Alexandra Tavernier : “Quand j’entre dans le cercle, mon cœur s’accélère”

Seconde partie de l’entretien avec Alexandra Tavernier. Elle nous plonge vraiment au coeur de sa discipline. Découvrez son univers.
Alexandra Tavernier vous plonge dans le lancer du marteau
Alexandra Tavernier vous plonge dans le lancer du marteau

“Ça va je maîtrise, je pense qu’on devrait pouvoir réussir à parler du lancer du marteau (rires)”. Effectivement, Alexandra Tavernier sait de quoi elle parle. Médaillée de bronze mondial à 22 ans, en 2015 et vice-championne d’Europe en 2018, elle possède déjà un solide palmarès. A cela s’ajoute la prise du record de France en 2018, détenue par la mythique Manuela Montebrun. Un record qu’elle a porté cet hiver à 75,38m, lors de sa seule sortie de l’hiver aux championnats de France de lancers longs ! Seconde partie d’un entretien. Elle nous plonge vraiment au coeur de sa discipline. Découvrez l’univers marteau d’Alexandra Tavernier

NE PAS PERDRE SES REPERES, C’EST AUSSI UNE QUESTION D’INSTINCT

Quand je rentre dans le cercle, pour effectuer mon jet, mon cœur s’accélère. Je respire un bon coup et c’est comme si on me coupait le son. Je suis à ma place quelque part. Le lancer de marteau est un ensemble de paramètres à maîtriser pour lancer loin. Cela passe par l’entraînement et la stabilité technique. Mais ce qui ressortira le plus, chez moi, c’est l’instinct. Je fais 90-95% de mes jets à l’instinct ! Je lâches tout et je deviens une autre personne en compétition. Car je me fais confiance. Mais pour être comme cela, il faut bosser à l’entraînement, travailler techniquement pour avoir une certaine stabilité. Pour pouvoir être serein et pouvoir “débrancher” au moment de ton jet.

Dans le cercle on tourne vite. Ne pas perdre ses repères, c’est aussi une question d’instinct. Quelqu’un qui débute le marteau, tu lui dis “tu lances”, le gamin il va le faire. Il va se débrouiller comme il veut, mais il va faire sortir le marteau de la cage. Inconsciemment, il va trouver le truc, comme le perchiste qui développe un sens développé de l’espace. Nous c’est pareil, à n’importe quel moment dans le geste, on sait où on se situe. Pendant mon jet, je suis capable de me dire : “Je suis allé trop à gauche, je vais taper le 3e poteau de la cage”. Et de rectifier le tir pendant le jet et me rééquilibrer. C’est aussi une question d’intelligence motricitrique.

ALEXANDRA TAVERNIER : JE NE SUIS PAS CAPABLE DE FAIRE DEUX FOIS LE MEME JET

Je suis très atypique dans ma façon de m’entraîner. Je ne m’entraine “pas beaucoup”, comparé à certains. Il y a entre 4 et 5 séances de technique par semaine, au moins 4 séances de musculation et j’ai une séance de PPG/Cardio, où on sue bien pendant 1h30/2h. J’ai aussi une séance de médecine ball, mise en place l’année dernière quand j’avais mes problèmes au poignet. J’y décortique tout mon jet, chaque moment de mon éjection du marteau. On est sur de la technique hyper poussée !

Mais paradoxalement, je ne suis pas capable de faire deux fois le même jet. C’est typique de moi (rires). Quand je vois Quentin Bigot qui est capable de faire 50 jets qui vont tomber au même endroit, c’est une qualité de ouf que je n’ai pas. Mais une fois qu’on le sait, on peut s’adapter. Je vois mes entraînements comme un triangle. Au début, il y a beaucoup à travailler, puis petit à petit, on grapille pour arriver à la pointe qui est le grand rendez-vous de la saison. Ou je suis au top du top physiquement, techniquement et psychologiquement.

