Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Il présente à son actif 62 combats pour 56 victoires. Aujourd’hui consultant sur la chaîne SFR Sport, le boxeur français, Julien Lorcy n’était pourtant pas destiné à ce sport. Né dans une famille de gens du voyage, l’enfant d’Argenteuil n’a pas toujours eu une vie simple. Quittant l’école très tôt, la boxe l’a pourtant aidé à évoluer dans la vie de tous les jours. Sans Filtre, le boxeur de 46 ans explique les différents chemins parcourus pour arriver jusqu’au sacre de Champion du Monde. (Crédit photo Une : Julien Lorcy)
DES DÉBUTS DIFFICILES
J’ai commencé la boxe à l’âge de 10 ans alors qu’avant je détestais ce sport. À mes débuts, je faisais du football. Puis un jour alors que je m’entraînais, un coéquipier a mis son pied dans mon cerceau durant un atelier et je l’ai frappé.
De là mon père m’a inscrit à la boxe. J’ai commencé à m’entraîner la semaine avec un jeune qui pratiquait aussi ce sport en club. Le seul problème c’est qu’il avait un an de plus que moi et à chaque fois il me battait.
Mes débuts sur le ring étaient compliqués pour un jeune garçon de mon âge. Lui avait plus d’expériences dans le milieu. Je traînais même des pieds lorsque je rentrais de l’école pour aller à l’entraînement.
On m’a alors surnommé « bobo », car je n’arrêtais pas de tomber et j’étais turbulent. Et comme je me faisais mal, je disais « bobo », c’est donc venu de là. Mon frère était surnommé « bibi », et si on avait eu un troisième frère il se serait appelé « bobi » ou « baba ».
Quand mon père me trouvait sur le chemin, il m’attrapait et me donnait des claques, car je refusais d’aller aux entraînements. Puis arrivé sur le ring, je me faisais encore battre. J’ai donc décidé de m’entraîner deux fois plus l’été pour travailler et progresser.
Un travail qui a fini par payer, car j’ai retrouvé le jeune homme au mois de septembre et j’ai enfin réussi à le vaincre. Lui ne voulait même plus mettre les gants, et commençait aussi à traîner des pieds.
Comme quoi la boxe est un sport de persévérance et d’acharnement. C’est celui qui en voudra le plus qui réussira. Et de fil en aiguille, j’ai progressé avec des boxeurs qui étaient supérieurs à moi pour pouvoir élever mon niveau en boxe.
LA BOXE COMME UNE LIBÉRATION…
Ensuite, tout est allé très vite. J’ai enchaîné par les salles de boxe en région parisienne, puis les salles de France juniors, minimes, cadets et séniors. Étant surclassé dans chaque catégorie, j’ai toujours eu une avance sur les autres boxeurs de mon âge, et c’était vraiment une révélation, une sorte de vocation.
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De plus, faire partie de la communauté des personnes du voyage, c’est une fierté d’avoir réussi. Chez les gens du voyage, la boxe est une manière de pouvoir s’émanciper du monde dans lequel on vit. Il y a des qualités comme des défauts. La famille est très importante. On a des inconvénients comme le manque de communication pour les jeunes, qui ont du mal à s’ouvrir à cause des nouvelles technologies.
Et moi, la boxe m’a permis de me libérer de cette communauté et m’a surtout permis de devenir quelqu’un.
Nous ne sommes pas considérés comme des français mais souvent comparés aux Roms. Ce qui est parfois incompréhensible et frustrant.
Mais je pense que la boxe appartient aux plus courageux. C’est pour ça que mon père m’a obligé à faire ce sport et je l’en remercie. Même si je n’ai pas vécu comme les gens du voyage, lorsque j’étais en Équipe de France, j’étais mal poli et mon entraîneur m’a dit un jour :«Julien est-ce que tu entends quelqu’un d’autre de malpoli ? »
Je lui réponds : « Non tu as raison ». Et il m’a dit : « Écoute, les gens du voyage c’est 0.5%, tu seras toujours confronté au 99.5% de la population. Il vaut mieux avoir leur code à eux, que d’essayer de conserver celui de ta communauté. »
Et là je me suis ouvert et ça a changé ma vie, car je me suis inspiré des personnes qui m’ont tiré vers le haut. Je me suis nourri de ma personne.
Même si je n’ai pas de diplôme et que j’ai arrêté l’école en 5e, aujourd’hui je ne regrette rien. Mon père voulait que je me consacre entièrement à la boxe. Le quotidien était assez compliqué, car de 2h à 4h du matin je me reposais pour aller faire les marchés et ensuite boxer à 5h. On va dire que je suis vite devenu mature à 10 ans, en entrant rapidement dans le monde des adultes.
