PATRICE BEAUMELLE : DE GRANDES AMBITIONS AVEC LE MAROC

Alors que la CAN 2019 commence, le sélectionneur adjoint du Maroc Patrice Beaumelle s’est confié sur ses joueurs et sur les objectifs de la sélection marocaine.
Patrice Beaumelle
(c) Julien Scussel

Patrice Beaumelle – Football

#Entraîneur adjoint Equipe Nationale du Maroc #Ancien entraîneur adjoint LOSC, Côte d’Ivoire, Zambie, USM Alger, Angola, Nîmes Olympique. #Vainqueur CAN 2012 et 2015

Crédit Photo Une : Julien Scussel

Je suis arrivé au Maroc en février 2016. Après une courte expérience de 8 mois au LOSC en L1. L’objectif était de qualifier Les Lions de l’Atlas pour la Coupe d’Afrique 2017 au Gabon. J’ai accepté de relever le défi, mais dans mon « for intérieur » je voulais aller plus loin et notamment en Russie en 2018. Je ne cachais d’ailleurs pas mes ambitions à Hervé Renard. Le premier objectif est atteint dès les premiers mois. Bien plus qu’une équipe, au fil des matchs, je sens qu’un groupe naît, il y a un mix intéressant entre l’expérience, avec des joueurs matures comme Mehdi Benatia, Nabil Dirar, Karim El Ahmadi, Mbark Boussoufa, Youness Belhanda, Fayçal Fajr, Manu Da Costa, Romain Saïss, et de jeunes joueurs pleins de talent et de fougue comme Hakim Ziyech, Sofiane Boufal ou encore Achraf Hakimi. Ce groupe prend plaisir à se retrouver lors de chaque rassemblement, je sens qu’il y a une belle âme.

Un élément révélateur est le public dans le stade. Le peuple marocain aime son équipe nationale et même s’identifie aux joueurs. Je me souviens le 20 juin 2018, le Maroc joue son second match de coupe du monde face au Portugal de CR7. Le match est à Moscou dans le stade de Luzhniki. Lors des hymnes, je suis pris d’une grande émotion. Dans le stade, il doit y avoir plus de 40 000 supporters marocains qui chantent l’hymne National. Soudain, des larmes coulent le long de mon visage. Le Maroc est vraiment un peuple de Football.

La Coupe d’Afrique des Nations 2019 qui a lieu en Égypte s’apprête à débuter. Cela va être ma 6ème CAN. J’ai vraiment hâte que cela commence.

SE QUALIFIER POUR UNE COUPE DU MONDE EN AFRIQUE… UN VÉRITABLE MARATHON

Participer à un mondial avec une nation Africaine ! Un véritable parcours du combattant ! Il faut savoir qu’il y a 54 nations africaines, pour seulement 5 places en coupe du monde (moins de 10 %). À l’inverse, en Amérique du Sud il y a 10 nations et 5 à se qualifier, soit 1 nation sur 2.

Quand et si tu arrives à sortir des éliminatoires, tu es rincé. Par contre, tu rentres au pays comme si tu avais gagné un titre continental. En novembre 2017, lorsque nous avons gagné 0-2 à Abidjan, nous nous sommes qualifiés pour la Coupe du Monde en Russie. À notre retour au Maroc, des milliers de fans nous attendaient à l’aéroport. C’est donc difficile d’un point de vue sportif. Mais ça l’est aussi économiquement si l’on échoue, une qualification à une coupe du monde a des retombées financières très importantes qui derrière peuvent aider à développer et structurer le football local.

Le Maroc a participé en 2018 à sa 6ème Coupe du Monde. Mais il faut savoir que Les Lions de l’Atlas ne s’étaient plus qualifiés pour un mondial depuis 20 ans. La dernière participation remontait à France 98.

