Anne-Flore Marxer – Snowboard
#Championne du Monde de Freeride 2011 #Vainqueur de l’Xtreme Verbier 2011 et 2017 #Réalisatrice
Les sportifs ne brillent pas uniquement sur le terrain mais en apportant une aide à leur communauté par une action, une parole, une prise de position. La rubrique « Engagés » permet à un sportif de partager avec vous une réflexion sur une cause particulière.
Les sensations extrêmes vécues sur sa planche de snowboard ne sont qu’une partie de ce qui compose Anne-Flore Marxer. En défenseuse de la cause féministe, elle a allié celle-ci à sa passion pour le documentaire en allant à la rencontre des personnalités islandaises qui ont fait de l’île nordique le pays le plus avancé dans l’égalité entre hommes et femmes. Elle nous parle de cette aventure extraordinaire qui a abouti au film “A land shaped by women” et de sa vision du féminisme en France et dans le sport. (Crédit photo Une : Eleonora Raggi).
Avril 2017 — Xtreme de Verbier
Dernière compétition de la saison, la plus prestigieuse.
Victoire… et…
Ras-le-bol.
Ma première réaction quand j’ai gagné n’a pas été celle que j’ai pu ressentir lors d’autres victoires dans ma carrière. Ce jour-là, j’ai atteint un point de non-retour, car même pour cet Xtreme les conditions n’étaient pas les mêmes pour les hommes et les femmes.
En 2017.
Certes, c’était mieux que 5 ans en arrière, mais toujours pas digne de ce qu’on mérite. Et cette fois-ci c’en était trop. Je me suis dit que j’allais arrêter de participer à ces compétitions, continuer à en faire, mais sous d’autres formes. Et consacrer mon énergie à quelques projets positifs, pour les femmes, que j’avais en tête depuis un moment.
Quand j’ai commencé le snowboard, nous, les femmes, n’avions pas le droit de participer aux compétitions de slopestyle, sous prétexte que c’était trop dangereux. À partir de ce moment-là, j’ai beaucoup milité pour la condition de la femme dans notre sport. 17 ans de haut-niveau, donc 17 ans de « combat » même si le mot ne me plait pas.
Des pétitions, des articles, des conférences, avec pour seul but d’ouvrir les structures sportives à la gent féminine, bénéficier des mêmes conditions peu importe le sexe.
Nous les avons obtenus pour le freestyle, et quand je suis arrivée sur le freeride il a fallu refaire la même chose pour obtenir des conditions dignes de nos efforts et notre dévouement.
Le lendemain de cette compétition à Verbier, j’ai appelé mon amie Aline et je lui ai proposé de partir en Islande immédiatement.
C’est cette première approche des femmes islandaises qui m’a tellement inspirée et m’a passionnée sur l’histoire des femmes dans ce pays. J’ai fait des recherches tout l’été, car je voulais comprendre comment cette condition avait évolué pour arriver à un niveau d’égalité largement plus avancé qu’en France ou Europe en général.
Petit à petit une idée de film s’est dessinée dans mon imagination et j’ai proposé à Aline d’aller passer l’hiver en Islande et d’aller à la rencontre des Islandais pour comprendre cet état d’esprit et rencontrer des femmes qui ont eu un impact positif sur leur société.
Nous sommes partis deux mois avec des planches de surf, de paddle, des snowboards, dans un camping-car, et on a vadrouillé en Islande.
XTREME VERBIER 2017 - LE RUN QUI A TOUT DÉCLENCHÉ
A LAND SHAPED BY WOMEN
Dans ce film nous montrons bien sûr le côté exceptionnel de l’Islande avec ces paysages sans égal.
Nous voulions également mettre en avant quelques personnes locales qui ont œuvré pour la condition de la femme. Nous avons été servis.
Heida Birgisdottir est la première surfeuse et l’une des premières snowboardeuses en Islande, mais elle est également fan de design. En voyant que les marques ne s’intéressaient que trop peu aux collections femmes, elle s’est décidée à lancer la sienne, Nikita. Ça a été énorme, car c’était la seule marque créée par une femme pour les femmes, avec des collections adaptées.
Je me souviens que chaque fille avait un habit Nikita, pas que pour le design, mais aussi pour les valeurs que ça transmettait.
En rencontrant Heida, j’ai été étonné de voir cette femme qui avait tant accompli, être si timide, si simple. Et cela montre que nous avons cette vision masculine de ce qu’est un héros, une personne importante reconnue, alors que cela ne correspond pas aux femmes.
Vilborg Arna Gissurardottir, une exploratrice polaire, est la première personne islandaise à avoir atteint le sommet de l’Everest. Il n’y avait pas eu d’homme islandais avant elle. Elle nous parle de la montagne dans le film en nous expliquant que par exemple les guides étaient essentiellement des hommes alors qu’elle souhaitait inclure des femmes dans ses expériences, avec une envie de rééquilibrer ce milieu de la montagne.
