JE LIS DES CHOSES SUR LES RESEAUX ET JE ME DIS : “COMMENT PEUT-ON AVOIR L’IDEE D’ECRIRE CA A QUELQU’UN”
Evidemment il y a quand même des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux. Par rapport à cela, à un moment donné, il faut lâcher prise. J’ai la chance de ne pas trop en subir, disons que je m’en suis beaucoup pris au début. Cela m’a réfléchir sur beaucoup de choses, certains commentaires étaient justes, mais d’autres ne l’étaient pas et il faut apprendre à faire la part des choses. J’ai pris le parti de répondre, quand je trouve ça vraiment injuste.
Je lis des choses et je me dis : “Comment peut-on avoir l’idée d’écrire ça à quelqu’un ?”. Dans ces cas là, je réponds juste une fois, pour rappeler que je suis quelqu’un, que je suis une personne (rires). Mais, le négatif doit représenter grand maximum 10% des commentaires. L’essentiel de la communauté est bienveillante et interagit en ayant envie de participer. Et j’ai envie de les faire participer, car il y a plein de choses à faire, sur ce plan-là. On est tous là car on adore le vélo.
J’ai envie de donner la flamme à des jeunes filles mais aussi à de jeunes garçons. Je reçois pas mal de messages et je n’ai pas toujours le temps de répondre à tout le monde et je m’en excuse et je culpabilise. Parfois, ils demandent des conseils, peut-être que mon parcours les éveille. Cela me touche beaucoup et j’espère dégager l’énergie qui fait envie à des jeunes et qui se disent : “C’est génial ce métier”. Evidemment, ce n’est pas facile tous les jours, mais c’est un métier tellement chouette. J’ai réalisé mon rêve d’enfant et ce n’est pas donné à tout le monde.
COMMENTER D’AUTRES SPORTS NE ME DERANGE PAS
Mais il faut être capable de sortir un peu du rêve. Sinon, on ne peut pas être journaliste. Je suis aussi dans la réalité. Mais il faut garder la flamme, car le jour où je n’aurais plus envie, il faudra que je dise stop. Je n’ai pas envie d’être aigrie. Il faut savoir transformer la flamme et faire quelque chose de construit et de joyeux. Mettre à la fois de l’émotion et de la profondeur. Si je sens que je n’ai plus cette envie, j’espère avoir le courage de dire stop. J’imagine être capable de pouvoir le sentir, mais je sais que d’autres ne l’ont pas fait, car c’est difficile mine de rien. Mais là, j’ai tellement d’envie et d’idées, que j’espère pouvoir me renouveler. Il faut que je continue d’être en contact, d’apprendre et de restituer les choses.
Je suis hermétique à absolument rien et commenter d’autres sports ne me dérange pas. J’ai déjà commenté du curling, je vais commenter de l’escrime également. C’est un peu de pression, car ce sont des sports qu’on ne maîtrise pas forcément. On peut apprendre à les connaître. Il faut être dans les faits à 100%, en restant dans l’émotion. La pression vient de cette envie de respecter ces sports.
Mon expérience du curling a été fantastique, j’ai fait les championnats du monde avec Pauline Jeannet, qui est une consultante fantastique, qui expliquait les choses très bien, avec un joli langage. Je me suis énormément amusée, avec beaucoup de choses à comprendre et à décrire. C’était un test intéressant, car on travaille beaucoup en amont. Mais au moment où on comprend le sport, on se met à la place du téléspectateur et on pose les questions qu’il pourrait poser.
CLAIRE BRICOGNE – NE PAS SE PRECIPITER SUR UN SPORTIF QUAND IL FRANCHIT LA LIGNE
On peut avoir moins peur de poser des questions qui pourraient paraître idiotes. Je le fais parfois en cyclisme aussi attention, toujours dans l’idée de se questionner. Sur ces sports, on peut se permettre de tout décortiquer. Quand j’étais correspondante au Courrier Picard, avant même mon école de journalisme à 20 ans, on m’a fait faire énormément de sports différents. J’ai fait des portraits, comme celui d’un tireur sur cible, qui tirait sur des faux animaux en forêt. C’était génial d’aller rencontrer ces gens qui expliquent leur passion et pouvoir ils vont au bout des choses. Pourquoi ils en font une maitrise voire un art, qu’est ce qui les plonge là-dedans. On se rend compte qu’on a ça dans tous ces sports, qui sont tous intéressants.
