Félix Pouilly est un ancien coureur cycliste professionnel de 2015 à 2017, au sein de l’équipe Roubaix-Lille Métropole , reconverti dans le triathlon. Il vient de prendre la 4e place du terrible Embrunman, un des Ironmans les plus durs du monde, en établissant le record de l’épreuve sur la partie vélo. Il raconte son expérience, ses sensations et les émotions qu’on peut ressentir pendant près de 10 heures d’efforts. Qui ne pardonne aucun moment de faiblesse. Il nous raconte aussi sa venue au triathlon, presque par hasard.
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FÉLIX POUILLY – JAMAIS EU DE REGRETS D’ARRÊTER LE VÉLO PROFESSIONNEL
Il n’y a que peu de choses qui me manquent dans le cyclisme professionnel, je n’ai jamais eu de regrets d’avoir arrêté, ni l’idée sérieuse de recommencer le vélo. Cela m’a parfois effleuré l’esprit, mais je ne me suis jamais posé la question. J’ai pris la décision d’arrêter avant que la question de la fin de mon contrat se pose. Avec la saison que je faisais, ils n’étaient pas sûrs de me garder, même si j’avais ma carte à jouer. Mais c’était déjà clair dans ma tête et c’est davantage ma décision qu’autre chose
Je continue à suivre activement les courses même si, j’avoue que parfois je manque un peu de temps. Le triathlon est très chronophage, cela prend du temps. Quand il n’y a pas de grosses courses, je n’ai souvent pas le temps de regarder. Pour être honnête, je n’ai pas encore eu le temps de suivre la Vuelta (NDLR : interview réalisée le jour de la victoire de Magnus Cort Nielsen).
Le choix du triathlon découle presque du hasard. Je travaillais chez Decathlon, après avoir arrêté le vélo. Ils nous ont payé l’inscription sur un half-ironman. Je me suis chauffé à le faire car, entre collègues, il y a eu du challenge et une petite compétition. Un de mes collègues nageurs me disait : « Ouais tu vas voir, je vais te battre ». Cela m’a motivé à le faire. Cela s’est bien passé, alors que je ne m’entraînais quasiment plus. Je roulotais et quand je courais, je me blessais beaucoup. J’ai vraiment fait cet Half à l’arrache. Mais directement je fais une bonne course et une belle place et cela m’a donné envie d’en faire plus sérieusement l’année d’après. Un an plus tard, je me qualifie aux championnats du monde amateurs, dans ma catégorie d’âge. D’un défi au boulot, c’est devenu un véritable challenge et le haut-niveau m’a rattrapé. J’ai eu envie de m’investir là-dedans.
LE COVID A BEAUCOUP PERTURBE MA PRÉPARATION SUR LA NATATION.
J’ai un déficit en natation, qui n’est pas évident à combler : la preuve je l’ai toujours, malgré mes progrès. C’est encore loin de ce que je devrais faire. Tout le monde m’explique que c’est une question de régularité, qu’il faut persévérer. Il faut avouer que cette période de Covid m’a bien embêté. J’ai arrêté de nager pendant de longs mois, presque un an. Pour un nageur confirmé, quand il reprend, même s’il perd un peu musculairement, le cerveau n’oublie pas le geste ! Moi, j’étais dans une période de progrès que le Covid a stoppé. Je suis encore loin du compte et il faut être bien encadré.
Cette année, je m’en suis pas trop occupé, les piscines n’ont rouvert qu’au mois de mai, en Belgique. En France, cela à ouvert en juin. Cet hiver, je compte bien m’en occuper sérieusement, je ne sais pas encore trop comment, mais cela devrait passer par une inscription dans un club de natation. Pour avoir un regard extérieur. Pour moi, c’est le sport le plus technique, tu ne peux pas espérer de vrais progrès en bricolant dans ton coin.
