ENAK GAVAGGIO : METTRE MON ÂME D’ENFANT AU SERVICE DE LA GLISSE

Pour Enak, c’est sa bouffée d’oxygène. Il nous raconte son histoire passionnelle avec la glisse, où les sensations et les moments de partage entre amis ont plus d’importance que la moindre compétition.

Enak Gavaggio – Ski

#Freeride #Skicross #Rancho #Consultant France Télévisions #Médaille d’Argent au Championnats du Monde 2001 de skicross#Médaille de Bronze au Championnats du Monde 2007 de skicross

 

(Crédits photos Une : Rossignol).

Je suis né et j’ai toujours vécu en montagne.

Elle représente la glisse, l’oxygène, et surtout un endroit isolé où l’on est protégé comme sur une île finalement. L’important c’est d’en être conscient.

C’est grâce à mes parents que j’ai découvert si bien cet univers, grâce à leur départ de la ville pour rejoindre les hauteurs et devenir bergers. J’ai encore en tête mon premier souvenir de glisse immortalisé en photo : je me faisais trainer en luge par notre âne baptisé « chocolat » avec qui je passais beaucoup de temps petit.

J’étais un enfant qui aimait passer sa vie dehors, avec ce petit côté aventurier. J’adorais aller me promener dans la montagne la journée, même très jeune, je piquais du saucisson et du fromage, un bout de corde que je mettais dans mon sac à dos et j’étais paré pour la journée. Je n’allais jamais vraiment bien loin, car la notion des distances est différente à cet âge-là, mais j’avais l’impression d’explorer les Alpes en entier !

Une chose qui me passionnait était les cowboys et les indiens. Je me faisais des mises en scène et c’est d’ailleurs quelque chose qui m’a suivi jusqu’à présent. Je demandais toujours à mon père de me fabriquer des jeux, des arcs, des tyroliennes, des cabanes… C’est ce qui a forgé ma personnalité.

Je passais donc ma vie dans les collines, autour de la maison, et je revenais le soir au son de la cloche, que ma mère sonnait pour me dire qu’il fallait venir manger.

Je n’étais pas fait pour le système scolaire, je ne m’y sentais pas à ma place. Je me battais d’ailleurs souvent là-bas, car même vers 6 ou 7 ans les enfants sont cruels entre eux. Il y avait cet antagonisme entre les bouseux qui élevaient des animaux en montagne et les bourgeois qui vivaient en ville.

Un des seuls points communs qu’on avait était le ski.

LE SKI, UN MOMENT POUR S’ÉCLATER ENTRE AMIS

J’en faisais tout l’hiver avec l’ambition de devenir champion du monde de descente, de ski de bosses, de snow… je voulais tout faire.

J’aimais la compétition, ça me transcendait mais l’esprit de compétition au jour le jour, je ne le saisissais pas.

Quand j’ai commencé, c’était un moment pour retrouver les copains et s’éclater. Et au final aujourd’hui j’ai 43 ans, et ça n’a pas beaucoup changé. Pas plus tard qu’hier je me suis fait larguer en base jump en tandem et en dévalant la vallée de Bourg Saint-Maurice Les Arcs je regardais mon pote Romain, et je lui disais « mais Bobby, ça fait 30 ans qu’on fait les cons ensembles, c’est quand même incroyable ».

La vie change bien sûr, je suis papa, j’ai une femme, mais tout est toujours basé autour de l’amusement. Dès que ce que je fais n’est plus un jeu, je n’y arrive plus.

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J’ai donc commencé le ski alpin, comme tous les enfants qui vivent en montagne dès le plus jeune âge. Nos parents nous inscrivaient comme s’il s’agissait du football dans une autre région. C’était presque plus qu’une garderie qu’un centre d’entraînement pour former les champions de demain. Mais ça m’allait bien de retrouver les copains le plus souvent possibles et de passer mes weekends sur les pistes avec eux et de passer du temps au ski club de Valmorel. Il avait vraiment vocation à sortir des champions en respectant ce qui est pour moi primordial, le fait que le ski soit du fun avant tout, dans un bon esprit.

J’ai continué tout au long de mon adolescence, avec de bons résultats, et c’est seulement à 20 ans que j’ai arrêté pour deux raisons : je prenais de moins en moins de plaisir, car l’aspect jeu avait disparu et j’avais réalisé que je ne serais jamais le champion rêvé durant mon enfance. C’est aussi dû au fait que j’étais arrivé aux Arcs, où le ski club m’avait fait grandir d’une bien belle manière, d’enfant à presque adulte et c’est là que l’esprit arcadien « apocalypse snow » m’a envouté…

Mes copains n’étaient plus là non plus, ils avaient tous arrêté avant.

Je m’en souviens encore du moment décisif. C’était au départ d’une course à l’Alpe d’Huez, j’ai mis les battons derrière le portillon, et là je me suis dit « mais en fait non ça m’intéresse plus, je m’ennuie ». C’est arrivé comme ça, du jour au lendemain. C’est ce qui m’a permis de faire plein de choses derrière.

3 jours plus tard, je me suis mis à faire du free ride, avec un copain cette fois-ci, bien sûr.

Et seulement deux ans plus tard en 1998, lors d’un séjour aux 2 Alpes, j’ai vu qu’une course de Skicross proposait 10 000 Francs à gagner ! Je n’avais pas une thune et je me suis donc inscrit. Après ma victoire, des officiels m’ont indiqué sur le podium que j’allais représenter la France aux X-Games, seulement deux mois avec cette compétition.

