JO – Yann Sternis – Je partais avec des craintes, je me suis bien régalé

En ce début de semaine, Sans Filtre donne la parole à des journalistes qui ont suivi les Jeux Olympiques au Japon. Récit de l’intérieur par Yann Sternis.
JO Tokyo 2020

En ce début de semaine, Sans Filtre donne la parole à des journalistes qui ont suivi les Jeux Olympiques depuis le Japon. Aujourd’hui, récit de l’intérieur par Yann Sternis, journaliste à L’Equipe, responsable de la couverture du judo pendant la première semaine notamment.

Crédit photo : [Yann Sternis]

PENDANT DEUX SEMAINES, C’EST BEAUCOUP DE CONCENTRATION

On sort forcément un peu fatigué des Jeux. On abat beaucoup de boulot, on a un rythme assez élevé. Mais bon je ne croule pas non plus. Surtout, je suis assez content de ces Jeux, parce que je partais avec pas mal de craintes sur la manière dont cela allait se passer, avec toutes les contraintes sanitaires, logistiques, le fait que cela se déroule à huis-clos… Mais en fait, ça ne s’est pas si mal passé, les compétitions auxquelles j’ai assisté ont été à la hauteur. Donc je me suis bien régalé, malgré tout. Cela compense tout à fait la dépense énergétique.

En plus du judo et du karaté, je suis venu en renfort pour deux soirées d’athlétisme. J’ai notamment pu voir la finale du 100m hommes et celle du saut en hauteur avec l’égalité et les deux médailles d’or, c’était chouette à voir. J’ai aussi fait deux soirées au volley, également en renfort, avec le quart de finale où les Bleus renversent les grands Polonais et la finale France/Russie. Donc j’ai vu de beaux moments des Jeux. J’aurai aimé voir plus de sports, mais de ce que j’ai vu, je suis bien tombé.

Pendant les deux semaines, je suis quand même dans ma bulle, il y a un peu de pression malgré tout. Il ne faut pas se manquer, il faut avoir des billes sur tout ce qui peut se passer, il faut être réactif. C’est beaucoup de concentration. J’étais surtout dans cet état d’esprit en arrivant à Tokyo la semaine avant le départ. Mais après, le début du judo, les premières médailles – celle de Luka Mkheidze d’entrée, Amandine Buchard le lendemain – m’ont permis de vibrer un peu. C’était beaucoup d’émotions, et après j’ai essayé de prendre le plus de plaisir possible.

YANN STERNIS – LE MOMENT OU RINER SE FAIT ELIMINER, C’EST UN PEU LE CHOC

Dans les moments qui m’ont marqué, la médaille de Luka Mkheidze était assez forte. Elle représentait un point de bascule entre cet avant-JO qui était surtout fait de contraintes et de craintes et le présent, les exploits sportifs et les émotions. En plus, Mkheidze a une histoire folle, il n’était pas non plus programmé pour être sur le podium. Cela lançait vraiment la quinzaine, et puis cela redonnait aux Jeux leur dimension de sport de haut niveau, de belles histoires, de croyance. C’était un vrai beau souvenir. Ensuite, il y a eu plein de médailles Françaises, j’ai eu la chance d’assister à celle de Clarisse Agbegnenou notamment. Elle était belle à suivre, c’était une des athlètes les plus attendues de ces Jeux. Cela faisait cinq ans qu’elle ne pensait qu’à ce titre, qu’elle disait vraiment qu’elle le voulait. Elle avait une pression énorme sur ses épaules et au final elle va chercher l’or.

La journée de Teddy Riner était un autre grand moment, car il visait un potentiel troisième titre individuel. Le moment où il se fait éliminer par le Russe (Tamerlan Bashaev), c’est un peu le choc. Et au final, il arrive à se relancer, à profiter de sa médaille de bronze, et il a un discours très fort derrière. Dans la foulée, le lendemain, il remporte l’or par équipes, encore un grand moment. Le titre de Steven Da Costa était aussi fort. Il savait qu’il n’avait qu’une fenêtre de tir dans sa carrière pour aller chercher le titre. Il était favori, il va le chercher. En plus, c’est un beau représentant de son sport, il est spectaculaire, il parle bien. Et plus éloigné, la finale de volley était un moment fort. On voit que c’est une équipe qui vit bien, qui prend du plaisir et qui va au bout alors qu’elle avait vécu un début très dur.

A L’AEROPORT EN NE SACHANT PAS SI J’ALLAIS POUVOIR RENTRER

C’est difficile de comparer Jeux d’été et Jeux d’hiver, l’atmosphère, l’euphorie est différente lors des JO d’hiver. Par rapport à Rio, ces Jeux de Tokyo étaient forcément différents. Rien que pour tout ce qu’il y avait avant la compétition, il nous a fallu préparer beaucoup de papiers pour rentrer sur le territoire, Pierre-Henri Guibert nous a beaucoup aidé pour cela. Ensuite, pendant la compétition, il n’y avait pas une immense ferveur, au-delà du huis-clos. Il n’y avait pas un grand enthousiasme pour les Jeux compte tenu de leur situation sanitaire. Tout cela a créé une atmosphère un peu spéciale, originale.