J’AI TOUT DE SUITE VU QU’EN TRIATHLON, CELA NE BLAGUAIT PAS A VÉLO
Sur le côté vélo, je ne suis pas venu en fanfaronnant. Dès mon premier triathlon, j’ai vu que cela ne blaguait pas trop sur la partie cyclisme. C’est une course assez linéaire, contrairement à une course de vélo, marquée par les changements de rythme. C’est un long contre-la-montre, chose qui n’était pas forcément ma qualité première. Je suis plutôt explosif et fort sur les efforts lactiques. A Embrun, j’ai été agréablement surpris, car je fais le record de l’épreuve à vélo, j’ai battu tout le monde, alors que je n’avais pas la prétention de le faire. Sur les distances intermédiaires comme l’half-ironman, les mecs sont ultra-costauds à vélo, le niveau est vraiment très bon. Les tous meilleurs pourraient peut-être être pros ! Mais à Embrun, sur un parcours très long, très dur et très varié, là mon passé cycliste m’a permis de faire la différence. C’est 180 km, j’ai vu que j’étais au-dessus des autres, surtout sur la fin de parcours, où j’ai repris beaucoup de temps.
FÉLIX POUILLY – JE SUIS PASSÉ PAR TOUTES LES ÉMOTIONS À L’EMBRUNMAN
A Embrun, je suis passé un peu par toutes les émotions. Je fais une belle performance, qui donne l’impression que tout s’est bien passé. Pour le public, c’est dur de s’imaginer par où passent les participants. Pour résumer, au début du vélo, jusqu’à la moitié, je ne me sens pas terrible. Je me disais : « putain aujourd’hui c’est pas ton jour ». Cela dure jusqu’à la montée de l’Izoard ! J’ai même eu une petite crampe au pied du col. L’inquiétude était vraiment présente. Mais au retour, je me suis senti très bien, j’avais des sensations de fou et c’est là que j’ai réussi à combler mon retard du début et même creuser des écarts. A la fin du vélo, j’ai quand même eu un temps faible, malgré la bonne performance. Tu as beau bien t’alimenter, ton corps, au bout d’un moment, a un peu de mal à assimiler le sucre que tu lui donnes.
Tu rentres dans un état où tu te sens sur le fil tout le temps, tu visualises qu’il te reste la fin du vélo plus un marathon et tu te dis que cela ne va pas le faire. Il faisait chaud, je me sentais un peu faible. Mais ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que mon entraîneur m’avait bien prévenu que j’allais passer par cette phase dans la course. Surtout, je suis un habitué, depuis que j’ai commencé le triathlon, aux entraînements non-conventionnels. J’ai déjà fait énormément de très grosses journées à l’entraînement. De grosses sorties vélos, avec de gros dénivelés et de très grosses courses à pied dans la foulée.
Je me suis déjà mis plusieurs fois dans des états pas possibles à l’entraînement. Ce que j’ai vécu à l’Embrunman, je l’ai déjà ressenti à la fin d’une longue sortie vélo ou d’une longue sortie à pied. Je savais que ça allait revenir derrière. Tu as confiance en ton corps et je savais que je n’allais pas faire un malaise. Même dans le mal, j’avais confiance en le fait que j’allais continuer d’avancer dans le marathon et c’est ce qu’il s’est passé.
SUR LE VÉLO TU PEUX TE PRENDRE UNE BRANLÉE ET LE LENDEMAIN IL FAUT REMETTRE ÇA
Sur le marathon, j’ai eu un vrai coup de barre au 23e kilomètre jusqu’au 25e kilomètre. Je me sentais comme si j’allais faire une hypoglycémie alors que je me ravitaille tellement que je sentais que les gels ne passaient plus dans mon estomac. Tu n’as pas de solutions à ce moment-là, tu ne peux pas te ravitailler davantage. J’ai souffert car tu sais qu’il te reste encore 18 bornes. Il faut s’accrocher et c’est dans ces moment-là qu’il faut savoir passer au-dessus de l’inconfort. De toute manière, fort ou pas fort, tu te sentiras forcément mal. On te demande de faire un marathon après 180 kilomètres de vélo et c’est impossible de te sentir bien.