Je ne savais pas ce que c’était j’étais naïf, je sortais du ski alpin avec plein de valeurs, que j’allais mixer avec celle du freeride, et tout d’un coup le skicross arrive… La discipline la plus proche de mon ADN, une compétition de ski en duel, face à face, j’ai tout de suite adoré le principe !

LA CONFORMITÉ, TRÈS PEU POUR MOI

J’ai arrêté les compétitions de free ride quelques années plus tard en 2003, le jour où je me suis rendu compte que ce n’était pas équitable. J’avais obtenu une super note que je ne méritais pas à un événement pour la simple raison que je faisais partie des quelques têtes d’affiche. Que mon ride soit bon ou pas n’importait pas.

Cette attitude peut paraitre paradoxale, car j’étais assuré d’être souvent dans les premiers, ce qui était bien pour ma carrière, mon palmarès, mes sponsors… Mais comme vous le savez, je ne suis pas conformiste et ce genre de jugement biaisé ne me plaisait pas du tout. J’ai donc arrêté les compétitions.

Mais le plaisir de la glisse était encore là donc j’ai continué à faire des vidéos et des événements pour le plaisir, parallèlement je continuais également le ski cross.

Je suis d’ailleurs allé voir un psychologue du sport pour cela, car ma grosse problématique quand je faisais des compétitions était de ne pas en comprendre le sens. Parfois j’arrivais en bas, je prenais la tête, je levais les bras deux secondes et puis je me demandais, mais à quoi ça sert ?

Ce que j’aimais c’était partager avec les autres coureurs des moments sympas et profiter des tracés complètement dingues que nous offraient ces compétitions, mais le reste je ne comprenais pas.

Par la suite j’ai organisé une compétition pour les enfants. Et c’est finalement là que j’ai trouvé ma réponse. Un sportif de haut-niveau, pour moi, ne sert principalement qu’à une chose, à faire rêver les enfants.

J’ai eu des jeunes qui sont venus me voir en me disant que c’était grâce à moi qu’ils s’étaient mis à fond dans ce sport. Forcément des moments comme cela me montrent que finalement même si je ne le percevais pas, j’étais utile pour quelqu’un. Si j’avais compris cela plus tôt j’aurais eu une carrière de dingue. Je me serais vraiment donné à 300 %, car j’aurais eu une vraie motivation.

Et je ne sais pas d’ailleurs si les champions d’aujourd’hui s’en rendent compte. Ils inspirent des milliers de jeunes. C’est aussi peut-être ce qui m’a manqué dans mon enfance, je n’avais pas vraiment d’idole, de sportif qui me faisait rêver. J’aurais eu la réponse à ce moment-là.

ENAK IS RANCHO, RANCHO IS ENAK

Pendant 15 ans, je me suis réveillé la chanson « Antisocial » de Trust. J’ai toujours aimé aller à contre sens. Ça explique donc tous ces petits changements au fur et à mesure que la vie avance. J’ai toujours fonctionné à l’affectif, j’ai les mêmes amis depuis plus de 30 ans, je travaille avec des gens passionnants que j’admire et que j’apprécie, certains depuis plus de 20 ans. Quand quelque chose ne me plait pas je n’ai donc pas peur de changer, car j’ai un socle solide qui m’équilibre.

RANCHO, L’AUTRE MOI

C’est cette originalité qui a poussé il y a 6 ans Rossignol à me proposer un partenariat qui impliquerait des vidéos de free ride.

J’ai fait une contre-proposition avec Supersize films qui impliquerait toujours une série, mais pas seulement sur le free ride, mais sur tous les sports de glisse et de montagne. Le premier épisode, je l’ai fait sur le ski de fond, une pratique qui n’a pas la réputation d’être fun de base, mais c’est justement ce que je déteste, qu’on mette des étiquettes sur les sports et donc les sportifs en fonction de leurs disciplines.

Et c’est donc de là qu’est parti Rancho, pour rendre cette série plus amusante. Rancho c’est finalement moi en plus extraverti avec des côtés plus poussés, plus timide, plus maladroit, plus naif, tout simplement. J’ai fait pousser la moustache que je n’avais jamais porté pour les besoins du personnage, j’ai pris mes lunettes que je portais depuis des années et mon bonnet également et Rancho était paré pour l’aventure !

Tout comme le personnage, je ne me préoccupe pas de plaire et de rentrer dans les codes de la société, et d’ailleurs pour le jouer il ne faut pas. Il faut ce grain de folie. À l’inverse, je ne supporte pas les gens qui se prennent au sérieux. J’ai toujours eu une fascination pour les anti-héros.

On peut se demander d’où vient cette envie de me mettre un peu en scène, de jouer.

Dès le lycée j’écrivais des histoires pour les tout petits. Comme je vous disais enfant, je me faisais mes scénarios entre cowboys et indiens. C’est une continuité, j’adore théâtraliser un moment, le mettre en scène de façon un peu farfelue pour le rendre plus fun tout simplement. J’ai 43 ans, je regarde encore des dessins animés.

Je n’ai pour autant pas de soucis avec le fait de vieillir, au contraire, je m’améliore sur plein de points et tant mieux, mais je garde effectivement cette âme d’enfant, qu’on a tous à mon avis, mais qu’on appréhende de façon différente. Moi je ne veux pas la cacher au contraire, elle rythme mon quotidien et me rend heureux.

ENAK

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