Gabriel Bordier est un marcheur français, spécialiste du 10 000 m et du 20 kilomètres marche. Il participe aux Europe de Munich. Athlète de haut-niveau mais aussi interne en médecine, il nous parle de ses ambitions pour sa course, qui aura lieu le samedi 20 aout. Mais aussi de comment il gère son temps entre entraînements et son internat, qui représente beaucoup d’heure de travail, malgré sa CIP. Gabriel Bordier confie son envie de briller pour les JO de PARIS 2024.
Crédit : Gabriel Bordier
GABRIEL BORDIER – DANS UN CHAMPIONNAT, C’EST LA PLACE QUI COMPTE
Les championnats d’Europe sont l’objectif de la saison. J’ai choisi de faire l’impasse sur les mondiaux pour préparer aux mieux les Europe et arriver avec plus de fraîcheur. Je suis 9e sur la startlist et je veux aller chercher mieux, tout simplement. On verra avec les sensations du jour. Mon record date de l’année dernière et je peux essayer d’abaisser la marque. Mais en championnat, ce n’est pas le chrono qui compte, c’est la place. On verra en fonction des sensations au fil de la course et des adversaires. Je fais au jour le jour. Le podium doit être dans un coin de ma tête, mais c’est quelque chose difficilement abordable. Il y a des étapes à passer et quelques gros clients, qui sont plus susceptibles que moi, de faire podium. Mais on ne sait jamais ce qu’il peut se passer.
La finale des Élites m’a mis en confiance. J’ai commencé la saison un peu tardivement, car j’ai fait impasse sur le mois de mars, je n’ai pas fait beaucoup de meetings, pas beaucoup de sorties. Je n’ai fait qu’un seul 20 kilomètres cette saison. Cette course à Caen m’a permis de prendre mes marques et de savoir où j’en étais. J’ai toujours été un marcheur assez rapide, mais de là à faire 38’18, cela m’a mis en confiance pour la suite. En termes de progression personnelle, c’est un bon indicateur. C’est une distance assez marchée, et ce chrono me met 8e européen de tous les temps. Cela donne une petite valeur. On va voir ce que cela donne sur 20 km.
UNE ANNÉE DE TRANSITION POST-JO
Pour transformer l’essai, il faut faire du 20 bornes. J’ai profité du mois de juillet pour faire du foncier. Car j’ai fait de la vitesse au printemps et je sais que je l’ai. Il fallait faire ce cycle pour tenir ce 20 kilomètres. Si j’arrive à descendre sous les 1h20, je serai content. C’est une année de transition pour moi, après les Jeux Olympiques. Il fallait reprendre son élan, pour aller jusqu’à Paris 2024. J’ai eu des petits soucis physiques et un emploi du temps chargé.
Il faut prendre chaque cycle les uns après les autres. J’ai du mal à me projeter au-delà de deux ans. Déjà penser à 2024, qui va arriver très vite. Les années post-olympiques sont toujours des années où on a besoin de souffler physiquement et mentalement et c’est dur de reprendre tout de suite derrière. J’ai l’expérience de Doha et de Tokyo, cela met plus en confiance. Quand on a participé à de grands championnats, on est moins stressé. On connait ses repères, cette expérience qui te permet d’arriver plus serein sur la ligne de départ.
GABRIEL BORDIER – TROUVER LE BON EQUILIBRE POUR ETRE PERFORMANT
Je suis en première année d’internat de médecine, je ne suis pas le seul dans l’équipe de France. On est 3 internes. J’ai la chance d’avoir une CIP depuis deux ans, qui me permet d’avoir des aménagements. Et me détache d’un tiers de mon temps. Bon, un tiers du temps d’un interne cela reste un tiers de 60 heures / semaine. Ce qui fait encore pas mal d’heures. Cela me permet de me libérer plus facilement sur mon temps de travail et de prendre plus que les cinq semaines de vacances annuelles habituelles pour les internes. C’est chronophage en parallèle du sport et j’avoue m’adapter au mois / mois. Pour que l’an prochain et surtout 2024, ce soit parfaitement huilé et que l’entraînement se fasse dans les meilleures conditions.
Il y a pas mal de fois où j’ai commencé une séance à 19h30 pour finir entre 21h30 et 22 heures. En sortant du boulot, c’est assez éprouvant. Mais j’adore ces deux choses. J’adore la compétition et j’adore mon métier. Mais il faudra que je fasse des choix, pour être performant dans les deux. C’est peut-être pour ça que j’ai eu du mal à passer les caps que j’aurais dû passer. Il faut que je mette l’accent sur l’un ou l’autre et je pense surtout sur le sport, pour être performant dans les années à venir. Mais je ne me vois pas faire six mois sabbatiques à ne faire que du sport. J’ai essayé pendant quelques semaines pour préparer les JO en 2020. Au bout de trois semaines, je tournais en rond et je m’ennuyais. Je dois trouver le bon équilibre.
