Les épreuves combinées sont une discipline à part. Les athlètes sont comme les Hercule des temps modernes, avec 10 tâches (pour les hommes) et 7 (pour les femmes). Mais ne vous-êtes vous jamais demandé dans quel état d’esprit les athlètes abordent la compétition ? Leur ressenti épreuve par épreuve ? Cette bagarre incessante contre soi-même. Diane Marie-Hardy (participation aux Europe en 2018 et record à 6015 points), décortique avec nous l’heptathlon et livre son ressenti à chaque épreuve. Venez découvrir son récit détaillé et vous en saurez plus de l’état d’esprit d’une championne.
Crédit : Diane Marie-Hardy (instagram)
AVANT LA COMPÉTITION
J’essaie de garder le même état d’esprit, car il ne faut pas dévier en fonction de telle ou telle compétition. Je veux donner le meilleur de moi-même à chaque épreuve. L’important c’est d’avoir été à 100% sur l’heptathlon. Tout le travail a été fait en préparation pour être au top le jour J, mais il y a des facteurs que tu ne peux pas contrôler, donc il faut donner le maximum !
100 MÈTRES HAIES (PREMIÈRE ÉPREUVE)
Je pense que c’est l’épreuve où je suis le plus stressée. C’est le début de l’hepta et on ne sait pas exactement ce qu’on vaut, malgré les indicateurs de l’entraînement. La compétition n’est jamais totalement pareille qu’un entraînement. J’essaie de rechercher de l’adrénaline sur les haies, qu’on peut trouver si on s’engage bien et qu’on passe vite les obstacles. Je me dis “fonce dans les haies et et essaye d’aller le plus vite possible”. C’est vraiment ce que je recherche. Le risque de chute, j’en ai conscience et je sais qu’il est là. Mais en avoir peur, c’est le meilleur moyen de toucher un obstacle. Je ne veux pas me focaliser sur ça. Je veux juste raser les obstacles en me concentrant et sans penser à ça. Cela fait un certain temps que je ne suis pas tombée, donc je me dis que c’est quelque chose qui n’arrive pas souvent.
Une fois la course terminée, je suis assez soulagée et le stress redescend, même si ensuite c’est la hauteur qui arrive, l’épreuve ou je suis la moins performante. Je suis vraiment dans l’action et une fois que l’hepta est lancé, ça va mieux. D’autant que le 100m haies est révélateur de l’état de forme. Si tu es fort sur 100m haies, c’est que tu cours vite. C’est tellement bon et on sait qu’on va donner le meilleur de soi-même. En général on fait un bilan avec les coachs et j’essaie d’oublier pour me focaliser sur la suite, quelque soit la performance.
SAUT EN HAUTEUR
Beaucoup de filles vont redouter le 800, personnellement, c’est la hauteur que je redoute. J’ai commencé à en faire tard et à m’y entraîner vraiment en Espoirs. J’ai moins d’automatismes, même si j’arrive à limiter la casse. Le souci, c’est que parfois je ne sens pas trop ce que je fais, même si on essaie de corriger cela. Dès mon premier saut d’échauffement, je sais si je suis dans une bonne journée où non ! Autant sur d’autres épreuves j’arrive à corriger le tir, autant à la hauteur malheureusement je n’arrive pas énormément, même si je limite la casse. Il faut que je sois hyper concentrée. Même si c’est mon épreuve faible, ce n’est pas grave. Je commence à 1,55m et tant pis si d’autres commencent plus haut.
Le plus important c’est que je passe mes barres, qu’elles soient à 1,55m ou 1,70m. Chaque barre doit être respectée, car si on la passe, elle peut te rapporter des points. Cela reste une épreuve de l’heptathlon et il faut mettre les bonnes intentions. Je me centre par rapport à moi-même et je me dis : “fais ton job” ! Je repense aux Europe en 2018, je suis une des premières à commencer le concours, psychologiquement ça peut être compliqué. Mais je sais qu’au 800 m où je suis la plus forte, je rattrape le coup. Et c’est à la fin de l’hepta qu’on fait les comptes. Ce n’est pas une épreuve unique.
LANCER DE POIDS
Je vois une fille comme Katarina Johnson-Thompson incroyable à la hauteur et à la longueur, au poids elle n’y arrive pas et elle n’a pas confiance. Je me dis : “Ok elle va briller là ou là, mais sur l’épreuve d’après, elle aussi peut être en difficulté”. Chaque fille à son point faible. La fatigue peut arriver quand je ne suis pas entraînée comme lors du meeting à la Réunion. Mais en général, tenir un hepta n’est pas trop un problème. J’essaie de me remettre dedans. Il y a une grosse pause entre la hauteur et le poids et parfois j’ai un peu de mal à me remettre dedans. J’essaie de me concentrer sur mes intentions et de me libérer.
Je sais que je suis parfois sur la retenue. L’un des pièges du poids, c’est que c’est moins fatiguant qu’une course ou un concours de hauteur et le risque c’est de se sous-échauffer et se sous-mobiliser avant ! Alors que c’est une épreuve explosive. Si on a un faux-rythme, ça se voit, alors qu’une épreuve comme la longueur, on y est énergique.
200 M
J’aime bien cette épreuve, car je me dis que ce n’est pas une course prise de tête, contrairement à la hauteur ou le poids où il faut respecter les intentions avant de se libérer vraiment. Sur le 200 m, on peut vraiment tout lâcher et courir à bloc ! Le but c’est de gagner sa course, dans la mesure où ce sont des séries de niveau. Tu sais que les filles à coté de toi sont à peu près de la même valeur que toi. Personne ne sera trop fort ou moins fort. Je ne m’échauffe pas énormément en quantité, mais je vais le faire en qualité, avec quelques accélérations et de la mobilité.
