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Le Tour de France 2020 a passé un cap hier, sur les pentes du Grand Colombier, quand il s’est transformé en terrain d’entraînement avec opposition pour la Jumbo-Visma du maillot jaune Primoz Roglic. Ce fut techniquement un régal, sportivement un scénario d’un ennui quasi-mortel, digne du GP d’Espagne de Formule 1. On attend, longtemps, très longtemps, et à la fin ce sont les Jumbo – c’étaient les Ineos, Sky -, comprenez les Mercedes, qui l’emportent. Sauf hier.
Les Colombiens sont les grands perdants
Après avoir merveilleusement déroulé son dispositif de Lyon jusqu’aux derniers lacets du géant jurassien ce dimanche, l’équipe néerlandaise du leader Roglic n’est pas parvenue à décrocher une quatrième victoire d’étape sur cette Grande Boucle. Ce succès, c’est l’enfant terrible, le poil à gratter, le Max Verstappen de ce Tour, Tadej Pogacar, qui l’a décroché en costaud. Le très jeune grimpeur (21 ans) de l’UAE s’est défait du monstre jaune et de sa formation, qui font peur à tout le monde. Il y a vingt-quatre heures, ils ont aussi fait mal.
Comme ils prirent les rênes de la course vers Loudenvielle (8e étape), Laruns (9e étape) ou cette semaine à destination du Puy Mary (13e étape), les coéquipiers de Primoz Roglic ont maintenu un rythme d’enfer tout au long de la journée, ne relevant qu’à peine le pied dans certains passages de la Selle de Fromentel ou du Col de la Biche, avant de lancer l’écrémage sur le Grand Colombier. Vendredi, leur subite accélération dans les passages les plus raides du col de Néronne avait éparpillé les leaders, le duo Roglic/Pogacar devançant successivement au sommet du Pas de Peyrol Porte/Landa, Lopez, Bernal/Uran puis Yates/Quintana.
Hier, cela n’en fut pas moins éreintant, la vitesse du peloton ne cessant jamais d’augmenter selon que l’on s’approchait du final. Il fallait que cela tombe sur une mauvaise journée de Nairo Quintana et d’Egan Bernal. Les deux cadors Colombiens ont lâché prise à des années lumières de la ligne d’arrivée, et perdu pied au général (3’50’’ pour le premier, 7’20’’ pour le second).
Des allures folles et des équipiers intouchables
Et il aura suffit d’un nouveau round du duel Roglic/Pogacar dans les derniers mètres pour que les autres favoris, qui s’étaient accrochés jusque-là, ramènent à leur bus la petite valise de vingt secondes (sans bonifs) traditionnelle. Ce sera désormais difficile pour eux (Uran, Lopez, Yates, Porte, Landa) alors qu’il reste une semaine, puisqu’ils partent chacun avec plus d’1’30’’ de débours au général sur le maillot jaune et son collectif. Robert Gesink et Tony Martin, toujours capables de merveilles à 34 et 35 ans ; Wout Van Aert qui se découvre des aptitudes phénoménales en montagne ; sans oublier les machines Tom Dumoulin et George Bennett, et le désormais poisson-pilote Sepp Kuss.
C’est en effet l’américain, vainqueur à Megève sur le Dauphiné, qui s’est reconvertit hier en lanceur de luxe pour un improbable sprint en haute altitude. Séquence qui rappela tristement les démarrages à la US Postal des années Armstrong. Observation qui ne fut d’ailleurs malheureusement pas contestée par les chiffres des hallucinantes performances des meilleurs de cette Grande Boucle.
Les Français en souffrance depuis une semaine
On a longtemps critiqué les prestations des grandes heures de la Sky des Wiggins, Froome, Thomas. Il est logique de s’interroger sur celles que l’on nous donne à voir depuis le départ. Elles furent jusqu’hier cachées par les bons résultats des Français, Romain Bardet et Guillaume Martin en tête. Mais les leaders d’AG2R-La Mondiale et de Cofidis ont vécu un cauchemar en cette fin de semaine. Bardet a lourdement chuté sur la 13e étape, et fut contraint à l’abandon. Carrément malchanceux, victime de chutes et d’ennuis mécaniques à répétition, Martin a sérieusement reculé au général, concédant 6’21’’ sur les seules ascensions du Puy Mary et du Grand Colombier.
Désormais, les ambitions tricolores sont vues à la baisse, on espère les voir lui et l’infatigable Pierre Rolland justement récompensés de leurs efforts. Il n’y en aura pas pour tout le monde. D’autant qu’ils semblent loin physiquement de ceux qui dominent. Les records de temps d’ascension pleuvent, les chiffres de puissance sont stratosphériques.
Il y a des signes qui ne trompent pas quant à la démonstration de force des très (trop ?) rares coureurs qui se battent pour la gagne finale : c’est le vainqueur des sprints de Privas et Lavaur Wout Van Aert qui fit craquer Nairo Quintana et Egan Bernal – son sourire malgré la douleur démontra son impuissance et son incapacité à faire mieux – hier ; les propos comme ceux de David Gaudu pour le Télégramme (« Ca roule beaucoup trop vite pour nous) s’accumulent ; et Tadej Pogacar, déjà quintuple vainqueur d’étapes sur les Grands Tours, a remporté ses deux succès montagneux sur ce Tour au sprint, dont celui impressionnant d’hier dans le très redoutable dernier kilomètre du Grand Colombier.
Des Alpes pour changer la donne ?
Bientôt saura-t-on si Primoz Roglic aurait mieux fait de capitaliser un peu plus dès le départ de Nice. Distancé de quarante secondes au général, Pogacar est un écueil de poids pour le maillot jaune, tant le jeune slovène n’a jamais perdu la roue de son aîné en montagne, et tant l’ex-sauteur à skis a semblé indestructible jusqu’à ce que son cadet lui prenne un mètre. Et ce n’est pas dit que le coureur UAE ne soit pas encore intenable en troisième semaine. Il a la clé de la course.
On a adoré le passage tant attendu en Charente-Maritime, les brillantes courses des jeunes pousses Marc Hirschi et Soren Kragh Andersen, l’hommage à Raymond Poulidor. On devrait apprécier les folles journées vers Villard-de-Lans, le col de la Loze, la Roche sur Foron. Il restera encore du pain sur la planche. Ce Tour n’est pas terminé.
Mathéo RONDEAU