JOFFREY DELACOUR : MES SOLUTIONS POUR RETROUVER L’ESPRIT DU RUGBY

Après avoir exposé les maux du rugby chez les jeunes, Joffrey Delacour (formateur au sein du RC Massy Essonne) revient avec quelques pistes pour renouer avec l’esprit de l’ovalie d’antan. Une tribune pour un retour à certaines valeurs, au plaisir du jeu et à une symbiose entre les différents acteurs du rugby.
Joffrey Delacour
(c) Funky Roster
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Les sportifs ne brillent pas uniquement sur le terrain mais en apportant une aide à leur communauté par une action, une parole, une prise de position. La rubrique « Engagés » permet à un sportif de partager avec vous une réflexion sur une cause particulière.

Après avoir exposé les maux du rugby chez les jeunes, Joffrey Delacour (formateur au sein du RC Massy Essonne) revient avec quelques pistes pour renouer avec l’esprit de l’ovalie d’antan. Une tribune pour un retour à certaines valeurs, au plaisir du jeu et à une symbiose entre les différents acteurs du rugby. 

Une des premières à choses à faire pour un rugby plus sain est de redéfinir ce que sont et ce que représentent ces fameuses valeurs dont on parle tant sans vraiment les avoir aperçues.

Abnégation, don pour autrui, respect, altruisme, solidarité, engagement dans l’effort, fair-play… toutes ces valeurs se développent au fil de la vie selon l’éducation, le groupe de pairs.

Pour certains qui sont nés dans le rugby, c’est plus facile d’avoir vu Papa ou Maman, voir les deux sur les bords du terrain depuis bébé ça aide. Pour d’autres, c’est la région qui joue ce moteur.

Le sud-ouest se montre bien plus attentif à nos jeunes pousses un peu grasses ou un peu grandes et maladroites.

Quand on n’a ni l’un ni l’autre il faut effectivement user de stratagèmes afin d’inculquer de l’enfant au jeune adulte. Pour moi l’important c’est de créer un lien entre l’équipe fanion et les plus jeunes. Voir les matchs, faire intervenir les joueurs de l’équipe une dans les entraînements ou aux gouters du samedi des enfants…

Il y aussi ce qu’on va apprendre vis-à-vis des dirigeants, toujours dire bonjour, serrer la main à tous et toutes, respecter ses partenaires, l’arbitre, bref tout ce qui se passe sur le terrain.

Pour résumer, investir le gamin dans le club pour comprendre le mode de fonctionnement d’une société dans un microcosme local, mais également quand il est sur le terrain avec toutes les attitudes qui en découlent.

Ensuite vient la formation, la plus vaste question.

LA FORMATION, LE NERF DE LA GUERRE

Déjà pouvoir penser que l’on peut détenir la vérité nous mène droit dans le mur.

Comme sur le terrain, nous devons être humbles face à la réussite comme persévérant lors de l’échec. Il faut être dans l’échange, le partage. Écouter les autres éducateurs, aller voir ce qui se fait ailleurs, être toujours à la recherche de nouvelles choses.

Ça, c’est la mentalité que l’on doit avoir si l’on veut toujours faire progresser nos gamins.

Après dans le contenu tout va dépendre des tranches d’âge. Nous nous moquons systématiquement du football, mais eux n’hésite pas en plein froid à répéter 50 amortie poitrine sans dire un mot. Nous on reste le Rugby de papa où nous avons une balle pour dix et/ou si tout va bien le meilleur des -12 ans va toucher sur une heure trente d’entraînement 2 minutes la balle.

C’est là où nous devons travailler. Je me rappelle avoir eu une discussion avec mon co-entraîneur qui avait emmené son gosse au Handball. Première séance, une malle entière de ballons sous toutes ses formes avec manipulation pendant une heure trente, magique.

Nous à l’inverse on va faire une heure de courses parce que bon l’athlétisme, on ne sait jamais.

Privilégions la passe, le collectif, les ateliers où l’enfant touche le ballon. Si en plus on rajoute systématiquement de la lecture, d’une part le gamin va s’intéresser au projet, car il se sentira moins considéré comme un idiot et saura en plus s’adapter aux différentes situations de matchs.

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Pour moi nous devons chronologiquement construire les outils puis la lecture. Après dans le haut niveau c’est comment le faire de plus en plus vite, de plus en plus fort et avec de plus en plus de lucidité.

Nous pourrions également adapter de nouvelles règles, pourquoi pas, mais on va tirer le niveau vers le bas. Pourquoi faire ça… Aujourd’hui on ne fait plus travailler ou très peu les joueurs après 20 ans, on veut de la matière première apte à jouer directement, mais qu’on ne fait pas évoluer si ce n’est sur le versant physique.

