Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Aujourd’hui c’est Gaëlle Mignot, capitaine de l’équipe de France de rugby qui nous raconte son parcours et ses premiers pas dans le championnat anglais. Un récit entre volonté d’améliorer le rugby français et quête de professionnalisme.
Le rugby est un sport familial, mon père, mes oncles et cousins y jouaient tous. De plus, je suis de Dordogne où c’est donc le sport numéro un.
Étant une enfant hyper active, avec beaucoup d’énergie, mes parents essayaient de me mettre au sport, via l’équitation au départ, ce qui ne me plaisait pas du tout. Un jour mon cousin qui faisait du rugby a vu une fille qui jouait dans son club et m’a dit “pourquoi tu ne viendrais pas faire un essai, je suis sûr que ça te correspondrait“. J’ai eu la chance que mes parents acceptent de suite, car ce n’est pas souvent le cas pour les jeunes filles et c’est ce qui bloque souvent. Mon père était au contraire très content, il n’a jamais eu de garçons pour transmettre sa passion du rugby et donc là il pouvait le faire avec moi.
Me voilà licencié, à 7 ans dans ma région natale, à Trélissac en Dordogne avec les garçons à l’école de rugby.
Pour vous expliquer rapidement mon parcours par la suite, je suis parti à seize ans dans le club de Neuvic, pour jouer avec l’équipe senior, car il n’y avait pas d’équipes cadettes ni minimes comme il y a aujourd’hui. De là j’ai été remarqué par un club en Corrèze, Salon-la-Tour qui jouait en première division, pas le Top 8 d’aujourd’hui, mais l’équivalent de la Fédérale 1. J’ai fait des sélections avec les garçons au niveau régional et également avec les féminines. Et ensuite j’ai été repéré par Montpellier ou j’ai signé en 2007.
Le fait de faire des sélections en jeunes avec les équipes masculines m’a toujours rendue fière, car j’étais souvent la seule féminine avec eux. Mais je ne pensais pas encore à l’équipe de France. En arrivant à Salon-la-Tour j’ai pris goût à m’entrainer plus régulièrement et j’ai commencé à avoir quelques objectifs, l’équipe de France en faisait partie. Partir à Montpellier m’a donc permis de continuer ma progression et j’ai connu mes premières sélections par la suite.
J’ai pu m’inspirer de quelques joueurs, dont Olivier Magne qui m’a énormément plu et marqué par ce qu’il apportait sur le terrain. Sa façon de plaquer et le fait de se donner à fond m’ont inspiré. Je suivais le rugby féminin et j’ai vu quelques matchs internationaux. Laetitia Salles est une des joueuses que j’appréciais.
Concernant le rugby féminin, il faut savoir que nous ne sommes pas professionnelles. Nous avons toutes une activité à côté. En arrivant à Montpellier je m’étais inscrite en STAPS, pour devenir professeur de sport. Mais c’est vrai qu’en ayant mes premières sélections en équipe de France et en me donnant à fond avec le club, il m’était difficile de concilier les deux sachant que les études ne sont pas enthousiasmantes à la base pour moi. Je préfère être sur le terrain, apprendre aux côtés des autres, et j’ai donc passé mes diplômes d’entraîneur avec le club. C’était devenu une évidence pour moi, je voulais transmettre ma passion. J’ai donc été embauché au club avec le diplôme d’état rugby.
LE GRAND SAUT VERS L’INCONNU
Le rugby féminin n’est pas encore aussi développé que d’autres sports, et les transferts internationaux sont rares. Mais j’ai eu mes premiers contacts en juin avec le club anglais de Richmond. C’était en pleine préparation pour la coupe du monde et même si le projet me plaisait bien, ce n’était pas le bon moment pour y porter attention. Je leur ai dit que les résultats de la coupe du monde joueraient beaucoup pour la suite de ma carrière et on s’était donné rendez-vous après cette compétition. Ils m’ont donc recontacté et en trois semaines tout s’est réglé et je suis parti à Londres.
