Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Aujourd’hui vous allez découvrir l’histoire très particulière de l’athlète handisport, Jean-Baptiste Alaize. Miraculé d’un conflit ethnique au Burundi, il s’est forgé un mental d’acier et a réussi à accepter son handicap par la pratique sportive. Il se bat désormais pour faire progresser la reconnaissance de l’handisport mais aussi les causes humanitaires qui lui tiennent vraiment à coeur.
Je suis un rescapé de la guerre civile qui a eu lieu au Burundi dans les années 90 suite au conflit entre les ethnies Tutsis et les Hutus.
À l’âge de 3 ans, j’ai subi plusieurs coups de machette à la jambe droite, aux bras et dans mon dos, car j’étais un fils de Tutsis. Ma mère fut exécutée devant mes yeux…J’ai encore toutes ces scènes de guerre en tête, je m’en rappelle comme si c’était hier. C’est quelques années plus tard que j’ai été adopté en France par une nouvelle famille afin de vivre une autre vie.
Je suis retourné pour la première fois au Burundi en 2013, ça faisait 18 ans. À l’aide d’une équipe de tournage pour l’émission sept à 8, j’ai pu connaître la vérité sur ma vie. Ce fut vraiment un choc, car toutes les histoires dont je me souvenais étaient vraies. J’ai aussi découvert la vérité sur l’histoire de mon père, le fait qu’il ne m’avait jamais abandonné. Il m’avait emmené à l’adoption afin d’avoir une meilleure vie, celle que j’ai aujourd’hui. Il ne m’a jamais dit la vérité, car c’était trop dur pour lui et je ne serais jamais parti. Il est mort d’une crise cardiaque, son secret était tellement fort. Pour moi, c’est le plus grand geste d’amour possible.
J’ai revu mes sœurs et mes cousins, personne n’imaginait que j’étais encore en vie, car mon père avait caché la vérité à tout le monde. C’est en touchant mes blessures et en découvrant la prothèse à la place de ma jambe droite qu’ils ont compris qui j’étais.
LE SPORT, MA THÉRAPIE
Je suis donc arrivé en France en 1998 dans le village de Bonlieu-sur-Roubion (Drôme). J’ai tout de suite aimé le sport, mes béquilles ne m’empêchaient pas de faire du football par exemple, et je partais en colonies de vacances comme les autres enfants. Mais le jour où mes parents m’ont offert ma prothèse de marche, j’ai vraiment eu un sentiment de liberté et je voulais tout essayer. J’ai commencé par adorer l’équitation, le fait de partager des sensations avec mon cheval c’était quelque chose.
Le problème, c’est que j’avais encore des blessures dans ma tête. Les cauchemars ne s’arrêtaient pas la nuit.
Un jour, mon prof d’EPS a voulu organiser les Jeux Olympiques du collège. J’étais le dernier relayeur de l’équipe de ma classe pour le 4x100m. Avant mon passage, nous étions en troisième position et finalement j’ai réussi à remonter tout le monde pour remporter la course.
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À ce moment-là, personne ne connaissait mon handicap, j’avais encore du mal à l’accepter. Quand tout le monde a vu ma prothèse, ils ont été aussi surpris de ma performance que du fait que j’avais réussi à cacher ça. Mon professeur m’a alors dit de trouver un club, car j’avais selon lui un vrai talent pour le sprint.
L’athlétisme a alors agi comme un déclic, car après l’entraînement j’étais complètement vidé de tous mes problèmes et de la haine que j’avais accumulée en moi. Ce sport avait réussi à m’apaiser.
Je me suis alors mis à fond dans les disciplines du sprint et du saut en longueur pour faire comme mon idole Carl Lewis. J’ai rapidement réussi à avoir de bons résultats avec les valides dans les championnats départementaux et régionaux de ma catégorie. C’est alors qu’un jour j’ai reçu l’appel du DTN de la Fédération française de handisport. Il voulait me sélectionner pour les championnats du monde handi des moins de 23 ans qui avaient lieu à Dublin.
J’avais 15 ans et ça faisait seulement 4 mois que j’avais commencé l’athlétisme. C’était la première fois que je pouvais quitter la France depuis mon adoption, et j’ai accepté sans vraiment savoir ce que j’allais vivre. Je suis revenu avec 3 médailles d’argent (100m, 200m, saut en longueur) alors que j’affrontais des mecs qui avaient 5 ans de plus que moi.
C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à avoir une pratique dite de haut-niveau. J’ai rapidement enchaîné les performances et ma fierté aura été d’avoir gagné 4 médailles d’or consécutives au saut en longueur avant d’être surclassé chez les seniors à 19 ans.
Mais même si je réussissais sportivement, mon plus gros obstacle restait d’être à l’aise avec mon handicap. J’ai eu du mal à me changer devant d’autres athlètes qu’ils soient valides ou handi, et je ne mettais que des joggings par exemple. J’ai finalement compris qu’il fallait s’accepter et que personne n’était choqué par ma condition. Après avoir guéri mes blessures mentales, le sport m’avait fait accepter mon handicap.
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Des personnes m’ont aidé dans ce chemin comme Arnaud Assoumani (champion paralympique de saut en longueur aux Jeux de 2008) qui a été mon parrain. C’est l’un des athlètes les plus titrés, mais j’estime qu’il n’a pas la reconnaissance qu’il devrait avoir. Si vous posez la question autour de vous, très peu de gens sauront qui il est et ce qu’il a réalisé alors que c’est extraordinaire.
