SARAH DANINTHE : LA GUADELOUPE FORME DES SPORTIFS À LA DÉTERMINATION INFLEXIBLE

Médaillée olympique, double championne du monde, Sarah Daninthe a tout connu dans le monde de l’escrime. Elle nous raconte son parcours, l’influence de sa Guadeloupe natale et sa volonté de développer le sport aux Antilles.
Sarah Daninthe

Sarah Daninthe – Escrimeuse

Épée : #Médaille de Bronze JO Athènes 2004 # Double Championne du Monde 2005 & 2008 #Vainqueur European Champion’s League #Ambassadrice Paris 2024 

Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Médaillée olympique, double championne du monde, Sarah Daninthe a tout connu dans le monde de l’escrime. Elle nous raconte son parcours, l’influence de sa Guadeloupe natale et sa volonté de développer le sport aux Antilles. Crédit photo Une : François Tancré.

Si je vous disais que ma passion pour l’escrime s’est construite sur un malentendu lorsque j’avais 4 ans. Ma mère se faisait une image de moi sur l’archétype féminin. Une jeune fille faisant de la danse et jouant à la poupée. Mais j’étais plus attirée par le foot, le basket ou le BMX.

Comme pas mal d’enfants, j’avais une activité extrascolaire, et tous les mercredis c’est mon frère qui m’emmenait à la danse tandis que lui partait donner des cours d’escrime au même moment. Pour mon plus grand bonheur, ma professeure de danse s’est absentée une certaine période, et ce fut comme une délivrance. Nous avons continué à y aller jusqu’à ce que la professeur de danse appelle ma mère. J’ai commencé à pratiquer l’escrime avec mon frère et n’ai plus jamais arrêté.

À l’âge de 12 ans j’ai intégré une structure type « sport étude » avec des horaires aménagés pour allier école et escrime. Il était très important pour ma mère que je ne néglige pas mes études. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle voulait impérativement que j’obtienne mon baccalauréat avant de partir pour la métropole. C’est donc à 18 ans que je m’envole pour Bordeaux pour rejoindre le centre national.

J’ai toujours gardé dans mon esprit des modèles comme mon frère ou Jean-François Lamour qui ont été des moteurs de motivation dans la pratique de l’escrime.

UN ESPRIT DE GUERRIÈRE COMME SOURCE DE MA DÉTERMINATION

Même si l’escrime n’est pas le sport par excellence en Guadeloupe, j’ai tout de suite accroché à cette discipline pour son « esprit de guerrier ». Comme un « jeu » aux allures de bataille. C’est ce qui a construit chez moi cette détermination, celle qui m’a suivie tout au long de mon parcours.

À l’âge de 15, je vois la reconnaissance de mon travail fourni. Une sensation qui restera marquée à vie lorsque je suis devenue championne panaméricaine* et que j’entends pour la première fois l’hymne national, La Marseillaise. Un grand moment de fierté, j’en ai pleuré, l’émotion était tellement intense.

*Les championnats panaméricains d’escrime sont la compétition de zone rassemblant annuellement les tireurs d’Amérique du Nord, centrale et latine, et des Caraïbes, la Guadeloupe faisant donc partie de cette zone.

 

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Bien sûr que j’ai connu dans ma carrière de très beaux moments. L’un des plus forts restera surement le podium aux Jeux Olympiques d’Athènes en 2004. C’était tellement intense que je n’ai toujours pas de mot pour décrire mes sentiments. Mais comme dans toute carrière il y a des hauts et des bas, il faut en être conscient, les accepter et savoir rebondir.

L’un des moments les plus durs pour moi aura certainement été pendant la qualification aux JO 2012 de Londres. On était encore en course et on avait une dernière compétition, à Paris donc avec le soutien de nos proches et du public. Nous avons échoué de peu et surtout ce qui a été le plus dur est très certainement de se rendre compte après que toutes les forces en présence n’allaient pas dans la même direction. Ce fut très violent. De se dire que tant d’investissements n’ont pas reçu le résultat souhaité. Une énorme remise en question a suivi.

« Pourquoi ça n’a pas marché ? Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Est-ce que j’ai envie de continuer ? »

Tellement dur mentalement que suite à la défaite je suis repartie en Guadeloupe et je me suis mise au taekwondo. Il fallait que je souffle, mais il fallait surtout que je tape sur quelque chose pour extérioriser. Ça aura duré plusieurs mois.

