Même si Chloé Trespeuch est « plus passionnée de compétition que de snowboard », son palmarès est au moins aussi long que sa planche ! Chloé enchaîne les podiums en Coupe du Monde de snowboard cross depuis ses seize ans, est vice-championne du Monde et d’Europe, championne du Monde par équipe, médaillée de bronze aux Jeux Olympiques de Sotchi, huit mois seulement après une grave blessure. Chloé Trespeuch est une femme combative, alors quand la Commission Européenne a instauré un nouveau règlement qu’elle juge injuste, elle n’a pas hésité pas à monter au créneau.
Peux-tu nous expliquer ce que prévoit ce nouveau règlement européen ? Qu’est-ce qui change pour les athlètes français ?
Alors, ce qui est toujours d’actualité c’est qu’il s’agit d’un diplôme d’Etat (D.E) de ski et snowboard qui permet d’enseigner les deux sports. Jusqu’à présent, nous, snowboardeurs de haut niveau, avions une passerelle qui nous permettait d’être dispensés des examens de ski alpin. Avec cette réforme européenne, cette passerelle n’existe plus. On est donc obligés de passer ces épreuves qui sont inaccessibles pour des snowboardeurs. Il faut vraiment avoir fait du ski en compétition pour espérer obtenir ce diplôme. En fait, ces règles nous enlèvent ni plus ni moins la possibilité d’obtenir un diplôme pour enseigner notre sport. On est dépendants d’un sport qui n’est pas le nôtre, ce qui est complètement discriminatoire puisque le snowboard n’est pas un sport dérivé du ski. On nous impose de passer un examen en ski alpin alors que la plupart ont peut-être fait vingt fois du ski alpin dans leur vie ! Certes, on pratique un sport de neige mais le rapprochement s’arrête là.
Qu’en est-il pour les autres athlètes européens ?
Ils ne sont eux pas du tout impactés par ce changement parce que les filières ski et snowboard sont distinctes. Il y a un diplôme d’Etat délivré pour chaque sport. Cette réforme est donc injuste. La France a les plus grands domaines skiables d’Europe, la plus haute station d’Europe avec Val-Thorens… et on va devoir se former à l’étranger pour enseigner le snowboard. C’est juste incohérent et il faut que ça change.
Comment s’est mis en place ce projet de pétition ?
C’est Laurent Pordié, coach de snowboard dans les Pyrénées, un vrai passionné, qui a rédigé la pétition mais l’initiative est vraiment venue du collectif. Tous les athlètes et coachs qui ont bénéficié de l’aménagement du D.E ski et snowboard ont été touchés et déçus par ce nouveau règlement. On a donc décidé de se faire entendre avec l’espoir que la ministre des Sports s’intéresse à notre cas.
Le collectif s’est réuni de manière « numérique ». On a créé un groupe WhatsApp pour recueillir les idées de tout le monde, porter des projets et rester solidaires. La pétition a été lue et relue par pratiquement tous les acteurs du snowboard en France. On est présents sur les réseaux sociaux via SaveSnowboardinFrance où l’on poste du contenu vidéo pour sensibiliser les gens à notre cause. On démarche les médias qui rendent notre projet plus visible, les acteurs du snowboard prennent la parole… Je pense que tout cela va nous permettre d’avoir un dossier solide. La prochaine étape sera d’envoyer la lettre à la ministre des Sports et de montrer tout le soutien que l’on a reçu.
Quelle a été la réaction de la Fédération française de ski (FFS) ?
A la base on n’a pas été concertés, personne ne nous a mis au courant de ce projet de nouveau règlement. On a reçu un mail et on est tombés de haut. La Fédération de ski nous a annoncé la nouvelle une fois le règlement bouclé. Nous aurions aimé avoir la parole. Quel a été le rôle de la Fédération et de l’ENSA (organisme de formation) là-dedans ? Ça je ne sais pas mais ce qui est sûr c’est que les informations nous ont été communiquées trop tardivement.
Dans cette pétition, vous évoquez notamment les difficultés que connaitront les athlètes de haut niveau en matière de reconversion professionnelle… Combien d’années dure une carrière de snowboardeur ? Quelles sont les possibilités de reconversion qui s’offrent à lui ?
Ça varie pas mal mais je dirais que les athlètes arrêtent aux alentours de trente ans avec un début en Coupe du Monde vers dix-huit ans. Actuellement, la plus âgée sur le circuit en a trente-quatre. Notre carrière peut s’arrêter très vite car c’est un sport de vitesse, avec du contact, où les blessures sont nombreuses. Je me suis cassé le bassin, rompu les croisés, j’ai eu un traumatisme crânien, le poignet et la cheville y sont passés aussi… J’ai bien récupéré mais dans ce sport on est conscients que la carrière peut s’arrêter plus vite que prévu.
En ce qui concerne la reconversion, les athlètes peuvent se diriger vers l’enseignement en école de ski ou le coaching pour accompagner des athlètes dans les clubs, les comités. Dans tous les cas il faut avoir le diplôme d’Etat de ski et snowboard ou se former à l’étranger. Après il y a d’autres voies pour ceux qui ne veulent pas s’orienter là-dedans. Personnellement, j’ai bénéficié de la passerelle pour avoir le D.E mais je pense que je ferai totalement autre chose. Je ne suis pas du tout patiente donc je pense que l’enseignement n’est pas fait pour moi ah ah ! En revanche je suis curieuse, j’ai envie de découvrir de nouveaux domaines. J’ai la chance de faire partie du dispositif Athlètes SNCF qui m’apporte une formation en entreprise. En parallèle j’ai repris mes études à Sciences Po Paris qui propose un aménagement pour les sportifs de haut niveau.
