D’enfant perdu dans sa ville de Shoreham-by-Sea à journaliste vedette de beIN SPORTS, Darren Tulett en a fait du chemin… Même dans les moments difficiles, l’anglais a toujours cru en lui. Sa motivation et une bonne dose de culot sont sans doute les ingrédients qui lui ont permis de réaliser son rêve.
Dans ce récit touchant, Darren Tulett nous raconte ses souvenirs d’enfance, ses péripéties parisiennes et londoniennes et évoque les différences culturelles entre son pays natal et son pays d’adoption.
MON ENFANCE : LE SPORT C’ÉTAIT TOUT POUR MOI
Je suis l’aîné de quatre enfants d’une famille modeste. J’ai un petit frère et deux petites sœurs. Mon père bossait à l’usine, ma mère faisait des petits boulots. Pour nous nourrir, elle nettoyait les maisons des plus riches, elle était parfois dame de cantine. On habitait dans un coin perdu pas très loin de Brighton, dans une petite cité à l’anglaise, où tu trouves des maisons en brique rouge.
Enfant, c’était sport, sport, sport… j’étais à fond dedans ! Dès que je finissais l’école, je me dépêchais de rentrer à la maison pour aller ensuite jouer au foot ou au cricket pendant l’été. Le parking c’était notre terrain et les portes en bois des garages faisaient office de cages de but. Quelques années plus tard, ils ont pensé à aménager un parc, l’herbe c’est quand même plus sympa que le béton ! Ado, j’ai continué à jouer au foot dans le club de mon quartier, puis j’ai enchainé plusieurs sports : basket, tennis, tennis de table. Cela m’a permis de faire mes premiers déplacements et de voir autre chose. Le sport c’était tout pour moi.
Je n’avais pas vraiment d’idole. En revanche, j’étais fan de mon club local, Brighton. Mon papa m’a emmené voir mes premiers en matchs en tribunes quand j’avais sept ou huit ans. C’étaient des bons moments mais malheureusement à mes douze ans, mon père a quitté la maison. Je me suis retrouvé dans la catégorie des gamins un peu pauvres, à qui on offrait des repas gratuits à l’école. On percevait des allocations mais cela ne suffisait pas. Avec quatre enfants à charge, il fallait que j’aide ma mère. J’ai donc commencé à faire des petits jobs. Le matin, je livrais le lait, les journaux puis je continuais ma journée au supermarché ou dans une usine. C’était dur mais cela me permettait d’avoir de l’argent de poche. Grâce à cela, je pouvais me rendre au stade avec mes potes les samedis pour voir Brighton jouer à domicile. Le club évoluait alors en troisième division. Encourager les Seagulls était mon échappatoire. J’ai beaucoup de souvenirs de cette époque, j’ai eu une enfance très heureuse.
MON RÊVE DE JOURNALISTE : LE JOURNALISME M’ATTIRAIT MAIS PENDANT LONGTEMPS J’AI MIS CET OBJECTIF DE CÔTÉ PARCE-QUE JE VIVAIS AU JOUR LE JOUR
Quand tu viens d’un milieu très modeste comme le mien, dans lequel personne n’est allé à l’université, finalement les attentes me concernant étaient très faibles. Personne ne pensait que j’allais faire des études supérieures ou exercer un métier autre que ceux que j’ai mentionnés. Pour faire court, dans ma famille il s’agissait de travailler avec ses mains et non avec sa tête mais moi j’avais des facilités à l’école. J’ai toujours été dans le trio de tête, l’école n’était pas un problème. J’aimais l’anglais, l’écriture, l’actualité, la politique… cela m’a donc encouragé à avoir un peu d’ambition. Vers quatorze ans je me suis dit que j’allais devenir journaliste. Je me souviens d’une réunion à l’école concernant la suite de mes études. Je me retrouve en face d’un conseiller, vieux, de toute façon à quatorze ans tout le monde te semble vieux, qui me dit « et toi tu veux faire quoi ? ». Je lui réponds « journaliste ! » et avant même de me regarder de nouveau ou de réfléchir à ce que je venais de lui dire, il me dit « tu as pensé à l’armée ? ». Cela m’a marqué. A la base, je ne pensais pas forcément à devenir journaliste sportif mais je me suis rendu compte que le sport prenait une telle place dans ma vie que c’était la meilleure option pour moi.
