Les suiveurs du Tour – Frédéric Adam & Christophe Cessieux #2

Dans ce deuxième épisode des suiveurs du Tour, retour sur une période difficile pour le cyclisme, des années 1990 au début des années 2010, marquée par le fléau du dopage et Lance Armstrong, son principal symbole.

Quel(le) fan de cyclisme peut se permettre de dire qu’il n’a jamais, dans sa voiture un après-midi de juillet, branché RMC pour suivre l’étape du Tour de France en direct ? La Grande Boucle, c’est la tradition service public, France Télévisions sur le canapé l’après-midi, la petite sieste, les châteaux. C’est aussi RMC, radio numéro un sur le sport en France, y compris sur les routes du Tour. Depuis 2001, elle suit chaque édition du Tour sous forme d’intégrale, en direct à partir de 14h tous les jours. Les « ex » ont la parole, de Cyrille Guimard à Thierry Bourguignon en passant par Luc Leblanc et les Jérôme, Pineau et Coppel. Mais l’ « Intégrale Tour », c’est aussi la voix des journalistes, commentateurs ou reporters moto. Avec Christophe Cessieux et Frédéric Adam (actuel attaché de presse de l’équipe B&B Hôtels – Vital Concept), qui ont occupé ces différents postes, nous revenons sur le Tour de France à la mode RMC, des anecdotes de direct, des histoires de sport et de passion. Aujourd’hui, les deux hommes se et nous replongent dans les heures sombres du cyclisme, marqué notamment par l’ère Lance Armstrong.

 

LES SOUVENIRS D’UN VÉLO « DÉMOLI »

Frédéric Adam : Un gros sentiment de s’être fait enfler quoi. Je ne dis pas que l’on a été complices d’une immense escroquerie, mais on en a été les pantins en fait. Armstrong nous a baladé avec un mépris sans nom en plus. On avait dans notre équipe Eddy Pizzardini, qui avait eu tort, lors d’une émission Hors Stade sur M6, de faire un documentaire sur le mensonge Armstrong. Il s’était fait botter le cul par Armstrong parce qu’il avait posé les questions qu’il fallait lui poser, il lui avait mis le nez dans sa merde (sic). J’avais tellement de respect pour Eddy que je considérais comme un modèle professionnel que j’avais cette défiance envers Armstrong et ça a été pénible de suivre les années où il écrasait tout.

Je m’en foutais un peu qu’il n’y ait pas de suspens et qu’il tuait le Tour dès la première semaine, parce que sur la moto je ne m’ennuyais jamais, j’étais content de voir des gens au bord de la route, content de voir du pays, content qu’il se passe toujours quelque chose. Je sais que beaucoup de journalistes ont vécu ça comme une purge, moi je n’ai jamais éprouvé ce sentiment.

Le sentiment sur ces années-là, c’est d’avoir été témoin aveugle d’une immense escroquerie avec des enjeux énormes parce qu’on parle de millions de dollars, de palmarès vierges pour certains à cause d’une tricherie collective. Avec le recul j’ai vraiment l’impression que dans ces années-là, la nature de mon métier était nulle, d’une inutilité sans nom, puisqu’en plus ça n’était pas vrai. Donc tu passes des heures, des jours à travailler sur du vent, sur du mensonge.

Christophe Cessieux : Une image du vélo complètement brouillée par ces mecs qui ont fait du mal à ce sport que j’adore. A l’époque, quand on disait qu’on couvrait le Tour de France, c’était « ah ouais, tu vas avec les dopés, ils sont tous chargés comme des brutes ». Quand on aimait le vélo, c’était dur à vivre. On était conscient que la majorité des mecs étaient chargés à l’époque, mais c’était dur. Moi, je leur en voudrais éternellement à ces salopards d’avoir triché de la sorte et d’avoir démoli l’image du vélo (sic). Détruit peut-être pas à jamais, mais ça reste dans l’esprit des gens que le cyclisme est le sport du dopage de par ces années-là, Armstrong, Virenque et toute la bande. Riis avant, toute une génération. Voilà, ça n’est pas un bon souvenir, parce que ça a fait mal à l’image du vélo, que ça reste encore une trace indélébile. Ça n’était plus un plaisir d’aller sur le Tour, quand Armstrong gagnait tous les ans de manière répétitive, qu’il s’imposait comme un dictateur aux yeux des autres. Une sale période pour le vélo, une saloperie.