La bonne nouvelle est que la CAN cette année passe à 24 pays au lieu de 16 auparavant. Cela est très bénéfique, dans le sens où des plus petits pays qui n’avaient pas l’opportunité de la jouer régulièrement vont pouvoir à présent la faire et donc apprendre de ces compétitions continentales, se mesurer aux meilleurs, se structurer et progresser, je pense notamment au Kenya, à la Namibie ou à l’Ouganda.

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L’ÉVOLUTION DES STRUCTURES, LE MAROC EN EXEMPLE

J’ai eu la chance de connaître différentes fédérations, avec différents moyens qui sont souvent sans commune mesure avec les nations européennes.

Aujourd’hui avec le Maroc, nous bénéficions d’excellentes conditions de travail, avec notamment l’ouverture prochaine du Centre Technique National du Football de Maâmora à Rabat. Mais j’ai également connu des moments plus pittoresques avec d’autres Fédérations. Des terrains pas toujours bons, des lignes pas toujours tracées, des pelouses pas souvent tondues ou arrosées. Il faut à chaque fois se remettre en question et se rappeler la raison pour laquelle nous sommes ici, et le point central, c’est l’amour du football. J’ai appris avec le temps qu’il ne faut pas exiger la perfection au risque de s’épuiser pour des choses sur lesquelles notre volonté n’a aucune influence. Il ne faut pas dépenser toute son énergie sur la logistique, car au final tout se fait en Afrique même si ce n’est pas dans des conditions parfaites comme nous, européens, on le souhaite. L’essentiel est parfois ailleurs.

Je suis déjà arrivé parfois, pour ne pas dire souvent, sur un terrain où les lignes n’étaient pas tracées, la pelouse pas tondue, et le responsable du stade n’avait pas d’argent pour acheter l’essence pour la tondeuse. Des petites histoires qui sont au final plutôt rigolotes et qui peuvent se résoudre. Oui ce n’est pas toujours aussi professionnel qu’en Europe, mais encore une fois, il faut prendre en compte le contexte et donc s’adapter. Au final, tout se fait. Je me revois encore devoir tracer les lignes et mettre les filets aux buts avec Hervé Renard.

En arrivant sur ce continent, il faut être prêt à s’adapter à chaque instant, tout prendre avec diplomatie, être ferme sur certains aspects, et ne pas se braquer si d’autres choses, finalement secondaires, ne se font pas comme on le souhaiterait au départ.

D’ailleurs, cela ne nous a pas empêchés de gagner la CAN en 2012 avec la Zambie. Et pourtant, les premiers mois il a fallu vraiment faire beaucoup de choses pour modeler et développer cette équipe. J’ai voyagé à travers tout le pays à la recherche de joueurs. J’ai organisé des détections de jeunes talents dans les villes, mais aussi des villages, sur des terrains dont la pelouse était parfois coupée à la machette par des prisonniers. De jeunes joueurs jouant pieds nus. Mais toujours avec le sourire et l’envie de tout donner. 4 ans après, nous avons gagné la Coupe d’Afrique 2012 avec les Chipolopolo (Boulets de cuivre) de Zambie. Le travail finit toujours par payer.

LA CAN 2019… MA 6ÈME PARTICIPATION

Depuis notre arrivée au Maroc avec Hervé en 2016, j’ai l’impression que le potentiel du groupe est maintenant à maturité. Tout le monde va dans le même sens et désire gagner quelque chose ensemble. Cela va être la troisième compétition majeure après la CAN 2017 et la Coupe du monde 2018. La Coupe du Monde, qui, bien que d’un point de vue comptable ait été décevante, a montré que nous avions de belles qualités dans le jeu. Il ne faut pas oublier que nous avons rivalisé avec des équipes comme le Portugal et l’Espagne qui sont dans le gotha mondial. Nous sommes ressortis de cette compétition avec un capital confiance important, tant pour les joueurs que pour le staff.