PLUS LE PLATEAU EST RAPIDE ET MIEUX JE M’EN SORS

A une certaine époque, je donnais des noms à tous mes marteaux. J’en avais une trentaine, mais j’avoue que j’ai oublié depuis (rires). Le marteau est une continuité de soi, le but ce n’est pas de le tenir avec le bras et les jambes, mais avec le poitrail et les muscles intercostaux. Il y a un feeling qui se crée, surtout avec certains plus que d’autres. Je sais que le marteau en inox, j’en suis pas très fan, même si je fais le record de France avec. Je le trouve lourd à la sensation, même s’il fait le même bien qu’un blackhammer. Les marteaux à poignées carrées auront aussi mes faveurs. C’est comme Mélina, elle va aussi choisir son disque en fonction de son état de forme, du plateau et des conditions.

A propos des plateau, le feeling se fait en fonction du lanceur. Plus le plateau est rapide, mieux je m’en sors, ca je suis quelqu’un qui joue sur sa vitesse et l’explosivité. Si le plateau est rugueux, je ne vais pas avancer ! Après, du béton reste du béton et il n’y aura jamais d’amélioration technologiques majeures sur le cercle et le plateau. Il ne rebondira jamais (rires). Ceci dit, il y a eu une mise en place d’un cahier des charges long comme le bras, pour les pistes, les sautoirs. Et nous, il n’y a pas un plateau pareil dans le monde. Je serais d’avis qu’il y ait un cahier des charges pour la réalisation d’un plateau, pour qu’ils soient tous identiques. Cela règlerait pas mal de choses. Même si on ne peut pas faire du 100% identique, tout comme il y a des petites différences selon les pistes.

ALEXANDRA TAVERNIER : JE NE ME CONSIDERE PAS COMME UN EXEMPLE DE REDEMPTION

Je sais que les plateau asiatiques sont des râpes à fromage. Je m’entraîne actuellement sur les mêmes types de plateaux pour m’habituer. Pour apprendre à lancer loin avec des plateaux merdiques. C’est un peu contradictoire, car on a eu un champion olympique japonais, Koji Morufushi (NDLR : en 2004 à Athènes) et les Asiatiques sont incapables de faire un bon plateau. Si on met un plateau qui n’avance pas, qui ventouse, les chaussures vont rester au sol et il n’y aura pas de grosses performances. Et les hommes qui lancent du marteau lourd, vont être encore plus désavantagés. Ce sont des points techniques que les gens ne connaissent pas.

J’ai connu des galères et j’ai réussi à m’en relever. Mais je ne me considère pas comme un exemple de rédemption. Si c’était à refaire, j’aurai fait des choses différemment. Mais on ne le voit qu’avec le recul. Mais si quelqu’un à besoin de discuter, de parler et d’avoir des conseils, il n’y aura pas de soucis. Car c’est difficile d’expliquer certaines choses, si on ne les a pas vécues. Je n’aurais pas eu un trou comme ça en 2016 et 2017, j’aurais pu faire des choses différemment. J’aurais pris d’autres chemins.

LE MARTEAU EST LA PLUS BELLE DISCIPLINE DU MONDE

Ce trou m’a fait perdre deux ans. Pas à proprement parler, car le travail effectué durant cette période, n’est pas perdu. J’ai pu grandir et prendre plus de maturité dans mon marteau. C’est un mal pour un bien, mais si j’avais pris des chemins différents, peut-être que j’aurais perdu moins de temps et peut-être qu’il y aurait eu d’autres choses qui aurait pu se passer. En tant qu’athlète j’ai perdu du temps, mais pas en tant que femme.

Pour moi, le marteau, c’est la plus belle discipline du monde. On ne peut pas mourir heureux si on n’a pas testé le marteau une fois dans sa vie (rires). En France, on voit que tout le boulot mis en place par Gilles Dupray à la FFA, avec la collaboration de Patrick Gerges et d’autres a payé. Les lancers ont été hyper dynamisés et les jeunes viennent faire du marteau parce qu’ils ont vu ça à la télé et que cela leur plait. Il faut dire que c’est super cool. J’adore les autres lancers, mais c’est plus sympa de lancer un marteau qu’un poids. En plus tu lances pas loin (rires). Le poids, c’est vraiment un des lancers les plus durs, c’est très rapide pour pas grand chose finalement.

