Recordman de France du lancer de poids (20,75m) Fred Dagée a été l’une des grandes figures des lancers en France. Un record qui avait mis le feu au Stade du Maine d’Angers lors des Elites, mais qui n’a pas changé le quotidien du Niçois, toujours en proie, comme beaucoup de lanceurs en France, à des difficultés à vivre de son sport. Pour celui qui n’est plus si loin des minima pour les grandes compétitions, revient sur ce record, mais aussi sur cette lassitude de se battre contre vents et marées, pour sa passion. Fred Dagée veut réaliser les minima pour les mondiaux cet été. Il sera l’une des têtes d’affiche demain du meeting de Miramas.
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FRED DAGEE – 20,75 m C’EST UNE PERFORMANCE QUI COMMENCE A TE FAIRE RENTRER DANS PAS MAL DE CHAMPIONNATS
Le record de France n’a absolument rien changé dans mon quotidien. Je travaille toujours à côté, je m’entraîne toujours. J’ai fait ce record non pas pour changer les choses, mais parce que j’aime ça. Dans un sens j’ai franchi un cap avec ce record et dans un autre sens non. Oui parce que 20,75 m c’est une performance qui commence à te faire rentrer dans pas mal de championnats. Si tu la refais le jour J, t’es plutôt bien. Même si le niveau a augmenté et qu’il faudrait faire 21 m. Cela reste un accomplissement. J’ai eu tous les records de France. Il y a quelque chose de sympa sur l’aboutissement d’un travail bien mené.
Mais d’un autre côté non, car le niveau a tellement augmenté. J’ai un paquet de jets à plus de 20 m également. Le cap pour moi serait plutôt 21 m. Cette performance pourrait changer les choses. Les minima pour les JO étaient de 21,10 m, ceux pour les Mondiaux 2022 sont aussi à 21,10 m. Faire le record de France aux championnats de France, personnellement cela rend la performance encore plus légitime. Tu fais la performance, devant la tribune avec les élus. Il n’y a pas de remise en doute possible du jet. Là on sait que les poids ont été pesés, qu’ils sont tous les mêmes pour tout le monde. Après je ne dis pas que les autres records de France ne sont pas légitimes (rires).
AVEC SERGE DEBIE, ON SE COMPREND MÊME SANS SE VOIR EN DIRECT
Les France étaient le point culminant de ma saison. La dernière compétition pour tenter de se qualifier aux JO. Cela prouvait que j’étais en forme le Jour J. En 15 ans de lancers, cela m’est rarement arrivé de passer à côté d’un championnat. Cela s’est surtout passé sur ces 3-4 dernières années, où je n’ai pas réussi à lancer. Deux fois en coupe d’Europe. Mais en général je fais de bonnes performances. Le championnat me transcende, mais il arrive qu’on ne s’adapte pas au plateau de lancer ou aux conditions.
J’ai fait 20”36 en 2018 et depuis 2018, j’ai fait plein de fois 20 m. Ma progression n’est pas hors du commun. Mais il y a eu des changements. J’ai changé d’entraîneur depuis la période Covid, je m’entraîne avec Serge Debié. On bosse beaucoup en visio, car il est à Lyon ! Serge est arrivé dans ma vie et on a restructuré l’entraînement musculaire. J’ai énormément progressé avec lui. Il a renforcé des zones faibles qui m’a permis de progresser sur des zones fortes. On a passé un cap en muscu. Techniquement on a pointé du doigt les choses qui n’allaient pas. On se comprend très bien avec Serge, malgré le fait qu’on fasse tout en visio. Je filme chaque jet que je lui envoie. Le temps d’aller chercher les poids, il commente et fait un retour. Rien que comme cela, on se comprend et je visualise ce qu’il me dit.
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FRED DAGEE – EN 2012, TU ES CHAMPION OLYMPIQUE AVEC 21,50. AUJOURD’HUI, TU N’ES PAS SÛR D’ALLER EN FINALE
Je ne sais pas si c’est de la fierté, cela doit en faire partie, mais je me suis toujours attaché au fait d’être le meilleur quand je fais quelque chose. Mais cela ne m’habite pas au quotidien. Avoir le record de France, même si cela ne m’apporte rien en termes de sponsoring, c’est un bel évènement, mais je n’y pense presque plus aujourd’hui. Les records sont faits pour être battus et j’espère que quelqu’un ira battre les anciens que j’ai faits. Qu’il y ait une relève derrière moi.