Avec des études, j’aurais sûrement été avocat ou architecte, en allant une fois par semaine au collège, je trouvais encore le moyen d’avoir la moyenne. Ce qui était incroyable ! Comme quoi je n’étais pas bête.
Mon éducation ne s’est pas développée à l’école, mais à la boxe. Je m’arrête souvent vers les personnes pour parler, discuter, comprendre. Je suis un peu « l’homme du peuple», car je vais souvent rencontrer, remercier le public qui est venu me voir boxer. C’est ce rapport à l’humain que j’aime.
C’est une politesse, une éducation, et très peu le font. Je suis quelqu’un d’assez simple. Les gens sont contents d’avoir un champion à qui ils peuvent poser des questions, à qui parler, discuter.
SPORT MARQUÉ PAR DES DÉCEPTIONS
La plupart des personnes qui ne pratiquent pas la boxe pensent que c’est un sport violent. Mais la Fédération Française de boxe passe son temps à défendre un sport qu’il faut simplement expliquer. Par exemple, il serait souhaitable d’aller dans les écoles, les universités pour dire que la boxe arrive derrière le ski et le football dans les sports les plus dangereux.
D’autres prennent la boxe pour un sport de banlieusards, alors qu’en réalité il ne l’est pas. Très peu le savent, mais la boxe a toujours été un sport pour les aristocrates.
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Les personnes des cités font de la boxe et y trouvent de l’intérêt, car ils apprennent ce qu’on n’est pas capable de leur enseigner : la politesse et l’éducation. On voit beaucoup de familles monoparentales et beaucoup d’enfants des quartiers n’ont pas de parents, ou ne les voient pas souvent. Donc c’est très compliqué d’assurer un revenu en travaillant pour faire vivre ses enfants, les aider à l’école, les éduquer, leurs payer des loisirs. Ils sont souvent sans repères et la boxe leur permet de se retrouver.
On est dans l’air de la communication où l’on n’arrive pas à parler à son voisin, alors qu’il faudrait simplement un médiateur comme l’ancien vice-président de notre fédération, Brahim Asloum.
La boxe comme étant un sport violent est une image à enlever. Alors pour cela il faut communiquer. Le président de la Fédération Française n’a jamais boxé à haut-niveau donc cela explique le fait qu’il ne peut pas en parler.
Je pense que ce sport manque cruellement de développement. Alors oui, pourquoi pas candidater à la Fédération Française de Boxe pour apporter des idées, mais il est difficile de se faire entendre. C’est le rôle de la présidence d’aller aux combats de boxe, d’aller sur le terrain et aujourd’hui ce n’est pas le cas.
La boxe est à l’état de cette présidence et c’est vraiment dommage. Il faut dire ce que tout le monde dit et ne pas avoir le droit de parole. C’est pour cela que la communication est super importante pour pouvoir avancer et faire évoluer les choses.
UN CHAMPION EN PLEINE RECONVERSION
Au terme de ma carrière en 2004, j’ai tout de suite pensé à une reconversion. Je suis actuellement consultant sportif chez SFR Sport et c’est un peu une évidence. Comme je suis un ancien boxeur, j’arrive à expliquer les choses telles qu’elles sont. Et je connais bien mon sujet contrairement à certains consultants qui n’ont jamais boxé, c’est un grand avantage.
Je suis très heureux de commenter la boxe. Puis j’aime aussi donner des conseils aux boxeurs, car la plupart des personnes qui sont à la fédération n’ont jamais boxé. Alors plutôt que de les critiquer, j’ai décidé de les aider en visionnant une vidéo de leur adversaire pour leur futur combat par exemple.
Si quelqu’un n’a jamais pratiqué un sport, il ne pourra jamais donner de conseils, car notre ennemi ce n’est pas les autres, mais c’est nous-mêmes. Dans le monde des médias, la boxe n’a pas beaucoup de place, car on manque de promotion, d’interface crédible.
Je me suis alors mis à écrire. En 2010, j’ai publié mon premier roman, « Gadjo » qui raconte l’histoire d’un jeune homme de la communauté des gens du voyage qui est fan de boxe. Son boxeur préféré s’appelle Julien Lorcy et il a suivi sa carrière. Toute l’histoire de ce livre est divisée en 12 parties, en 12 rounds comme dans un combat de boxe, car la vie c’est comme un combat de boxe. Il y a des défaites, on tombe à terre puis on se relève. Lorsqu’on tombe 7 fois il faut se relever 8 fois.
