Wilfried Templier – Ce Grand Chelem, il est pour eux

Commentateur des grands rendez-vous rugby dont l’équipe de France sur RMC, Wilfried Templier évoque le Crunch et sa mission aux commentaires.
Wilfried Templier et Denis Charvet
Wilfried Templier et Denis Charvet

Commentateur des grands rendez-vous rugby, dont les matches du XV de France pour RMC, Wilfried Templier donne pour Sans Filtre son point de vue sur le Crunch de samedi soir et l’évolution des Bleus sous l’ère Fabien Galthié. Il évoque également sa mission aux commentaires et son duo avec l’ancien centre international et désormais consultant Denis Charvet.

Crédit : [Twitter Wilfried Templier].

Wilfried Templier – On ne fait plus rire personne

Retrouver une telle équipe de France, c’est génial. On est privilégiés de vivre ça. On perd forcément un peu de sa neutralité – et parfois sans scrupule – quand on suit les Bleus, ça n’est pas comme avec des clubs. Et c’est génial parce qu’on ne s’en rend même pas compte. Des fois, tu as besoin de t’asseoir et de te dire : « ah mais là, le Tournoi ça continue, il y a de l’enjeu, de la tension ». Parce qu’on était habitués à finir le Tournoi au bout de deux, trois matches ! Là, chaque étape, c’est un peu plus de bonheur. On le voit à côtoyer les supporters, même en déplacement, on a les yeux grands ouverts. On sent un renouveau. Et puis on sent la perspective de la Coupe du monde, on se dit qu’on a mangé notre pain noir.

Fabien Galthié a dit, dès le début, qu’il fallait gagner des matches et des titres. La première partie, c’est fait. Quand on annonce une chose, c’est bien d’aller au bout de ses objectifs. Il faut se payer. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut gagner un Tournoi sur la route d’une Coupe du monde, pour envoyer un signal aux autres. Là, la planète rugby nous regarde : sept victoires de suite, on bat les Blacks, l’Irlande qui avait battu les Blacks, les Gallois ne nous ont jamais battu depuis que Galthié entraine cette équipe. Psychologiquement, c’est important, les adversaires le notent. On ne fait plus rire personne.

On a appris de nos erreurs (des éditions 2020 et 21). Depuis les tests de novembre, Galthié veut que ses remplaçants jouent un rôle plus important. Ca marche. Et avec ça, on sent une unité encore plus forte, une flamme qui se dégage de ce collectif. Il y a des individualités, mais à Cardiff c’est le collectif qui a gagné. On sent qu’ils vivent bien, qu’ils sont heureux d’être ensemble. Ils ont coché les cases au fur et à mesure.

Jamais une équipe de France n’avait eu un tel confort

Après deux ans, cela ressemble à une vraie équipe de club. Même quand ça ne va, on s’en remet aux repères communs. Ca n’est pas brillant au Pays de Galles, il y a plus d’erreurs que d’habitude. Mais ils se sont accrochés, et ils ont des repères pour ne pas perdre la face. Et on sent qu’ils ont les dents qui rayent le parquet, quand même, après deux années à finir deuxième.

Le Grand Chelem peut venir des accords entre la Ligue et la Fédération. Jamais une équipe de France n’avait eu un tel confort. Il faut en parler à Philippe Saint-André, même Guy Novès ou Jacques Brunel, des sélectionneurs qui se retrouvaient avec leurs joueurs le dimanche de la semaine du match, qui en laissaient repartir jouer en Top 14 entre les matches et s’entrainaient à 25. Comment voulez-vous progresser avec ça ? Cette année, ils ont même eu le confort de les laisser rentrer chez eux pour qu’ils fassent du frais entre deux matches quand il y avait un week-end de repos ! Je pense que cela joue sur les performances. C’est huit semaines ensemble. Les semaines où ils sont rentrés ont été très importantes, je pense.

Il y a un petit pourcentage de pression supplémentaire à mettre sur les Français, un petit pourcentage de revanche à mettre sur les Anglais – par rapport à ce qu’ils ont vécu contre l’Irlande. Les Anglais vont avoir envie de gâcher la fête. Mais malgré tout, je pense que les Français vont se payer, celui-là il est pour nous. Enfin pour eux (rires) ! Ils ont payé pour apprendre, il y a une telle logique dans les performances et les résultats.

