Dans une saison de Coupe du monde de biathlon où le niveau est déjà extrêmement élevé, où les candidats à la victoire sont nombreux, les Mondiaux de Pokljuka, qui s’ouvrent demain avec le relais mixte sont l’occasion de faire monter encore un peu plus la tension et la valeur des performances. Simon Fourcade lui, a disputé dix championnats du monde dans sa carrière, qu’il a achevée il y a maintenant dix-huit mois (son entretien de tout frais retraité est à lire ici). C’est avec sa double casquette de consultant pour la chaîne L’Equipe et de coach de l’Equipe de France juniors – avec laquelle il part en stage à Prémanon dans une semaine pour préparer les Mondiaux d’Obertilliach – qu’il a répondu à nos questions sur la quinzaine slovène, les principaux concurrents ou les spécificités du site de Pokljuka.
Simon Fourcade : “Il est possible que cela tourne en un match Norvège-Norvège”
« Pour vous, ces Mondiaux vont-ils se résumer à un match Norvège-France chez les hommes, avec en paroxysme le relais ?
J’ai envie de dire que non, en tout cas pas comme cela a pu se dessiner ces dernières années. Depuis le début de saison, on a vu de très nombreuses nations monter sur le podium. Et aujourd’hui, elles sont beaucoup à n’avoir rien à envier à la France. Il est possible que cela tourne en un match Norvège-Norvège car clairement, les Norvégiens font main basse sur un grand nombre de podiums. La France est un peu en retrait par rapport à l’an passé, bien qu’elle réalise une très belle saison. Les Français vont je pense se mêler à la lutte, mais les Norvégiens partent avec une longueur d’avance sur le papier. Ensuite, la vérité du jour n’est pas celle du lendemain, encore plus en biathlon. Je souhaite que nos Français nous fassent entendre le plus de Marseillaises possible !
Pensez-vous Johannes Boe capable d’une razzia sur les courses individuelles de ces Mondiaux ?
Il en est bien entendu capable. Qu’il soit en mesure de le faire, je dirai que cela dépend de l’état de forme du moment. Ce qui a le plus pêché pour lui depuis le début de saison, c’est son tir. Donc s’il arrive à mettre une à deux balles de plus par course, j’imagine que la razzia sera là. En tout cas, il a les capacités à ski pour prétendre à la victoire sur chacune des courses. A l’heure actuelle, son plus gros adversaire, c’est lui-même.
Simon Fourcade : “Je serai étonné qu’il (Sturla Laegreid) reparte sans médaille”
Epatant de régularité depuis décembre, Sturla Holm Laegreid franchirait un cap supplémentaire avec un titre mondial. L’en pensez-vous capable ?
Oui, complètement. En biathlon, contrairement à d’autres sports, tous les athlètes courent tous les week-ends ensemble depuis maintenant dix semaines de compétition, donc on voit directement des forces se dégager et une hiérarchie qui s’établit. Ca m’étonnerait que les Mondiaux viennent tout chambouler, même s’il y aura quelques surprises comme toujours. Sturla a quand même montré de très belles choses et je serai étonné qu’il reparte des Championnats sans médaille.
Est-ce que le fait de ne jamais avoir couru à Pokljuka en compétition peut lui être préjudiciable ?
Oui, après il a quand même connu de nombreux sites sur lesquels il a réussi à tirer son épingle du jeu, sur des profils variés, des altitudes et des neiges différentes. Certes, il ne connaît pas le site, mais il va arriver relativement tôt pour prendre connaissance des lieux, apprivoiser le pas de tir qui est un peu différent. On y arrive en descente, le pas de tir est plutôt facile et il favorise les tirs rapides. Il ne va peut-être pas pouvoir installer son tir comme il le souhaiterait, bien qu’il ait un tir rapide. Il est surtout très posé. Et à Pokljuka, c’est souvent très nerveux, surtout sur les courses en confrontation, les pistes ne sont pas larges. Il se pourrait qu’il ait un peu de mal au début, mais ça va vite venir, ça ne va pas changer la face du monde pour lui.
Simon Fourcade : “Quentin arrive avec une bonne confiance”
Selon vous, est-ce enfin au tour de Quentin Fillon Maillet de décrocher une médaille d’or individuelle ? (Il reste sur une très belle semaine à Anthloz et est tenant du titre sur la mass start de Pokljuka)
Complètement. Je pense que Quentin est actuellement dans de très bonnes dispositions. C’est quelqu’un qui a souvent du mal à entamer les périodes et qui les finit plutôt bien. Je pense qu’au niveau de la préparation, tout à été fait en conséquence par Vincent Vittoz. Quentin fait clairement partie des concurrents au podium, voire à la victoire sur les deux semaines à venir. En plus, il est sur un site – certes moins haut qu’Anterselva – en altitude, dans la deuxième moitié de saison, les organismes commencent à flancher un peu et Quentin a toujours tendance à monter en puissance quand les autres baissent. Il arrive avec une bonne confiance.
Quels seraient les « conseils » que vous donneriez à Emilien Jacquelin dans l’optique de conserver son titre en poursuite ?
Si je pouvais lui donner un conseil – même s’il a un palmarès plus fourni que le mien à un âge bien moins élevé et qu’il sait ce qu’il a à faire (rires) – ce serait de plus se concentrer sur sa course et de moins calculer en fonction de celle des autres. Emilien est comme ça, c’est un joueur, il s’inspire beaucoup du vélo, à jauger ses adversaires, à regarder ce qui se passe autour. Mais c’est compliqué pour nous de construire des courses tactiques avant le dernier kilomètre. Notre gestion de course est simple, il faut passer les tirs et aller le moins de fois sur l’anneau de pénalité. Ensuite, c’est arriver sur un finish où on peut la jouer plus malin que l’adversaire.
