Les sportifs ne brillent pas uniquement sur le terrain mais en apportant une aide à leur communauté par une action, une parole, une prise de position. La rubrique « Engagés » permet à un sportif de partager avec vous une réflexion sur une cause particulière.
De son arrivée en France en 1986 à son titre de Champion du monde de boxe en 2003, Mahyar Monshipour a toujours cru en son destin et a su saisir les occasions pour réussir. Aujourd’hui engagé auprès de la Fédération Française de Boxe et de nombreuses associations, il se bat pour le “vivre” ensemble dont il est l’un des éminents représentants. Découvrez son avis coup de poing et ses solutions pour améliorer l’unité de la société française. (Crédits photo : FF Boxe)
Je suis arrivé en France à 10 ans au début de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Je fais partie de ce qu’on appelle les primoarrivants, c’est-à-dire une personne qui ne parle pas la langue ou qui ne possède pas les références culturelles du pays d’accueil. J’ai d’ailleurs appris mes premiers mots de français dans l’avion qui me dirigeait vers la France. Mon père m’avait envoyé chez ma tante qui résidait à Poitiers. Elle avait ma responsabilité jusqu’à ma majorité. Pour gagner du temps dans l’apprentissage du français, elle avait alors imposé son utilisation exclusive à la maison.
Au départ, j’étais un peu un extraterrestre pour mes copains d’école, car un gamin qui ne parle pas le français, c’était plutôt rare et ça me permettait d’être un peu protégé avec ce rôle de « chouchou ». Mais dès que j’ai commencé à parler français en me fondant dans la culture pour apprendre plus facilement, je n’avais plus ce statut et j’ai dû me battre pour avoir ma place.
La pratique sportive m’a clairement aidé pour m’intégrer, car j’étais une petite vedette à l’école grâce à mes talents en course à pied et en handball. Mais l’important pour moi, c’était avant tout d’être un bon élève et de parler correctement le français.
Cependant j’ai toujours estimé que le sport n’était qu’un outil parmi d’autres pour faciliter l’intégration, ce n’est pas la solution miracle. Certains élus ont d’ailleurs pu acheter pendant quelques années une paix sociale grâce au sport, mais on voit aujourd’hui que tout s’est écroulé.
UNE FRACTURE CULTURELLE EN FRANCE
J’ai commencé à voir ce que j’appelle la fracture culturelle lorsque j’ai déménagé dans les années 2000 à Toulouse. C’était un vrai changement pour moi par rapport à Poitiers. Je me rendais compte à ce moment-là que beaucoup de gamins dont les parents étaient issus de l’immigration ne se sentaient pas français, mais citoyens du pays d’origine de leurs parents. Quand je voyais ces enfants qui allaient pour les vacances dans le pays de leurs parents dire « on va au bled », j’avais envie de leur faire comprendre que leur bled c’est ici, c’est la France.
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En 2004 dans un bar de la ville rose, j’étais avec un ami d’origine algérienne. Un homme intégré, qui avait réussi à monter son business, etc. Et il m’avait dit : « Pourquoi tu t’es mis à genoux, tu as baissé ton froc pour les français… ». Il m’a alors expliqué ses blessures, qui l’ont notamment conduit à créer le club de foot algérien de Toulouse, car il avait été victime de discriminations en tant que jeune joueur et il voulait protéger ses enfants de ça. Je pouvais comprendre son point de vue, mais pour ma part je m’estimais français.
Lors de l’affaire Merah, j’ai vu aussi tellement de jeunes croire et relayer toutes les histoires complotistes. Je me souviens aussi de ces gamins du club qui scandaient des slogans alors qu’on leur a inculqué des règles, qu’ils sont bien éduqués…
C’est cet état de fait qui m’a fait écrire le livre « La rage d’être français » avec la collaboration de Karim Ben Ismail en 2007. Ce n’était pas un bouquin sur la boxe, mais un mode d’emploi sur l’intégration en France. Je voulais montrer aux gens qu’on pouvait venir d’ailleurs et être capable d’aimer son pays d’origine et son pays actuel en même temps.