Le journalisme m’attirait mais pendant longtemps j’ai mis cet objectif de côté parce-que je vivais au jour le jour… J’ai quand même fini par y revenir ! Vers l’âge de dix-huit ans j’étais très politisé, j’allais tous les weekends à Londres pour manifester. A l’époque on demandait la libération de Nelson Mandela, la fin du nucléaire, la démission de Margaret Thatcher, on soutenait les mineurs en grève, etc. C’était une période mouvementée et beaucoup de jeunes comme moi étaient intéressés par ces sujets. Mon attention s’est dissipée, j’ai raté mon BAC cette année-là mais je l’ai obtenu plus tard. Je reconnais que j’avais un côté un peu je-m’en-foutiste à fumer mes cigarettes françaises… mais j’ai aussi compris qu’être premier ou deuxième de la classe ne me servirait pas à grand-chose et que je pourrai réussir sans faire d’études. Je suis tout de même parti à vingt ans à Manchester pour entamer des études supérieures. C’était du jamais-vu dans l’histoire de ma famille ! Etant donné que personne ne pouvait me raconter une quelconque expérience à l’université, je m’imaginais Oxford, Cambridge, des beaux bâtiments, une ambiance studieuse… mais j’ai été rapidement déçu. Au bout d’un mois, je me suis aperçu que le niveau était faible : les étudiants étaient aussi paresseux que moi ! Naïvement, je pensais intégrer l’élite mais quelle déception… J’ai arrêté mon cursus universitaire mais je suis quand même resté trois ans à Manchester avec mes potes qui eux étudiaient.
MON ARRIVÉE À PARIS : J’APPRENAIS LA LANGUE EN LISANT LE JOURNAL L’ÉQUIPE !
Lors d’une fête étudiante, un de mes amis m’a proposé d’aller à Paris. Trois mois plus tard je prenais le train… J’avais vingt-trois ans mais dans ma tête j’en avais douze ! C’était la première fois que je quittais l’Angleterre, je ne parlais pas un mot de français. J’apprenais la langue en lisant le journal l’Equipe ! J’avais quelques clichés sur la France. Les journaux et les films décrivaient Paris comme une ville très glamour. Les terrasses de café c’était très exotique pour moi parce qu’à l’époque on buvait sa boisson uniquement en intérieur en Angleterre. Quand je suis arrivé, mon but était de tenir un mois, de trouver un job, n’importe lequel. J’ai tapé aux portes dont celle de McDonalds qui m’a refoulé à cause de mon niveau de français. Est-ce vraiment fondamental de savoir parler français pour préparer des frites et des burgers ? Finalement, mon ami et moi trouvons une opportunité chez Berlitz pour donner des cours d’anglais à des particuliers. C’était génial, on avait un job pour payer les courses et le loyer à Paris ! J’ai fait ça pendant presque six ans, alors autant vous dire que le journalisme était loin… Je ne pensais pas à l’avenir, je n’avais aucun projet à long terme. Les questions du style « où je serais dans cinq ans ? », je ne me les posais pas. Moi c’était plus « où est-ce qu’on va samedi ? quel match on regarde ce soir ? dans quel pub ? ». C’était ça ma vie et quand j’y repense cela me fait presque peur !
Après cinq ans à Paris, j’ai rencontré ma future femme, qui elle, avait la tête sur les épaules. Un jour elle m’a dit : « je vois que tu t’amuses avec ton truc de prof d’anglais mais quand est-ce que tu grandis ? ». Quand tu entends ça à vingt-huit ans ça fait mal mais cela m’a bougé ! Le journalisme était toujours dans un coin de ma tête et il fallait que j’essaye. C’était maintenant ou jamais.
MA PREMIÈRE EXPÉRIENCE DE JOURNALISTE : J’AI GONFLÉ MON CV POUR PARAÎTRE PLUS CRÉDIBLE
Je décide de rentrer à Brighton avec celle qui allait devenir ma femme. Elle trouve un travail en cinq minutes alors que six mois plus tard j’étais toujours au chômage. Je cherchais un emploi de journaliste donc j’ai gonflé mon CV pour paraître plus crédible. Par hasard, je tombe sur une offre du Guardian pour un poste de journaliste sportif junior chez Bloomberg News. L’annonce faisait trois lignes : parler une langue étrangère, connaître les sports majeurs, avoir deux ans d’expérience minimum. Pour le dernier critère j’ai inventé une expérience de journaliste pour un journal anglais à Paris. La chance que j’ai eue c’est qu’à l’époque il n’y avait pas encore internet donc c’était beaucoup plus difficile pour les recruteurs de vérifier les informations. Par miracle, quelques jours plus tard je suis invité à passer un entretien au trente-neuvième étage d’une agence de chasseurs de têtes à Londres. Un monsieur me reçoit et me dit : « Darren tu es sur une liste de cent personnes, mon job c’est de la réduire à six ». Sur le moment, ma seule envie c’était de fuir ! Je me suis dit que je n’avais aucune chance ! Cent personnes pour un poste pour lequel j’avais inventé la moitié de mon CV. Grâce à un autre miracle, je suis finalement choisi pour le poste. J’ai l’impression que mon histoire est remplie de moments chanceux comme celui-ci. L’entreprise est en pleine croissance et Bloomberg m’embauche. Après deux ans à Londres, je demande un transfert pour Paris car ma femme, enceinte à ce moment, voulait accoucher en France. Me voilà de retour à Paris !