“Samuelsson commence à accuser le coup”
Johannes Dale et Sebastian Samuelsson paraissent plus en difficulté à l’approche de ces Mondiaux, au contraire de Lukas Hofer, dans une forte dynamique. Quel est votre avis sur ces biathlètes et les pensez-vous capables de performer à Pokljuka ?
Avec Dale, on a quelqu’un qui tourne depuis deux-trois ans sur le circuit mondial, de manière régulière, il réalise de très belles performances. Il est jeune et a encore besoin d’apprendre. Tout le monde n’apprend pas à la vitesse de Sturla Laegreid (rires). Lukas Hofer, c’est un autre profil, plus âgé, plus aguerri, qui a tendance à être un peu « foufou » et qui arrive à se canaliser avec l’expérience. Samuelsson a été très en forme sur les deux premières semaines. Je connais un peu le mode d’entraînement des Suédois, et je pense qu’ils ont attaqué la saison sur les chapeaux de roue et c’est compliqué de tenir le rythme.
On est sur trois profils différents. Dale va pouvoir rebondir sur ces Mondiaux, au moins occasionnellement. Samuelsson commence à mon avis à accuser le coup, peut-être que ces deux semaines de coupure l’ont permis de se relancer. Au contraire, Lukas Hofer monte en puissance. Il va devoir gérer ses démons de manière à pouvoir encore hausser son niveau.
Simon Fourcade : “Marte Roeiseland est clairement la plus stable”
Pour vous, quelle biathlète arrive en Slovénie avec le statut de favorite, sachant que Roeiseland, Eckhoff et Oeberg sont séparées de onze points au général ?
Je mettrai bien une pièce sur Marte (Roeiseland). Pour moi, c’est clairement la plus stable et c’est celle qui nous a surpris sur les championnats du monde l’an dernier. Elle a la carrure et les épaules pour tenir ce statut. Connaissant Tiril (Eckhoff), c’est clairement la personne qui, si elle attaque les Mondiaux sur une bonne dynamique, est en mesure d’écraser tout le monde. Sur Oeberg, je dirai que c’est un peu plus mitigé. J’ai l’impression qu’elle a un peu de mal à assumer ce statut de dossard jaune qu’elle a pu avoir à un moment. Justement, elle ne l’est plus. Donc est-ce que cela va lui permettre de revenir sur le devant de la scène ? Après, elle est suédoise, et je la vois plus sur une pente descendante.
Donc je miserai plus sur Marte de manière à assurer le coup. Si on a envie de jouer en all-in, on peut miser sur une Tiril. Et à l’inverse, Oeberg, je la vois en mesure de faire des podiums mais ce sera délicat de s’imposer sur la durée des Mondiaux.
A quel bilan comptable l’équipe de France féminine peut-elle prétendre sur ces championnats ?
Je pense que la médaille en relais, ce serait une grosse déception que de ne pas la décrocher. Il y a quand même une belle équipe, avec une bonne densité, on les a vues réaliser de très beaux relais. Sur le plan individuel, je dirai que une à deux médailles ne seraient pas de trop. Je miserai sur un total de trois médailles.
Simon Fourcade : “A Julia (Simon) de rehausser le niveau pour jouer à fond la victoire sur le dernier tir”
Croyez-vous Julia Simon capable d’aligner une troisième mass-start de suite, cette fois synonyme de titre mondial ? Quelles sont ses qualités pour ?
La qualité de Julia sur ses deux victoires, ça a été de ne jamais rien lâcher du début à la fin. Elle s’est retrouvée en posture peu favorable sur les débuts de course, et c’est tout le temps à la faveur d’un dernier tir parfait plus un sacré dernier tour – connaissant les qualités de Julia sur les skis, on n’en n’est plus à se poser la question de sa capacité – qu’elle a réussi à s’imposer. En revanche, là où je mets un bémol, c’est qu’elle a su bénéficier des erreurs de ses adversaires.
C’est là qu’il faut qu’elle se méfie, car elle arrive sur le pas de tir dans une position où c’est très dur de jouer un podium et, par les fautes de ses adversaires et un tir parfait de sa part, elle est projetée à nouveau sur la tête. Il ne faut pas rêver, c’est arrivé une fois, c’est arrivé une deuxième fois, ce serait une grosse surprise que cela arrive une troisième fois d’affilée. Ce sera à Julia de rehausser le niveau pour pouvoir jouer à fond la victoire sur le dernier tir. Ca n’est pas tous les jours Noël, il faudra aller un peu plus chercher les balles et ne pas compter sur les erreurs des autres.
Simon Fourcade : “Il se peut qu’il y ait des chutes”
Quelles sont les particularités de ce site de Pokljuka ?
Il y a l’altitude qui est à prendre en compte, bien que l’on ne soit pas très haut. C’est un site qui favorise plus ceux qui ont de bonnes capacités d’oxygénation. Le pas de tir en descente a légèrement été modifié. Il y a également une arrivée spéciale, qui arrive très vite. Elle est en descente et c’est parfois des sprints un peu moches. Il faut produire son effort avant et pas uniquement sur les derniers mètres. Ensuite, c’est une piste qui « tournicote » beaucoup. On a un circuit dans un petit périmètre et il y a beaucoup de boucles, des virages serrés. Les descentes, notamment sur des courses en masse, sont assez risquées, tournent beaucoup, il se peut qu’il y ait quelques chutes ».
Mathéo RONDEAU