Or il faut être capable de répéter encore et toujours les gestes de bases du rugby, passes, placages, grattages, pré-action, pied… Mais nous on passe plus de temps à analyser l’adversaire sans se préoccuper de notre propre système.

Il faut aussi accepter que le jeune va mettre 4/5 matchs pour se mettre au niveau, mais que la marge de progrès (si elle est bossée bien entendu) va aussi être bien plus grande. Pour cela ils doivent être encadrés par des joueurs confirmés, mais il faut absolument les lancer. Regardez Mbappé, il joue, il est bon. Il était remplaçant il y a un an, il est monté en puissance et explose aujourd’hui…

On critique toujours le foot, mais encore une fois si l’on prend la moyenne d’âge, ils sont bien en dessous de nous.

DES RELATIONS SAINES ENTRE LES DIFFÉRENTS ACTEURS

La réforme du JIFF (joueur issu des filières de formation) est déjà une première étape qui va dans le bon sens. Après si l’on veut vraiment que ça marche, on indemnise fortement les clubs qui bossent là-dessus. Aujourd’hui on garde le même problème puisque les clubs riches peuvent acheter à un prix dérisoire (indemnités de formation) un joueur qu’un club formateur a mis 5/6 ans à former.

Des joueurs comme Woki ou El Ansari de chez nous en sont l’exemple type. Équipe de France de tous les âges, partis au Stade Français et à Bordeaux, Massy n’en gagne rien ou quasi rien.

Si l’on veut continuer à former, il faut des moyens. Peu importe d’où ils viennent, mais le club formateur doit toucher quelque chose, autre qu’un billet de 10000€ payant à peine un éducateur Crabos à l’année par exemple.

De plus lors de ce transfert le club devrait avoir une obligation de faire jouer le jeune un certain nombre de matchs afin qu’il s’aguerrisse et non pour piller les clubs parce qu’à cet instant c’est moins cher. À quoi ça rime de faire signer un jeune trois ans avec des revalorisations chaque année alors que ce même joueur s’il joue un an ou deux en pro D2 régulièrement triplera son salaire lors de son intégration en Top 14. Encore une fois on prend les joueurs comme une valeur financière.

Parfois je me rappelle du temps où j’étais plus jeune.

La différence est simple. On bossait pour se régaler, prendre du plaisir. Pas dans des schémas bridés qui servent à gagner le dimanche. La différence majeure est là. La recherche du plaisir alliant celle de la performance. Pas l’argent au service de la performance.

Les clubs amateurs et professionnels doivent travailler ensemble. C’est indispensable, mais cela doit se faire en bonne intelligence. On a peut-être tendance à avoir l’image des gros clubs qui viennent piller les petits sans trop faire jouer les jeunes. Les clubs amateurs se sentent alors floués, car ils aimeraient garder leurs meilleurs joueurs afin d’avoir des résultats…

Il faut une confiance mutuelle qui prend du temps. Nous devons prendre les meilleurs, car ils acquièrent via l’émulation et la compétition un meilleur niveau, mais nous devons le faire que si nous sommes certains que ces derniers jouent. Comme je l’ai dit, un quota de matchs minimum peut être intéressant. Les tutorats sont par exemple un très bon moyen d’intégrer un jeune petit à petit dans une structure club.

Si les choses sont faites proprement, en commençant par appeler les éducateurs et les présidents, puis les parents, il y a de fortes chances que l’enfant quitte son club formateur la tête haute et que s’il ne réussit pas, y revienne.

À l’inverse si les choses sont mal faites, le joueur passe pour un vendu au sein de ses partenaires et de son club, et s’il échoue il a de grandes chances d’arrêter.

En Ile-de-France, on essaie de mener des actions dans les clubs partenaires qui voient le rugby comme nous. Nous avons des contacts dans beaucoup de clubs et nous sommes présents sur quasi tous les matchs cadets et minimes afin de détecter. Nous échangeons entre nous et avec les staffs des clubs partenaires afin de ne pas nous tromper. On laisse le moins de place possible au hasard afin que tout le monde s’y retrouve.

Avec les autres clubs pros de la région, c’est différent, il y avait une espèce de pacte de non-agression avant les espoirs, aujourd’hui ce n’est plus ça.

Renouer le dialogue passera avec les années surement, mais ça commencera par le respect du travail des uns et des autres, en acceptant les différences, en comprenant les problématiques, et en partageant plus. Dans certains comités par exemple ils s’échangent les matchs, partagent sur les adversaires de la poule, pour nous ce n’est pas possible, le derby est presque plus important qu’un titre.

Il faut retrouver au plus vite l’esprit de notre sport et ne jamais oublier que le rugby est un jeu.

JOFFREY

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