Perchiste avec un record à 5,74 m, Mathieu Collet a fait une belle saison hivernale, avec deux sauts à 5,71 m. Il revient sur cette saison hivernale mais aussi de ses objectifs pour cet été, à savoir retrouver le maillot de l’équipe de France. Il nous parle de la perche et des blocages psychologiques qui peuvent perturber un perchiste. Comme dans son cas, sa main droite qui lui a longtemps posé problème. Mathieu Collet parle également de l’athlétisme en général et ce que peuvent faire les athlètes pour mettre en lumière leur discipline.
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MATHIEU COLLET – CONTENT SANS ETRE TOTALEMENT SATISFAIT DE LA SAISON HIVERNALE
La saison hivernale est assez tiraillée. Je suis assez heureux d’avoir été capable de retrouver mon niveau à plus de 5,70 et à plusieurs reprises. C’est la première que je le fais deux fois dans la saison. Même si j’aurais aimé battre mon record. Mais l’objectif était de faire 5,81 m et d’aller aux mondiaux de Belgrade. C’était dans un coin de ma tête même si je revenais de blessure. Ce ne sera pas pour cet hiver. Du coup je suis content, sans être totalement satisfait. Il m’a manqué une certaine continuité dans l’entraînement. J’ai été pas mal interrompu ces dernières années par des petits pépins, des petits problèmes qui m’ont fait couper pendant deux ou trois semaines ici ou là. C’est aussi c’est continuité qui vous fait progresser et moi j’ai souvent été stoppé. Je revenais, je repartais à zéro et j’étais stoppé de nouveau.
Je finis la saison hivernale fatiguée. Peut-être que si j’avais géré différemment la fin de mes compétitions, je l’aurais moins été. Sur la fin, je fais 4 compétitions en une semaine, ce que je n’avais jamais fait et ce que pas grand monde ne fait et je comprends pourquoi (rires). J’ai fait France Elites, une compétition en Croatie avec voyage, puis Rouen et Paris. Cela a été dur à encaisser et le repos a été bien mérité ! Je n’étais pas en saturation, car à la sortie du meeting de Paris, je me disais que c’était dommage. J’avais encore cette envie d’essayer, de faire d’autres compétitions. Physiquement, cela va très bien et cela me fait super plaisir, car j’ai galéré ces dernières années. Nerveusement, en revanche, j’étais cuit.
Je coupe pendant 10 jours (NDLR : interview réalisée le 7 mars). Pour reprendre tranquillement le footing. Et revenir au stade au bout de deux semaines et demi.
REFAIRE DES GRANDS CHAMPIONNATS
Mes objectifs pour la saison estivale sont déjà fixés. Ils le sont depuis toujours. Je veux aller chercher des minima pour les championnats, que ce soit les Europe ou les Mondiaux. Pour le moment je n’en ai fait aucun. C’est plus difficile qu’avant, mais cela n’est pas impossible. Il va falloir se sortir les doigts (rires). On a de la chance en France de s’entraîner quasiment tous ensemble. Le top 8 français s’entraîne ensemble et ce n’est que des mecs à plus de 5,65 m. Le niveau français oblige à élever son propre niveau et cela a permis de perfer ces derniers temps. Je me souviens que j’étais 2e français avec mon 5,74 m. J’étais 17e mondial. Là, avec mon 5,71 m, je suis à peine dans les 30 mondiaux. Et 6e Français.
Il y a un niveau à l’entraînement, un niveau dans tout ce qu’on fait qui est phénoménal. Cela a du bon, car chacun a son point fort et va apporter aux autres. On se tire vers le haut. Même si on n’est jamais au complet pour sauter, mais il y a une grosse émulation. Cela se transforme parfois en compétition. Il y a très souvent un petit jeu dans la séance de perche du jeudi. On met des règles et on fixe des limites. Le but est de battre l’autre. On varie en fonction des qualités de chacun. Le levier, l’élan peuvent changer. Les jeux peuvent se faire aussi sur du sprint et des bondissements.