On me demande souvent si le triathlon est plus dur que le vélo. Beaucoup affirment que c’est plus dur que le vélo. Je ne suis pas d’accord. J’ai tellement souffert sur le vélo. Un Ironman, même si c’est dur, le soir tu sais que c’est fini et que tu es tranquille. Les mecs sur la Vuelta, quand ils en chient, qu’ils se font défoncer toute la journée, parce qu’ils subissent et qu’ils sont à fond pour suivre, le lendemain c’est rebelote pour eux. C’est pour ça que pour moi c’est encore plus dur. Le vélo m’a forgé et je sais souffrir. Sur le marathon c’était dur, mais je n’ai pas ralenti et j’ai continué à doubler des mecs. Je me suis même senti un peu mieux dans le final.
FÉLIX POUILLY – DIFFICILE DE GAGNER SA VIE AVEC LE TRIATHLON
J’ai arrêté de travailler début juin, donc je m’entraîne un peu plus. Une petite semaine d’entraînement c’est 17 heures, les grosses semaines, je suis monté à 32 heures. A la base, je ne comptais pas vivre du triathlon, car c’est très difficile. Je vise le concours pour être pompier professionnel en novembre! Finalement, je me suis dit : « Allez je me libère cet été, pour essayer de cartonner au maximum au triathlon ». Je savais qu’il y avait beaucoup d’argent à gagner à l’Embrunman et j’ai tenté ma chance. C’est mon premier résultat de référence qui peut me permettre de trouver des partenaires. Cela reste compliqué dans ce sport. C’est un bon début, mais cela ne suffit pas pour en vivre.
Il y a un triathlète qui m’inspire beaucoup, que je ne connaissais pas du tout et que j’ai découvert lors des championnats du monde d’half-Ironman, il s’agit de Gustav Iden. Les pros étaient mélangés aux amateurs. Le vainqueur est un Norvégien, qui fait aussi la distance olympique. Il a gagné à Nice, à Daïtony un gros triathlon sur distance intermédiaire, avec 100 000$ au vainqueur. C’est quelqu’un qui m’inspire pas mal, avec le champion olympique dans son groupe d’entraînement. Depuis ce jour-là je regarde pas mal ce qu’ils font, je regarde des vidéos d’eux sur Youtube, de leur camp d’entraînement.
J’aime leur philosophie, ce sont des bosseurs. Tu sens que ce sont des machines d’entraînement, qui vivent leur sport, mais tu sens qu’ils sont assez relax en termes d’état d’esprit. Le sport est leur mode de vie et qu’ils prennent plaisir à faire cela. Ils vivent pour la gagne et pour être les meilleurs. Ce mec est très fort sur l’enchaînement vélo-course. Sur long il est quasiment imbattable. On a un peu le même gabarit et la même façon de courir.
LES GENS NE SE RENDENT PAS COMPTE DE LA CARRIERE DE ROMAIN BARDET
En France, on n’aime pas les mecs qui chambrent où qui sortent un peu du moule. Au foot, j’hallucine quand je vois un gars comme Kylian Mbappé, qu’il prend dans la tronche tout au long de l’année. On est sur son dos, en permanence, ce qu’on va pouvoir trouver de négatif chez lui, plutôt que de mettre en valeur ce qu’il fait d’exceptionnel. Kylian Mbappé, tous les clubs du monde nous l’envie et en France, t’as l’impression que c’est le dernier des tocards.
C’est assez Français et en vélo on retrouve un peu les mêmes problèmes. Un mec comme Romain Bardet, je lis des trucs sur lui, je me dis que les mecs ne se rendent pas compte de la carrière qu’il a déjà fait ! Ce n’est pas un surdoué du vélo et il a tiré le meilleur de son potentiel années après années. Alors oui, parfois il y a des saisons moins bonnes. Mais il faut se rendre compte du travail et de l’investissement mis en place. Je lis des trucs, cela me fait halluciner.
