Les athlètes sont souvent imperméables à toute communication avant que la compétition ne soit terminée. La rubrique « Dans la peau » permet à un sportif de partager avec vous ces moments secrets et déterminants qui forgent la réussite de leurs projets.
Guy Ontanon fait figure d’autorité en France lorsqu’on évoque le sprint. Ancien entraîneur de Christine Arron, Muriel Hurtis ou Jimmy Vicaut, il décrypte pour vous cette discipline particulière entre qualités intrinsèques et travail spécifique. (Crédit photo Une : Guy Ontanon)
J’ai été un basketteur de haut-niveau mais je suis surtout professeur d’éducation physique de formation. C’est par le biais de l’UNSS que j’ai commencé à entraîner dans les disciplines de l’athlétisme.
J’ai basculé peu à peu dans le sprint en ayant eu quelques expériences pratiques durant ma scolarité. Je courais notamment le 110m haies quand j’étais lycéen, ainsi qu’en 4X100 pour les compétitions universitaires. C’est un sport qui m’a toujours plu. C’est en continuant à suivre certains de mes élèves qui devenaient compétitifs que j’ai commencé à entraîner dans un club avec eux. Cela fait presque 20 ans que j’entraîne au haut niveau maintenant.
CE QUI FAIT UN BON SPRINTEUR
Les caractéristiques d’un bon sprinteur sont ses qualités musculaires, ses qualités d’explosivité, cette capacité à avoir une bonne mobilité articulaire, une bonne souplesse, mais pas trop, ainsi qu’une bonne coordination. Mais la force et l’explosivité sont les deux qualités premières du sprinteur.
On parle souvent de la qualité de pied, mais qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Ce sont en fait des qualités d’explosivité et de force à reproduire sur le sol, donc si l’athlète va vite c’est qu’il est capable d’avoir ces qualités de force et d’explosivité. La qualité de pied est donc la reproduction de ces deux aspects.
C’est quelque chose de voyant qu’on décèle assez rapidement chez les jeunes. Idem pour la tenue où l’on pourrait presque parler de gainage de la cheville et surtout de capacité à ne pas se déformer à chaque fois qu’on touche le sol. Garder cette rigidité au sens positif, c’est-à-dire d’être capable d’emmagasiner de l’énergie et la restituer dans un temps extrêmement bref. Les meilleurs sprinteurs ont des temps de contact à pleine vitesse compris entre 0.08 et 0.09/100 ème de seconde.
Au-delà de ces qualités, il faut ensuite fixer une stratégie de progression, d’entraînement, propre à chaque sprinteur. Par exemple, la vitesse maximale qu’on va pouvoir déployer pour un sprinteur est déterminée en fonction de l’amplitude et de la fréquence des foulées. En fonction des sprinteurs qu’on entraînera, certains auront une dominante de force, d’autres d’explosivité, ce qui donnera des axes de travail particuliers et spécifiques à chacun.
Il y a bien d’autres facteurs évidemment à prendre en compte, je parlais de la souplesse, mais il y a la coordination, les aspects mentaux, les facteurs biomécaniques, la mécanique de course donc apprendre à bien courir. Il y a une différence entre courir vite et sprinter, et sprinter s’apprend. La gestuelle fine du sprinter s’apprend et il faut de nombreuses heures sur la piste et en salle de musculation avant de savoir sprinter. Il faut compter environ 7 à 10 ans pour former un tel athlète soit 10.000 heures de travail à répéter les gestes, à travailler les gammes du coureur et à améliorer le détail qui permettra de glaner centièmes et millièmes.
S’ENRICHIR DES AUTRES SPORTS POUR AMÉLIORER MES CONNAISSANCES EN SPRINT
On le voit, certains joueurs de football ou de rugby courent très vite, mais pour devenir sprinteur il faut qu’ils apprennent à prolonger cette phase d’accélération vers du sprint et tenir l’effort du sprint.
Il y a de vrais potentiels, M’Bappé par exemple, mais il est également très performant en football donc il restera dans ce sport. Forcément, on se dit qu’on aimerait bien pouvoir l’améliorer, lui permettre d’être encore plus performant dans son activité.
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J’ai d’ailleurs travaillé avec des sportifs comme Sandrine Gruda au basket ou Benjamin Fall au rugby et c’est un enrichissement mutuel. Mais le sprint est une des dizaines de composantes de ces sports donc il est difficile de travailler sur du long terme et avoir la même démarche qu’avec de vrais spécialistes, en revanche nous pouvons avoir un impact positif en leur apprenant les bons gestes sur quelques séances ensembles.