MATHIEU COLLET – LA PERCHE N’A PAS TOUJOURS ETE UNE EVIDENCE
On apprend des autres athlètes et c’est l’intérêt du groupe. Chaque athlète peut représenter un modèle. Surtout à la perche où chacun à sa technique. On se conseille mutuellement et il y a un bon état d’esprit. Romain Gavillon est très bon en haltérophilie. Quand il fait de l’haltérophilie, je le regarde et j’essaye de reproduire. Renaud Lavillenie est incroyable sur les bondissements.
La perche n’a pas toujours été une évidence. Je commence en 2010, mais juste pour dépanner le club, je ne m’entraînais pas. On va dire que j’ai vraiment commencé à m’entraîner quand j’étais en cadet deuxième année, en 2011. J’étais venu pour faire une prépa physique pour le football et cela s’est transformé en qualification pour les France à la perche. J’ai commencé l’athlétisme par le décathlon. Je voulais me faire plaisir, la perche je n’étais pas trop mauvais mais cela n’a pas été une évidence. Cela s’est fait tout seul. J’étais proche du niveau pour les championnats internationaux et je me suis dit “pourquoi pas”.
UN PERE PERCHISTE, C’EST UNE MOTIVATION ET UNE PRESSION
Aujourd’hui, j’adore ce que je fais. Après, j’ai le regard sur les autres et les compétitions, mais je ne vais pas regarder un concours pour regarder un concours. J’ai beaucoup de mal à regarder les compétitions où je ne suis pas dedans et que j’estimais que je pouvais y aller et où j’ai des regrets. Car cela me frustre encore plus. Je me tiens toujours au courant des résultats. Les mondiaux de Belgrade, s’il n’y avait pas eu Thibaut (NDLR : Thibaut Collet son frère qui a participé aux mondiaux indoor de Belgrade), pas sûr que cela m’aurait intéressé tant que cela.
Avoir un père perchiste (NDLR : Philippe Collet son père a un record à 5,94 m et deux médailles européennes) c’est une pression et une motivation à la fois. On a envie de reproduire ses perfs, c’est un modèle éloquent. Mais, on se dit qu’il a fait ça et on peut se dire que si on ne fait pas mieux, cela ne vaut pas le coup de continuer. Evidemment, on aimerait faire mieux. Et si on fait mieux, l’objectif est d’aller chercher les fameux 6 m !
MATHIEU COLLET – A LA PERCHE, IL N’Y A PAS DE MODELE PREDEFINI
Mes qualités principales sont la vitesse et la qualité d’impulsion. Je suis assez explosif. Mes défauts sont autour de ma technique. Je suis arrivé tard et il y a plein de choses que tu apprends petit que je n’ai pas acquis. Je continue à travailler dessus. Il y a encore des irrégularités au niveau du décollage, que je compense mais qui me font perdre un peu. Au niveau du renversé, il y a encore des choses à travailler. Techniquement, je dois encore progresser.
On se rend bien compte qu’à la perche, il n’y a pas de limites et pas de modèle prédéfini. Il y a des gens comme Armand Duplantis, qui battent tous les records depuis tout petit. Puis des gens comme Renaud Lavillenie qui débarquent en Espoirs et qui explosent tout. Puis d’autres personnages, comme Bjorn Otto, qui avait fait 6 m à plus de 30 ans. Il ne faut pas se fixer de limites au niveau de la progression.
LES MEILLEURS SAUTENT ENSEMBLE LORS DES COMPETITIONS HIVERNALES
Sans Renaud Lavillenie, on n’aurait pas eu un tel niveau à la perche actuellement. Surtout, on n’aurait pas eu une telle diversité de gabarit. Un mec comme Ethan Cormont ou comme moi, s’il n’y a Renaud pour dire : “Je fais 1,75 m, 70 kg et je bats le record du monde”, on aurait peut-être pas fait de la perche. Cela a longtemps été “réservé” au grands gabarits. Après, “Mondo” Duplantis a un talent tellement immense que, même s’il n’y avait pas eu Renaud, il aurait pu battre le record du monde. Reste à savoir s’il l’aurait fait aussi facilement. Renaud a facilité beaucoup de choses, notamment chez Mondo. Cela a amené une grande diversité de profils. Cela amène aussi de la densité.