Pour rentrer au Japon, il fallait avoir téléchargé plusieurs applications japonaises, dont une s’appelant Ocha. Il fallait avoir coché tout un tas de cases, également deux tests PCR négatifs dans les 72 ou 96 heures précédant le départ. Après, en arrivant à l’aéroport, on a fait un test salivaire. J’ai eu quelques galères là-dessus, parce qu’ils n’arrivaient pas à analyser mon test. Donc j’ai passé deux heures et demie de plus que mes collègues à l’aéroport en ne sachant pas si j’allais pouvoir rentrer. Et après, au quotidien pendant les Jeux, il fallait remplir un formulaire sur l’application. Tous les trois jours, on avait un test salivaire à rendre sur nos lieux de compétition. On ne pouvait pas profiter de la ville durant les quatorze premiers jours, pas le droit d’aller au restaurant, d’utiliser les transports en commun. C’était assez strict.

YANN STERNIS – L’IMPORTANT, C’EST QU’IL Y AIT UN MAXIMUM D’EMOTIONS

Je n’ai jamais fait de judo. Il y a cinq ans, à Rio, je m’y étais retrouvé un peu par hasard. J’étais censé être « volant » durant la première semaine, j’allais où il y avait de l’actu, et il y en avait au judo. J’aidais Ollivier Bienfait, qui est le grand spécialiste judo, qui connaît parfaitement la technique et les athlètes. A Tokyo, Céline Nony qui s’occupe du judo habituellement, ne pouvait pas être à deux endroits en même temps, elle suivait donc la gymnastique où il y avait aussi beaucoup d’actu. Je ne suis pas un spécialiste judo comme Ollivier Bienfait ou Morgan Maury (RMC) peuvent l’être. Mais j’aime bien ce sport, les judokas, leurs histoires, leur état d’esprit. Je remercie Céline Nony pour toutes les informations sur les judokas qu’elle a pu me fournir pour préparer les papiers.  

Je n’avais pas trop cette réflexion de page 2 (en s’occupant du judo, Yann Sternis a ouvert le journal à de nombreuses reprises), je savais juste que je devais penser mes angles, mes articles. Le jour J, je ne pense pas à ça, d’autant que je ne sais pas encore où je serai dans le journal lorsque j’écris. Après, le lendemain, si je vois que c’est en page 2, je suis très content, mais ça n’est pas le principal. L’important, c’est qu’il y ait de bons articles, pas de fautes, qu’il y ait un maximum d’émotions possible. Pour Clarisse Agbegnenou ou Steven Da Costa, je suis content quand je les vois gagner : pour eux, parce que je les suis un peu, et pour moi plus égoïstement parce que j’avais travaillé en amont, que j’avais écrit des articles en prévision d’un titre qui est arrivé.

C’EST PLUS PLAISANT D’ECRIRE SUR DES VICTOIRES QUE SUR DES CRISES

(Concernant la non présence du karaté aux Jeux de Paris 2024). Je trouve ça d’abord triste pour les karatékas, notamment Steven Da Costa qui a glané une médaille d’or olympique et ne pourra pas la défendre chez lui. Après, c’est une décision que l’on connaissait depuis de nombreux mois. D’un côté, je comprends la volonté du COJO qui veut promouvoir des sports qui attirent plus de jeunes et un public à la base moins attiré par les Jeux avec le skate ou le breakdance. Maintenant, je trouve que le karaté à montré sur son occasion qu’il avait totalement sa place aux JO. C’est dommageable.

retrouvez notre dernier entretien avec Steven Da Costa ICI

Les Jeux à Paris en 2024 ? Oui, c’est cool, mais ce sera différent d’avoir les Jeux à la maison. Ce qui est sympa avec les Jeux – même si tu ne vas pas aux Jeux comme un touriste vient visiter un pays – c’est de s’immerger dans d’autres cultures, de découvrir d’autres choses. A Paris, je ne sais pas si ce sera mieux.

Sur les sports (il a également suivi le Stade Rochelais en rugby, qui a réalisé la plus belle saison de son histoire) ou les sportifs que j’ai suivis cette saison, c’est vrai que j’ai eu pas mal de chance, ils sont tous allés loin dans leurs compétitions. Globalement, il y avait des états d’esprit très positifs à chaque fois. C’est plus facile d’écrire sur des victoires que sur des crises, plus plaisant en tout cas ! J’ai été assez chanceux, ça peut vite tourner !

YANN STERNIS – J’AI BEAUCOUP AIME LE BUDOKAN

A Twickenham (où il était pour couvrir la finale de Champions Cup du Stade Rochelais), on a eu une très belle ambiance la veille surtout avec la finale de Challenge Cup où il y avait les fans anglais (Leicester affrontait Montpellier). C’est vrai qu’on perd un peu l’habitude des chants, du bruit. Quand on sent que cela se soulève à nouveau, ça fait du bien ! On ressent la ferveur populaire après une saison où tous nos déplacements se sont faits dans des stades vides, où il y a juste les lumières pour rappeler qu’il y a un match. Assister au retour du public dans un stade aussi mythique décuplait le plaisir.

J’ai vraiment beaucoup aimé le Budokan (enceinte mythique du judo à Tokyo). L’architecture est très belle, l’intérieur est un peu dans son jus, dans un style à l’ancienne. On sent aussi qu’il y a un esprit, il y a aussi une acoustique qui est géniale. Ils avaient une bande son plutôt sympa, qui mettait dans le rythme aussi. Pour l’épreuve par équipes, il y avait toutes les délégations qui étaient là et cela a donné une très belle ambiance.

YANN STERNIS

Avec Mathéo Rondeau

Yann Sternis

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