Giro d’Italia – Dans la légende

Retour sur ce final historique du 103e Giro, remporté par Tao Geoghegan Hart d’une courte tête sur Jai Hindley.

Jusqu’alors, le Giro d’Italia 2020 avait su marquer l’histoire du cyclisme sur tout ce qui ne concernait pas ce qui se déroulait sur ses routes. Après avoir vu des équipes décimées par le Covid_19, des étapes dantesques courues dans un temps apocalyptique ou une inédite fronde des coureurs, le sportif a repris le dessus. Et de manière somptueuse. Un duel de géants, incroyable et imprévisible il y a trois semaines lors du départ sicilien. Tao Geoghegan Hart et Jai Hindley, deux jeunes coureurs au palmarès presque vierge, à l’expérience en Grand Tour toute récente, se sont disputé une passe d’armes légendaire. Un véritable à toi à moi entre le britannique et l’australien, dont le premier a su tirer bénéfice lors de l’ultime contre-la-montre dans les rues de Milan.

Deux hommes pas destinés à la victoire finale

Quinze kilomètres d’une tension immense de par l’écart qui séparait les deux grimpeurs ce matin, au départ. Deux hommes qui n’auraient jamais du se retrouver à pareille fête. Geoghegan Hart était censé travailler pour Geraint Thomas, encore fallait-il que le vainqueur du Tour 2018 joue la gagne. Tombé dès la 3e étape, le chef de file des INEOS Grenadiers laissait une équipe sans fil conducteur. Du côté de Jai Hindley, ce fut plus long à se dessiner, son statut restant très longtemps celui de lieutenant de Wilco Kelderman. Jusqu’à ce que le néerlandais craque en dernière semaine, au moment de mettre la balle au fond. C’est lui qui avait la clé du troisième tiers de course.

Kelderman trop friable, son équipier Hindley plus costaud

On avait quitté Kelderman grand gagnant de l’ascension vers Piancavallo, revenu à quinze secondes du maillot rose Joao Almeida. Le dernier triptyque montagneux lui a cependant réservé un passage deluxe dans l’essoreuse du général. Dans le mythique Stelvio, alors que son adversaire portugais cédait après quinze jours de leadership, il calait face au rythme phénoménal de Rohan Dennis. Le spécialiste australien du chrono lançait sur orbite son nouveau leader Geoghegan Hart. Seul dans sa roue, Jai Hindley s’accrochait et jouait enfin sa carte personnelle. Il s’imposait même au sommet des Lacs de Cancano, bouleversant le haut du classement.

Un écart minuscule à la veille de l’arrivée…

Malgré une situation rêvée pour Sunweb, ses deux poulains Kelderman et Hindley aux deux premières places, INEOS et Tao Geoghegan Hart n’avaient pas dit leur dernier mot. Trop tendre depuis quelques jours, le maillot rose lâchait de nouveau prise sur la large route vers Sestrières face au nouveau train d’enfer de Rohan Dennis. Et comme deux jours plus tôt, on retrouvait les deux mêmes vainqueurs potentiels, Hindley et Geoghegan Hart. L’ultime ascension du Giro ne livra pas le verdict attendu et délégua au chrono du lendemain une importance capitale. C’est l’anglais qui signait son deuxième succès là-haut, songeant désormais à rien d’autre que le rose. Mais son rival australien avait veillé à grappiller des bonifications plus tôt, lui permettant de garder l’avantage.

…symbole du niveau similaire entre les deux grimpeurs

Un minuscule bénéfice de 86 centièmes qui lui permettait de prendre la tête. Un infime écart qui illustre à merveille le Giro des deux hommes, disputé presque intégralement roue dans roue. Hormis sur les pentes de l’Etna, où Hindley terminait plus haut que Geoghegan Hart, et vers Roccaraso, où la situation inverse survenait. A Piancavallo, aux Lacs de Cancano puis vers Sestrières, ils nous offraient un affrontement digne des grandes heures du cyclisme. Au coude à coude tels Anquetil et Poulidor dans le Puy de Dôme en 1964. Un air de duel Alberto Contador/Andy Schleck sur les routes du Tour 2010. Mais à la fin, c’est un vainqueur inattendu qui s’impose.

Tao, férocité d’or

Comme Tadej Pogacar avait surpris son monde en conquérant si jeune le Tour de France au soir de l’ultime chrono, Tao Geoghegan Hart a attendu le dernier effort milanais pour décrocher le rose. Alors que son collègue Filippo Ganna brillait à nouveau, décrochant son quatrième succès d’étape, il ne laissait presque pas de suspense. Dès les premiers kilomètres, Jai Hindley paraissait moins puissant et cela se reflétait sur les chronomètres. L’australien franchissait finalement la ligne devant le Duomo avec près de quarante secondes de débours sur son adversaire anglais, qui pouvait savourer. Il aura couru à peine plus d’un quart d’heure avec le rose sur les épaules. Plus robuste sur les dernières étapes, dans les moments décisifs, Tao a fait preuve d’une férocité d’or.

Le sacre des purs grimpeurs

Il est le tout premier coureur de l’histoire de la course transalpine a la remporter sans jamais avoir porté le maillot rose sur la route, histoire de rentrer plus dans la légende. Après avoir monopolisé avec courage et pugnacité son bien quinze jours durant, Joao Almeida a cédé et laissé les purs grimpeurs s’écharper en haute montagne. Kelderman n’était finalement qu’un mirage, Hindley paraissait trop limité contre-la-montre, Geoghegan Hart était assurément le plus complet. Aussi incongru que cela puisse paraître dans cette année contrastée, INEOS remporte grâce à lui un nouveau Grand Tour. Voilà un nouveau britannique qui toque à la porte des classements généraux, alors que son équipier et prédécesseur au palmarès du Giro Richard Carapaz s’affirme aussi, nouveau leader de la Vuelta. On ne l’attendait pas. On ne s’y attendait plus. Ce Giro est rentré dans la légende.

Mathéo RONDEAU  

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