Au niveau mondial, il y a une grosse densité. J’attribue un peu cela à Ryan Crouser, qui a le même âge que moi. Il a été champion du monde cadet en 2009. Il n’a pas disparu mais était dans le circuit universitaire américain, qui est monstrueux. Et a changé de technique. Il est réapparu en international en sénior, vers 2015 ! Il a commencé à faire 22 m comme ça, en dégageant une image de facilité. À partir de ces années, tout le monde a commencé à élever le niveau. Une grosse génération de lanceurs. Faire 22 m, c’était l’assurance d’être champion du monde et olympique ! En 2012, on est champion olympique avec 21,50 m. Aujourd’hui, avec ça, on ne sait pas si cela passe pour la finale. Avec des lanceurs qui font régulièrement plus de 22 m, mais aussi une grosse densité de lanceurs à plus de 21 m.
QUAND TU TRAVAILLES À CÔTÉ DE L’ENTRAINEMENT, TU Y LAISSES DE L’ÉNERGIE
Ce qui me séparent d’eux ? Le système français. C’est mon gros point de dépression psychologique. Et plus le temps passe et plus cela me ronge. C’est un constat. Et on n’est pas les seuls. Je suis obligé de travailler sinon je suis complètement SDF et ma femme me nourrirait et me logerait. J’ai 29 ans et j’ai acheté une maison, sans le travail ce ne serait pas possible. Pour construire une famille, ce ne serait pas possible non plus. Mais quand tu travailles, tu te fatigues. Entre les horaires de déplacement et le boulot… De 7h à 13h, je ne suis pas dispo. Ensuite, je dois rentrer, manger, me préparer pour être à l’entraînement à 15h. Je n’ai pas le temps de me poser. Je sors il est 19 h 30. Et je fais ça tous les jours. C’est éprouvant.
Sachant qu’il n’y a pas de sponsors. J’ai eu un contrat avec Décathlon l’année dernière mais cela s’est terminé à cause de la situation sanitaire. Ils me fournissent en vêtements de sport et c’était super. C’était la première fois que j’avais ça ! L’athlétisme, ça coûte aussi de l’argent. Avec le matériel, les compléments alimentaires. Rien que les chaussures de lancer, c’est entre 100 et 150 € et il faut les changer tous les deux mois. C’est un gros budget à l’année. Je n’ai même pas de dotation. Et moi je suis le numéro 1 au poids. Alors imaginez le numéro 2 et 3… Qui sont quand même aussi des athlètes qui s’entraînent énormément pour en arriver là. Antoine (Duponchel) a fait plus de 19 m. Yann Moisan s’entraîne comme un spartiate ! Je suis copain avec Antoine et je sais que c’est compliqué pour lui. Je ne sais pas s’il va encore avoir le détachement.
FRED DAGEE – CELA M’ARRIVE SOUVENT DE ME DIRE QUE J’AURAIS DU FAIRE UN AUTRE SPORT
Heureusement que j’ai le pacte de performance qui me permet d’avoir des horaires de travail aménagés. Après, si j’avais un simple mécénat, je fais comment pour avoir un crédit ? Si je vais voir la banque et que j’explique que j’ai un mécénat jusqu’à 2024, avec 20000€ / an, ils vont te regarder et te dire qu’il va falloir louer ! Finalement, les choix sont restreints. Mais avec le mécénat, tu as des temps de repos, tu peux partir quand tu veux en stage. Il y a d’autres choses. Je suis sur les listes de lutte antidopage, je dois dire où je suis quand je suis. Il ne faut pas oublier. Après, c’est très bien et s’il y avait plus de listes, je serais peut-être plus haut dans la hiérarchie. Mais ce sont des responsabilités. Quand je vois ce que je donne et ce que j’ai en retour. Je ne cache pas que cela donne envie d’arrêter.