Aujourd’hui j’ai une vision plutôt négative sur l’avenir de la société française, qui s’est clairement loupée sur le sujet. La fracture entre deux parties de la population est trop grande. D’un côté les gens qui ne comprennent pas que les petits-enfants de leur femme de ménage immigrée vont à la même école que leur famille, ou qu’ils se mettent en couple avec les leurs. La France est l’un des pays les plus arriérés là-dessus, j’ai un ami qui a d’ailleurs une expression parfaite : « La culture de l’indigénat est prégnante en France », ce qui veut dire qu’on estime certaines populations issues de l’immigration en dessous des autres. Il y a aussi les gens qui s’offusquent que le président parle de crime contre l’humanité en évoquant les anciennes colonies alors que c’est une réalité, ça fait partie de l’histoire et maintenant il faut avancer.
En réaction à cela, certains jeunes pensent « si tu crois que je ne suis pas ton égal, je t’emmerde ». Et la violence s’est alors amplifiée, avant on brulait l’arrêt de bus et maintenant on tue des gens dans la rue ou à un concert.
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J’ai un exemple précis qui illustre ce décalage. Pendant les attentats du 11 novembre, j’étais en déplacement chez les troupes d’élite anglaises (SAS) pendant quelques jours avec des boxeurs cadets et juniors. Nous étions coupés du monde, sans téléphone, et le soir un des gradés des SAS vient m’informer de ce qu’il se passe en France. J’aurais toujours en mémoire la réaction d’un gamin de chez nous, qui voyage, qui est sorti de son quartier, qui est un champion : la seule réflexion qu’il a pu avoir a été de se dire que les médias allaient encore accuser les arabes ou les musulmans. Il n’a jamais pensé aux victimes, à la situation en France…
UN ESPOIR DANS LE MODÈLE ANGLO-SAXON
Pour voir un rayon de soleil sur ce sujet, il faut peut-être regarder du côté des pays anglo-saxons. Mon cousin vit à Londres et travaille dans un restaurant où la clientèle provenant du Golfe est nombreuse. Là-bas, personne ne va juger les femmes voilées ou les regarder bizarrement. Il y a bien sûr des limites avec ce modèle, car il ne faut pas autoriser tous les comportements sous prétexte de religion.
J’apprécie également la vision américaine concernant le drapeau qui unit tous les citoyens. En 2007, j’étais allé à New York pour recevoir le prix du combat de boxe de l’année. C’était pendant la fête nationale portoricaine, et ils organisaient un match entre un portoricain et un new-yorkais noir et juif. J’assiste à ce combat assez chaud, où il y a beaucoup de coups bas et j’ai une réaction typique d’européen : je prends rapidement la sortie de peur que ça dégénère. Mauvaise réaction, car les supporters portoricains et new-yorkais sont sortis ensuite tous ensemble, à boire dans les mêmes bars. Le lendemain, pendant la parade pour cette fête nationale, toutes les communautés de la ville étaient présentes pour célébrer et pas une seule fois nous n’avons été bousculés avec ma femme alors que c’est ce qu’on vit tous les jours à Paris. C’est quelque chose que nous n’avons pas réussi en France.
De mon côté, je me suis toujours engagé par conviction et par envie au sein d’associations que j’ai pu créer comme France-Bam ou d’organismes tels que l’Agence pour l’Éducation par le Sport ou le Conseil Général de la Vienne.
J’utilise souvent une maxime, « on peut faire plus que de marquer des buts grâce à la pratique sportive ». Il est clair que les résultats servent, on a pu le voir avec la Fédération française de boxe qui a pu surfer sur les six médailles olympiques obtenues à Rio. Mais en France nous sommes arcboutés sur cette vision, l’action des fédérations n’est ainsi vue qu’à travers le nombre de médailles obtenues. Pour moi ces titres ne sont qu’un outil pour attirer des pratiquants et les amener vers une pratique sportive utile. Le sport fait toujours du bien au corps, et selon le contexte elle peut être éducative et intégrative. Seulement il faut sortir de l’enseignement négatif, « ne fais pas ça », « pas comme ça », où il ne ressort rien de positif pour les enfants. Le sport doit s’envisager selon un état d’esprit et ne pas s’axer uniquement sur le volet compétitif.
Dans mon engagement au sein du milieu pénitentiaire, j’ai pu constater que c’était la combinaison sport et culture qui pouvait faire la différence. Le principal problème du sport reste le rapport dominant et dominé qui existe qui aboutit à consacrer un gagnant et un perdant.
Pour nos enfants, il faut vraiment les éduquer culturellement en leur donnant les clés pour avoir une bonne lecture des événements et de l’histoire. J’ai une fille de 7 ans qui adore l’Iran, mais nous avons choisi la France pour faire notre vie.