Dans le cas où l’athlète souhaite se tourner vers l’enseignement du snowboard, peux-tu nous préciser en quoi il est difficile pour un snowboardeur de réussir le Common Training Test (CTT, ex Eurotest) ?
Le test est un slalom géant avec un chrono. En général, ce sont des sportifs de haut niveau qui ouvrent et donnent les temps de référence sur l’épreuve. Le candidat doit faire un chrono inférieur ou égal au temps de base réalisé par l’ouvreur. C’est vraiment du ski de compétition. La seule fois où j’ai fait un géant c’était pour passer ma flèche de vermeil ! J’ai commencé le snow à six ans et n’ai pas beaucoup mis les pieds sur des skis.
Que ce soit en termes de sensations, de mouvements, de matériels… le snow et le ski sont deux mondes différents. Avant que je sois performante en ski alpin, il faudrait que j’y consacre une saison entière ce qui serait trop coûteux. Et de toute façon si je veux enseigner le snow c’est totalement ridicule de me forcer à progresser dans un sport que je ne veux pas enseigner. C’est comme s’il y avait le même diplôme pour enseigner le rugby et le football sous prétexte que ce sont deux sports de ballon !
Dans le Dauphiné, Michel Vion (président de la FFS) a indiqué que « la FFS réfléchit aussi à accompagner la formation et à entraîner ces athlètes pour se mettre au niveau du test ». Est-ce une bonne proposition selon toi ?
Non pas du tout. La Fédération nous propose de nous accompagner sur quelques semaines d’entraînement mais c’est loin d’être suffisant. Si on n’a pas été en club de ski, ce n’est pas en quelques semaines qu’on va doubler tous les gens qui ont fait dix ans de ski et qui pour beaucoup ratent le test. On ne va pas nous faire croire qu’en deux semaines on sera des lumières ! Pour être au niveau, il faudrait soit qu’on mette notre carrière entre parenthèses pour aller s’entraîner en ski pendant six mois, soit qu’après notre carrière on prenne un hiver entier sans travailler… donc non ce n’est pas une solution.
SAMSUNG CSC
Hormis le passage réussi du CTT, l’autre option consiste à se former à l’étranger puis à revenir exercer en France. Est-ce une pratique courante ?
C’est une pratique assez courante oui. J’en connais pas mal qui ont dû faire ça. Tous ceux qui n’ont pas eu le statut d’athlète de haut niveau mais qui ont toujours fait du snowboard et non du ski sont obligés d’aller à l’étranger. Pour la proximité, ils vont souvent en Suisse mais il y a aussi l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne qui délivrent un diplôme de snowboard. Le problème c’est qu’il y a plein d’écoles de ski françaises qui ne reconnaissent pas ces diplômes, notamment l’ESF qui est la plus grande école de ski et est présente dans toutes les stations.
Selon toi, quelles sont les conséquences qui découlent de ce règlement ?
Cela va impacter le snowboard français, on n’aura plus d’entraîneurs compétents. Tous mes coachs viennent du monde du snow avec des compétences propres à ce sport. J’ai beaucoup appris à leurs côtés et je continue d’apprendre. C’est grâce à eux que j’en suis là aujourd’hui et ce sont encore eux qui m’accompagneront pour les prochaines olympiades. Si ce sont des enseignants de ski alpin qui enseignent le snowboard, ça n’a aucun sens ! On sera très loin d’être compétitifs à l’échelle mondiale si on n’a pas des vrais connaisseurs pour transmettre leur savoir-faire.
As-tu peur pour les générations futures ?
Il n’y a pas longtemps j’ai pris le téléski avec une petite de cinq ans. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait faire plus tard et elle m’a répondu « championne olympique de snowboard ! ». Quand j’y repense, je me dis que bientôt elle sera formée par des coachs de ski alpin qui n’auront aucune notion en snowboard. La fin des entraîneurs, c’est aussi la fin des athlètes et donc la possible fin des médailles olympiques alors qu’on en a eu un paquet dans notre sport !
Quand on vise une carrière d’athlète de haut niveau, on sait que les chances de réussite sont assez faibles. C’est rassurant de savoir que si je n’ai pas le niveau suffisant, je peux rebasculer sur l’enseignement de mon sport. Beaucoup se sont lancés en se disant qu’ils ont cette option s’ils n’atteignent pas le haut niveau. Là les jeunes se diront : Athlète ? Quasiment impossible. Coach de snowboard ? Pareil.
J’ai peur qu’avec cette réforme il y ait une baisse du nombre de licenciés. Si je sais qu’il y a une reconversion assurée en ski et aucune en snow, je vais sans doute me tourner vers le ski. Cela pourrait être un choix forcé et c’est dommage. Que je me fasse bien comprendre : le ski c’est très bien. Je ne suis pas en guerre contre le ski. Je dis simplement qu’il faut laisser à chacun la liberté de choisir son sport en fonction de ses envies et non de paramètres comme celui que j’ai mentionné.
Qu’attendez-vous de la part de la ministre des Sports, Roxana Maracineanu ?
Le snowboard est un sport à part entière qui mérite d’avoir un diplôme d’État. C’est un sport déjà bien ancré dans la culture française : des snowboardeurs présents dans les stations françaises depuis 1980, de belles audiences aux Jeux Olympiques… ce serait dommage de s’arrêter là.
On a la capacité en France de développer des formations en snowboard et de créer ce diplôme d’Etat. On a déjà les ressources nécessaires pour que cela se concrétise. J’espère attirer l’attention de la ministre pour qu’elle rétablisse la justice et qu’on est un diplôme d’État comme dans tous les pays européens. On attend vraiment son intervention sur ce dossier.
Propos recueillis par Déborah Mondjo
Retrouvez notre précédent article avec Chloé ici