Julian Alaphilippe est champion du monde ! Une parenthèse enchantée. Des moments qui manquaient cruellement au sport, touché au plus profond par la crise due à ce fichu virus. Car le sport est capable de tous nous faire vibrer. Avec le sport, les larmes peuvent être beaucoup plus que celles d’un seul homme, surtout quand elles sont de joie. Cet après-midi, le rêve de Julian Alaphilippe est enfin devenu réalité. C’était un objectif éternel, un but ultime qui lui collait si bien à la peau, pour lequel il avait déjà tellement dépensé d’énergie ces dernières années. Devenir champion du monde de cyclisme sur route a toujours représenté cette forme d’aboutissement dans la carrière du puncheur tricolore. A 28 ans, il y est parvenu, en lâchant tout ce qui restait de la concurrence au sommet de l’exigeante Cima Gallisterna (2,3km à 7,3%), et en résistant aux derniers rivaux sur la large chaussée du circuit automobile d’Imola. Désormais sur le toit du monde, il brise un mythe.
Prouver devant le gratin du cyclisme
Y’a plus de saisons. Alors qu’arrive cette même pluie réfrigérée qui lui avait porté préjudice l’an passé sur les routes du Yorkshire, annonçant le morne automne, Julian Alaphilippe a aperçu, au loin, l’arc-en-ciel. Quelques semaines à peine après que sur un autre circuit transalpin, tout aussi légendaire (Monza), Pierre Gasly est devenu le premier français vainqueur d’un Grand Prix de F1 après Olivier Panis en 1996 ; le natif de Saint-Amand-Montrond a décroché l’étoile, la lune, tout ce que vous voulez, devenant le premier tricolore à succéder à Laurent Brochard, titré à San Sebastian il y a vingt-trois ans. C’était un autre temps. Les coiffeurs n’en sont pas tous nostalgiques. A l’époque, ce maillot arc-en-ciel a changé bien des carrières, offrant parfois dans des palmarès peu garnis une ligne indélébile, une année inoubliable. Julian Alaphilippe n’avait même pas besoin de ça pour basculer dans une autre galaxie, il y était déjà. Il voulait juste le prouver devant le gratin du cyclisme mondial.
Rien n’était fait après son attaque
Car dans cette côte de Gallisterna, il n’y avait plus d’amitiés ou de politesses, on était dans le vrai, à voir les rictus de douleur des derniers rescapés de l’éprouvante journée. Voir Wout Van Aert, Jakob Fuglsang, Michal Kwiatkowski, Marc Hirschi, Primoz Roglic et Julian Alaphilippe ensemble à l’approche du sommet n’avait rien d’étonnant, certes, mais le tricolore a été le seul à pouvoir en remettre une couche dans une dernière partie en faux-plat où l’acide lactique montait des pédales au casque. Dans un dernier effort hyper intense, comme dans le Poggio, comme dans le col d’Eze, il s’est extrait de ce groupe royal. Mais à onze bornes de l’arrivée, rien n’était encore fait. Lui le savait mieux que quiconque, il n’est pas le perdreau de l’année. En 2017, à Bergen, il avait fait le plus dur en s’isolant dans Salmon Hill, la principale difficulté du parcours norvégien. Mais, peu aidé par Gianni Moscon l’ayant rejoint, il avait du rendre les armes, repris avant la flamme rouge.
Une équipe de France royale
Que des coureurs tellement costauds comme Wout Van Aert ou Jakob Fuglsang n’aient pas pu suivre ce dernier « coup de cul » d’Alaphilippe a sans doute été déterminant sur ce final des Mondiaux, offrant un surplus de confiance au français, donnant un coup de massue à ses cinq poursuivants. L’écart ne cessa de grandir, car derrière le rythme ne pouvait être que moins rapide avec la présence d’un coureur si à l’aise au sprint, Van Aert. Julian a pourtant longtemps entretenu le suspens, ne cessant de se retourner, à la recherche perpétuelle d’un écart avec le contre. Ce n’est qu’une fois la flamme rouge passée qu’il se mit véritablement à comprendre. Sans doute ne voulait-il pas bâcler l’immense travail qu’exerça l’équipe de France, qui imprima le tempo durant l’antépénultième tour avec Bernard, Pacher et Peters, qui l’accompagna (Madouas, Molard, Elissonde) durant le raid solitaire du décidément incroyable Tadej Pogacar, et qui, par l’intermédiaire d’un Guillaume Martin en cannes, avait annihilé de nombreuses tentatives dans l’ultime tour de circuit.
Une émotion intense
Mais plus rien ne pouvait l’atteindre désormais. Il avait répondu aux attaques de Vincenzo Nibali, de Marc Hirschi (médaillé de bronze derrière Van Aert), de Michal Kwiatkowski dans la Cima Gallisterna, il avait parfaitement négocié la descente qu’il avait repérée, une magnifique rampe de lancement pour le final dans un écrin mythique. Quoi de mieux pour marquer l’histoire. Ce fut alors l’implosion, une émotion d’une intensité rare. Les bras se secouèrent, les larmes montèrent aussi vite qu’il avait porté l’attaque fatale. Une joie à la hauteur de l’accomplissement réalisé. Comme au Grand-Bo en 2018, lors de son premier succès sur les routes du Tour. Comme fin août à Nice, où il allait à nouveau revêtir le maillot jaune après avoir levé les bras. Ce furent à chaque fois une ivresse émotionnelle sans pareille, un hommage non caché à son père, Jacques, dit « Jo ». Celui qui ambiançait les ginguettes du Berry nous a quitté d’une longue maladie fin juin dernier. Julian décrocha pour lui, c’était une promesse, le maillot le plus prestigieux de l’univers cycliste.
Un coureur qui suscite l’admiration
D’une sincérité, d’une hargne, d’un tempérament sans égal, Julian Alaphilippe fait chavirer avec lui des tonnes de supporters. Aujourd’hui, dans l’Hexagone, le vélo c’est Julian Alaphilippe. Il donne et se donne tellement, ces récompenses forment un certain réconfort. On lui a ôté son plus proche allié, il sait que l’amour qui lui est communiqué sur les bords de route est sincère.
Lorsqu’il a grimpé sur la boîte à Imola, cette splendide tunique arc-en-ciel sur les épaules, et que l’hymne national a retenti, il n’a encore pas pu retenir ses larmes. Qu’il ne s’inquiète, il se dit que là-haut aussi, La Marseillaise fut entonnée. C’était un certain Jo qui la reprenait, à l’accordéon.
Mathéo RONDEAU
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