MA VENUE A LA MARCHE S’EST FAITE SANS RÉFLÉCHIR, EN PRENANT DU PLAISIR
Mon métier est une plus-value non négligeable pour le sport. Sur le plan des blessures, de la récupération, cela donne un bagage que d’autres n’ont pas forcément. Ce n’est pas que lié à la médecine, car quelqu’un en STAPS ou en Kiné ou autres filières de santé aura la même connaissance. Après on reste de sportifs de haut-niveau et c’est dur de faire sauter une séance. Mais on peut surveiller les petits indicateurs et en parler rapidement. Mais s’auto-diagnostiquer n’est pas toujours une bonne chose. C’est bien d’avoir son kiné, son médecin à ses côtés.
J’ai toujours été attiré par les épreuves d’endurance. J’ai fait toutes les années d’école d’athlé, à toucher à tout. Mais je me suis rapidement tourné vers le demi-fond et le cross. Dans mon club, on avait de bonnes marcheuses qui avaient le niveau France voire sélection. On passait tous un peu par la marche avec cet entraîneur. Rapidement, je me suis vite débrouillé à la marche. Les chronos descendaient au fil des années, jusqu’à me retrouver aux Jeux l’an passé. Cela s’est fait sans réfléchir, en prenant du plaisir à l’entraînement et lors des compétitions.
Lire aussi : Clémence Beretta – Je vais à Munich décomplexée
GABRIEL BORDIER – YOHANN DINIZ EST UN OVNI DANS LA MARCHE
Sans être de grandes idoles, mais le fait d’avoir des athlètes un peu plus vieux dans les différentes catégories, qui avaient un gros niveau, a été un facteur de motivation pour moi d’aller chercher leurs chronos. Je pense à Jean Blancheteaux, qui était un peu plus vieux que moi. Il a fait le record de France cadets du 5000 m marche, que j’ai battu après. Cela m’a beaucoup motivé et cela m’a poussé à me dépasser. Evidemment je pense à Yohann Diniz, mais c’est un OVNI dans la marche. Vouloir chercher ses chronos, pour le moment c’est un autre monde, même si à Caen, je n’étais pas loin de son record des championnats. Même si je n’aurai jamais ma course en tête à tête avec lui. Ce qui aurait été sympa. Ce sont des gens à aller chercher.
Le 50 kilomètre marche, si cela avait continué d’exister, pourquoi pas, mais il aurait fallu que je puisse m’entraîner de façon optimale. Je n’aurais pas voulu le faire à l’arrache. Et je n’aurais pas eu le temps de le préparer pour être aussi performant. Et je préfère presque le 10 kilomètres au 20 kilomètres, même si on a des sensations sur le 20 qu’on n’a pas sur le 10. Dont je n’aurais sans doute pas pris autant de plaisir sur un 50.
LES GENS ONT RETENU L’ACCIDENT DE YOHANN MAIS ONT OUBLIÉ QU’IL A TERMINÉ FINALISTE DES JO
Yohann Diniz a fait un gros travail pour populariser la marche. Il y a la marche athlétique de compétition de haut-niveau et celle de gens qui sont plus proches de la randonnée. Il y a aussi un entre-deux. Je pense que, quand les gens voient ce qu’on fait à l’entraînement, quand je fais mon endurance à 12 à l’heure, les gens ne se moquent pas, car soit je les double, soit ceux qui vont un peu plus vite se rendent compte que ce n’est pas rien de faire ça.
Il y a eu beaucoup de moqueries après les JO de Rio avec ce qui était arrivé à Yohann (Yohann Diniz avait connu des soucis gastriques sur son 50 kilomètres marche et avait fini douloureusement son épreuve, à la 7e place, avant d’être contraint à être hospitalisé). Les gens ont retenu son accident mais oublient qu’il a terminé 7e des JO. En finissant à l’agonie. Des finalistes aux JO, il n’y en a pas des centaines en France et encore moins en France.
GABRIEL BORDIER – LA COMPÉTITION C’EST CE QUI ME MOTIVE LE PLUS
Je ne suis pas un grand borneur. Je tourne en moyenne entre 90 et 110 kilomètres. En stage je monte à 130-140. Quand j’en vois qui montent entre 150 et 200, je me sens un peu à la traîne, mais j’arrive à être performant comme cela. Comme je disais, j’aime l’endurance et les sensations de vitesse dans la marche. Même si on va moins vite qu’en course. Mais j’aime surtout la compétition et me transcender en compétition. Ce moment, quand on est à la limite entre tout va bien et tout ne va plus bien. Il faut trouver cette limite presque imperceptible. D’être au bord de la rupture mais de pouvoir tenir, de se sentir bien en compétition. J’ai envie de retrouver ces sensations-là et c’est ce qui me motive à m’entraîner.
Il y a une belle émulation à la marche. Avec Kévin Campion, on tourne ensemble depuis un petit bout de temps. Cela fait longtemps qu’on n’a pas eu trois filles sur le 20 bornes (c’est même une première). La dernière, c’était Emilie Menuet en 2018. En plus les filles sont jeunes, je pense à Camille (Moutard). Il y a même des filles plus jeunes qui ont le niveau pour percer plus jeunes. Il y a une belle densité. Je pense aussi à Aurélien Quinion (interview réalisée avant son 35 kilomètres où il a été disqualifié alors qu’il pouvait jouer la médaille). Il est jeune et avait un bon coup à jouer dès sa course. Il a terminé 5e européen à Eugene. On verra ce que cela donne.