Heure du crime : 20 heures (10 heures, heure française). L’homme sur le banc des accusés : Craig Joubert. Faits reprochés : Arbitrage plus que douteux lors de la finale de la coupe du monde de rugby 2011. Nouvelle-Zélande – France, un match qui, dix ans après, reste en travers de tous les amoureux du rugby français.
Crédit DR
Une finale au double gout de revanche
La 8e édition de la coupe du monde de rugby voit s’affronter Néo-Zélandais et Français, dans l’Eden Park d’Auckland, devant près de 62 000 spectateurs. La même finale que la toute première édition, en 1987, déjà en Nouvelle-Zélande, avec le triomphe des locaux (29-9) face à des Bleus épuisés, après une demi épique contre l’Australie, avec un essai victorieux de Serge Blanco, au bout du temps additionnel (30-24).
Autant dire que cette finale à un gout de revanche. Revanche car les “Blacks” n’ont plus remporté la compétition depuis la première victorieuse chez eux. Ils restent également sur deux défaites consécutives contre les Bleus. La demi-finale épique de 1999 (43-31) et le quart en 2007 (20-18). Deux affronts légèrement lavés par la victoire en phase de poule de cette édition 2011 (37-17).
La France conspuée et raillée par le monde entier avant le match
Mais, si les All-Blacks sont revanchards, il en est de même pour cette équipe de France. Qui veut enfin soulever le trophée, après deux échecs (1987 et 1999). Des Bleus décriés par l’ensemble de la presse internationale, à cause d’un niveau de jeu. Sortis péniblement des poules, avec une défaite qui a fait tâche contre le Tonga, les hommes de Marc Liévremont n’ont pas davantage convaincus en demi-finale contre le Pays de Galles (victoire 9-8, en ayant joué près d’une heure à 15 contre 14). Les anciens ne sont pas tendres. L’ancien champion du monde Sud-Africain Steven Pieenar, estime que la France est une honte pour le rugby mondial. Mais Jonah Lomu, la légende Néo-Zélandaise est plus prudente : “La France fait toujours un grand match en coupe du monde, le problème c’est qu’elle ne l’a pas encore fait”.
Encore une fois, Jonah Lomu avait tout saisi, tout compris. En ce 23 octobre 2011, la France va faire son grand match dans cette coupe du monde. Les Bleus qui entrent dans le match avant même le début de la rencontre. Emmenés par le capitaine Thierry Dusautoir, ils vont défier le Haka, le célèbre cri de guerre Maori, qui a forgé la légende des “All-Blacks”. Formés en “V” les Bleus se mettent sur une ligne médiane qu’il n’ont pas le droit de franchir, jurisprudence liée au défi des Bleus déjà, quatre ans plus tôt, face à ces mêmes Néo-Zélandais. Autant dire que le ton est donné !
Lire aussi : Jan Ullrich défia Lance Armstrong (récit de Sans Filtre 6)
Craig Joubert pas impérial en première mi-temps
D’entrée de jeu, le ton est donné, les Bleus sont dans la cadence, occupent le terrain et envoient du jeu. Les Blacks doutent et “se vengent” sur Morgan Parra. Le demi de mêlée français est châtié à deux reprises et doit céder sa place prématurément. Craig Joubert ne bronche pas devant deux actes clairement volontaires. Un coup du sort en entraîne un autre. Sur une splendide en touche, Woodcock est envoyé en terre promise. Essai non transformé par un Piri Weepu, qui va totalement rater sa finale, lui l’âme des Blacks et le meneur du terrible “Haka”.
Néanmoins, les Blacks sont libérés et les vagues déferlent sur la défense française, qui plie mais ne rompt pas. La défense est sanctionnée, mais Weepu loupe ses coups de pieds. Les Bleus se permettent tout de mêmes quelques actions de génie, comme cette relance de l’entrant François Trinh-Duc, qui part de son camp, élimine le premier rideau Néo-Zélandais. Le temps d’un instant, on a l’illusion qu’il part à l’essai, mais il est repris d’une magnifique cuillère et les Bleus ne parviennent pas à capitaliser cette relance, peu aidés par Craig Joubert, qui ne siffle aucun hors-jeu sur cette action. Les locaux perdent leur ouvreur Aaron Cruden également sur blessure. Le score reste bloqué sur le score de 5-0, dans cette finale à la fois fermée mais terriblement ouverte.
Craig Joubert carrément scandaleux en seconde mi-temps
Retour des vestiaires, nouvelle faute française. Donald qui bute à la place de Weepu ne loupe pas la cible. Oui la pénalité, malgré l’effet d’optique qui donne l’impression du contraire, est bien passée entre les perches. Huit points d’avance pour les Blacks, c’est peu, mais dans ce genre de rencontre, c’est un gouffre. Qui n’effraie pas les Bleus, qui vont se ruer à l’abordage. Et être récompensés, quand Thierry Dusautoir va en terre promise (8-7, 47e). Comme un symbole, le capitaine de l’équipe de France, déjà marqueur lors du sensationnel quart de finale de 2007, remet les siens dans le bon sens de la marche.
Pour consacrer une expression, les mouches ont changé d’âne. Dominateurs jusque là, les Blacks vont se laisser gagner par la peur. Preuve en est, le coup de pied raté, dès le coup d’envoi, d’un Weepu, totalement désabusé, qui va laisser sa place dans la foulée, regard dans le vide. L’âme des Blacks vient de quitter le terrain. Dès lors, les Bleus investissent le camp adverse. Dans les regroupements, Richie McCaw, capitaine roublard des Blacks, se met plusieurs fois à la faute. Mais Craig Joubert ne bronche pas. Il y aura bien cette tentative de Trinh-Duc, qui passe largement à côté, sous les inhabituels sifflets d’un public néo-zélandais, lui aussi gagné par la peur.
Défaite amère et récidive de Craig Joubert 4 ans plus tard
Les Blacks sont paralysés par l’enjeu, par cette équipe de France qui lui pose décidément tant de misères en coupe du monde. Ces Bleus, adeptes du “French Flair”, qui ont encore réussi à déstabiliser les Néo-Zélandais. 5 fois, 10 fois Craig Joubert aurait pu siffler en leur faveur, sur des situations ultra-favorables, où les Bleus auraient pu passer devant et faire basculer le match. Il n’en sera rien. Fabien Barcella se montrant fataliste à la fin du match : “On savait qu’il n’allait pas siffler sinon il n’allait pas pouvoir sortir du pays. On savait qu’il n’allait pas mettre une pénalité pour nous, qu’il nous faudrait un drop ou un essai”.
Les Bleus s’inclinent d’un tout petit point (8-7). Leur troisième défaite en finale de coupe du monde en autant de tentatives. Craig Joubert, lui, continuera d’arbitrer. Il se “signalera” quatre ans plus tard, lors du quart de finale Ecosse – Australie, perdu cruellement par les Ecossais (34-35). Avec de nouvelles décisions scandaleuses du Sud-Africain. World Rugby reconnaîtra ses erreurs lors de ce match. Mais pas lors de cette “tragique” finale de coupe du monde 2011. La dernière en date des Bleus, qui se sont enfoncés pendant près de 10 ans dans la crise et la morosité. Avant d’en ressortir l’an dernier. Et pourquoi pas pour une quatrième finale, chez soi, en 2023. Et là, il faudra aller au bout. En espérant éviter un Andrew Brace, petit frère spirituel de notre ami Craig Joubert.
Lire aussi : Cauchemar Bleu (France – Nouvelle Zélande 2015)
Etienne GOURSAUD