ÉLOYSE LESUEUR – LE TRAVAIL MENTAL M’A PERMIS D’ÊTRE CHAMPIONNE D’EUROPE

Après nous avoir partagé les secrets de sa réussite qui découlent d’une bonne préparation mentale dans une première partie, Éloyse vous fait découvrir la bonne application pratique. En 2014, malgré des conditions météos exécrables, elle a su utiliser ses séances de préparation mentale pour remporter un second titre de Championne d’Europe sur le saut en longueur. Elle vous raconte avec ses mots, ces jours si particuliers.
Eloyse Lesueur
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Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.

Après nous avoir partagé les secrets de sa réussite qui découlent d’une bonne préparation mentale dans une première partie, Éloyse vous fait découvrir la bonne application pratique. En 2014, malgré des conditions météos exécrables, elle a su utiliser ses séances de préparation mentale pour remporter un second titre de Championne d’Europe sur le saut en longueur. Elle vous raconte avec ses mots, ces jours si particuliers. (Crédit photo Une : BeIN SPORTS) 

Pour vous expliquer concrètement comment ce travail mental peut influer positivement lors d’une compétition, je vais vous parler des Championnats d’Europe 2014 à Zurich.

Je sortais d’une grosse déception aux Championnats du Monde de Moscou 2013 où je n’avais pas réussi à sortir des qualifications. Placer un bon saut dès les premiers essais était clairement le mot d’ordre de cette nouvelle saison afin de ne pas revivre cette situation.

Nous avons beaucoup travaillé le sujet avec ma psy : comment arriver tout de suite à se mobiliser avec une sorte de tension positive pour ne pas laisser filer les premiers essais et devoir faire face à une situation de quitte ou double. Je me devais de construire mentalement mon concours en amont par rapport aux filles présentes, ce qu’elles sont capables de faire le jour J, mon état physique et surtout penser aux paramètres extérieurs qui pourraient me faire passer à côté de ces Championnats d’Europe. Tu penses forcément à la blessure, mais il faut vite l’écarter, car ce n’est pas un paramètre que tu maîtrises. Ensuite la météo est un facteur tellement important, car un concours est long et certaines peuvent passer sous la pluie tandis que d’autres auront un temps idéal. Je fais d’ailleurs partie des athlètes qui détestent un mauvais temps.

On a rapidement su que la température pendant le concours allait être bizarre, entre 7 et 9 degrés en plein mois d’aout. Nous avons donc mis l’accent avec Meriem sur ce point en parlant des pires situations possibles : pluie, température basse, vent de face…

Le jour du concours, confirmation de ces conditions exécrables. Le concours de la perche se faisait dans un gymnase tandis que nous attendions depuis 1H30 en chambre d’appel. Toutes les participantes ne pensaient pas que nous pouvions sauter dehors, mais finalement les juges nous font arriver sur la piste. En temps normal, nous avons 50 min d’échauffement pour poser nos marques, car nous sommes beaucoup d’athlètes pour un seul sautoir. Un juge est alors venu nous voir pour nous dire que le concours commençait dans 5 min à cause de la TV. Je me suis vraiment sentie pousser des ailes et j’ai fait barrage avec d’autres filles, car nous ne voulions pas galvauder une telle compétition. Toutes les filles étaient d’accord et nous avons eu le temps nécessaire pour nous échauffer.

FAIRE FACE AUX PIRES SITUATIONS

Voir la pluie recommencer à tomber dès les premiers sauts m’a fait sourire en pensant à nos discussions avec Meriem. Mais mon état d’esprit a vite changé, car j’étais préparée à cette situation et il fallait que je transforme ce que j’aime le moins en force.

J’ai fait deux premiers essais corrects, mais une fille avait réussi le meilleur saut, car c’est la seule à avoir bénéficié de vent de dos. Tu t’énerves un peu quand toi tu passes derrière et que tu vois la jauge de vent s’inverser. Je suis restée mobilisée et bien classée dans le concours, mais pas en tête.

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À ce moment, j’ai peu d’interactions à cause de la distance avec mon entraîneur, car il ne peut rien faire en tribune. Il m’a cependant réconforté et rassuré pendant l’épisode de l’échauffement « annulé ».  Je parlais quand même avec lui après chaque saut afin qu’il me donne quelques conseils techniques. Ce sont de mini-détails, car tout a été travaillé avant la compétition, il doit juste m’aider à être le plus proche de la plasticine.