Aujourd’hui, avec le virus, on ne peut plus être “en fond de ligne”. Mais, quand on avait accès aux lignes d’arrivée, il fallait être juste avec le sportif. Quand il franchit la ligne d’arrivée, il ne s’agit pas de se précipiter sur lui, pour avoir de suite sa réaction. J’ai le souvenir du prologue du Giro 2019, Valentin Madouas termine son effort. J’avais demandé à l’attaché(e) de presse de la Groupama-FDJ, si je pouvais le faire et j’avais eu l’aval. Il arrive et je vois les caméras qui se massent autour de moi. Je vois qu’il est complètement mort, en plus le chrono terminait en côte. Je n’y vais pas tout de suite et bien sûr que je n’y vais pas ! Par respect pour lui. Il s’agit pas d’attendre 5 minutes, mais juste 30 secondes qu’il récupère.
LE JOURNALISTE DOIT ETRE CAPABLE DE S’EFFACER
Dans ces cas là, je laisse au coureur le temps qu’il veut pour être disponible et souvent cela dure 30 secondes. Il me laissera pas poireauter 4 minutes, car lui aussi à des choses à faire derrière. Mais c’est impossible de répondre de suite à des questions, après un tel effort. Je me souviens que quelqu’un m’a criée “Si t’es pas prête, moi j’y vais”. On s’est tous regardés avec consternation, il n’avait pas compris dans quel état était Valentin. Il faut avoir un respect pour son effort, puis ca lui permet d’être aussi plus lucide. Même 30 secondes après, il sera toujours à chaud. Je préfère voir à l’image quelqu’un en train de récupérer, qui nous montre qu’il est cuit, que quelqu’un qui va bredouiller trois mots et partir. La télé c’est le travail de l’image et de la déclaration derrière. On a fait l’interview et il m’a raconté les choses de façon juste.
Le journaliste doit être capable de s’effacer. Lors d’une interview, parfois on sent que la personne n’arrive pas à raconter ce qu’elle veut où qu’elle ne le veut pas où qu’elle est bloquée. Dans ces cas-là, cela ne sert à rien de relancer, il mieux vaut attendre. Le silence de la personne peut rendre le moment encore plus fort. C’est là qu’on doit s’effacer.
CLAIRE BRICOGNE – UN GARCON COMME DAVID GAUDU A UN TALENT EXCEPTIONNEL
[NDLR : Interview réalisée avant la victoire de David Gaudu, sur le tour du Pays Basque]. La saison cycliste est encore très longue et on en est à peine au début ! Le vélo est un sport qui marche par cycles. On a encore rien vu et on est encore loin du Tour de France. Un garçon comme Thibaut Pinot va avoir envie du Giro et je pense toujours qu’il peut aller chercher un grand tour. David Gaudu a encore tout à donner. Julian Alaphilippe a encore beaucoup d’objectifs. C’est aussi une saison particulière. Sur les courses françaises qu’on a diffusé, il y avait à chaque fois une énorme start-list, liée aux annulations. Les coureurs se préparent et je suis sûre que les Français nous réservent de belles surprises. On verra des choses très intéressantes. Et pourquoi pas Romain Bardet, qui a changé d’équipe cet hiver et qui est dans un nouveau défi.AG2R a totalement changé son équipe. Vous me dites que les équipes françaises ne sont pas géniales, mais si c’est un Français qui fait 3e aux Flandres, à la place de Greg Van Avermaet, on se dit que c’est une superbe performance. On a peut-être été trop gâtés en 2019, avec un Pinot dans la forme de sa vie et Alaphilippe qui fait un numéro de dingue. D’ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il est champion du monde. Tout est une question de cycles et on est peut-être parfois trop pressés. Et c’est normal car on adore ça et on a envie de voir un Français gagner le Tour. Il faut laisser faire les choses ! Un garçon comme David Gaudu a un talent exceptionnel ! Il faut le laisser faire, avec ses méthodes.
DEMAIN ON ME DEMANDE DE FAIRE TROIS TESTS POUR FAIRE UN REPORTAGE, JE FAIS LES TROIS TESTS
Il y a des courses annulées comme Paris-Roubaix, mais aussi le Tour du Jura, que nous devions retransmettre. Mais cela reste assez peu par rapport au calendrier global. C’est une chance, mais aussi la preuve que les bulles sanitaires marchent bien. J’ai l’impression que cela fait du bien aux gens de voir du sport à la télé, en cette période compliquée. Le sport procure toujours quelque chose. La vie continue. Mais, quand on va sur le terrain, on reste très prudents. On fait des tests Covid tout le temps, avant les reportages, avant les courses. Et on reste à distance des coureurs, on a le masque et la perche pour les micros. On n’a plus le droit d’aller sur la ligne d’arrivée et on est en zone mixte. Plein d’aménagements ont été fait pour permettre notre travail. Et on est capable de faire des concessions. Si demain on me demande de faire trois tests pour aller à un reportage, je vais faire les trois tests.
CLAIRE BRICOGNE
Vous avez aimé l’interview de Claire Bricogne, retrouvez celle de Téo Barbey-Duquil : ICI