CULTURE FRANÇAISE VS CULTURE ANGLAISE : LE FOOTBALL EST POPULAIRE DANS LES DEUX PAYS MAIS JE PENSE QU’IL Y A PLUS DE « VRAIS » FANS EN ANGLETERRE
La façon de jouer est très différente. Lors de mes premiers matchs au Parc Des Princes, la première chose que j’avais constatée c’est que les défenseurs ne dégageaient pas en touche. Les rares fois où cela se produisait, le défenseur se faisait huer ! En Angleterre, au contraire, le public pousse le joueur à dégager et l’applaudit ! J’ai aussi été frappé par le fait qu’à Paris il n’y ait qu’une seule équipe. A Londres tu as une douzaine de clubs professionnels dont cinq ou six régulièrement en Premier League. Et même en troisième division anglaise, tu peux voir une équipe pro avec 20 000 spectateurs en tribunes ! Le football est populaire dans les deux pays mais je pense qu’il y a plus de « vrais » fans en Angleterre. Si tu demandes à n’importe quel anglais, jeune, vieux, citadin ou campagnard, « quelle équipe tu supportes ? », il te donnera son équipe de cœur.
La culture journalistique est aussi différente. Cela m’attriste que la France ait beaucoup moins de journaux traitant l’actualité sportive. En Angleterre, il n’y a pas de quotidien sportif comme l’Equipe mais tous les journaux ont plusieurs pages dédiées au sport. Tu trouves une page dans un journal français généraliste lorsqu’il y a un événement. On dirait que dans certaines rédactions, il y a une espèce de snobisme anti-sport. Dans le Times ou le Telegraph par exemple qui sont des journaux de droite comme Le Figaro, il y a une dizaine de pages consacrée au sport le weekend. En Angleterre, il y a un vrai mercato pour les journalistes ! Si tu es bon, tu es demandé et bien payé. Malheureusement, ce n’est pas le cas en France.
MA VIE AUJOURD’HUI : JE SUIS PASSÉ DE QUELQUES MINUTES POUR PARLER DU FOOT ANGLAIS À LA PRÉSENTATION DES SOIRÉES DE LIGUE DES CHAMPIONS…
Je reste plus anglais que français mais j’aime penser qu’après trente années passées en France, je comprends la plupart des blagues ! La culture m’est plus familière et je suis capable de suivre les conversations. Je ne maîtrise pas tout mais je suis à l’aise. C’est drôle, les gens me voient comme le « British » mais depuis qu’ils me voient à la télé ils ne m’ont jamais vu parler anglais. Je connais peu d’exemples de personnes qui travaillent pour la télé et s’expriment dans une langue qui n’est pas leur langue natale. C’est une petite fierté pour moi. A la télé on peut aussi vite se lasser du présentateur, c’est donc une chance d’être toujours là. Je suis passé de quelques minutes pour parler du foot anglais à la présentation des soirées de Ligue des Champions, de l’Euro et de la Coupe du Monde, en passant par la couverture de Wimbledon. Quel pied !
Je suis vraiment chanceux. Avec zéro expérience dans le milieu, j’ai été embauché en tant que journaliste junior. On m’a donné l’opportunité de couvrir des grands événements sportifs comme la Coupe du Monde et Roland Garros. Malgré mon manque d’expérience, j’ai montré que j’avais les capacités pour exercer ce métier. Je connais le sport dans son ensemble, j’adore écrire… D’ailleurs depuis que je suis à la télévision, l’écriture est quelque chose qui me manque mais j’aime ce que je fais. J’ai énormément de chance de faire ce qui me plait. Je n’aurais jamais pensé avoir cette carrière, c’est plus beau que dans mes rêves.
DARREN TULETT
Darren Tulett a certes une « histoire remplie de moments chanceux » mais cette chance il l’a bien provoquée !
Avec la participation de Déborah Mondjo et Clément Samson
Quand Smail Bouabdellah nous racontait son histoire ! A retrouver ici