Katrin Oddsdottir, qui est une avocate spécialiste des droits de l’Homme a participé à la rédaction de la nouvelle constitution islandaise. Elle présente les valeurs que prône cette nouvelle constitution parmi lesquelles l’équité envers toutes les minorités et les femmes.
Cette nouvelle constitution est apparue suite au Krach financier de 2008 qui a impacté le pays de façon très violente et qui a conduit la population à se débarrasser du gouvernement en place. Parmi 1000 personnes tirées au hasard, 25 furent élus pour écrire ce texte de façon ouverte avec les islandais qui pouvait participer via les réseaux sociaux. Cette constitution est la première au monde à spécifier l’interdiction des violences faites notamment aux femmes.
De manière générale, les islandais ont une participation active dans les décisions du pays. C’est un peuple qui vit dans des conditions assez extrêmes et qui a donc dû s’adapter, en étant notamment solidaire : en prenant en compte l’avis de chacun, en comprenant bien que les femmes ne peuvent être mises de côté, en se posant la question constamment comment peut-on mieux vivre ensemble et comment peut-on améliorer la condition des minorités.
Il y a une belle citation de Vigdís Finnbogadóttir, première femme au monde à être élue au suffrage universel en 1980, en Islande, qui dit :” Ce qu’on peut voir, on peut l’être ». Ça reflète l’idée du film, on a l’habitude de voir des films sur la montagne avec les prouesses de personnes masculines, des héros qui ont survécu à des conditions extrêmes ou ont fait des excursions exceptionnelles. On a très peu vu de femmes dans des films comme cela. En voilà donc un réalisé par des femmes avec des personnages féminins.
Ce documentaire est donc fait pour planter des petites graines d’inspirations pour montrer que nous sommes toutes capables d’accomplir de belles choses. C’est en le montrant que nous aidons les personnes à prendre conscience que c’est possible. Nous avons plein d’exemples d’hommes qui sont mis sur un piédestal alors que c’est plus difficile dans trouver du côté féminin, non pas parce qu’il n’y en a pas, mais bien parce qu’elles sont tout simplement moins mises en avant.
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CES INÉGALITÉS DANS NOTRE SPORT ONT FAIT DE MOI LA MILITANTE QUE JE SUIS
Cela rejoint donc un point qui m’est cher, la médiatisation par exemple dans le sport n’est pas égalitaire, loin de là. Et c’est un vrai débat encore aujourd’hui…
Dans le sport l’un des problèmes est l’opposition des genres. Nous ne devrions pas comparer les performances mutuelles, car nous avons des spécificités différentes, des caractéristiques différentes et nous devons arrêter de rechercher la même chose chez les femmes que chez les hommes et plutôt apprécier les performances spécifiques des deux.
Le sport est un des milieux où les discriminations envers les femmes sont très présentes. On entend à longueur de journée que la gent masculine est au-dessus de la gent féminine en termes de performance sportive. C’est épuisant, on fait tous du sport à la base pour notre plaisir. On connait les bienfaits du sport au niveau physique et mental, et ça, ça vaut aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
Mais il faut comprendre que le sport de compétition a été construit sur les attributs de la physiologie masculine, donc forcément si on compare le niveau des femmes dans une structure conçue pour les hommes, les femmes auront toujours un temps de retard. Alors qu’on pourrait aborder le sport de façon beaucoup plus mixte, par exemple les compétitions de Nacra en voile ou l’équipage est composé d’une femme et d’un homme et chacun se sert de ses attributs et les met au profit de l’équipe et du bateau. Ici, nous ne sommes plus dans l’opposition des genres.
Plus on sépare les gens, plus on les segmente, plus on divise finalement. Pourquoi ne pas essayer plus de mixité dans tous les sports ? Le parfait exemple est Billie Jean King, ancienne tenniswoman numéro 1 mondiale dans les années 60-70 qui a battu Bobby Rings, ancien numéro 1 mondial dans les années 40 alors que celui-ci avait prétendu que jamais une tenniswoman ne pourrait le battre même en étant à la retraite. Elle a contribué à crédibiliser le tennis féminin et faire avancer la place des femmes dans le sport de haut niveau.
Il y a tellement d’inégalités qu’on ne peut même pas se rendre compte de quelles pourraient être les prouesses sportives du côté féminin.
NOUS DEVRIONS TOUS ÊTRE FÉMINISTES
Je suis féministe, mais qu’est-ce qu’être féministe ?
Le savez-vous ?
C’est simplement une doctrine fondée sur l’égalité des sexes. Penser que la femme et l’homme sont égaux. Plutôt logique non ?
Il y a beaucoup de connotations négatives ici en France quand on évoque ce mot. En Islande, j’ai découvert cette culture féministe positive, qui vise simplement à amener plus d’égalité entre les genres, pour le bien commun de tous.