FÉLIX POUILLY – CERTAINS VOIENT DU DOPAGE PARTOUT, PRÉTENDENT SAVOIR MAIS NE SAVENT RIEN
Les gens qui voient du dopage partout m’énervent et c’est pour ça que j’essaye de répondre sur les réseaux sociaux, pour qu’on ne voit pas qu’eux. Des gens qui pensent comme moi, il y en a. Des coureurs m’envoient des messages pour me dire qu’ils sont d’accord mais qu’ils ne peuvent pas le dire publiquement. Je pars d’un principe : Tant que tu n’as pas de vraies preuves, je ne parle pas de suspicions à cause d’un directeur sportif pris en 1998, tu peux douter, mais gardes le pour toi. Bon, à la limite, tu peux émettre des doutes, mais certains tu as l’impression qu’ils savent. Ils sont sûrs d’eux
J’aime bien leur demander comment ils savent. En réalité, ils ne savent rien et cela me rend ouf. Même s’il ne faut pas être naïf, il faut dire que le vélo d’aujourd’hui va beaucoup mieux qu’à une certaine époque. Un mec comme Bardet m’inspire confiance à 3000 %. Il a fait de grandes performances sur les dix dernières années, s’il y avait un dopage généralisé en vélo, il n’aurait pas été là. Idem pour Thibaut Pinot.
ON A L’IMPRESSION QU’IL FAUDRAIT UN VAINQUEUR DIFFÉRENT À CHAQUE COURSE POUR QUE CELA PARAISSE CRÉDIBLE
Alors oui, tu vois des performances qui interpellent. Mais on est dans des sports d’endurance et certains ont du mal à accepter qu’il y ait des athlètes exceptionnels. Je cours depuis petit avec Mathieu Van Der Poel, il a toujours été exceptionnel. C’est un surdoué chez les jeunes et c’est normal que chez les pros il le soit aussi. Tout s’est bien passé dans sa carrière. Quand il est bien, il fait des trucs que personne ne peut faire. En athlétisme, j’ai l’impression qu’un mec comme Jakob Ingebrigtsen attire pas mal la suspicion, malgré son capital sympathie.
J’ai lu des trucs pendant les JO, encore après la finale du 1500. Mais c’est un mec qui a toujours été exceptionnel. On a l’impression qu’en sport il faudrait chaque jour son vainqueur pour que ce soit crédible. Mais il y a plein de domaines où il y a des gens exceptionnels. Pourquoi un mec va mesurer 2,40 m et un autre non. En foot, regardez Ronaldo et Messi. Ils écrasent depuis plus de dix ans le sport le plus pratiqué du monde. Ils ont un génie que les autres n’ont pas.
FÉLIX POUILLY – EN FRANCE ON EST TOUT DE SUITE DANS LA MÉFIANCE
En France, face à une grande performance, face à de grands champions, plutôt qu’être admiratif et de s’en inspirer, on va tout de suite être dans la méfiance et se persuader que ce n’est pas normal et qu’il triche. Cela m’énerve. Il y a deux ans, le mec qui faisait mal à tout le monde sur le Tour de France, c’était Thibaut Pinot, que j’adore et j’aimerais qu’il gagne le Tour. Tout le monde était enthousiaste, pourtant à un moment il fait péter Egan Bernal de la roue, dans une montée qui ne lui convenait pas tant que cela. Il était vraiment une jambe au-dessus. On doute pas de lui, alors qu’on va facilement douter d’autres. En 2020, Roglic/Pogacar, ça arrive au sprint avec seulement 10/15 secondes d’avance sur les autres seulement.
Et Roglic s’en prenait plein la gueule. Roglic, plus le temps passe, plus je l’apprécie, ok il a un parcours atypique, mais depuis qu’il est sur le vélo, il a une progression linéaire, il est régulier toute l’année et tu ne l’as jamais vu mettre 3 minutes au deuxième en montagne. Il aura fallu qu’il chute et qu’il abandonne le Tour, pour avoir des marques de sympathie.
FELIX POUILLY
Avec Etienne GOURSAUD