F.A. : Par contre, journalistiquement, ça a pu faire vivre des expériences énormes. J’ai vécu des reportages où je n’étais pas le bienvenu, mais où l’on ne pouvait pas se débarrasser de moi parce que j’avais décidé de faire ce reportage-là même si ma présence était interdite. De toute façon, personne ne pouvait me mettre en prison ou m’interdire de suivre la Telekom de Jan Ullrich, Andreas Klöden, Alexandre Vinokourov, Cadel Evans, Matthias Kessler faisant un stage de manière totalement secrète dans les Alpes. J’y étais allé pour Vélo Magazine et il n’y avait pas moyen que je ne les suive pas. C’était super marrant de se retrouver face à face avec Jan Ullrich un soir dans un hôtel que la Telekom avait fait ouvrir rien que pour eux. J’avais pas le droit d’y dormir, mais c’était super d’avoir à relater tout ça et de dire à l’encadrement : « Je ne partirai pas de votre stage tant que je n’aurai pas eu d’interview avec Jan Ullrich. Demain matin, je serai encore là si Ullrich ne veut pas me parler ». J’ai du rester deux jours. Je comprends pourquoi ils ne voulaient pas de journalistes sur ce stage là. A posteriori, j’ai compris que les transfusions se faisaient à ce moment et que c’était compliqué pour eux de s’organiser si on était dans leurs pattes, avec un photographe qui plus est.

LE MOMENT LE PLUS DINGUE DE LEURS TOURS

C.C. : Je pense que c’était 1998. Quand on nous annonce que l’équipe Festina est virée du Tour, … Tout a été dingue sur ce Tour, du début à la fin ! Les équipes qui arrêtaient en cours de route, les mecs qui rentraient à la maison, qui profitaient du passage à l’étranger pour abandonner, on a bien cru que le Tour allait s’arrêter. Complètement dingue à vivre. On faisait le tour des commissariats, des hôpitaux, on était obligés d’enlever les autocollants des voitures et des motos parce que les gens nous insultaient en tant que journaliste, que l’on « cassait leur rêve ». Ce sont des souvenirs incroyables de moments fous.  

F.A. : Je crois que c’est l’échappée de Landis (17e étape du Tour 2006, St-Jean de Maurienne-Morzine) derrière laquelle je suis dès le début, quand il sort à plus de cent kilomètres de l’arrivée. Ce jour-là, je me souviens qu’on était parti avec le peloton puis on avait pris un peu de champ pour aller manger. On gardait le haut-parleur de Radio Tour ouvert puisqu’on enlevait nos casques. Et là j’entends « accélération du dossard un tel, Floyd Landis ». Je me dis tient, ça doit pas être une attaque, il revient juste dans le peloton. Et en fait il était parti alors qu’il s’était pris une branlée la veille à la Toussuire, il y avait perdu le Tour quasiment. Ça ressemblait à un baroud d’honneur complètement inconscient.

Je dis à Marc (surnommé Marco, le pilote de la moto RMC) « on est cons, on a loupé le début de son raid !». Et en fait ça n’était pas grave, on avait raté dix bornes. Et ça a été une chevauchée lunaire, c’était n’importe quoi. On voyait, dans son attitude, dans sa façon de pédaler, dans sa façon de s’arroser comme un malade, dans son excitation permanente, il n’y avait aucune sérénité mais aucune déperdition d’énergie. Ca continuait à être effarant, et moi je me suis régalé parce que j’étais sur RMC et que je pouvais dire « On nous prend pour des cons » quoi, « c’est reparti ».

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Je me souviens que, derrière Landis, il y avait la voiture Phonak avec au volant John Lelangue. Je vais le voir à la fenêtre, je lui tends le micro comme on a l’habitude de faire sauf qu’il ne baisse pas la fenêtre parce qu’il écoute RMC en fait. Les DS et les soigneurs dans les voitures entendaient tout ce qu’on disait. Donc je crois qu’il a tout entendu et qu’il sait ce que je pense de ce raid solitaire incroyable. Du coup je le dis même à l’antenne : « Apparemment John Lelangue écoute nos propos depuis un bout de temps puisqu’il ne nous répondra pas ». Mais c’est génial de pouvoir dire ça, de pouvoir tenir les gens au courant de ce qu’il se passe. C’est super de pouvoir le dire, d’avoir le droit de se faire taper et traiter de menteur et d’aller en diffamation si ils le veulent, et de recevoir quelques jours plus tard un coup de fil du rédacteur en chef de Vélo Mag qui te dit : « Fred tu pars en vacances là ? Parce qu’en fait Landis a été contrôlé positif et c’est pas lui qui a gagné le Tour ».