LE HANDISPORT A L’ÉCART DES MÉDIAS ET DU PROFESSIONNALISME
Les médias s’intéressent trop peu au handisport en France, à nos performances dans les stades. Me concernant, le sujet qui peut les passionner reste mon histoire personnelle, mais je ne suis pas qu’un petit africain qui a survécu à la guerre.
Je suis aussi un champion.
Je pense que ce qui m’est arrivé focalise trop d’attention et m’empêche d’avoir certains contrats de sponsoring. Hormis lors des Jeux Olympiques, j’ai pu gagner des médailles dans toutes les compétitions et pourtant j’ai moins de sponsors qu’il y a quelques années. On m’avait toujours dit qu’une médaille mondiale chez les séniors allait changer ma vie, et lorsque je l’ai eu à Londres en juillet dernier, j’étais vraiment sur mon petit nuage. Mais ça n’a pas autant intéressé les médias que si j’avais été valide. Je n’ai d’ailleurs eu aucune prime financière de la part de notre fédération.
Quand je vois comment certaines disciplines sont si bien loties alors qu’elles sont largement moins titrées, ça me déçoit vraiment. J’ai l’impression de travailler uniquement pour la gloire sans aucun retour. Heureusement, certains sponsors me suivent comme Epargne Actuelle, Össur, L’Orange Bleue et Adidas, sans eux ce serait plus compliqué.
Avec cet état de fait, c’est compliqué de se remettre à l’entraînement…
Aujourd’hui j’estime avoir beaucoup fait : je me bats pour être présent dans les médias avec mon attachée de presse Florence de Silva qui m’aide à avoir plus d’impact ; mon palmarès parle aussi pour moi, mes performances aussi (6m81 en longueur / 11s60 au 100m et 23s au 200m). Est-ce juste mon histoire ou est-ce que le sujet du handicap est tabou en France ?
Mon nouveau club de l’AMSLF me permet d’avoir une nouvelle dynamique, mais est-ce assez pour accomplir mon rêve de médaille olympique. Alors que je suis dans mes meilleures années en tant qu’athlète, peut-être que la meilleure solution serait d’arrêter mon sport afin de vivre plus sereinement financièrement. Pour l’heure, avec une grosse volonté j’arrive à jongler entre mon travail et le sport de haut-niveau car je prends encore beaucoup de plaisir. J’ai créé ma société de lavage de voiture à domicile à Saint-Raphaël et je travaille donc de 9h à 15h avant d’enchaîner dans la foulée sur mon entraînement. J’essaye donc de mener ma carrière avec mes moyens, mais j’ai fait le deuil d’être un sportif professionnel.
Nous avons un vrai problème avec le handisport en France, mais peut-être que la situation va s’améliorer ces prochaines années notamment avec les Jeux Olympiques à Paris en 2024. Il y a quelques années, les mondiaux d’athlétisme handisport avaient été organisés à Lyon et trop peu de monde était au courant de cet événement. Les athlètes des autres pays présents avaient été assez critiques, je me souviens qu’après 10 minutes de cérémonie d’ouverture il ne restait que la délégation française. À côté de ça, les derniers mondiaux de Londres étaient exceptionnels avec des gradins remplis et un public en or qui estime vraiment les athlètes handi.
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Notre culture du handisport pourrait donc évoluer ces prochaines années. La mentalité actuelle dans le sport français est bizarre, car on veut nous séparer des valides. J’aimerais qu’il y ait plus de liens entre nous avec pourquoi pas un grand meeting commun afin de faire découvrir nos performances aux spectateurs. Mais il y a des complexités légales et idéologiques. On estime que certains athlètes invalides sont privilégiés, notamment les doubles amputés. Par exemple, l’année dernière je devais participer aux Championnats de France valide par équipe, mais on m’a refusé ce droit.
AMBASSADEUR, UNE SECONDE NATURE
Il faut donc percer l’abcès du handicap et faire passer ce message : il ne faut pas juger les gens, mais les accepter comme ils sont. Les gens ne doivent pas avoir honte de leur handicap et notre société doit arrêter d’avoir un a priori négatif sur nous. Mon handicap c’est d’avoir une jambe en moins, mais il ne m’empêche pas d’être fier de mon parcours.
Au-delà du sport, j’aimerais être un exemple sur mon parcours de vie et devenir un ambassadeur. Mon histoire m’a fait grandir plus vite que d’autres et j’aimerais donc transmettre, changer certaines mentalités. J’ai déjà commencé pour la région Ile-de-France où nous rencontrons des enfants dans les écoles sur le thème du sport & handicap. On essaye de changer leur regard sur cette cause.
Je suis également impliqué avec Peace & Sports, c’est une fierté de travailler avec eux. L’objectif est de stopper la guerre par l’action du sport. Je suis retourné au Burundi l’été dernier pour les Jeux de l’amitié avec eux, un événement qui doit montrer que la guerre n’apporte rien de bon, et que les ethnies peuvent à nouveau s’aimer. Ce fut une grande fierté pour moi de revenir dans mon pays en tant qu’ambassadeur.
Sur un volet plus léger, j’ai commencé à faire de la comédie. J’ai pu jouer dans le dernier film de Franck Dubosc, « Tout le monde debout », qui traite du handicap avec humour. C’est un petit rêve qui se réalise, car quand j’étais petit, je rêvais d’être acteur.
Mon projet se focalisera sur un court métrage centré sur ma vie, nous allons commencer le tournage très rapidement avec une maison de productions d’Aix en Provence. Je jouerais bien entendu mon propre rôle.
J’ai donc pas mal d’activités en ce moment, et je suis fier de ce que j’ai réalisé jusqu’ici. Malgré ce que j’ai vécu, la vie continue. La réussite c’est avant tout une question d’envie.