Sans la Caisse d’Epargne, je ne serais plus lanceur de poids ! Je ne pourrais pas continuer ! Ce qui aurait été dommage, car j’entre dans la bonne période pour un lanceur. Je serais au taquet sur les prochaines années. Mais cela fait 15 ans que je lance et tu espères toujours que cela se débloque sur le sponsoring. J’ai encore espéré l’été dernier. Mais cet espoir s’effrite. Je ne dis pas qu’il faut compter sur les autres pour réussir, mais j’aurais aimé un soutien et c’est pesant au quotidien. Cela m’arrive souvent de me dire que j’aurais dû faire un autre sport. Car j’aurais pu gagner ma vie au rugby en étant moitié moins bon qu’au poids. C’est dur et pourtant j’ai toujours cette étincelle quand je vais lancer le poids, cette passion qui me tient. J’aimerais cependant que les choses avancent, car je sais ce que je peux faire.
LES MEETINGS NATIONAUX NE PROPOSENT PAS DE POIDS
Je ne suis pas sûr qu’une participation aux JO puisse changer les choses. Une médaille ou une belle finale oui ! J’aurais fait Tokyo, je ne suis pas sûr que cela aurait changé grand-chose. Mais regardez les meetings. Ce n’est pas méchant ce que je dis mais je devais reprendre aux régionaux, mais j’étais KO avec la grippe ! Je reprends à Miramas le 4 février. Derrière, deux semaines après, ce sont les France. On n’a pas de compétitions. Les meetings nationaux ne proposent pas de poids. Je regarde partout, il n’y en a pas. Tu as presque l’impression qu’on les emmerde. D’ailleurs, à Miramas, le poids n’est pas national, sans prime et sans remboursement de frais. Supprimez le poids à la limite.
Comment motiver des jeunes à faire du lancer. Cela me fait rire. J’ai quoi comme arguments. Après 15 ans de carrière, mon record de France, je ne peux pas motiver un gosse à faire du poids. Ce serait tellement égoïste. Il va vivre des galères pas possible. Si les parents n’ont pas d’argent, ce sera juste impossible. La passion et la gloire, il peut l’avoir dans un autre sport où il pourra gagner sa vie. On ne peut pas tout baser sur la passion. J’aime le poids, mais à côté, si le gamin me pose des questions je serais franc avec lui. Il faudrait qu’il soit champion olympique dès cadets.
FRED DAGEE – EN POLOGNE, LES LANCEURS SONT DES STARS
Une fille comme Mélina a commencé à vraiment s’en sortir quand elle a été vice-championne olympique. Elle en est à 6 JO. Vous voyez à quel point il faut en arriver ! Elle avait fait des médailles mondiales et européennes auparavant. Déjà, jamais je ne pourrais arriver à son nombre de participations aux JO. Ce qu’elle fait est exceptionnelle ! C’est la seule lanceuse de disque à avoir fait 6 JO. Mais cela annonce la couleur de ce qu’il faut faire pour s’en sortir ! On fait comment sinon.
En Pologne j’aurais sans doute plus de notoriété. Les sportifs de haut niveau sont sur un pied d’égalité. J’y suis allé l’an passé pour la coupe d’Europe par équipes. J’ai vu des affiches géantes à la gloire de Pavel Fajdek (lanceur de marteau multiple champion du monde) avec le sponsor Visa. Je me souviens de Tomasz Majewski, le lanceur du poids double champion du monde. Chez lui c’est une star ! C’est un homme d’affaires, il est sur les plateaux télés et il commente ! Mais là-bas, même ceux à 20,50 m sont aidés comme il faut, cela n’a rien à voir avec moi. On dit souvent qu’il faut casser des œufs pour faire une omelette. Mais en France, on veut une omelette sans œufs.
LE NIVEAU EST MONTÉ À TOKYO, MAIS À QUEL PRIX ?
Ils veulent un niveau de médailles élevé à Paris, mais sans agent, on n’y arrivera pas. Ce n’est plus possible. Et si encore on n’était pas bon en lancers en France. Quand on voit Quentin Bigot, même s’il a eu le parcours qu’il a eu, il est vice-champion du monde. C’est un vrai résultat. On a Mélina, Alexandra qui font des médailles, qui font des finales. C’est aussi le cas chez les jeunes, on fait des médailles. Chez les séniors, c’est là qu’on en a le plus. Et personnellement je n’ai pas de nouvelles de la FFA. Alors que la saison a commencé et que je fais une saison en salle. C’est le merdier. Je commence à le dire, même si je sais que cela me porte préjudice ! Mais si personne ne le dit, comment on fait évoluer ? Je pense à ceux qui vont arriver derrière moi.
