Le jeu-vidéo et par extension le e-sport est un univers encore trop masculinisé ! Si le temps des pubs 100% ciblés jeunes garçons est révolu, il y est toujours difficile pour une femme de percer dans ce secteur. Aayley (Alicia Jolly) nous parle de son arrivée dans le monde du stream, de son combat pour la féminisation de ce secteur. Elle veut faire changer les mentalité et tient des propos assez forts. Des propos sans filtre de Aayley !
Aayley : STREAMEUSE
#Partner Twitch #NRJ #DominGo Radio Stream
Crédit Photo Une : DR
Je me souviens encore de mon arrivée dans une ancienne web TV où la plupart des personnes étaient recrutées par copinage : LRB par Skyyart, DFG par LRB et ainsi de suite. C’était connu et accepté, tant par les streameurs que par les vieweurs. Pour ma part, j’ai dû passer deux entretiens qui m’avaient permis d’expliquer mon futur apport et des concepts d’émissions que je pourrais mettre en place une fois embauchée.
Pourtant, certains retours de la communauté de cette web TV qui étaient cinglants. Selon eux, j’étais uniquement là, car je connaissais certains streameurs ou que j’avais couché avec quelqu’un. On n’avait pas pointé du doigt le piston de mes collègues, alors pourquoi je méritais qu’on me dise des choses dégradantes ?
Parce que je suis une femme.
Dans tout univers à majorité masculine, et peut-être encore plus dans mon milieu, les femmes doivent sans cesse prouver leur crédibilité sous peine d’être ramenées à des clichés graveleux. Celle d’un homme sera moins remise en question.
Par exemple, ils ne se font généralement pas critiquer sur leur esthétisme alors qu’une fille qui viendrait en t-shirt QWERTY se prendra un « elle aurait pu faire un effort ». Et si à l’inverse elle était bien habillée, les « elle veut montrer ses seins, elle se maquille trop » seront légion.
Être sans cesse rapportée à ce genre de choses qui ne sont pas inhérentes à nos qualités pour remplir le job, ça en dit beaucoup de ce qu’est notre société et notre culture. Quand tu regardes les différents streameurs, ce ne sont pas tous des canons de beauté ou des gens stylés vestimentairement parlant.
Beaucoup de filles ne supportent plus cette pression. Même si on doit se dire qu’il ne faut pas écouter ces critiques venant du web, à force d’entendre que tu es moche, que tu es une pute, que ton opinion ne compte pas, ça passe sous notre carapace.
AAYLEY : LA SOCIÉTÉ COMME REFLET DE L’INÉGALITÉ HOMME/FEMME DANS LE MONDE VIDÉOLUDIQUE
Il est possible que dès notre naissance, on cantonne les hommes et les femmes à des comportements prédéfinis. Un des principes qui m’irrite le plus est celui que les filles sont moins drôles que les mecs. Je suis allé chercher d’où ça venait et je me suis rapidement rendu compte que certaines choses dites par une femme allaient être mal vues : blagues graveleuses, gros mots, comique de situation. On nous a mis dans la tête que c’était aux hommes d’avoir de l’humour pour être le centre d’attention ou pour séduire. Une femme qui s’essayerait à un certain genre de plaisanteries sera vue différemment. Comme me disait ma mère : « venant de la part d’une fille ce n’est pas joli ».
Dans ce même schéma, les filles sont souvent éloignées des jeux-vidéo durant l’enfance. Je l’ai vécu comme toutes mes copines. On me disait de laisser mes frères tranquilles avec leur NES et de jouer à la poupée. Beaucoup de filles sont donc parties avec un retard comme moi, et je dois encore combler de nombreuses lacunes et de manque de culture vidéoludique.
Le féminisme est tout simplement nécessaire pour combler ce fossé.
EMETTRE DES OPINIONS FEMINISTES SANS ETRE VUE COMME UNE PERSONNE RADICALE
Mais être féministe dans l’univers des jeux vidéo est particulier. En tant que streameuse, je dois conserver cette espèce de dualité entre mes convictions et le fait de continuer à vivre de mon métier sans m’opposer la majorité des hommes (90 %) qui compose ma communauté.