C’est le moment d’aller chercher quelque chose ensemble. Je pense qu’il nous manque peut-être un buteur actuellement à la Drogba ou Eto’o qui portaient vraiment leurs équipes même lorsqu’elles étaient en difficulté. Mais nous avons des joueurs offensifs avec du génie, très techniques comme Ziyech, Boufal, etc.. , qui sont des attaquants de rupture capable de faire la différence à tout moment, mais aussi des joueurs aux qualités de passes exceptionnelles. Je pense aussi à Belhanda, Boussoufa, Fajr, etc.

LA BINATIONALITÉ, UNE CHANCE QUI SE TRANSFORME PARFOIS EN FARDEAU

Je vois la binationalité comme une chance et une opportunité plutôt qu’un problème. Si les joueurs africains sont très ouverts, leur pays d’accueil a souvent du mal à apprécier positivement leur double culture. La binationalité est un vrai problème pour beaucoup de fans et journalistes européens.

Pour moi, un joueur binational doit pouvoir être libre de choisir, et ne pas avoir à se justifier sur le choix de la sélection pour laquelle il va jouer. C’est quelque chose de magique à la base d’avoir cette double culture. Une richesse énorme. Pour autant, il y a une pression certaine et pour aucun joueur cette décision n’est facile à prendre. Cela m’est arrivé de convoquer un joueur binational indécis sur son choix. Je lui ai proposé de venir avec nous pour se faire une idée du groupe, de l’équipe, du staff et de rentrer chez lui « libre » de choisir le pays qu’il souhaite représenter et non l’inverse. Cela doit être le choix du cœur.

Il y a 7 nationalités présentes dans l’équipe du Maroc. 7. Et tout le monde vit super bien ensemble, ça parle plusieurs langues, mais tout le monde a la culture marocaine en commun. C’est un bel exemple de cohésion aussi bien sportive que sociale.

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PASSION ENTRAÎNEUR

L’histoire avec Hervé Renard est belle. On se connaît tellement bien maintenant qu’un seul regard suffit à nous comprendre, comme un vieux couple. On sait d’où on vient, nous étions en National en 2005 lors de notre première rencontre. Tellement de chemin parcouru depuis et nous avons gardé les mêmes valeurs de travail, d’abnégation. Nous avons partagé 6 CAN et 1 Coupe du Monde, ce n’est pas rien.

Nous avons une qualité en commun ; ne pas avoir été de grands joueurs. Nous sommes avant tout des passionnés, des besogneux, des travailleurs.

Depuis mon plus jeune âge, j’ai voulu devenir entraîneur. C’est une vocation chez moi, comme une évidence. Je crois en l’esprit d’équipe et je sais reconnaître le génie. Nous avons besoin de génie pour gagner des matchs, mais la cohésion et le travail d’équipe font gagner des titres et c’est la chose la plus importante à mes yeux.

J’aime beaucoup un dicton qui dit : « l’important n’est pas d’imposer sa technique ni son physique ni sa tactique, mais d’imposer sa volonté. ».

Ce qui fonctionne bien entre nous est le fait qu’il me laisse gérer les entraînements, et lui prend de la hauteur et amène sa touche quand bon lui semble. Je définirais notre duo plus comme un binôme. Nous sommes très complémentaires, compatibles même. Ce serait d’ailleurs intéressant d’avoir l’avis des joueurs là-dessus.

Bien sûr, j’ai une âme de numéro 1 également et un jour je m’envolerai, je le sens et il le sait. Ça se fera naturellement, au moment opportun. Pour l’heure, nous avons de très beaux objectifs communs avec la CAN et on se donne à 300 % depuis des mois pour la gagner. Après cela, je verrai bien ce qui s’offre à moi.

Après avoir vu la ferveur des Zambiens en 2012, puis la folie des Ivoiriens en 2015, mon rêve serait de voir le peuple marocain heureux qu’on « ramène la coupe à la maison »…

Nelson Mandela est une source d’inspiration pour moi, un exemple d’humilité, de sagesse, de persévérance, mais aussi un leader et un visionnaire. Donc pour finir si vous le voulez bien, je vais reprendre ses mots :

« Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. »

PATRICE

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