Je ne vois pas d’évolution dans le bon sens. C’est même pire depuis le Covid ! À une certaine époque, il y avait du sponsoring. Yves Niaré était sponsorisé, il a donné des chaussures de lancer à un Lolassonn Djouhan. Alors oui, le niveau mondial a augmenté. Mais quand on voit ceux qui se sont qualifiés pour les JO, la moitié des lanceurs ont fait des performances bien en deçà à Tokyo. Le niveau monte mais à quel prix ? C’est compliqué ! Il faut lancer parce qu’on aime ça. J’essaye de m’en contenter et si un jour cela débouche sur des choses intéressantes, tant mieux. Sinon je n’aurai pas de regrets de ne pas avoir essayé.
FRED DAGEE – LA CAISSE D’EPARGNE EST LÀ POUR MOI
Pourquoi les performances de Ryan Crouser aideraient les lanceurs en France ? C’est du lancer du poids, cela intéresse moins et c’est comme ça. Pourtant, on n’a jamais connu quelqu’un qui fait ce qu’il fait. Et cela ne nous aidera pas en France. Cela peut changer s’il fait la Diamond League à Monaco, car il sera vu par le public français.
Comme je l’ai dit, heureusement que la Caisse d’Epargne est là motivée. Ils sont partenaires des JO et jouent le jeu à fond. C’est dans ce cadre-là qu’ils ont été motivés par mon projet. Et pour que je travaille pour eux. Je suis conseiller commercial, j’ai passé des examens, je suis en CDI. Je touche du bois, mais si ma carrière venait à se terminer demain, pour x raisons, j’aurai un métier et je ne serais pas à la rue. Mais je n’ai pas d’autres partenaires locaux. On est écrasé par le foot et le rugby ou le handball, des sports professionnels. Pourtant le sport reste une vitrine d’un territoire.
JE PENSAIS QUE LE RECORD DE FRANCE AURAIT CHANGÉ LES CHOSES
Le système classique du sponsoring via résultats, on souffre. Je repense à Ryan Crouser, quand il est rentré chez lui, il a eu le droit à de grands panneaux “bienvenue à notre champion olympique Ryan Crouser”. C’est une star qui est passée à la télé. C’est leur fierté, leur lanceur de poids et leur champion olympique ! Ici, ta performance reste à l’échelle de ton club. Quand je fais mon record de France, à 20 heures de la même journée, c’était fini. C’était bien mais on en a pas parlé plus que cela !
J’étais en train de me dire que cela pouvait emmener des choses, surtout à l’approche des JO de Paris. J’en ai parlé à ma femme et j’étais encore leurré par tout cela. “Tu vas voir avec les Jeux, cela va amener des sponsors”. Dans plein de domaines possibles, je pensais que cela allait débloquer des choses. De l’espoir (rires). Finalement cela a été pire comme je l’ai dit. Quoi qu’il arrive j’aurais fait du sport. Mais sans doute pas à haut niveau aussi longtemps sans la Caisse d’Epargne.
FRED DAGEE
Les Horaires du meeting de Miramas
19h | Séries 60m H et Triple saut H |
19h45 | Finale B 60m H |
19h50 | Finale A 60m H |
20h | 400 m H (4 courses) |
20h15 | Poids H (Fred Dagée) |
20h20 | 200 m F (3 courses) |
20h30 | Triple sauf F |
20h35 | 200 m H (3 courses) |
20h45 | 60 m haies H (séries) |
21h | 60 m haies F (séries) |
21h15 | 3000 m F |
21h30 | 60 m haies H finale B |
21h35 | 60 m haies H finale A |
21h40 | 60 m haies F finale B |
21h45 | 60 m haies F finale A |
21h50 | 1500 m H (série 2) |
22h | 1500 m H (série 1) |