LES BIENFAITS D’UN ENTRAÎNEMENT MIXTE POUR LA MOTIVATION ET LE DÉPASSEMENT DE SOI

Les remises en question sont bénéfiques dans le domaine sportif. Pour moi bizarrement ça m’aura beaucoup aidé au niveau de mon travail (CRM and Digital Project Manager) sur la motivation, les relations humaines entre collègues, le travail d’équipe, travail et échanges entre managers et managés. Pleins de valeurs retrouvées aussi bien dans le sport que dans la vie.

Mais surtout, ça aura eu un impact positif sur ma motivation, j’ai redéfini mes objectifs (professionnels en intégrant un lac dans le numérique et sur le plan sportif, de repartir pour une Olympiade), je me suis remémorée : « je suis là, mon objectif est au bout du chemin, chemin pas facile du tout à emprunter surtout avec les jeunes qui arrivent, quelle est la route pour l’atteindre ». Et pour ça il faut une grande part de motivation, de détermination et d’humilité, car le succès n’est pas assuré ; c’est l’état d’esprit le véritable moteur de l’ascension.

Je pense que c’est la Guadeloupe qui m’a forgé un mental en béton. Il faut dire que les filles et les garçons s’entraînaient ensemble. Cela peut sembler anodin, mais ce n’est pas toujours le cas. Nous étions un effectif réduit par rapport aux athlètes de la métropole. C’était plus sympa d’être tous réunis. Par contre une fois arrivée à Bordeaux les entraînements n’étaient plus mixtes. Il a fallu s’adapter.

Le fait de s’entraîner ensemble, filles et garçons réunis, a beaucoup joué sur ma motivation et sur le dépassement de soi. Nous faisions attention les uns aux autres. Le moins bon n’était jamais moqué, il y avait une forme de bienveillance entre nous, un esprit d’entraide, qui boostait le moins fort à se dépasser et travailler plus. Ça a eu un impact primordial dans la construction du mental.

À Bordeaux ainsi qu’à Paris, j’ai découvert une mentalité bien plus individualiste. Chacun voulait être le meilleur. Ce caractère dépasse le domaine sportif. Probablement que ça reflète la société dans laquelle nous vivons. C’est dans ces moments-là qu’il est important d’avoir un mental à toute épreuve.

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L’AMBITION DE DÉVELOPPER LE SPORT AUX ANTILLES

Depuis que je suis retraitée, une de mes ambitions est de rendre à la Guadeloupe ce qu’elle m’a donné.

Il faut être honnête la conception du sport dans les Antilles et dans la métropole n’est pas identique. La métropole sait jouer de la localisation de ses régions vis-à-vis des sports proposés. En Bretagne, il y a la voile par exemple.

En Guadeloupe la région développe encore très peu le sport en fonction de sa géographie. Je sais que depuis quelques années le surf ou le kitesurf sont pratiqués sur l’île. Mais c’est encore tout récent et il faut encourager la diversification des activités proposées en tenant compte du territoire.

De plus, le sport en Guadeloupe est ancré dans la culture. Ce qui est perçu comme un plaisir peut ne pas l’être pour certains vivants dans la métropole. La notion de plaisir est davantage présente en Guadeloupe ce qui peut expliquer que les Antilles sont parfois perçues comme un incubateur d’athlètes.

Mais face à ça, je constate aussi un phénomène nouveau, l’obésité. Ce fléau touche de plus en plus de jeunes. J’ai été choquée d’apprendre l’important ajout de sucre dans les produits laitiers à destination des Antilles.

Mon objectif pour les années à venir serait de contrer cette tendance. C’est un projet auquel je travaille actuellement.

Maintenant si je devais m’adresser aux jeunes, je souhaiterais les encourager à croire en eux. Qu’ils réapprennent à avoir confiance en eux. Petite par exemple, j’ai été éduquée de façon à me dire que tout est possible, et que je vais réussir. C’est pareil pour tous les guadeloupéens ; ce sentiment est davantage ancré que chez les jeunes grandissant en métropole.

Je pense fortement que le sport permet aux jeunes de s’en sortir. Par ailleurs, ça me désole que le budget pour le sport ne cesse de diminuer, surtout depuis la coupe budgétaire faite récemment par le Ministère. À cause de cette décision, on freine, voir, on handicape les régions, départements et les clubs dans le développement de structures sportives. Celles-ci ne percevront plus assez d’aides pour préserver les sports déjà en place ou pour en créer de nouveaux. Et de manière générale c’est tout un système d’intégration sociale qui se voit affaibli.

SARAH

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