En ce moment, je prépare un documentaire pour expliquer les dessous de la boxe. Et combattre certains stéréotypes comme : «Oh moi je n’ai pas envie de faire de la boxe, je vais avoir le nez cassé», car en 23 ans de haut-niveau, 7 championnats du monde et 3 championnats d’Europe, je n’ai jamais rien eu de cassé.
Il y a aussi beaucoup de similitudes avec mon album « Life is a fight ». Cet homme là a trouvé à travers les personnes du voyage une famille de substitution. Il s’ouvre à l’amour qu’il a pour une femme, mais aussi à la communauté pour essayer de la comprendre.
Je suis aussi en train d’écrire mon deuxième livre « Gabriela » résumant ma vie dans les grandes lignes. C’est quelqu’un qui est amoureux d’une fille : Gabriela. Et l’ange vient le délivrer des griffes de son père. Un peu comme ma vie.
Écrire permet de crier en silence. De laisser une trace. J’aime beaucoup la littérature. Certaines personnes me trouvent parfois bizarre, mais je ne pense pas comme les autres et j’en suis très heureux.
Juan Diaz vs Julien Lorcy pour le titre WBA en 2004
En 2015 je souhaitais même reprendre ma carrière de boxeur, mais ma femme me l’a déconseillé. Elle m’a dit : «Tu n’as plus rien à prouver. » Alors comme c’est la voix de la raison je l’ai écouté. Et j’ai privilégié mes projets, car je préfère développer mes qualités artistiques plutôt que sportives.
Je me projette vers le futur et l’année prochaine je vais vivre en Afrique. En plus d’être marié à une Ivoirienne depuis 2017, j’ai envie de m’occuper de la boxe en Côte d’Ivoire, je vais même créer un documentaire. Et je pense qu’on a une meilleure qualité de vie là-bas qu’ici. En Afrique, on prend les choses pour ce qu’elles sont, elles sont toujours à leur place.
En Côte d’Ivoire par exemple, vous avez une voiture, elle vous emmène d’un point A à un point B. En France, il faut qu’elle soit belle, de bonne marque, il faut avoir pleins de choses. Et moi j’aime l’Afrique, car elle a de belles valeurs, je me sens comme chez moi.
DES SOUVENIRS PLEIN LA TÊTE
Je suis très fier de ma carrière et j’en garde de bons comme de mauvais souvenirs. Le plus beau restera mon combat à Las Vegas au César Palace contre Riddick Bowe et Evander Holyfield. Dans mon vestiaire j’avais les Champions Africains Ike Quartey et David Izonritei. Et avant un combat, mon short s’est déchiré. Le Ghanéen Ike Quartey a pris un fil, une aiguille et me l’a recousu. C’est devenu un grand ami.
Mon pire souvenir restera mon premier Championnat du Monde à Paris contre le Mexicain Arnulfo Castillo. Je gagnais avec 7 points d’avance et les trois juges ont donné match nul alors que tout le monde me voyait gagnant. C’était triste et décevant. Et là encore beaucoup de choses sont à changer dans la boxe.
Mais c’est un vrai plaisir de gagner ma vie avec passion et plaisir autour de ce sport. Alors si je devais donner un seul conseil pour réussir, c’est qu’avant de devenir champion, il faut devenir champion de son pays.
Dans ma carrière professionnelle, je ne suis jamais passé par le niveau national, car j’avais un niveau mondial, du coup j’ai laissé la place aux autres. À l’inverse des Coupes de France de foot où je pense qu’une équipe comme le Paris Saint-Germain n’a rien à faire avec une équipe évoluant en National.
Dans la vie tout est possible pour celui qui croit d’abord en soi avant de croire en les autres. Et j’en suis là aujourd’hui grâce à mon père qui a fait qui je suis et démontré qui j’étais, car il a toujours été ma force et ma faiblesse en même temps. Je lui dois tout, mais je le dois aussi à moi-même, car c’est moi qui ai pris les poings et les coups.
Je suis un homme qui ne ment pas, qui pense ce qu’il dit et qui dit ce qu’il pense. Je reste le même et je ne changerais pour rien au monde. Les personnes m’aiment pour ça, et quand je retourne dans les marchés je ne passe pas pour le champion du monde, mais pour Julien Lorcy. L’enfant que j’étais hier et l’homme que je suis aujourd’hui. Je ne joue pas un rôle. J’aime ma vie, gagner de l’argent en vivant de sa passion c’est un rêve et un vrai plaisir. Surtout lorsqu’on vient de loin et que notre vie n’a pas toujours été facile.