Wilfried Templier – Féliciter aussi la formation française

Bien sûr, il faut rester humbles, méfiants, ne pas tomber dans le piège de la provocation. Mais les joueurs sont très matures, et le staff leur donne les clés. Galthié et Ibanez ont fait des Grands Chelems ensemble, Servat faisait partie du dernier en 2010, Ghezzal et Labit ont de l’expérience. Ils ont tout à disposition. Les Anglais ont laissé beaucoup d’énergie mentale et physique la semaine dernière. Je pense qu’ils peuvent craquer sur la fin de match.

Il y a un mélange entre expérimentés qui ont connu les dernières années difficiles – Baille, Marchand, Dupont, Fickou, etc. – et une génération de champions du monde U20 – Woki, Ntamack, Bamba, Gros. C’est l’alignement des planètes. Et je pense qu’il faut y voir aussi l’impact de la mise en place des JIFF (Joueurs issus de la formation française). Il y a 10, 15 ans, il y avait beaucoup d’étrangers qui jouaient en Top 14, des jeunes qui ne jouaient pas. Il faut féliciter la formation française aussi. Quand tu as une génération double championne du monde U20, normalement si tu ne fais pas n’importe quoi, tu en retrouves une bonne partie plus haut.

Ils savent qu’il faut gagner. Ils se fixent cet objectif, c’est tout, il n’y a pas de nœuds au cerveau à se faire. Je vois mal les Irlandais laisser leur chance aux Ecossais, je miserai même un billet sur un bonus offensif irlandais. Ca n’est pas compliqué, en fait. L’année dernière, on avait abordé le match contre l’Ecosse en se disant qu’il fallait le bonus et 21pts d’écart. Cela avait même vexé les Ecossais, et ils avaient gagné. Ils ont l’expérience de l’année dernière. Mais c’est plus simple, sur le papier.

Avec Denis Charvet, on commence à former un petit couple

Avec Denis Charvet ? Complices. C’est un peu bizarre, on a quelques années d’écart, mais un jour je lui ai envoyé une photo que j’avais dans un classeur quand j’étais à l’école de rugby. Et il y a une page où il y a Philippe Sella et Denis Charvet collés l’un à côté de l’autre. J’ai retrouvé ça, maintenant je commente à côté de lui, le clin d’œil du destin est marrant. Denis, c’est quand même un personnage du rugby français.

Avec Jeff Paturaud (chef rubrique rugby de RMC), il se met à notre niveau, on forme une bonne équipe, que ce soit en blagues potaches ou aux commentaires, on se met au même niveau. C’est ce qui donne une certaine complicité, parfois physique. L’année dernière, sur l’essai de Dulin contre le Pays de Galles, on est debout, et il me prend par le blouson, me jette en avant, en arrière. On vit vraiment les matches. A la fin du Pays de Galles, je suis tombé sur lui, au bout de la tension. Voilà, on commence à former un petit couple.

Commenter le XV de France ? Un privilège. Pour moi, le Tournoi des VI Nations, c’est les matches le week-end avec mon père, chez des amis, à côté d’un feu de cheminée, devant la télé. Avec Denis Charvet dans la télé ! Avec Philippe Sella, qui était mon idole, les Bonneval, Blanco, Champ, Erbani, … Je suis né avec le rugby des années 1980, quand l’équipe de France était très performante. Et après, j’ai vécu l’avènement de l’équipe anglaise, fin 80-début 90, où on ne leur gagnait plus un match. L’équipe de France, ce sont les larmes de Califano et Roumat en demie de la Coupe du monde 1995, je chialais avec eux devant la télé. Le rugby, c’est ma passion, ma vie. Donc commenter l’équipe de France, on n’a pas toujours le recul, mais c’est incroyable.

Wilfried Templier – Laisser plus de place à l’émotion qu’aux chiffres

C’est vrai que quand ça gagne comme en ce moment, on se le prend encore plus dans la face. C’est un privilège, et une petite pression aussi ! Parce qu’on veut toujours bien faire son boulot, on essaie de ne rien oublier. On griffonne dix mille choses sur un cahier, et on n’en dit que 10% à l’antenne. Mais parfois, il faut laisser plus de place à l’émotion qu’aux chiffres.

Avec la fin des huis clos, j’embête moins les collègues de la presse écrite ! Contre la Nouvelle-Zélande, on en a pris plein les yeux, sur le terrain mais aussi autour. Les gens sont restés très longtemps après, c’était une telle communion, je n’ai jamais fait un match comme ça. Ca fait du bien. C’est moche, c’est triste un stade vide. On avait l’impression qu’il pleuvait tout le temps… On a le sentiment que les gens se lâchent un peu, aussi.