Le club de Montpellier a eu un rôle important également, je suis toujours en contrat, mais avec un congé sans solde d’un an. Monsieur Altrad a envie de développer le rugby féminin et il a vu en cette opportunité pour moi, une façon d’aller chercher des pistes et des idées en Angleterre pour les ramener en France.
Me concernant ce sont vraiment ces deux aspects combinés qui m’ont séduite. Le fait de pouvoir s’améliorer en tant que joueuse, se remettre en question et surmonter un nouveau challenge sportif avec le fait de venir se former sur les méthodes d’entraînements, de gestion, et découvrir leur culture rugbystique.
Le discours de Gaëlle Mignot avant la demi-finale de CDM contre l'Angleterre
Si j’avais été championne du monde pour être honnête je ne sais pas si je serais aujourd’hui en Angleterre, mais le fait d’avoir perdu a joué et je me suis dit que j’allais venir découvrir ce qu’elles avaient de plus pour nous avoir battue en demi.
Ça fait trois fois que je m’arrête en demi-finales de Coupe du monde donc ce nouveau challenge était le bienvenu pour retrouver un peu de motivation, de niaque et se relancer. Je suis restée longtemps à Montpellier et cela fait du bien de sortir de son confort, voir des nouvelles joueuses et se remettre en question.
Le fait de partir jouer dans un autre pays aurait pu me pénaliser pour l’équipe de France, c’était une des problématiques à prendre en compte. En discutant avec le staff, j’ai senti que ça ne poserait pas trop de soucis, ils ne pourront pas voir tous mes matchs, mais ils auront des retours sur mes performances de mes coachs ici. Ils ont compris ma décision, pourquoi je voulais y aller et ils l’approuvent. Au final j’acquiers des connaissances que je pourrais partager avec l’équipe nationale.
Ici je travaille pour Lions Sports Académy qui est une entreprise de coaching. Pour vous expliquer un peu la différence de fonctionnement entre la France et l’Angleterre, en France ce sont les mairies qui financent les écoles et donc le sport, alors qu’ici en Angleterre quand une école veut proposer un sport, elles font appel à un coach personnel et donc à une entreprise comme celle dont je fais partie. J’interviens donc pour le rugby et je donne des cours aux élèves. Je faisais un peu la même chose à Montpellier dans les écoles, et dans des centres handicapés. J’entraîne également les jeunes du club sur la mêlée, et l’équipe 2 féminine.
J’apprends une nouvelle approche du rugby, j’ouvre ma vision des choses qui plus est dans un pays réputé pour le rugby, et qui au niveau féminin fait partie des meilleurs.
La majeure différence avec Montpellier est que dans mon équipe anglaise, je suis référent sur la mêlée et j’interviens donc pendant les entraînements sur ce point. En France nous avons un coach spécifique alors qu’ici ils misent beaucoup sur l’autonomie des joueuses. Les consignes sont données par les coachs, mais c’est ensuite aux joueuses de les mettre en place et de se corriger. Donc il y a des joueuses responsables pour différentes parties de l’entraînement.
Partir vivre dans un autre pays pour la première fois qui plus est sans maitriser la langue est un challenge où tout soutien est le bienvenu. Ma meilleure amie à Montpellier Caroline Sune était venue dans ce club de Richmond et elle a pu m’aiguiller. J’ai discuté avec plusieurs personnes et il n’y a que du positif et des encouragements. De plus, je suis venu avec mon copain et forcément ça aide.
UN PROFESSIONNALISME EN CONSTRUCTION
Concernant le professionnalisme en Angleterre il y a eu quelques quiproquos sur ce sujet. Ils considèrent le championnat comme professionnel, mais les joueuses ne sont pas payées pour jouer, pas payées pour faire les entraînements et ont toutes un travail à côté. Par contre la fédération s’est donné les moyens pour amener d’ici trois ans le rugby féminin dans ce système-là, de professionnalisme. Il y a donc un cahier des charges à respecter, au niveau des structures, des staffs médicaux et sportifs. Le but est également de rendre le championnat plus attractif et d’attirer des sponsors pour financer la professionnalisation durant ce laps de temps.