D’ailleurs c’est un mal au sens plus global dans notre société, pas que pour ce mot. En Islande, chaque personne qui essaie d’amener de nouvelles idées est perçue comme positive, on n’entre pas dans de la négativité ou de l’agressivité. En France, on aura une tendance à toujours remettre en doute cette personne et se focaliser sur les choses qui ne marcheraient pas ou sur les problèmes que ça pourrait causer.
Mais pourquoi parler du féminisme, existe-t-il vraiment dans notre société et dans le sport ?
Je vais en parler sur un sujet que je connais très bien, ma discipline.
Sur les compétitions de free ride, à l’heure actuelle, le premier homme en snowboard remporte 8000 dollars, la première femme remporte 4000 dollars.
C’est la même compétition, le même jour sur la même face avec le même public.
Est-ce que ça coute moins cher à une femme de se rendre aux compétitions ? Paient-elles moins pour le transport, payer ses équipements, son logement, sa nourriture ?
Certains prendront l’excuse de la performance sportive, mais on ne peut pas comparer le niveau sportif sans comparer également l’investissement financier qui amène à la progression sportive.
On ne se rend pas compte, mais les hommes par exemple ont l’opportunité d’aller en Alaska chaque année, le meilleur endroit pour rider, tout frais payé. En tant que femme si on arrive à trouver les fonds pour y aller ne serait-ce qu’une fois c’est une merveille, et quoi qu’il arrive on aura dix ans de retard sur les hommes.
Forcément comment peut-on comparer cela ?
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UNE INÉGALITÉ SOCIÉTALE PARTAGÉE PAR TOUS LES ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ
Il faut savoir que pour les pratiquants de ski et de snowboard, il y a 40 % de femmes. Pourtant l’argent des ventes d’équipements réalisées grâce à ces consommatrices n’est pas réinvesti pour le sponsoring d’athlètes féminines, mais une grosse portion est détournée pour faire la promotion et soutenir les athlètes masculins. On ne va pas dans le sens de l’égalité, même au niveau des marques et du soutien des professionnels.
L’une des raisons de ces inégalités est également dans le fait que les structures sont dirigées par des hommes pour des hommes. Et si on voyait une plus grande diversité dans les personnes qui prennent des décisions, on verrait beaucoup plus de femmes, à l’écran, dans les magazines et le niveau augmenterait naturellement par la suite.
Pour vous prendre un exemple concret : Anna Gasser a passé un triple cork il y a deux mois, en novembre, chose qu’on pensait impossible pour une femme. Et cela montre qu’une femme peut réaliser des performances, en l’occurrence une figure, que beaucoup d’hommes n’arrivent pas à faire, que nous pouvons être l’égal des hommes tout simplement.
La presse sportive est constituée en très grande majorité d’hommes. Forcément cela n’aide pas à mettre en valeur le sport féminin, et quand bien même on commence à le mettre il va falloir du temps avant de remplir des salles, des gymnases ou des stades.
Par exemple dans le foot cela devient tout juste professionnel pour les femmes, dans le rugby ça ne l’est pas encore, donc oui il faut être patient avant de voir le niveau s’élever.
L’inégalité de salaire entre les hommes et les femmes est à 23 % de différence, ça n’a pas changé depuis 20 ans.
20 ans ! 23 % !
Dans certains cas comme le sport, ça commence à évoluer un petit peu, mais il faut comprendre qu’il ne faut absolument pas s’arrêter là et se dire que cela va continuer à évoluer naturellement, car ça ne le fera pas. On a tous un impact là-dessus.
Pour faire le lien avec l’Islande, tout n’est pas encore parfait et il y a encore un écart de 16 % de salaires. C’est toujours mieux qu’ici. D’ailleurs, c’est aussi une des raisons pour lesquelles les Islandaises continuent de descendre dans la rue tous les 24 octobre pour lutter contre cette inégalité. Le pays est sur le point de voter une loi qui obligera les entreprises à payer de façon égale les femmes et les hommes.
NE PAS S’ARRÊTER LA
Le snowboard n’est pas terminé pour moi. J’en fais depuis 17 ans, les compétitions sont en fait très récentes pour nous et je pense que pour moi ce passage est terminé. Mais je vais continuer à en faire, car c’est ma passion première.
Avec ce film, j’ai pu découvrir plein de choses nouvelles, qui me donnent envie de poursuivre également dans cette voie, avec peut-être un deuxième film où on irait rencontrer des jeunes femmes qui ont eu un impact positif sur leur communauté dans des pays où la condition des femmes est encore moins bonne qu’ici.
Avoir commencé par ce voyage était parfait, en Islande, une espèce de Ground Zero où tout a commencé pour les femmes, un vrai exemple positif.
Je n’oublie pas de remercier toutes les personnes qui nous ont aidé à rendre ce projet réel et notamment mon amie Aline avec qui j’ai pu partager cette formidable expérience.
Je sais également que la route est très longue, c’était une chose de montrer le plus bel exemple, mais ça sera un tout nouveau challenge d’être confrontée à d’autres cultures et d’autres traitements de la femme.
Mais vous l’aurez compris, je ne peux m’arrêter là…
ANNE-FLORE