Émettre des opinons féministes sans être vue comme une personne radicale, une meuf chiante ou autre cliché véhiculé par certains, c’est assez compliqué. Il faut savoir faire la balance entre certaines interventions obligatoires, car on a affaire à des propos qui ne devraient pas être prononcés, et le fait de laisser couler par moment pour ne pas être dans une posture qui serait néfaste pour le message qu’on veut faire passer.
C’est pour cela que je ne veux pas être cataloguée à parler uniquement de ces sujets sur NRJ* et j’ai pu notamment refuser de parler de certains thèmes pendant l’affaire Weinstein. Donner systématiquement la parole à une femme lorsque ça concerne les femmes n’est pas constructif tout le temps. Car être dans la posture systématique de la féministe peut me desservir et me faire passer pour la fille emmerdante, mais peut aussi porter préjudice au sujet évoqué, car on estimera que je veux faire ma propagande avec.
*Domingo Radio Stream
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AAYLEY : COMPRENDRE LE FÉMINISME AVANT DE LE JUGER
C’est bien que par moment certains hommes puissent en parler, car notre audience est masculine et peut-être que certains auditeurs accepteraient mieux ce type d’opinion. Je parle beaucoup de ce genre de problématiques avec Domingo qui est très ouvert. Ça a pu lui arriver de m’envoyer des articles pour avoir mon point de vue de femme pour savoir si certains angles seraient acceptables dans l’émission. Il est vraiment dans cette démarche d’empathie envers le quotidien des femmes.
Ma présence dans son émission est d’ailleurs due à mon expérience passée en matière de libre antenne et non pas, car je suis une femme. Je n’aurais jamais accepté si mon rôle avait été celui du cliché féminin des radios libres, qui est là pour glousser ou faire des canulars en jouant un rôle.
Avec d’autres collègues, j’ai pu avoir des expériences moins sympas où ils ont pu me piquer certains arguments en live que j’avais pu leur donner lors de réunions préparatoires. On en arrive à des situations de « mansplaining* » où je suis souvent dépourvue de toute la substance de mon argumentaire et je n’ai plus rien à dire. Je reçois alors un tas de remarque me disant que je ne sers à rien, chose que n’aurait pas eue un homme. Les gens cherchent la moindre faute pour les femmes, car ça parait difficile d’admettre qu’une femme soit là, car elle a des choses à dire.
* Situation où un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, sur un ton généralement paternaliste ou condescendant.
LA SOIREE DE LA FINALE DE LA COUPE DU MONDE 2018 FUT L’UNE DES PIRES POUR LES FEMMES
D’autres hommes sont aussi déconnectés de la réalité d’une femme dans l’espace public. Lors d’une émission, nous avions pu parler des gilets jaunes et de la dégradation des Champs-Élysées. Quelqu’un avait pu faire la remarque que tout le monde était tellement heureux de défiler sur cette avenue parisienne quelques mois plus tôt pour fêter la victoire des Bleus pendant la Coupe du Monde. Mais pour moi, cette soirée fut l’une des pires pour les femmes avec un nombre record d’agressions sexuelles et verbales. Sans vouloir diaboliser, j’avais indiqué qu’on ne pouvait pas vraiment en faire une soirée idyllique au vu d’un nombre de mauvais comportements, et je me suis vu répondre que ce n’était pas 2 ou 3 cas de viol qui allaient casser la belle image de cette soirée.
Pour moi c’est inconcevable de tenir ce genre de discours.
Je comprends bien que les hommes sont moins concernés et touchés, mais une prise de conscience collective est nécessaire pour améliorer la vie dans l’espace public.
Selon certaines études, c’est 100 % des femmes qui ont été harcelées dans des lieux communs*.
*Issu de l’étude du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (2015).
C’est quotidien.
On ne peut plus avoir ce genre de pensée réductrice, de ne pas être prises au sérieux.
C’est donc bien à nous les femmes de devoir porter ce message d’égalité entre les genres. Il faut être une femme pour comprendre certains problèmes que nous traversons dans la société comme la charge mentale*.