L’hiver, on a l’avantage d’avoir une bonne organisation ce qui fait que la perche est devenue un passage obligé, notamment avec le Perche Elite Tour. Cela permet d’avoir des conditions de saut incroyables tout l’hiver. Le perchiste, souvent il fait l’hiver et l’été. On prépare l’hiver en sachant que cela va être incroyable. Pourquoi s’en priver ? Tout le monde est là et cela donne des concours incroyables. Pour sauter le plus haut possible. Cela fait que c’est hyper attractif. L’été, les autres disciplines reviennent, les compétitions sont au 4 coins du monde alors que l’hiver, c’est beaucoup concentré aux mêmes endroits. Cela fait qu’il y a moins de densité hors Diamond League. La perche est forcément davantage mise à l’honneur l’hiver.
MATHIEU COLLET – PENDANT DEUX ANS, J’AI EU PEUR QUE MA MAIN DROITE GLISSE DE LA PERCHE
A Rouen, jusqu’au lundi d’avant la compétition, j’étais sur liste d’attente avec mes 5,71 m. Et je suis Français, c’est dire le niveau de la compétition. J’ai finalement profité d’une absence de KC Lightfoot pour pouvoir participer. Cela montre bien la volonté énorme de vouloir sauter chez nous.
Ce que je ressens quand je suis en bout de piste, cela change en fonction de compétitions. A Paris, j’étais cramé, je fais un mauvais échauffement et j’ai mal partout. J’étais tétanisé et j’avais trop peur. Cela allait mieux après mon premier essai, car j’ai compris que je n’avais rien à craindre ! Pendant une période, j’essayais d’avoir énormément de motivation, d’énergie. Maintenant, avec le travail, j’essaye d’être de faire le vide, de me concentrer sur ce qu’il y a d’important.
J’ai eu beaucoup de mal après Taïpei en 2017. Pendant deux années pleines, j’avais peur que ma main droite glisse, j’avais peur de prendre des perches, peur de sauter sous la pluie. J’étais bloqué par rapport à cette main qui m’effrayait. En finale des mondiaux universitaires, ma main droite a glissé deux fois lors du concours. Il y avait eu une énorme averse lors de l’échauffement, les perches étaient trempées.
J’ai travaillé avec un préparateur mental Ousmane Gassama, qui est un ami de la fac et aussi le préparateur mental de Cyril Gane. Je suis allé le voir et on a bossé là-dessus et je n’ai plus de problèmes à ce niveau-là. Il y a encore des petites appréhensions liées au matériel. Mais je n’ai plus de blocage.
ON PEUT SE SERVIR DE LA VITRINE DE CERTAINS SPORTS POUR SE METTRE EN AVANT
Je suis persuadé que c’est aux athlètes de se battre pour se mettre en avant et faire la promotion de son sport. Les institutions vont être là pour récupérer le buzz produit par quelque chose. Si les athlètes ne se bougent pas, il ne pourra rien se passer. Cela passe la communication, la représentation dans les publicités, dans les chaines, les débats dans le sport en général. Il faut se battre pour faire découvrir notre sport au grand public. Je ne suis pas dans un esprit de me dire : “Ah il y a ce sport qui est contre nous”. Je préfère me dire qu’on peut se servir de la vitrine d’un sport comme le football pour discuter de telle ou telle choses. On fait des comparatifs entre Mbappé et Usain Bolt. Pourquoi ne pas se servir de cela.
Je rêve d’un duel Mayer/Mbappé sur un 100 m, ce serait magnifique, cela mettrait une lumière folle sur l’athlé. Imaginez cela au Stade de France, lors d’un meeting. Tout le monde viendrait et tout le monde regarderait cela. Car c’est presque le débat du siècle. Le seul problème c’est que les deux ont trop à perdre (rires). On peut faire des animations pendant les mi-temps des matchs. Ce sont des catalyseurs qui ramènent énormément de public.
Je révérais d’une démonstration de perche à la mi-temps d’un match de foot. Renaud Lavillenie était allé sauter au-dessus de la barre de rugby à Clermont. Mais lui c’est un malade mental (rires). Il saute, il y est allé à plus de 3 m sur l’herbe. Il peut glisser, tomber. C’est aussi ça qui a contribué à sa légende ! Tout le monde l’a vu et cela a été très médiatisé. Il s’est servi de cela pour montrer son sport.
Car on reste des disciplines de niche où si on s’intéresse pas à ce qu’il se passe, on ne connaitra pas les athlètes.