IL N’EXISTE PAS DE PROFIL TYPE DE SPRINTEUR
Il n’y a pas forcément un profil type de sprinteur, certains performent plus sur une des caractéristiques, ce qui fait la diversité des profils de sprinteurs. Comme il y a plusieurs de types de lanceurs pour parler d’une autre discipline de l’athlétisme. Un champion exceptionnel comme Jan Zelezny au javelot été à l’encontre du profil type qu’on voyait à l’époque et ça ne l’a pas empêché de glaner 3 médailles d’or aux Jeux Olympiques. Zelezny avait une corpulence relativement modeste, mais il a su compenser ses manques par une qualité de vitesse de bras et de déplacement hors normes.
Chez les sprinteurs, il y a eu une génération un peu plus trapue et moins grande des années 90 aux débuts des années 2000 avec Maurice Green, Ato Boldon et Donovan Bailey. Actuellement c’est vrai que nous avons vu surtout de grands profils comme Bolt, ce n’est pas un choix, il y a une évolution dans la société également avec des personnes de plus en plus grandes.
Les finalistes mondiaux sont effectivement entre 1m82 et donc quasi 2m, alors que par le passé un athlète d’1m85 était considéré comme très grand. En tout cas aujourd’hui on ne peut pas dire que c’est une volonté de la part des entraîneurs et de la détection que de favoriser les profils de grands gabarits. D’ailleurs, le nouveau prodige Christian Coleman ne fait pas partie de cette catégorie, il culmine à 1m75 « seulement » et il vient pourtant de battre le record du monde du 60m en salle de Maurice Greene (en 6’34).
Je pense d’ailleurs que c’est une grave erreur que de se baser simplement sur des morphotypes. On le voit dans le football, les grands gabarits sont souvent favorisés alors que les génies sont souvent de plus petits gabarits, à l’instar de Messi, Neymar ou Griezmann actuellement. Il y a tellement d’autres paramètres qu’effectivement c’est une bêtise de se focaliser sur ça, l’anticipation, la lecture du jeu, la technique, etc…, sont à prendre en compte.
LE RECORD DE BOLT POURRAIT ÊTRE BATTU DANS QUELQUES ANNÉES
Nous restons sur deux années où les performances étaient au-dessus des 9’80” alors qu’on venait de connaître plus d’une décennie avec des performances en deçà. Mais dès les prochaines années on peut se retrouver avec une finale qui se jouera sous les 9’70″. Et quand on regarde les chronos de Bolt, dont le 9’58”, on peut se dire que la barre des 9’50” peut être franchi avec des meilleures conditions, donc un vent favorable, un meilleur départ, oui c’est possible.
Concernant les femmes ce sera difficile d’aller chercher le record de 10″49 de Florence Griffith-Joyner, mais celui-ci reste entaché de suspicions de dopage. Peut-être qu’une athlète avec des qualités morphologiques similaires de celles de Bolt pourrait aller chercher ce record, mais c’est vrai qu’on pourrait penser que le vrai record serait dans les 10″65-75.
LES SPRINTEURS À SUIVRE CES PROCHAINES ANNÉES
Christian Coleman a un gros potentiel et il est très prometteur et cela sera intéressant de voir jusqu’où il peut aller. Au niveau français il y a encore un peu de flou chez les hommes, nous nous appuyons toujours sur deux très bons sprinteurs que sont Lemaître et Vicaut. Chez les femmes il y a une Guyanaise Gémina Joseph qui est très prometteuse, qui est dans le top 5 mondial de sa catégorie sur 200m et dans le top 10 sur le 100m. Il y a une jamaïcaine également exceptionnelle, Brianna Williams qui vient de réaliser 11″13 sur 100m et 23″11 sur 200m à seulement 16 ans. La relève est donc présente ce qui peut nous faire espérer de belles années encore pour le sprint.
Le sprint est quelque chose de culturel, on le voit avec des pays comme la Jamaïque, les États-Unis, ou même la France qui sortent toujours de très bons éléments. Et il y a donc des courants, des manières de faire, qui sont inspirés et impulsés par différentes personnes. Chacun a sa manière de travailler, de penser. La jamaïcaine représentée par Glen Mills ou l’américaine avec John Smith, et en France le fait d’avoir eu deux français sous les 10s et deux françaises sous les 11s me propulsent un petit peu dans un courant, mais ce n’est pas ce qu’on recherche.
Nous sommes là pour apporter nos connaissances et nos méthodes de travail à un athlète dans sa quête de performance. On dédie notre temps pour ces athlètes.