En revanche, je ne refais pas de footing. Je me mets dans ma bulle, avec de la musique pour me rebooster. Je fonctionne à l’orgueil et à l’envie de gagner. Mais je suis un peu un diésel, je me fais souvent enfumer dans les 100 premiers mètres où je vais être en retard. C’est après, avec l’envie de bien faire et l’égo que je reviens dans la course. Je remonte souvent ce qui donne du boost et compense la fatigue qui arrive en fin de course. Ce n’est pas une course qui me fait peur, je sais que je vais tenir. Ce n’est pas comme un 400 ou un 800 ou tu finis exténué.
FIN DE LA PREMIÈRE JOURNÉE
J’essaye de manger pour refaire les réserves. Ensuite je vais au kiné pour soulager les petits pépins. J’essaie de faire des étirements, j’utilise mes bottes de pressotherapie, le but étant de récupérer un maximum. Puis place au sommeil, dormir le plus possible. Je n’ai pas de gros problèmes pour m’endormir, même si ce n’est pas toujours instantanément. J’ai des techniques pour m’endormir, en lisant, avec la respiration. Discuter avec des gens, sortir de ma bulle, cela m’aide également. On peut parler de tout et de rien et je sors un peu de l’hepta. C’est bien de reposer son esprit aussi.
SAUT EN LONGUEUR (DEUXIEME JOURNEE)
Lors du meeting de la Réunion, je ne pouvais plus marcher au début de la deuxième journée, mais c’était lié à mon manque d’entraînement. En règle générale, je reste assez fraîche. Je ne suis pas au fond du trou. Je sais que la longueur est un point crucial car tout peut aller hyper vite avec les essais mordus. En plus j’ai tendance à pas mal mordre. C’est une épreuve qui peut rapporter beaucoup de points, mais dont le résultat ne reflète pas toujours notre vraie valeur.
Il suffit de mordre et d’être obligé de prendre moins de risque sur la planche et de se retrouver avec une performance moyenne. Ce n’est pas le cas des autres épreuves, où la performance réalisée correspond à ce que je vaux vraiment. Il faut caler ses marques tout en y allant à fond. Malgré tout j’aime beaucoup sauter en longueur.
LANCER DE JAVELOT
J’ai beaucoup travaillé le changement entre la longueur et le javelot. Pour que je saute loin en longueur, il faut que je me mette à fond et que j’en oublie limite la technique, pour mettre une grosse impulsion. Même s’il y a des petites erreurs techniques, ça passe. Il ne faut pas être calme. Alors qu’au javelot, il faut que je sois calme, que je respecte les fondamentaux d’alignement. Je fais de la sophrologie pour me calmer de la longueur et changer d’état d’esprit, pour pouvoir respecter les bases. Si tu mets en praline, mais que tu n’es pas alignée, c’est mort.
800 M
C’est le seul moment où je fais les comptes. J’essaie de ne pas les faire avant et de me concentrer sur chaque épreuve. Mais avant le 800 m, je regarde combien de points je peux faire et qui je peux remonter. Ces dernières années, j’ai toujours gagné mes courses, donc je sais que je ne peux que remonter. Je tire ma motivation de là, soit faire un gros chrono et battre mon record, soit remonter le plus de places possibles. On sort du javelot qui est un piège technique énorme pour moi, alors que le 800 m, de mon avis, si tu as envie de courir, tu peux faire un gros temps, en fonction de ton entraînement. Je ne vois pas comment on peut se louper si l’envie est là. Je ne parle pas de faire 1’58, mais s’il faut faire 2’07 pour faire quelque chose, je sais que je peux les faire, si l’entraînement a été fait.
Oui on va souffrir, mais on souffre autant qu’on fasse 2’08 ou 2’14, autant aller chercher un gros temps. C’est vraiment dans la tête, je suis sur que beaucoup de filles pourraient aller plus vite si elles n’en avaient pas peur. Cela reste du sprint long et si tu ne pars pas, tu ne rattrapera jamais le retard. J’en vois beaucoup qui font 2’20 et qui passent en 1’10 au 400 m. C’est qu’elles peuvent faire mieux.
FIN DE L’HEPTATHLON
Même en cas de contre-performance sur l’heptathlon, la déception est effacée à la fin du 800 m. Tu es heureuse d’avoir fini, bien sûr encore plus quand tu fais ton record. C’est une délivrance car on va au bout de soi-même. Ca m’est déjà arrivé, pour cause de blessure, de m’arrêter dans un hepta. Tu as ce sentiment de rester sur ta faim. Alors si tu t’arrêtes parce que tu as fait une contre-perf sur une discipline, tu reste que sur la contre-performance. Alors que si tu termines l’épreuve, tu as la satisfaction de l’avoir terminé. Les épreuves combinées c’est une épreuve contre nous-même également. Sauter en hauteur en heptathlon ce n’est pas pareil qu’un concours classique. Ne pas finir un hepta, c’est comme si tu t’arrêtes au 300 m dans un 400 m.
DIANE MARIE-HARDY
Avec Etienne GOURSAUD
Retrouvez le portrait de Célia Perron : ICI
Diane Marie-Hardy sera alignée ce week-end à Miramas sur le 60 m haies et sur 400 m.