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Les différences que j’ai vues pour l’instant entre les deux pays sont au niveau physique : elles sont très attachées à la musculation, il y a une culture du corps que nous n’avons pas. En France c’est très difficile de nous mettre sous une barre de musculation, au tout début quand j’ai commencé on n’en faisait même pas. C’était mal vu, je pense, beaucoup de gens considèrent un corps musclé comme un corps masculin. Ici l’image est différente, les joueuses font de la muscu quasiment tous les jours. Il y a aussi la nutrition qui rentre en jeu, avec la prise de compléments alimentaires et de protéines qui est démocratisée. En France très peu de joueuses prennent ces produits. Ce n’est pas encore dans notre mentalité, mais ça fait partie du professionnalisme.
Depuis bientôt deux mois, je scrute tout ce que je peux pour comprendre en quoi ils sont en avance sur nous. Je n’ai pas encore trouvé. Une des grosses différences est peut-être la mentalité, avant les matchs les filles sont très détendues, ça rigole, il y a la musique. Mais une fois que nous mettons un pied sur le terrain elles se mettent dans une bulle, elles deviennent des compétitrices hors pair avec un vrai fighting spirit. Elles font toutes du sport très jeune en Angleterre et la mentalité est peut-être un peu différente. Mais au niveau du jeu je trouve qu’il est plus lent ici, moins technique et avec moins d’intelligence de jeu sans être péjoratif. C’est plus basé sur le défi physique, elles sont très dures au contact. Il y a beaucoup de gros gabarits, mais sur le jeu en lui-même je préfère pour le moment les spécificités françaises.
Les entraînements sont également très différents, ils sont très rythmés et on prend de plaisir à venir. C’est 1h30 d’entraînement rugby à haute intensité, beaucoup de jeu et c’est très plaisant ;
En Angleterre, en tout cas dans le club dans lequel je suis il y a un vrai lien entre les équipes masculines et féminines et une parité. Ils appellent cela un “one club”. Nous avons tous le même statut, nous nous entraînons ensemble sur la partie physique et musculation. On a le même préparateur, les mêmes créneaux horaires et on fait donc les mêmes exercices. L’équipe 1 féminine joue sur le terrain d’honneur comme l’équipe 1 masculine, et les équipes B masculines et féminines jouent sur le terrain annexe et même chose dans toutes les catégories.
J’ai eu la chance d’aller aux Harlequins et on remarque qu’il y a autant de photos des joueuses que des joueurs sur le parking et dans les locaux. Le match des féminines est annoncé et il y a une communication égale aux hommes. Ils n’ont pas eu peur pour la coupe du monde masculine en 2015 d’avoir une ambassadrice (Maggie Alphonsi, 3eme ligne de Saracens). En France cela commence, mais très doucement.
Je ne suis pas encore à même de tirer des conclusions après un mois et demi. Le but est de le faire d’ici quelques mois, et d’essayer de ramener les choses positives chez nous.
Mais de ce que je vois, le Top 8 a tout ce qu’il faut pour attirer, à l’instar du Top 14 pour les hommes, les meilleures joueuses du globe. Je l’espère réellement, nous sommes en avances par rapport aux anglaises sur la médiatisation avec plus de matchs télévisés. Notre demi-finale de coupe du monde contre elles a eu une audience de plus de 3millions de téléspectateurs alors qu’en Angleterre il y en avait 700 000 personnes devant leurs postes de TV. Donc récemment le rugby français féminin franchit des paliers en termes de médiatisation, il faut que le reste, c’est-à-dire la formation, la professionnalisation des structures et des clubs suivent.
Pour la suite mon but est de devenir coach, d’une équipe masculine ou féminine, mais l’objectif est d’avoir un rôle dans le rugby. C’est ma passion, ma raison de vivre et quand le jour où je ne pourrai plus jouer viendra, je ne me vois pas tourner la page complètement. J’ai envie de transmettre ma passion donc je me donne les moyens d’y arriver en me perfectionnant et c’est pour ça que je suis venue en Angleterre.