Ouais, c’était le moment le plus incroyable, les bidons qu’il se vidait sur la tête, qu’il jetait par terre, il était hystérique, il n’avait pas un comportement normal.

LE GRAAL, LE MEILLEUR TOUR DE FRANCE

F.A. : J’ai vécu tellement de choses sur et en dehors du Tour que j’ai parfois des black-out, j’ai des supers souvenirs, sentiments sur le Tour en général, mais j’ai beaucoup de mal à me souvenir que 2003 fut un été fabuleux, que 2006 fut très dur, … Je sais que j’ai aimé les années où j’étais exclusivement sur la moto et où il s’est passé des choses extraordinaires. Je pense au Tour où Floyd Landis fait n’importe quoi mais où ça donne quelque chose d’exceptionnel à commenter. J’ai aimé, même si ça a créé des remous dans ma relation avec ASO, l’année où Rasmussen (2007) se fait sortir alors que la veille et l’avant-veille il fait une démonstration. Avant l’Aubisque, ils se mettent avec Contador des sacoches pas possible dans Peyresourde. Et tout ça c’était intéressant à commenter, non pas parce que ça brillait, mais parce qu’on n’avait pas besoin de recul pour voir que c’était une aberration. Et sur une antenne comme RMC où on avait une liberté de parole et du temps pour expliquer et mettre en perspective les choses, c’était super de pouvoir dire : « Putain, qu’est-ce que c’est spectaculaire ! Mais qu’est-ce que c’est incroyable ! » Et dans incroyable, il y a le fait que ce ne soit pas crédible en fait, pas réel, et on nous prend pour des cons encore une fois après les années Armstrong (sic). Donc je me souviens d’avoir vraiment été excité sur ces années-là, même si tout n’était pas rose, qu’on n’a pas beaucoup dormi, qu’il a fallu faire le siège des hôtels, que ça couinait côté ASO parce qu’on avait la langue bien pendue, mais l’avenir nous a donné raison dans les analyses que l’on pouvait faire des faits. C’était pas facile à vivre. Quand ton environnement de travail est régi par ASO, ce n’est pas simple de se mettre à dos ces gens-là. Mais c’était super excitant.

C.C. : Celui de l’année dernière ! Alors, il y a eu aussi le Tour 1998 qui était très très spécial, pas le plus joyeux, mais qui, en terme journalistique, était plus intéressant. On était pris dans un tourbillon, on faisait le Tour des commissariats, des hôpitaux, c’était assez excitant à suivre en tant que jeune journaliste. C’était dingue. Mais ce n’est pas celui où j’ai le plus pris mon pied comme journaliste sportif. Celui de l’année dernière était extraordinaire. Avec les Français en état de remporter le Tour, les numéros qu’ils nous ont fait, et puis cette étape en direction de Tignes où tout s’écroule en quelques heures. Franchement, on est passé par des hauts et des bas, mais ça a été extra. Sportivement, c’est le plus beau. Ce sont les deux Tours que je retiens, quasiment le premier et le dernier que j’ai couverts ! Après, il y a eu la période Armstrong qui n’était vraiment pas la plus drôle. Le mec gagnait à répétition, c’était pas sympa. Après il y a eu toutes ces années, où je n’étais pas là, où Landis, Ricco se sont fait choper, complètement dingues en termes de faits divers.

F.A. : Depuis, j’avoue que j’ai un peu de mal à me souvenir des autres Tours. J’avais aussi beaucoup aimé le Tour 2003, Hamilton qui gagne avec sa clavicule cassée (à Bayonne), la chute d’Armstrong dans Luz-Ardiden parce que je suis juste devant avec la moto et que c’est incroyable de voir Ullrich, Mayo et au milieu Armstrong qui tombe parce qu’il se prend dans un sac. Là est la plus-value du gars sur la moto, parce que j’avais tout vu.

2003, Ullrich mettait à mal Armstrong, il faisait super chaud, il y a l’arrivée à Cap-Découverte où le goudron est bouillant, la chute d’Ullrich dans le chrono entre Pornic et Nantes. Il y avait plein de choses dans ce Tour du centenaire, le départ sous la Tour Eiffel, David Millar sur le prologue, …

 

                                             Propos recueillis par Mathéo Rondeau

 

 

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