*Pour plus de précisions sur cette notion, je vous invite à lire : https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/
AAYLEY : TROP PEU DE FEMMES DANS CE MICRO MILIEU
C’est déjà compliqué pour nous de mettre en avant cette cause, alors voir un streameur homme avec une grosse audience à majorité masculine mettre en danger son image dans un combat qui n’est pas forcément le sien…
Pour autant, il est aujourd’hui encore très complexe que les filles prennent la parole pour dénoncer certains actes comme lors du phénomène #MeToo. J’ai pu avoir des problèmes à la suite d’une rupture, car on a pu colporter des rumeurs sur moi. Et pour beaucoup je n’avais pas le droit de répondre, c’était comme si on essayait de me faire taire et de me décrédibiliser.
Nous sommes trop peu de femmes dans ce micro-milieu qu’est le streaming où quelques amies ont pu subir des choses néfastes. J’ai des preuves d’actes vraiment pas terribles de la part de collègues masculins, mais je serais pointée du doigt par tout le monde si je les révélais, car je créerais du drama. Compliqué pour nous de faire comme les courageuses femmes qui ont dénoncé la Ligue du LoL.
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LES NOUVELLES PLATEFORMES WEB COMME TWITCH ET YOUTUBE FAVORISENT LE DIALOGUE
Il n’y a pas de solution miracle pour que notre milieu évolue. Il suivra tout simplement ce que la société au global fera.
Les représentants du gaming/streaming sont encore très jeunes et il faut que notre scène vieillisse un peu ou qu’une nouvelle génération plus éduquée sur les questions d’égalité arrive.
Les jeunes filles se tournent de plus en plus naturellement vers les jeux vidéo, ce qui amènera également une part plus importante de femmes compétentes dans notre secteur. Attention à ne pas forcer certaines web TV ou structures à embaucher plus de femmes pour la simple raison de leur genre. La seule incidence serait pour moi la perte de vieweurs, des femmes qui pourraient ne pas se sentir à leur place et des hommes frustrés de ne pas être assez représentés.
Un autre problème qui freine la voie vers un changement de mentalité est l’essence même de la plateforme principale, Twitch. À l’image des réseaux sociaux, c’est un défouloir qui amène parfois les commentaires les plus odieux et notamment sexistes. La seule chose que nous pouvons faire est d’essayer de faire prendre conscience de certaines problématiques, mais on ne peut pas forcer les gens à changer ce qu’ils pensent d’un coup. J’ai cependant l’impression qu’il y a une évolution positive sur Twitch, notamment dans ma communauté. Tout n’est pas noir. J’espère que cet espace défouloir deviendra un total espace de discussion.
AAYLEY : AVEC UNE MAJORITE DE VIEWEURS MASCULIN, MON OPINION DE FILLE EST APPRECIABLE POUR EUX
Et c’est sur cette force de Twitch, cette proximité avec la communauté, qu’il faut s’appuyer. Il y a un vrai volet éducatif à travailler et j’essaye d’apporter un maximum de conseils et d’avis sans être hautaine ou trop sérieuse.
Avec une majorité de vieweurs masculins, mon opinion de fille est appréciable pour eux. Je me souviens avoir discuté de la drague de rue que beaucoup d’entre eux ne pratiquaient pas, car les filles se sentaient trop vite agressées, mais d’une façon où c’était la fille la fautive. J’ai pu expliquer mes expériences, d’avoir déjà pu dire poliment non et que les insultes sont directement parties. Vient alors cette peur de se faire agresser physiquement qui pousse beaucoup de filles à ne rien dire dès qu’on les aborde, à se fermer totalement. Ce sentiment d’angoisse si on n’en parle pas, les garçons ne peuvent pas le comprendre.
Même si c’est appréciable de parler de sujets différents liés à cette problématique dans des médias traditionnels comme sur NRJ, il manque ce côté témoignage réel. C’est vraiment grâce à Twitch ou YouTube qu’on pourra avancer, car ces plateformes touchent plus la jeunesse.
Je ne demande pas aux gens de changer du jour au lendemain, mais d’avoir des éclats de conscience. Et si j’arrive à faire ça en racontant mes expériences de vie, j’aurais fait ma part du travail.
AAYLEY
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