Les essais pendant la pub ? C’est le pire ! On gronde les mecs en régie alors qu’ils n’y sont pour rien ! Mais on n’y peut rien, ça n’est pas nous qui décidons, et puis il faut les passer, ces pubs. Il y a beaucoup de spectacle, beaucoup d’essais, on a envie de ne rater aucune miette. Quand on voit la relance de Ntamack ! Des fois, on n’a pas le temps de se relâcher, ça m’arrive de ne pas avoir le temps d’écrire ce que je veux sur le cahier, il y a déjà autre chose qui se passe. Il ne faut rien lâcher du regard en radio.

Ne pas se faire avoir par des questions comme Rolland Courbis les aime

Je ne fais pas de vocalises (avant un match comme samedi soir), je ne suis pas Céline Dion, même si des fois on ironise là-dessus avec Jeff Paturaud. Non, on va essayer de ne pas faire de folies la veille, ne pas se coucher trop tard. Ne pas prendre froid, la pire angoisse du commentateur. On essaie de ne pas faire le match avant, non plus, de rester calme, même si je n’ai pas trop ce caractère ! Je passe beaucoup de temps à préparer le match, les joueurs, les profils, les passés des équipes. C’est un puzzle que l’on fait au fur et à mesure et avec lequel on se sent de plus en plus costaud avant un match. Evidemment, il est beaucoup plus élaboré pour samedi que pour un match de Top 14. Là, j’y passe pas mal d’heures.

J’ai un cahier qui a commencé au début de mandat de Galthié, il y a tous les matches dedans. C’est un peu ma flèche du temps. On est à la moitié, j’espère que je le finirai le 31 octobre 2023 (finale de la Coupe du monde).  

Il faut arriver costaud sur le commentaire. Ne pas se faire avoir par des questions subsidiaires, comme aime en poser Rolland Courbis en veilles de match, le vendredi soir. Une fois, je lui avais parlé du nombre de joueurs géorgiens jouant en France dans leur XV de départ. Et lui m’a regardé et m’a dit : « Et sur les 23, alors ? ». Et ça, je ne l’avais pas (rires). C’est pareil sur les classements, le dénouement du Tournoi, et pire encore, les règles ! J’ai vécu ma vie dans le rugby mais je ne connais pas toutes les règles ! On en apprend tout le temps en rugby et comme ça n’est pas assez compliqué pour le grand public, ils en changent souvent.

Avec Denis, on est vraiment ensemble depuis le Tournoi 2020. Des souvenirs marquants ? J’espère qu’on va vivre le meilleur samedi ! Sinon, cet incroyable retournement de situation contre Galles l’année dernière, c’était fabuleux. On s’est transformés ! Ca reste notre plus belle joie, même si la Nouvelle-Zélande c’était particulier également, mais on était plus en transe contre les Gallois.

Wilfried Templier – J’espère qu’on parlera d’un dixième Grand Chelem

On se fait des vannes souvent, et on se met quelques coups. En Ecosse, il y a trois semaines, Denis était enrhumé, il avait un spray pour se déboucher. A un moment, il était en train de se mettre un coup de pschitt, quand moi je lui ai donné un coup de coude. J’ai eu très peur ! On était en direct, on échangeait avec Richard Pool-Jones, et il s’est mis à pleurer ! Mais je ne pouvais rien faire, je joignais mes mains, « pardon, pardon », et il a bien mis quelques secondes à récupérer ! C’était peut-être une vengeance du moment où il m’avait secoué contre Galles, inconsciemment. C’est physique !

En Ecosse aussi, sur une pénalité jouée vite par les Ecossais, Denis dit « essai ! » alors qu’il n’y a pas. Et il rajoute « je l’ai vu ! ». Je lui dis que non, il n’y a rien de pire pour l’auditeur que de dire essai et se raviser ensuite. Tu l’insultes ! Il est pris dans le truc, et avec sa mauvaise foi en plus il disait « je l’ai vu ». Il racontait, mais pas la vraie action ! C’est vrai, je l’engueule, parce que je me mets à la place de l’auditeur.

Bon, on va y réfléchir (au match de samedi) un petit peu, oui. Il faut que ça reste spontané. Je ne note pas mes phrases, je ne fais pas de la visualisation comme ceux qui sautent en parachute et font des figures. On y va en première intention ! Mais il faut avoir deux, trois trucs en tête, des chiffres. J’espère qu’on parlera d’un dixième Grand Chelem.

WILFRIED TEMPLIER

le compte Twitter de Wilfried Templier ICI

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