ALEXANDRA TAVERNIER : ON EST LES GLADIATEURS DU STADE

Le marteau ça a de la gueule, même si ce n’est pas naturel comme lancer une pierre où un bâton. N’importe qui peut lancer le marteau. Il y a une sprinteuse qui a lancé avec moi pendant 4-5 ans. Elle doit faire 50 kilos et toute habillée (rires). Elle a lancé à 40m et elle s’est éclatée à lancer, elle a adoré. Cette discipline regroupe beaucoup de gens et de morphotypes différents. Surtout, il n’y a pas de jugements dans le lancer. On sait à quel point c’est dur de vivre de cette discipline et de s’affirmer en tant que lanceur. J’entend toujours que le lancer est le parent pauvre de l’athlétisme et cela m’énerve. Le lancer est une grande famille et j’encourage les jeunes à venir essayer. En plus on a des résultats en France. On est sur le bon chemin.

A son époque, Manuela Montebrun (NDLR : ex recordwomen de France et double médaillée de bronze mondial, en 2003 et 2005) a fait beaucoup de bien. Idem pour Stéphanie Falzon. Elles ont mis leur grain de sable dans la médiatisation des lancers. Mais c’est vraiment Mélina et sans prétention Quentin et moi qui ont fini d’ouvrir les portes. On va finir par être les stars du stade. C’est dommage qu’Alexis Alaïs se soit blessée. Mais c’est une guerrière et je sais tout le tempérament qu’elle met pour revenir. Même si ça reste d’être trop juste pour Tokyo malheureusement. Mais on ne sait pas ce que la vie nous réserve. Mais elle peut porter sa discipline dans 3 ans à Paris. Chez elle et c’est tout ce que je lui souhaite.

ROSE LOGA A VRAIMENT QUELQUE CHOSE D’INCROYABLE

Le lancer est une grande famille que j’aime et que je ne veux vraiment pas quitter. Je vois la petite Rose Loga, je lui ait dit : “Essayes de ne pas lancer trop loin que je puisse progresser un petit peu” (rires). Plus sérieusement, ce n’est pas utopique de penser à deux Françaises sur le podium du marteau en 2024. Et 4 médailles au lancer de marteau en général. Rose n’est pas aussi médiatisé qu’un Sacha Zohya. Je ne le connais pas, mais voir cette surmédiatisation autour de lui, à son âge, ça doit être dur à vivre. Je pense qu’il faut éviter de mettre les jeunes trop devant. On veut les aider, mais ce n’est pas les aider de les mettre sur un pied d’estale.

Rose a vraiment quelque chose, dans le sens où elle a réussit intelligemment à bien s’entourer. Baptiste Lacourt est quelqu’un de très professionnel et bon techniquement, tout en ayant cette ouverture d’esprit. Je n’ai pas trouvé ce que je voulais avec un Jérôme Siméan (NDLR : Préparateur physique dont le rôle avait été évoqué ICI en détail par Serge Debié, l’entraîneur de Mélina Robert-Michon) , ce qui ne remet pas en cause sa valeur et ce qui n’empêchent pas à Kévin Mayer et Mélina Robert-Michon de faire des exploits fantastiques. Et le travail fonctionne avec Rose. Elle a de la marge. C’est un cube qu’on est en train de dégrossir, avec tout à faire dedans. Lancer si loin, avec le peu d’expérience qu’elle peut avoir, c’est affolant. C’est waouh !

Je pensais être exceptionnelle en junior, avec mes 70,62m, mais j’ai trouvé plus forte et mieux dans l’aire du marteau actuelle. Elle semble connectée à cette envie de réussir présente au sein du lancer français. Le petit quelque chose qui fait que ça va marcher.

ALEXANDRA TAVERNIER

Avec Etienne GOURSAUD

Retrouvez ici le cri du cœur d’Alexandra Tavernier sur le manque de médiatisation des lancers : ICI

Et le résumé de nos confrères de Dicodusport : ICI

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