Mais au 4ème essai, j’ai ce coup de chance : une éclaircie, vent nul, plus de pluie. Je sens que c’est LE moment que je dois saisir pour m’exprimer. Je réussis mon saut (6,85m) et je passe première du concours. Et derrière il se remet à pleuvoir !

Je retiens que c’est grâce à ce travail mental en amont que j’ai pu être suffisamment sereine pour me rendre compte de l’opportunité que j’avais. À ce moment-là, je ne pense pas avoir gagné une médaille, car il y a plein de filles capables d’aller aussi loin que moi. Tu penses juste à améliorer ta marque.

BACK TO BACK

Il reste deux essais, et même si les chances de gagner une médaille sont importantes, il ne faut pas se disperser. J’ai déjà vécu cette euphorie et finalement voir des concurrentes passer devant moi et là, tu es démonté mentalement pour la fin du concours.

Après mon dernier saut, il restait encore deux filles à passer. La médaille de bronze était assurée. J’attends alors avec mon coach. La première mord et la dernière saute mais tu vois que sa marque n’est pas aussi loin que la tienne. J’attends la mesure officielle avec les premières larmes qui montent et quand je vois 6,76m, l’émotion l’emporte.

La première chose que j’ai faite, c’est de pleurer dans les bras de mon coach. Puis dans les bras de ma famille et de mon mari. J’ai commencé mon tour d’honneur avec le drapeau français et je suis rapidement allée saluer notre ancien DTN, Ghani Yalouz. C’était quelqu’un de très important pour moi, j’avais ce besoin de le remercier et là, même ce gros bonhomme se met à pleurer. C’est tellement beau de partager ça avec les proches, car c’est tellement rare. Le sport créé des émotions qui sont à 1000 lieux de tout.

Ce deuxième titre européen d’affilée est particulier, car c’est une entrée dans la cour des grands. Le bronze et l’argent ce n’est pas pareil. Et puis vient la cérémonie des médailles. Peu ont vécu ce moment où le stade se tait pour respecter ton hymne national, c’est une sensation dingue. Cette première Marseillaise en 2012 avait une résonnance particulière, mais le fait de conserver ça a encore une autre saveur, car tu confirmes que tu es maître en Europe et surtout dans des conditions aussi difficiles.

LE 3EME SAUT D'ELOYSE QUI LUI ASSURERA LA MÉDAILLE D'OR

J’ai bien évidemment remercié Meriem à la TV, car pour moi c’est important que les gens se rendent compte qu’un champion qui travaille avec une psy n’est pas anormal.

NE JAMAIS RIEN LÂCHER

La phase de débrief n’intervient que quelques jours plus tard, car sur le moment tu es demandé de partout pour toutes sortes de sollicitations médiatiques.

Avec Meriem on a beaucoup ri, on était heureuse d’avoir tant parlé de météo. Avec Renaud c’était plus sur des aspects techniques. Il m’a indiqué qu’il avait senti que j’avais été concentrée pendant tout le concours, que j’étais maîtresse de mon projet et de ma performance.

L’un des messages que j’ai envie de faire passer sur ce travail psy est de miser sur la régularité. Il ne faut surtout pas lâcher dans les moments les plus durs, c’est là que tu vas avoir le plus de résultats. La préparation mentale aide sur tellement de paramètres et elle te permet de continuer à te dépasser. Avoir développé de nombreuses compétences a été très important pour moi, mais ce qui m’a le plus marqué, c’est d’être vraiment devenue la maîtresse de mon projet. Après trois années de blessures, c’est ce qui fait que je reprends le chemin des grands championnats aujourd’hui.

Si je pouvais donner un conseil aux jeunes athlètes, ce serait de croire en soi et de ne jamais rien lâcher. Certains peuvent le voir comme une phrase bateau, mais je veux insister sur ce point surtout quand ça ne va pas bien. Les jeunes qui ont été à mon contact ont pu prendre conscience de ce leitmotiv, car je n’ai pas abandonné après tant de blessures et j’ai réussi à revenir en étant Championne de France 2018. Si tu lâches, c’est peut-être que tu n’as pas fait le bon travail mental ou que tu n’es pas assez accompagné sur ce point.

Je regarde l’avenir avec sérénité pour finir ma carrière aux Jeux Olympiques 2020 de Tokyo, voir éventuellement en 2021. Après il faudra laisser la place aux petits jeunes même si je ne suis pas si vieille. Pour cette année, l’objectif est de revenir dans les meilleures et performer au niveau mondial. Et pourquoi pas être médaillée d’or aux prochains Championnats d’Europe cet été 😉

ÉLOYSE

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